Thatcher et la grève des mineurs : remettre l’histoire au centre

Pourquoi Thatcher voulait-elle fermer les mines de charbon de son pays ? Certainement pas dans le but de mater les syndicats !

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Thatcher et la grève des mineurs : remettre l’histoire au centre

Publié le 25 avril 2013
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Pourquoi Thatcher voulait-elle fermer les mines de charbon de son pays ? Certainement pas dans le but de mater les syndicats ! Mais tout simplement pour des raisons économiques et géologiques.

Par Samuele Furfari.

Est-ce qu’ils voulaient réellement que leurs petits-fils les suivent ?

 

Le décès de Margaret Thatcher a suscité une forte réaction populaire même si toutes les voix ne se sont pas exprimées. Comme souvent, ceux qui crient le plus fort ne sont que minoritaires. Margaret Thatcher a souvent été critiquée pour ses initiatives, entre autres celle concernant sa gestion de la grève des mineurs de 1984-1985. Puisqu’il s’agissait de houilleurs et que le charbon a figuré dans mon domaine d’activités professionnelles, peut-être qu’un témoignage personnel sur cet événement majeur dans l’évolution de l’économie européenne apportera un peu de clarté à ces critiques qui ne connaissent pas nécessairement le dossier.

Comme dans tous les pays de l’UE, une grande partie des charbonnages britanniques étaient fortement déficitaires lors de l’arrivée au pouvoir de Thatcher : les mines du Limbourg néerlandais avaient déjà toutes fermé, tout comme celles de la Wallonie hormis celle du charbonnage Ste Catherine du Roton à Farciennes (Charleroi) qui leur a emboîté le pas en septembre 1984. La page d’histoire glorieuse des houilleurs wallons (et italiens… dont mon père) était définitivement tournée. Sans grève et sans heurts.

Au Royaume-Uni, cela s’est déroulé dans un mémorable bras de fer avec le tout puissant syndicat des mineurs, la National Union Mineworkers (NUM). Son leader Arthur Scargill, surnommé Arthur le Rouge, était tout aussi puissant. À l’époque, je travaillais dans le domaine de la politique charbonnière et mon directeur était chargé personnellement du dossier de cette mémorable grève. J’ai pu ainsi, bien que n’étant pas directement impliqué, suivre de très près l’évolution du dossier.

Pourquoi M. Thatcher voulait-elle réformer les houillères de son pays ? Certainement pas dans le but de mater les syndicats ! C’était tout simplement pour suivre l’exemple des Belges, des Français avec Charbonnages de France, des Allemands dans la Sarre et ensuite dans la Ruhr. La raison en était géologique. Les mines de charbon européennes avaient un sens aussi longtemps que les pays étaient ceints par des frontières économiques. Dès l’ouverture de l’économie, il devint clair que le coût du transport était devenu dérisoire par rapport à celui du produit transporté et que la géologie européenne conditionnait négativement la production charbonnière de l’UE.

En vertu de l’article 55 du Traité CECA (dont je m’occupais à l’époque), l’UE avait pourtant accompli d’énormes efforts en matière de sécurité et de productivité des houillères européennes. Après le traumatisme de la catastrophe de Marcinelle de 1956 et grâce à la recherche financée par la CECA, le nombre d’accidents avait fortement chuté et la mécanisation des mines était d’avant-garde. Mais la géologie, elle, n’avait pas changé : les veines de charbon étaient peu épaisses (même si les britanniques étaient meilleures), et le sous-sol fortement faillé ne permettaient pas aux mineurs européens de survivre face à la concurrence du charbon international, et ce malgré les progrès accomplis. Le charbon australien qui avait traversé une partie de l’océan Pacifique, tout l’océan Indien et remonté tout l’Atlantique arrivait au port d’Anvers et coûtait moins cher que celui qui se produisait chez nous. Les décisions adoptées étaient donc justifiées et l’histoire nous a donné amplement raison puisque les houillères belges et la majorité de celles des autres États membres sont fermées à tout jamais.

Pour défendre l’emploi des mineurs, Arthur le Rouge n’a rien voulu entendre et s’est opposé à l’indispensable restructuration des charbonnages nationalisés pensant même que « les pertes peuvent être illimitées » et qu’un puits ne se ferme que quand il est vide. Il fit même appel à Kadhafi pour lui demander de l’argent pour financer sa grève. Il pensait répéter l’exploit du NUM qui, en 1974, avait fait chuter le gouvernement conservateur d’Edward Heath. Mais cette fois, il avait à faire à plus déterminé que lui. C’est d’ailleurs ce refus inébranlable de céder à la grève qui valut à la Dame de fer son surnom. Elle obtint victoire le 3 mars 1985, presque une année après le début de la grève. Ce fut un bras de fer avec le syndicat dont les instances dirigeantes, et non la base, avaient pris la décision. Elle fit le nécessaire pour renverser cet ordre, et ce fut finalement la base qui choisit d’accepter la restructuration des charbonnages. Fidèle à ses convictions politiques, Arthur Scargill forma le Parti socialiste du travail en 1996, en réaction contre Tony Blair qu’il accusait d’abandonner l’engagement socialiste.

