Témoin assisté, un statut précaire qui ne laisse présager rien de bon

Le statut de témoin assisté fait l’objet non seulement d’une exceptionnelle visibilité médiatique, mais aussi de graves contresens.

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Christine Lagarde 2 (Crédits International Monetary Fund, licence Creative Commons)

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Témoin assisté, un statut précaire qui ne laisse présager rien de bon

Publié le 27 mai 2013
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Le statut de témoin assisté fait l’objet non seulement d’une exceptionnelle visibilité médiatique, mais aussi de graves contresens.

Par Roseline Letteron.

Le statut de témoin assisté fait l’objet non seulement d’une exceptionnelle visibilité médiatique, mais aussi de commentaires qui cumulent les contresens les plus graves. Le 25 mai 2013, Christine Lagarde, actuelle Directrice du FMI et ancien ministre de l’économie a été placée sous statut de témoin assisté par la Cour de justice de la République (CJR). Cette décision intervient dans le cadre de l’instruction concernant l’arbitrage dont Bernard Tapie a bénéficié en juillet 2008 dans le litige qui l’opposait au Crédit Lyonnais sur les conditions de la vente de la société Adidas. Elle a alors déclaré devant les journalistes : « Mon statut de témoin assisté n’est pas une surprise pour moi, puisque j’ai toujours agi dans l’intérêt de l’État et conformément à la loi ».

Éléments de langage

Quelques mois auparavant, en novembre 2012 Nicolas Sarkozy, avait également été placé sous le même statut, dans l’affaire Bettencourt. À l’issue de son audition, son avocat Maître Thierry Herzog, s’était exprimé en ces termes à Europe 1 : « Par définition, un témoin assisté ne peut pas faire l’objet d’un quelconque procès (…) Les juges ont estimé qu’il n’y avait aucune charge, aucun indice grave et concordant » à l’encontre de l’ancien chef de l’État. Et d’affirmer que son client « ne peut plus être mis en examen. C’est le code de procédure pénale qui le prévoit« .

De ces déclarations, l’auditeur ou le téléspectateur déduisent certainement que le statut de témoin assisté est la reconnaissance éclatante de l’innocence de l’intéressé par le juge chargé de l’instruction. Pour Christine Lagarde, c’est même une récompense, ou presque. Elle serait en effet témoin assisté parce qu’elle a agi « dans l’intérêt de l’État« . Quant à Nicolas Sarkozy, il bénéficierait de ce statut réservé aux innocents, précisément pour le mettre à l’abri d’une mise en examen. Doit-on en déduire que le statut de témoin assisté est une mesure honorifique récompensant des hommes et des femmes politiques dévoués au service public ?

Pas tout à fait. Au-delà des éléments de langage soigneusement préparés, le statut de témoin assisté s’inscrit dans un cadre juridique très précis.

Un état intermédiaire

Le statut de témoin assisté trouve son origine dans la volonté de protéger les personnes visées par une plainte avec partie civile. Jusqu’en 1987, il n’existait que deux statuts possibles, celui de témoin et celui d’inculpé (devenu ensuite « mis en examen »). Lorsqu’une personne portait plainte contre une autre, le juge d’instruction, pour garantir les droits de la défense et garantir l’accès au dossier de l’intéressé, n’avait donc pas d’autre choix que de l’inculper. Une telle procédure pouvait faire l’objet d’une utilisation perverse, par exemple lorsque les dirigeants d’une entreprise portaient plainte contre les dirigeants d’un concurrent, pour le déstabiliser économiquement, ou lorsqu’une épouse en cours de divorce portait plainte contre son mari pour violences sur ses enfants dans le seul but de lui en interdire la garde.

Le statut de témoin est destiné à éviter ce type d’inconvénient, par la création d’une sorte d’état intermédiaire, entre l’audition comme simple témoin et la mise en examen. La loi du 30 décembre 1987 énonce que toute personne nommément désignée dans une plainte avec constitution de partie civile peut demander, lorsqu’elle est entendue comme témoin, à bénéficier des droits reconnus aux personnes mises en examen, c’est-à-dire concrètement à l’exercice des droits de la défense (art. 104 cpp). La loi du 24 août 1993 étend ensuite cette possibilité à toute personne nommément désignée par le réquisitoire du procureur, lorsque le juge d’instruction estime ne pas devoir la mettre en examen. La loi du 15 juin 2000 uniformise enfin le statut de témoin assisté et précise les droits dont il dispose.

