Faut-il restructurer la dette publique ? Réponse à Charles Gave

Charles Gave, président de GaveKal et fondateur de l’Institut des Libertés, s’oppose à la proposition de Gaspard Koenig de restructurer la dette publique. Celui-ci lui répond.

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Etat en faillite

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Faut-il restructurer la dette publique ? Réponse à Charles Gave

Publié le 26 mai 2013
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Charles Gave, président de GaveKal et fondateur de l’Institut des Libertés, s’oppose à la proposition de Gaspard Koenig de restructurer la dette publique. Celui-ci lui répond.

Par Gaspard Koenig.
Un article de Génération Libre.

En contrepoint de Faut-il restructurer la dette publique ? Réponse de Charles Gave à Gaspard Koenig

Mon cher Charles,

J’apprécie infiniment votre esprit socratique, et vous me permettrez sans doute d’y répondre comme Calliclès : par une devinette.

Qui a écrit, à propos des États surendettés  : « une banqueroute franche, ouverte et déclarée est toujours la mesure qui est la moins déshonorante pour le débiteur, et en même temps la moins nuisible au créancier » ?

Karl Marx ? Jean-Luc Mélenchon ?

Un indice, c’est un Britannique : « a fair, open, and avowed bankruptcy is always the measure which is both least dishonourable to the debtor, and least hurtful to the creditor ». Le même qui s’inquiétait de ces « enormous debts which at present oppress, and will in the long-run probably ruin, all he progress of the great nations of Europe. »

Plus précisément, un Écossais. Un compatriote et contemporain de David Hume qui, lui, n’y allait pas par quatre chemins, appelant à une banqueroute immédiate de l’Angleterre : « Either the nation must destroy public credit or public credit will destroy the nation ».

Vous avez trouvé : Adam Smith.

À la fin du XVIIIe, de Smith à Montesquieu, les pères fondateurs du libéralisme furent les premiers à s’inquiéter du surendettement public et à appeler à des mesures extrêmes, regrettables mais nécessaires pour couper la tête (ou l’une des têtes) de l’hydre étatique. À cette époque, le défaut n’était pas encore le tabou qu’il est devenu.

Oui, il existe une approche libérale de la banqueroute, qui ne met pas en avant l’illégitimité du créancier (à la façon de l’extrême-gauche), mais celle du débiteur : l’État incontinent.

Laissez-moi reprendre à présent les principaux points de votre critique. Je me permettrai de citer le rapport de GenerationLibre sur le sujet, plus complet bien sûr que la tribune qui a attiré votre attention, en remerciant mes contributeurs, Matthieu Le Blan et Guillaume Leroy.

1 – Le rapport entre contrainte budgétaire et croissance

Effectivement, nous pensons que le poids de la dette freine la croissance (même si ce n’est pas, loin de là, le seul facteur). Kumar et Woo (2010) ont démontré dans une analyse de 38 économies développées et émergentes une relation inverse entre niveau d‘endettement initial et croissance. Pour chaque 10 points de PIB d’endettement, la croissance économique était imputée de 0,2% par an, avec une corrélation forte pour les taux d’endettement supérieurs à 90%. Cette corrélation reste empirique et la relation de causalité peut toujours être contestée, mais les faits sont troublants. Si on l’applique à la France, la dette représenterait un manque à gagner de plus de 100 milliards d’euros par an de richesse nationale dès 2017, et de plus de 200 milliards par an dès 2022.

Par ailleurs, sans entrer dans la pénible polémique sur le chiffrage de Reinhard et Rogoff, il est admis que, passé un certain seuil, le surendettement devient insoutenable, ne serait-ce qu’en ouvrant la perspective d’une taxation infiniment croissante. 90%, 120% selon les écoles… peu importe : le « debt trap » oblige le débiteur à recycler sa dette sans perspective de jamais rembourser le capital. L’effet est exponentiel. Le FMI prévoit que le ratio de dette sur PIB pourrait dépasser les 100% en 2016 si aucune réforme majeure n’est entreprise.

Enfin, vous citez le service de la dette dans le PIB. C’est effectivement la question fondamentale. Il est exact qu’en 1996, le service de la dette (charge des intérêts) s’élevait à 3,1% du PIB, contre 2,5% aujourd’hui (ce qui représente tout de même le premier budget de la nation après l’Éducation nationale). Mais dans le même temps, le besoin de financement total est passé de moins de 80 Md€ à plus de 170 Md€ en 2013. Cela signifie que le moindre choc sur les taux d’intérêt conduirait à une asphyxie rapide des finances publiques. S’ils remontaient ne serait-ce qu’à leur niveau de 1996 (> 5%), l’Agence France Trésor aurait bien du mal à boucler ses adjudications.