La victoire de Thatcher a marqué un tournant dans la mentalité britannique et ailleurs. Aujourd’hui, il est communément admis qu’il n’est ni acceptable, ni rationnel, ni éthiquement correct que les citoyens payent des taxes pour maintenir des industries déficitaires en survie artificielle. Ce bras de fer entre la Dame de fer et Arthur le Rouge a effectivement résulté en une forte diminution des impôts au Royaume Uni et a donné un nouveau souffle à un pays alors en plein marasme économique.

Le combat était d’autant plus d’arrière-garde qu’au même moment l’aubaine des hydrocarbures de la mer du Nord venait assurer le remplacement des centrales électriques fonctionnant au charbon cher et polluant par du gaz naturel propre et bon marché. Ce fut un boom pour l’économie. Étrangement, ceux qui jugent sévèrement Margaret Thatcher feignent d’ignorer ou ignorent que c’est à elle qu’on doit la forte chute de pollution au Royaume-Uni. À l’époque un fameux fabriquant d’engrais annonçait dans sa publicité que son produit contenait du soufre, élément indispensable pour la croissance des plantes, que malheureusement (!) les fumées des centrales au charbon ne crachaient plus. Certaines mines rentables sont encore en exploitation au Royaume Uni.

Farouchement convaincue de la nécessité de cesser de ponctionner les Britanniques pour financer une industrie qui, malgré toute sa bonne volonté, produisait un charbon trop cher, elle alla même jusqu’à utiliser l’argument de la peur du changement climatique. En effet, Margaret a été l’une des premières politiques européennes à accorder de la crédibilité à cette théorie. Plus tard, elle s’est ravisée et a reconnu son erreur. Personne n’est parfait…


Samuel Furfari est Maître de conférences à l’ULB. L’auteur s’exprime à titre personnel.

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  • Ces mafias syndicales seraient capables de défendre les « silexfire » (allumeurs de feu en frottant des silex) contre les vilains vendeurs d’allumettes qui tuent l’emploi…

  • Quand MT vient au pouvoir qq temps après les années Wilson les impôts avaient dépassés la barre des 100%la livre était tombée au plus bas contre le dollar le pays était constamment gréve et le Royaume uni etait l’homme malade de l’Europe les Irlandais cherchaient a l’assassiner et le terrorisme faisait régulièrement des victimes Fort heureusement Elle pour l’Angleterre et Reagan pour les US ont remis le pays en ordre et un peu plus tard avec Gorbachev ont détruit le communisme qui tombait déjà en ruine comme nous l’avons découvert

  • « Plus tard, elle s’est ravisée et a reconnu son erreur. Personne n’est parfait… »Il s’agit plutôt de finesse,quelle bonne femme!!!

  • « Le charbon australien qui avait traversé une partie de l’océan Pacifique, tout l’océan Indien et remonté tout l’Atlantique arrivait au port d’Anvers et coûtait moins cher que celui qui se produisait chez nous » : comme c’est le cas hélas pour la plupart des produits actuels, y compris alimentaires : une véritable aberration d’un point de vue écologique et énergétique, alors que le « consommer local » permet le maintien des emplois et une dépense énergétique nettement moindre.

    Quand vous dites « Certaines mines rentables sont encore en exploitation au Royaume Uni. » : qu’est-ce qui selon vous leur permet donc d’être rentables, puisque vous expliquez plus tôt que le charbon importé était nettement plus concurrentiel ?

    Au passage, il n’est pas courant de voir s’exprimer sur ce blog un fonctionnaire haut placé, qui plus est, dans les institutions européennes.

    • « comme c’est le cas hélas pour la plupart des produits actuels, y compris alimentaires : une véritable aberration d’un point de vue écologique et énergétique, alors que le « consommer local » permet le maintien des emplois et une dépense énergétique nettement moindre. » Cette dépense énergétique moindre se paie nécessairement d’une plus grande utilisation d’autre ressources rares (en particulier le travail des employés qualifiés européens qui pourrait être utilisé ailleurs*) sinon il ne serait pas moins cher d’importer que de produire sur place.

