L’économie, qu’est-ce que c’est ?

Pourquoi y a-t-il tant de débats entre économistes ? L’économie mérite-t-elle le qualificatif de science ?

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Adam Smith

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L’économie, qu’est-ce que c’est ?

Publié le 23 mai 2013
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Pourquoi y a-t-il tant de débats entre économistes ? L’économie mérite-t-elle le qualificatif de science ?

Par Vladimir Vodarevski.

En contrepoint de l’article de Guy Sorman : Dessine-moi un économiste !

Adam Smith

Tout le monde parle d’économie. Tous les éditorialistes assènent leur vérité. Le citoyen lambda entend tout et son contraire, et, s’il cherche à se faire une opinion en dehors de toute idéologie, il est bien désorienté. Pourquoi autant de divergences dans cette matière ? En fait, la méthode, et l’objet même de l’étude, sont sujets à débats. Et même en suivant une méthodologie identique, les économistes peuvent arriver à des conclusions opposées. Cet article se propose de montrer sur quelles bases se sont construites les théories économiques. Ceci afin de mieux comprendre pourquoi il y a tant de débats. Et, aussi, de s’interroger : l’économie mérite-t-elle le qualificatif de science ? L’approche choisie est historique. Voir comment se sont construites les théories est le meilleur moyen de comprendre leur fonctionnement. C’est ce qui finalement permettra de répondre à la question : qu’est-ce que l’économie ?

Adam Smith est considéré comme le père, ou au moins le précurseur, de la science économique. Même si cette question, comme toujours en économie, est discutée, notamment par Jesus Huerta De Soto, nous suivrons ici l’opinion dominante, par souci de simplification. Adam Smith est l’auteur de l’ouvrage intitulé Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, publié en 1776, qui est donc largement considéré comme fondateur de la science économique. Adam Smith constate qu’une nation est plus prospère quand elle laisse ses citoyens suivre leurs propres intérêts. Et qu’il n’est nul besoin d’interventionnisme de la part de l’État (la fameuse « Main invisible », qui n’est en fait pas beaucoup citée par Smith comme l’explique Corentin de Salle). Recherchant la source de la valeur, Smith conclut que c’est le travail incorporé au produit. Ce qui est une évolution par rapport aux physiocrates français, qui considéraient que seule l’agriculture produisait. Mais ce concept de la valeur travail restait insatisfaisant, car il n’expliquait pas les différences de valeurs, indépendantes du travail.

Au grand dam des puristes et des connaisseurs en théorie économiques, nous passerons David Ricardo et irons directement aux marginalistes, qui constituent la rupture par rapport à la tradition héritée d’Adam Smith. Le marginalisme est découvert de manière indépendante par trois auteurs. William Stanley Jevons, en 1871, dans The theory of political economy. Léon Walras, dans Éléments d’économie politique pure, en 1874. Et Carl Menger, dans Principes d’économie politique en 1871.

Les marginalistes élaborent une nouvelle théorie de la valeur. Ce n’est plus la valeur travail. Pour Jevons et Walras, c’est la valeur utilité, pour Menger, la valeur subjective. Ces deux notions sont finalement très proches, même si, nous le verrons, elles n’ont pas conduit aux mêmes développements. Pour les marginalistes, rien n’a de valeur intrinsèque, ou valeur incorporée, aucun produit, aucun service. Il n’y a pas de valeur travail incorporée à un produit ou un service. La valeur est différente selon chacun. Chacun donne une valeur à un produit, ou un service. Pour Jevons et Walras, c’est en fonction de l’utilité. Une notion subjective selon chaque individu. Menger parle directement de subjectivité. Ce qu’on appellera le subjectivisme. C’est chaque individu qui détermine la valeur d’un produit ou d’un service. Celui-ci s’échangeant en fonction de l’offre et de la demande. C’est le principal point de la révolution marginaliste.

Cette révolution est qualifiée de marginaliste en raison de sa théorie de la fixation des prix. Selon ces auteurs, et bien qu’ils l’expriment de manières différentes, c’est l’utilité marginale qui fixe la valeur d’un produit ou d’un service. Par exemple, dans le désert, l’eau est rare. Donc, chaque unité d’eau est utilisée pour des besoins vitaux. Le prix de l’eau est donc très élevé. Par contre, dans un endroit où l’eau est abondante, les besoins vitaux seront servis en premier, puis des besoins moins importants, comme le nettoyage du lieu de vie, et ensuite des besoins sans grande importance, comme remplir le pistolet à eau du petit dernier. Le prix de l’eau correspondra à cette dernière utilité. Ce qu’on appelle l’utilité marginale, car c’est l’utilité de la dernière unité d’eau utilisée dans l’ordre d’importance (besoins vitaux, nettoyage, pistolet à eau). D’où le nom de marginalisme.