Or, vous le savez mieux que moi : ces taux historiquement bas correspondent à une situation mondiale atypique, caractérisée par une abondance sans précédent de liquidités sur les marchés (dont vous avez d’ailleurs justement décrit le danger). De nombreux investisseurs internationaux (fonds et banques) ont commencé à vendre discrètement leurs stocks d’OAT françaises, encouragés en cela par l’abandon officiel des objectifs de réduction du déficit public contenus dans le PLF 2013. Ce qui nous laisse penser que, au moment où la marée de l’argent bon marché se retirera, nous verrons apparaître le roc des fondamentaux français, et qu’un scénario à l’italienne de montée brusque des taux deviendrait alors tout à fait envisageable, avec à la clé une crise de régime.

Aujourd’hui, la combinaison d’une dette galopante, d’un déficit primaire persistant et de taux bas constitue une bombe à retardement. Il faut la désamorcer par tous les moyens.

2 – L’État créateur de croissance ?

Vous n’avez pas besoin de me convaincre que la croissance viendra d’un secteur privé enfin libéré des contraintes réglementaires, de l’insécurité juridique, d’une taxation abusive et de l’effet d’éviction des investissements publics.

Néanmoins, ce que nous soutenons dans ce rapport, c’est que ces réformes de libéralisation ont un coût. Inutile de prétendre que l’on peut couper la dépense publique et libéraliser les professions réglementées, le marché du travail, le statut de la fonction publique, les retraites (en les passant par capitalisation) etc, sans débourser un centime. Toutes ces rentes de situation, il faut les racheter, comme l’avait joliment défendu Jacques Delpla il y a quelques années.  Un exemple ? Les taxis, cas d’école d’un secteur étouffé par un numerus clausus absurde, et qui créerait des dizaines de milliers d’emplois s’il était libéralisé. Vous pouvez décréter que, désormais, les licences seront abolies. Vous spoliez ainsi tous ceux qui avaient investi, sur la foi du contrat ou de la coutume. Ou l’État peut les racheter : environ 5 Md€. Une fois pour toutes.

Si vous appliquez la même logique à l’ensemble des rentes, vous atteignez vite quelques centaines de milliards. Impossible à financer dans le contexte actuel. Même si par miracle un gouvernement libéral était élu demain, il devrait faire le même constat que François Fillon puis Michel Sapin : « l’État est en faillite ! »

C’est la logique qui prévaut dans les restructurations conduites par le FMI dans les pays en développement : pour réformer, il faut d’abord dégager une marge de manœuvre, que l’on doit négocier avec le créancier. Et plus cyniquement, une restructuration placera la France dans une telle dépendance des marchés qu’elle n’aura plus d’autre choix que de mettre en place les fameuses réformes structurelles…

3 – Ruiner les épargnants ?

Eh bien, oui. Une restructuration aurait un impact direct (quoique, dans l’hypothèse que nous décrivons, limité) sur les OPCVM et encore plus les assurance-vies. Or, qui a levé la dette pour se payer ses dépenses de fonctionnement depuis 30 ans ? La génération qui détient aujourd’hui épargne et patrimoine. Selon l’enquête « Patrimoine » de l’Insee (2012), le taux de détention d’un contrat d’assurance vie est le plus élevé dans les catégories âgées de plus de 50 ans (56% pour la catégorie 50-59 ans, contre 48% en moyenne nationale) et va croissant avec le niveau du patrimoine. Cette catégorie de la population est la première bénéficiaire de la charge d’intérêt annuelle de la dette publique assise principalement sur l’impôt payé par les contribuables actifs. Et c’est cette même catégorie qui a fait voter, par le biais de ses représentants au Parlement, des budgets déficitaires depuis 1974.

Pour faire vite : les soixante-huitards se sont comportés de manière irresponsable avec les finances publiques (comme avec beaucoup d’autres choses). À eux de payer aujourd’hui.

4 – L’Euro

Sortir de l’euro et redénommer notre monnaie en franc, comme vous le proposez, est cohérent, et revient en effet à une restructuration implicite, en remettant au goût du jour le traditionnel outil de la dévaluation et probablement de l’inflation. C’est effectivement la seule alternative au défaut. À l’inverse, une restructuration est probablement (et paradoxalement) le seul moyen de rester fidèle à nos engagements européens.

À ce stade, je pense que le choix est politique plus que financier : l’Europe vaut-elle l’euro ? Notre réponse est oui. J’ai trop peur des nationalistes pour leur laisser la politique de change, la planche à monnaie et les tarifs douaniers.

En revanche, pourquoi ne pas envisager une restructuration de dette à l’échelle européenne ?