      *Le simple fait de parler du maintien des emplois comme un objectif en soi est une aberration économique : on travaille pour créer des richesses, et non l’inverse.

      « Quand vous dites « Certaines mines rentables sont encore en exploitation au Royaume Uni. » : qu’est-ce qui selon vous leur permet donc d’être rentables, puisque vous expliquez plus tôt que le charbon importé était nettement plus concurrentiel ? » Chaque mine n’avait pas la même rentabilité (elle ne sont pas toutes similaires sur le plan géologique) : le fait qu’en moyenne elles ne pouvaient faire face à la concurrence internationale ne signifie pas qu’aucune soit en en mesure de le faire.

      • A la différence que la capacité de travail n’est pas une ressource rare et épuisable, elle est au contraire d’autant plus renouvelable et abondante que nous sommes nombreux et que nous nous reproduisons. En période de crise économique et de chômage comme actuellement, elle est même clairement surabondante vis-à-vis de l’offre ! Les énergies fossiles elles sont vouées à la disparition d’ici quelques décennies comme chacun sait. Il serait plus logique de les employer surtout là où elles sont indispensables, et de minimiser au maximum leur « gaspillage ». Outre le « dumping », l’importation massive et à bas prix de produits délocalisés induit d’autres problèmes, comme on le voit actuellement avec les scandales alimentaires : absence de traçabilité et de contrôle qualité dûs aux distances et à la multiplication des acteurs intermédiaires autour du globe….

        En fonctionnant en circuits courts, non seulement on réduit les coûts de transports et la consommation énergétique, mais on sécurise l’approvisionnement, et on accroît le contrôle qualité comme la réactivité. Evidemment c’est « plus cher » car le coût du travail ici est supérieur à ce qu’il est à l’autre bout du monde, les quantités moindres… Mais dans le même temps le fait de conserver (non par les subventions mais par le commerce) de nombreux emplois locaux permet de solidifier le réseau économique, et donc, la consommation, les rentrées sous formes de taxes et impôts…

        Les adeptes du retour en douceur à ce modèle « traditionnel » sont de plus en plus nombreux et visibles, pour l’alimentation notamment. Je crois personnellement que cette économie « solidaire » qui n’est ni de la charité ni de la subvention à perte est une solution à mettre en avant pour aider à sortir de la crise en étant plus autonomes et plus soudés localement. Certes c’est un peu hors sujet ici car le charbon n’est pas un bien quotidien, mais « l’indépendance énergétique » est loin d’être un sujet dépassé bien au contraire !

        • « A la différence que la capacité de travail n’est pas une ressource rare et épuisable, elle est au contraire d’autant plus renouvelable et abondante que nous sommes nombreux et que nous nous reproduisons. » Le travail est bien une ressource rare, la meilleure preuve c’est qu’il a un prix. Son caractère « renouvelable » ou « non-épuisable » n’y change rien.

          « En période de crise économique et de chômage comme actuellement, elle est même clairement surabondante vis-à-vis de l’offre ! » La principale cause du chômage ce sont les lois qui réglemente le travail (notamment en lui fixant un prix minimum) et qui le taxe, tout en subventionnant l’inactivité.

          « Je crois personnellement que cette économie « solidaire » qui n’est ni de la charité ni de la subvention à perte est une solution à mettre en avant pour aider à sortir de la crise en étant plus autonomes et plus soudés localement. Certes c’est un peu hors sujet ici car le charbon n’est pas un bien quotidien, mais « l’indépendance énergétique » est loin d’être un sujet dépassé bien au contraire ! »
          Si il s’agit de choix individuel libre à chacun de faire ce qu’il veut, mais personnellement je trouve cela complètement malsain, sans intérêt et absurde.

  • La méthode justifie donc les moyens, très drôle.

    Pourquoi mettre en doute un dictateur, il fait de l’argent.

  • Suvorov lorsqu’il a pu rentrer dans les archives du Kremlin pendant les troubles, muni d’un scanner, a trouve l’ordre signe de Gorbachev de financer a coups de millions de livres les syndicats britanniques pour faire eclater une guerre civile. Il a remis ce papier a Thatcher qui parait il en parle dans ses memoires.

  • Blégny-Mine a fermé beaucoup plus tard. Le site est sauvegardé et visitable. Le fonds d’archives est très important. L’actuel directeur est Jaques Crul.
    La houille est encore exploitée à ciel ouvert au Pays de Galles du Sud.

  • Excellent article.
    Hélas la SNCF est en survie naturelle.
    « Aujourd’hui, il est communément admis qu’il n’est ni acceptable, ni rationnel, ni éthiquement correct que les citoyens payent des taxes pour maintenir des industries déficitaires en survie artificielle. »

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