Le marginalisme marque également une rupture, et une division, dans la manière d’appréhender l’économie. Jusqu’alors, dans la lignée d’Adam Smith, l’économie était une science morale, qui suivait un raisonnement littéraire. William Jevons et Léon Walras la font entrer dans l’ère mathématique. Pour eux, l’économie traite de quantités : production, travail, offre, demande. Ce sont des chiffres. Donc, des mathématiques. Ils raisonnent en termes d’équilibre des données. Walras a ainsi créé le modèle d’équilibre général. L’adoption des mathématiques doit faire de l’économie une science dure, à l’égale de la physique.

A contrario, Carl Menger reste littéraire. Il est considéré comme le fondateur de ce qui sera appelé l’école autrichienne. C’est Ludwig Von Mises qui a développé les concepts de cette école. À travers le subjectivisme. Adam Smith a constaté que les nations se développaient mieux quand on laissait les gens suivre leurs intérêt. Ensuite, les marginalistes ont constaté que la valeur était subjective. L’école autrichienne en tire les conséquences. Elle considère que les individus sont libres de leurs objectifs. Selon Mises, l’économie s’inscrit dans le cadre de l’agir humain. Chacun agit en poursuivant ses propres buts. L’économie ne consiste pas à traiter des objectifs. Mais des règles d’organisation de la société qui permettent à chacun de suivre ses objectifs sans nuire à autrui. La méthode d’étude est dite axiomatico-déductive. On déduit des raisonnements à partir d’axiome. Par exemple, l’être humain agit. C’est un axiome.

L’opposition entre les autrichiens et les autres marginalistes, qui constituent l’école néoclassique, est souvent résumée au refus des mathématiques par les premiers. Mais ce refus des mathématiques n’est qu’une conséquence de la différence d’approche de l’économie. Les néoclassiques raisonnent en termes d’équilibre générale de quantités : quantité de travail, de produits, de consommation, etc. Les autrichiens raisonnent en termes de comportements humains : l’agir.

L’approche néoclassique a continué d’évoluer. Il y a eu la révolution keynésienne. John Maynard Keynes raisonnait lui aussi en termes d’équilibre général. Donc, en termes quantitatifs, comme les néoclassiques. Selon lui, l’équilibre, situation stable et durable de l’économie, pouvait être un équilibre de sous emploi. Selon Keynes, pour atteindre le plein emploi, il faut soutenir la demande. Quand la demande est soutenue, les producteurs investissent. Ils embauchent, et versent des salaires. Ce qui, à nouveau, soutient la demande. C’est le multiplicateur keynésien [1].

On remarque que Keynes s’inscrit dans le cadre de l’équilibre général, en faisant intervenir l’État cette fois-ci. L’équilibre de plein emploi ne pouvant être atteint sans soutien de la demande par l’État.

Les concepts keynésiens sont très vite mathématisés. Avec les néoclassiques, c’était la microéconomie qui était à l’honneur. Avec Keynes, c’est la macroéconomie, dans le sens où la mathématisation raisonne en termes d’agrégats : offre globale, demande globale, dépense publique, etc. La macroéconomie keynésienne étudie ce qui se passe si on augmente la dépense publique, par exemple. Elle a besoin pour cela de fondements microéconomiques. Par exemple, l’étude du salarié quand son revenu augmente : dans quelle mesure il dépense ou épargne le supplément de revenu.

Cette mathématisation du keynésianisme a été nommée la synthèse, car elle reprend les concepts keynésiens et la mathématisation néoclassique. Elle inaugure la nouvelle méthodologie de l’économie. Cette méthodologie se veut scientifique : on émet des hypothèses, qui sont ensuite vérifiées empiriquement, à partir d’études économétriques. Ou on tire des hypothèse directement de l’observation statistique. Plus rien à voir avec Adam Smith, ni même les néoclassiques, qui se basaient sur la mathématisation de raisonnements littéraires. L’économétrie n’étant pas si développée à l’époque. William Stanley Jevons faisait par exemple explicitement référence à l’économiste français Jean-Baptiste Say.