Les « sages allemands » avaient proposé en 2011 un mécanisme pour procéder à une remise en ordre des finances publiques européennes, le « Pacte européen de rédemption », dont l’architecture générale pourrait être utilement reprise pour imaginer une restructuration coordonnée de la dette publique européenne. Une version amendée de la proposition des sages consisterait à utiliser le fonds d’extinction de la dette comme instrument pour une restructuration ordonnée des dettes souveraines. Au lieu de refinancer 100% des échéances de la dette, le Fonds – un fonds d’amortissement, cette fois – pourrait proposer ses titres en échange de la dette actuelle (pour sa part dépassant 60% du PIB) en lui appliquant un « haircut » suffisant. Ainsi, les États membres bénéficieraient de marges financières accrues pour atteindre les objectifs de réduction de leur endettement sans avoir à mettre en œuvre des mesures d’austérité irréalistes dans la durée. Les créanciers détiendraient des titres de valeur faciale réduite, mais plus sûrs compte tenu de la garantie conjointe des États membres.

Par ailleurs, il semble que le système bancaire français puisse encaisser sans recapitalisation un certain niveau de « haircut » (autour de 25% en VAN) sur l’ensemble des dettes des pays « du Sud » (France, Belgique, Italie, Espagne, Portugal, Grèce, Irlande). L’analyse reste à faire, je vous l’accorde, pour l’ensemble du système bancaire européen.

Travailler sur la dette, dites-vous, c’est « s’intéresser au verre plutôt qu’à l’alcool à l’origine de la cirrhose du foie ». Bien d’accord. Mais il n’empêche que pour guérir un alcoolique, le meilleur moyen, c’est encore de le priver de sa bouteille.


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  • On se demande où il veut en venir ?
    et cet argument fallacieux…
    « Et c’est cette même catégorie qui a fait voter, par le biais de ses représentants au Parlement, des budgets déficitaires depuis 1974. »
    Des subjugués votent pour des ignares qui se croient tout permis, jusqu’à verser des subventions à des copains, s’endetter en leur nom etc. C’est la raison que je ne vote plus car finalement j’adouberai un mini tyran. Non les soixante-huitards ne doivent rien, leurs élus si devant la Cour de justice.

  • Si l’État incontinent est illégitime à s’endetter, alors il importe d’interdire les dettes publiques. Sans interdiction, les Etats obèses recommenceront à s’endetter dès que possible, quelques années après la restructuration, et les sacrifices auront été vains.

    Le système bancaire français ne pourra pas encaisser un «haircut» sur la dette française : l’osmose entre les banques et l’Etat est trop avancée pour que les uns ou les autres puissent le supporter.

    Pourquoi s’acharner à restructurer quand il suffit de maîtriser l’évolution des dépenses publiques ? Une seule année de stabilisation en valeur des dépenses publiques suffit à supprimer le déficit de l’Etat par le jeu de l’inflation. Trois années de stabilisation supplémentaires suffisent à couvrir le besoin de refinancement des créances de long terme. Le tout sans toucher un centime aux dépenses publiques, ce qui laisse de la marge pour réduire les prélèvements obligatoires dans le sens d’une relance de l’activité (par exemple avec la suppression pure et simple de l’IS).

    Les solutions existent, elles sont faciles et limpides : il ne manque que la volonté politique de les mettre en oeuvre. Sachant qu’elles existent, qu’elles peuvent être mise en oeuvre sans délai, il serait doublement criminel de recourir au défaut (sortir de l’euro), même partiel (restructuration).

    • en France la DDHC, donc la constitution, interdit déjà tout déficit
      (article 13 : « …une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre les citoyens, en raison de leurs facultés. »). L’état s’en branle.
      Pour le reste : +1 sur le principe mais pas dans l’application numérique. Avec l’inflation actuelle il faut 3 ou 4 ans à +zéro valeur pour effacer le déficit, et 10 à 15 ans pour effacer le besoin de refinancement

  • Tout cela manque de réalisme
    La montée en puissance de la récession partout en Europe, au Japon, aux Etats-Unis, l’extrême fragilité du milieu bancaire, et des monnaies, le poids de la pression fiscale en France, sur fond de stricte réglementation des traités européens… ne permettront à aucun chef d’Etat européen de restructurer quoi que ce soit.

  • Il y a plusieurs choses avec lesquelles je ne suis pas d’accord, outre que j’approuve les précédents commentaires.

    L’auteur a écrit :
    «À ce stade, je pense que le choix est politique plus que financier : l’Europe vaut-elle l’euro ? Notre réponse est oui. J’ai trop peur des nationalistes pour leur laisser la politique de change, la planche à monnaie et les tarifs douaniers.»

