La reprise de Dailymotion par Yahoo! aurait-elle été une bonne chose ? Montebourg était-il légitime d’intervenir ?
Par Pierre Chappaz.
J’ai été sollicité pour donner mon avis sur l’affaire Montebourg-Dailymotion et je me suis retenu de le faire.
Mais je lis tellement de bêtises que je vais finalement en dire un mot. Il se trouve que je connais bien le dossier, que j’ai suivi de près bien avant le clash final. Je ne savais pas ce qui sortirait dans la presse, je me suis donc abstenu de dire ce que je savais pour ne nuire à aucun des acteurs concernés.
La raison pour laquelle Dailymotion m’intéresse c’est que je dirige Ebuzzing, la principale plateforme de vidéos publicitaires en Europe. Dans l’univers hypercompétitif des startups, il faut être attentif à tout ce qui bouge dans le marché et apprendre de ses concurrents.
Les similitudes entre Dailymotion et Ebuzzing sont plutôt étonnantes. Comme nous, ils sont en forte croissance, leur chiffre d’affaires est de peu inférieur au nôtre (39 millions d’euros en 2012, nous l’avons communiqué). Eux ont des coûts de production de contenus, nous ne produisons pas de contenus mais nous payons les éditeurs, ce qui revient à peu près au même en termes de marge. Dailymotion s’est fortement développé ces deux dernières années, en particulier aux États-Unis ; c’est une belle boîte même si elle n’est pas en mesure de concurrencer Youtube dont le revenu est supérieur à un milliard.
L’affaire m’a d’autant plus intéressé que je connais bien Yahoo! à qui j’ai vendu Kelkoo en 2004, avant de prendre la présidence de Yahoo! Europe.
Voici donc quelques remarques.
Sur la légitimité de l’intervention de Montebourg
Le financement de DailyMotion ces dernières années a largement reposé sur les fonds publics ou quasi-publics (FSI en 2009, puis Orange, dont l’État français possède 27 %). L’accord avec Yahoo! négocié par le management de Dailymotion avait été approuvé par les actionnaires et par le conseil d’administration d’Orange où siège un représentant de l’État.
Puis Montebourg s’est réveillé, a tout remis en cause et fait capoter le deal.
Sur le plan légal, il n’avait certainement aucun droit à intervenir. Mais étant donné l’historique des relations de Dailymotion avec l’État et l’interventionnisme bien connu du ministre, est-ce si surprenant ?
La moralité de cette affaire c’est simplement que si vous êtes entrepreneur et voulez rester maître de votre destin, il vaut mieux éviter de faire appel aux capitaux publics, en particulier en France.
Est-ce grave ?
La reprise de Dailymotion par Yahoo! aurait-elle été une bonne chose ? Pour répondre à cette question, les actionnaires ne sont pas les plus mal placés et ils ont répondu oui.
Est-ce que Yahoo! aurait été en mesure de bien intégrer les équipes de Dailymotion ? Les rachats effectués à la période Terry Semel pour contrer Google (Hotjobs, Overture/Inktomi, Kelkoo, etc) n’ont pas toujours été couronnés de succès mais le challenge était difficile et la culture de Yahoo! très éloignée de la recherche et du transactionnel. Depuis cette époque, Yahoo! a connu des hauts et des bas mais il est indiscutablement redynamisé depuis l’arrivée de Marissa Meyer. Je suis donc tenté de répondre oui à la question de savoir si Yahoo! aurait été un bon Home pour Dailymotion, mais on ne le saura jamais…
Est-ce que pour autant Dailymotion va « mourir » comme le déclare Pierre Kosciusko-Morizet, choqué comme beaucoup d’entrepreneurs par cette affaire ? Certainement pas. Les besoins de trésorerie de la société sont très modestes, ils peuvent être aisément couverts par Orange. Dailymotion est profitable !
La vraie question est ailleurs
La question que je me pose concerne finalement surtout Orange.
Pourquoi Orange, qui a racheté Dailymotion, veut-il tant s’en défaire ? Pourquoi cette société considérée comme une pépite par le ministre, ne semble-t-elle pas considérée comme telle par l’opérateur, quand on sait l’importance de la vidéo dans le futur de l’Internet et des réseaux ?
La politique brouille la compréhension de l’enjeu. À l’échelle de la France, Dailymotion n’a certes rien de stratégique. Mais pour Orange, la petite pépite n’a-t-elle pas un réel intérêt pour avoir un pied dans l’avenir ?
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Sur le web.
Dans cette affaire, Montebourg a agit en tyran, c’est-à-dire qu’il dispose des pleins pouvoirs, certes limités à son domaine d’intervention, mais les pleins pouvoirs quand même. Montebourg est un tyran au-dessus de la loi, du droit, de la justice, ou plus prosaïquement au-delà du bon sens commun. C’est tout simplement inacceptable.