Cette méthode empirique mène à des résultats opposés selon les écoles de pensées. Les keynésiens démontrent l’utilité indispensable du soutien à la demande. Leurs opposants, comme par exemple Milton Friedman, que l’intervention de l’État est inefficace. Ludwig Von Mises, de l’école autrichienne, qui elle n’adhère pas à cette méthodologie empirique, écrivait, en substance, que l’on pouvait toujours trouver une justification statistique à tout.

Nous avons donc une école dominante, qui est empirique. Elle valide ses hypothèses par des études économétriques. Cela concerne la macroéconomie, qui étudie les grands agrégats, comme la dépense publique, l’inflation, etc. Et la microéconomie, qui concerne aujourd’hui le comportement des acteurs de l’économie, comme les consommateurs, les entreprises [2]. Cette méthode empirique, basée sur des études économétriques, est utilisée par un large spectre d’économistes, des plus interventionnistes aux contempteurs de l’interventionnisme, qui, avec les mêmes méthodes, démontrent et démontent leurs théories.

À l’écart, se tient l’école autrichienne, qui, il faut le reconnaître, est marginale et restée fidèle à une démonstration plus littéraire, et non mathématique. Elle n’étudie pas des quantités, mais l’agir humain.

C’est ainsi que l’on peut avoir tout et son contraire en économie. Par exemple, la théorie de l’asymétrie d’information, soutenue notamment par Joseph Stiglitz. Celle-ci met en cause le fonctionnement des marchés. Ceux-ci ne peuvent fonctionner que dans des conditions d’information parfaite. Or, l’information n’est pas parfaite, dans le sens où tous les acteurs ne disposent pas de la même information. Le vendeur d’une voiture d’occasion connaît ainsi mieux son état que l’acheteur. Le marché ne peut donc pas fonctionner correctement. Ce qui donc remet en cause l’efficacité des marchés.

Mais, faut-il l’intervention de l’État ? Milton Friedman soutient, méthode empirique à l’appui, que le marché peut se tromper, mais l’État encore plus. De son côté, l’école autrichienne a toujours rejeté l’équilibre général, et a toujours raisonné en termes d’information imparfaite des acteurs. Ludwig Von Mises a ainsi démontré que l’État ne pouvait pas gérer l’économie, et que le communisme ne pouvait pas fonctionner, car il ne pouvait jamais disposer de toute l’information nécessaire. Et cela bien avant Stiglitz. Friedrich August Hayek, toujours de l’école autrichienne, a présenté une théorie d’élaboration des règles de conduite, qui tient compte de l’information imparfaite. Les règles adoptées sont celles qui se révèlent efficaces pour tout le monde à l’usage. Ce qui permet de compenser l’information imparfaite.

On peut ajouter l’école du choix public, que j’ai toujours du mal à situer, qui démontre que les politiciens suivent leur propre intérêt. Une régulation qui viendrait d’eux ne serait donc pas dans l’intérêt général.

Il est donc possible de contester le statut scientifique de l’économie. Il n’y a pas de méthodologie reconnue qui mène au même résultat pour tout le monde. Il y a toujours un débat épistémologique sur ce qu’est l’économie. Au final, elle est une boîte à outil, dans laquelle puisent les politiciens pour justifier leurs programmes et leurs actes. Mais il s’agit là d’une autre histoire. Car il y a la théorie économique, et la politique économique, qui sera abordée dans un autre article.


Sur le web.

Notes :

  1. Sur la critique de l’argumentation keynésienne, voir l’article Keynésianisme et libéralisme, comparaison.
  2. Sur la signification du terme microéconomie, cf. l’article Microéconomie et macroéconomie.
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  • L’economie fonctionne comme la medecine: le sujet d’etude est extremement complexe, il y a de nombreuses ecoles, des charlatans, des errances, les progres sont lents mais les conclusions scientifiques sont neanmoins solides. 🙂
    Quand quelqu’un vous dit que l’economie n’est pas une science, le parallele avec la medecine est un tres bon argument.

    • Parfaite analogie. Je me faisais la même réflexion ce matin en repensant à l’article de Vladimir sur son site. transmission de pensée.

    • Je pense qu’il y a aussi des lois fondamentales en macro-economie. Par exemple on sait ce qu’est l’hyperinflation, la deflation, leurs causes et consequences possibles, les remedes. De meme qu’en medecine on connait l’hypertension l’hypotension, leurs causes et consequences possibles les remedes.
      Le besoin de faire intervenir beaucoup (trop) de mathematiques en macroeconomie vient surtout du fait qu’il n’y a qu’un organisme a etudier alors que la medecine a le luxe de faire des etudes statistiques. A ce niveau la macroeconomie est semblable a la climatologie…une seule planete a etudier…impossible d’experimenter, d’ou exploration par la modelisation.
      Et la l’economie tombe dans les memes travers que la climatologie (je ne connais pas en francais, mais curve fitting, cherry picking…etc).
      Il me semble que l’economie a toutes les qualites, les defauts et les errances d’une science.