    Il s’agit là d’une vision naïve, et dangereuse de la situation politique. Le développement d’une dictature au niveau européen est bien plus dévastateur que le développement d’une dictature dans plusieurs (voire la plupart des) pays européens.

    • Vous avez parfaitement raison, au jour d’aujourd’hui la mafia européiste est autrement plus dangereuse que l’épouvantail d’extrême-droite.

  • Oui la France est mal prise avec sa grosse dette détenue à majorité par des étrangers… ah si nous étions Italiens ou Japonais, notre futur serait moins angoissant: on peut toujours taxer, prélever, préssuriser des nationaux….s
    Question responsabilité des soixante huitards, bof, le retraité d’aujourd’hui pouvait-il faire autrement, les élus de tout bord étaient de mauvais gestionnaires; mais attention pour cette génération, leurs élus ne semblent vraiment pas meilleurs…

  • L’europe vaut elle l’euro? La response est plus politique qu’economique.

    C’est juste, et le politicien moyen etant a la fois avide de pouvoir et corporatiste, il adore l’euro , qui lui donne puissance et monopole.
    Les discours récents de mssrs Hollande, Barnier et autres le montrent bien.

    Ce qu’ils détestent au dessus de tout, c’est la concurrence, et la liberté individuelle qui va avec. Si la concurrence entre fabricants de téléphones ou de machines a laver est bénéfique pour le consommateur, pourquoi la concurrence entre etats ne le serait elle pas pour le citoyen? Après tout, c’est le seul mécanisme qui les oblige a se remettre en cause.

    Donc l’euro, non, et l’idée d’encore plus d’Europe pour résorber les désastres causés par l’euro, encore moins.

  • Gaspard Koenig est bien un littéraire. Il est dans une position normative et idéologique (pro-européenne et ancrée dans le conflit de générations) et se justifie avec des auteurs certes illustres mais dont les analyses ne sont pas transposables dans un monde financier aussi ravagé et compliqué qu’aujourd’hui. D’un point de vue strictement économique il n’y a aucune manière de s’en sortir en douceur. La ruine des épargnants ne ramènera pas plus la croissance que celle de l’état. C’est d’ailleurs ce qui pousse les banques centrales à faire des « expériences monétaires » sans précédent en priant pour que la main de Dieu viennent subitement soutenir une main invisible bien dévoyée.

    • Précision sur les taxis: toutes les réformes de libéralisation n’ont pas un coût… en Italie le marché a été davantage libéralisé en donnant gratuitement une licence de plus à chaque taxi actuel.. Bilan: chute de prix de la licence, couvert par la vente de la nouvelle pour ceux qui l’avaient acheter à un prix élevé auparavant, et doublement du nombre de taxis (en pratique c’est un peu moins que le double). La collectivité n’a pas dépensé un sous pour le rachat de la rente.

  • Entre Charles Gave et Gaspard Koenig, mon coeur oscille. Si je suis globalement en accord avec l’analyse de Charles Gave sur la crise de l’euro, je rejoins Gaspard Koenig sur la dette. Faire défaut sur la dette française est non seulement légitime pour ma génération, la dernière, la plus spoliée par un régime de retraite pour lequel elle doit cotiser en sachant qu’elle n’en bénéficiera pas le moment venu et matraquée pour financer l’oisiveté d’une génération de socialistes. Donc, oui, peu m’importe qu’ils en fassent les frais, eux qui voulaient vivre sur mon travail en me niant la possibilité de me constituer une épargne en vue de mes propres vieux jours. Enfin, faire défaut détruirait la crédibilité de l’Etat français sur les marchés financiers ; plus personne ne lui prêterait et il serait contraint de vivre à nouveau dans ses moyens.

  • « l’Europe vaut-elle l’euro ? Notre réponse est oui. J’ai trop peur des nationalistes pour leur laisser la politique de change, la planche à monnaie et les tarifs douaniers »… A ce ci près que tout ce qu’entreprennent les instances européennes renforcent jour après jour les nationalismes auxquels il me semble vous faites référence.
    Par ailleurs, pouvez-vous vraiment prétendre que la politique allemande depuis 40 ans n’est pas nationaliste? Que celle des USA ne l’est pas non plus? Et pourtant nous sommes directement exposés aux conséquences de leur politique monétaire.
    Enfin, avoir peur des nationalismes est une chose, mais cette peur ne devrait pas par défaut nous laisser accepter in fine une société où les libertés ne valent plus que par exception législative.

  • C’est la réponse à la réponse le lien

  • Je ne comprends rien.

    Pour couvrir des « promesses » implicites ou imaginaires, comme la pérennité de pénurie de taxi, on va violer les promesses très explicites des titres de dette?

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