      • Pour tenir lieu d’expérimentation, il y a les leçons de l’histoire. Par exemple, la France ferait bien d’observer la phase terminale de l’économie soviétique pour comprendre ses maux actuels.

      • pas d’accord; il n’ y aucun vrai modèle en macro économie, parce que celà ne peut pas exister.
        La climatologie ( qui se veut différente de la météorologie, ce qui est faux) dispose au moins des lois de la physique ( navier stokes etc..): et pourtant…

        La modélisation phénoménologique de n’importe quel phénomène est possible mathématiquement; on peut construire des équations différentielles, des matrices , des lagrangiens sur n’importe quoi.
        Si ça ne marche pas, c’est pour deux raisons principales, qui peuvent être intriquées:
        – les phénomènes de base, fondamentaux, les lois élémentaires sont inconnues, ou tout simplement n’existent pas
        – les phénomènes sont trop « non linéaires » ( cas de la météorologie et de la climatologie) et on retombe sur le problème à trois corps de Poincaré: imprevisibilité pratique, malgré des lois quantitives pafaitement connues, si l’on ne connait pas avec exactitude et précision absolues les conditions initiales et les contraintes du phénomène

        Quant aux stats, y compris en Médecine = art scientifique du mensonge

        • « La climatologie ( qui se veut différente de la météorologie, ce qui est faux) dispose au moins des lois de la physique ( navier stokes etc..) »
          Et encore, Navier-Stokes, c’est du milieu continu, donc on a déjà une grosse approximation sur ce qu’est un fluide.

    • Désolé, mais la Médecine n’est pas une science, elle utilise le mieux possible des techniques scientifiques (d’accord pour dire que les variables sont considérables si ce n’est quasiment infinies) mais elle doit être classée comme un Art.

  • Sur le même sujet, voir le livre de Benoit Malbranque paru récemment aux presses de l’Institut Coppet
    http://www.institutcoppet.org/2013/03/12/benoit-malbranque-introduction-a-la-methodologie-economique-2013/

  • Notons immédiatement qu’on dit toujours « un économiste distingueé, mais jamais « un économiste vulgaire » …

    Il y a trois sortes d’économistes :

    – le mathématicien de la macro-économie, qui entre dans son mixer un maximum de paramètres connus, et tente d’en évaluer le résultat.
    C’est honorable, surtout s’il sait que les paramètres humains, et donc aléatoire, sont prédominants, innombrable, et que son résultat sera donc toujours assez approximatif.

    – il y a le cacatoes bavard, celui qui part du résultat qu’il prétend obtenir, et construire une théorie en amont pour prouver qu’il a raison.
    Il donne des conférences, a un temps d’antenne régulier, ne voit dans ses contradicteurs que des populistes ou des vendus, et sa nuisance est directement proportionnelle au nombre de gens qui le croient. Là, nous sommes dans l’image, le conte de fées, jamais dans l’économie, et c’est une race invasive, surtout en France.

    – puis il y a l’économiste que a longuement appris la relativité des choses, et les différentes théories, pour s’en désintéresser et tenter d’analyser le monde et son fonctionnement à la lumière d’une très large expérience et du simple bon sens. Cela le range d’office dans le camps « libéral », puisqu’il constate que la motivation et la liberté sont la seule source de tout progrès. Très mal vus, ils sont trop compréhensibles pour faire sérieux, trop directs pour faire intello, trop intemporels pour ne faire faire ringards. Et si bien entendu leur accessibilité et leur pertinence devrait les mener à être seuls écoutés, ils sont rejetés comme « dangereux » !

    Pas étonnant que la France batte tous les records de méconnaissance instinctive de l’économie de décisions imbéciles, et d’affolement bruyant et sans issue.

  • L’article ne conteste pas le coté mathématique, mais juste la justesse d’une intervention dans un système complexe dont on ne maîtrise pas l’ensemble des intervenants et leurs prévisibilités qui évolue (les propre de l’humain c’est de s’adapter).

    Bref le jour ou nous seront des machines ce sera résolu le système sera à jour.

  • Oui,l’économie est une science(le contraire d’une idéologie),parce que c’est un « moyen »(de la politique).

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