Des indices rendant vraisemblable…

Contrairement à ce qui a été affirmé par Christine Lagarde et Thierry Herzog, le statut de témoin assisté n’est pas réservé à ceux ou celles que le juge d’instruction veut désigner comme innocents. L’article 113-2 du code de procédure pénale énonce qu’il peut concerner « toute personne mise en cause par un témoin ou contre laquelle il existe des indices rendant vraisemblable qu’elle ait pu participer, comme auteur ou complice, à la commission des infractions« . Dans le cas de Christine Lagarde, l’instruction a été ouverte en août 2011 pour complicité de faux et complicité de détournement de fonds publics. Dans celui de Nicolas Sarkozy, on se souvient que l’infraction visée est l’abus de faiblesse à l’égard de Liliane Bettencourt.

La mise d’une personne sous statut de témoin assisté est conditionnée par l’existence d »‘indices laissant penser » qu’elle a pu participer à la commission d’une infraction, comme auteur ou complice. La différence est finalement assez ténue, sur ce plan, avec la mise en examen qui s’appuie sur l’existence d' »indices graves, précis et concordants« , rendant vraisemblable la participation de l’intéressé aux infractions constatées (art. 80 al. 1 cpp.). Entre les « indices rendant vraisemblable » et les « indices graves précis et concordants« , le choix entre le statut de témoin assisté et la mise en examen repose finalement sur le pouvoir discrétionnaire du juge chargé de l’instruction. La plupart des commentateurs de la loi de 2000 observent d’ailleurs que le statut de témoin assisté peut parfaitement être accordé à quelqu’un contre lequel il existe des indices, et même des indices graves et concordants. Les critères du choix demeurent à la discrétion du juge, et, parmi ces critères, rien ne lui interdit de tenir compte de la notoriété de la personne concernée, tant il est vrai que la présomption d’innocence est beaucoup plus difficile à protéger lorsque l’intéressé est placé sous les yeux des médias.

Un statut changeant

Ce pouvoir d’appréciation est parfaitement conforme au droit pénal qui fait reposer l’instruction sur l’intime conviction du juge qui en est chargé. C’est si vrai qu’il peut décider le passage du statut de témoin assisté à celui de mis en examen, sous la seule condition d’informer l’intéressé de son intention et de le mettre en mesure de présenter ses observations. La Cour de cassation, dans une décision du 29 mars 2006 a d’ailleurs précisé que, pour procéder à ce changement de statut, le juge n’a pas besoin de réunir des éléments nouveaux. Cette mise en examen d’un témoin assisté peut intervenir à tout moment de l’instruction, la seule condition étant qu’il existe effectivement des « indices graves, précis et concordants » de participation à la commission de l’infraction. Peu importe même qu’aucun acte d’instruction n’ait été réalisé entre l’audition de l’intéressé en sa qualité de témoin assisté et sa mise en examen (Crim. 13 septembre 2011). Rien n’interdit au juge de procéder en deux temps pour les personnes ayant une notoriété particulière, dans le seul but d’atténuer quelque peu l’acharnement des médias.

Le statut de témoin assisté est donc un statut mobile. D’une manière ou d’une autre, il doit évoluer, soit vers l’abandon des poursuites, soit vers la mise en examen. Nicolas Sarkozy en offre une illustration très médiatisée, puisqu’il est passé du statut de témoin assisté en novembre 2012 à celui de mis en examen quelques mois plus tard, en mars 2013. Son avocat aurait sans doute dû se montrer un peu plus prudent, et éviter d’affirmer haut et fort que le statut de témoin assisté interdit, en tant que tel, une mise en examen.

Après la mésaventure de M. Sarkozy, les amis de Christine Lagarde devraient sans doute faire preuve d’un peu de prudence. Car le statut de témoin assisté est, comme la santé pour le professeur Louis-Hubert Farabeuf, un « état précaire qui ne laisse présager rien de bon ».


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  • Mais beaucoup de bruit pour rien. La directrice du FMI n’est elle pas couverte par une immunite judiciaire quelconque ?

  • « …comme la santé pour le professeur Louis-Hubert Farabeuf, un « état précaire qui ne laisse présager rien de bon ».
    Excellent !

    • J’ai entendu ce matin sur RTL Joly parler de l’affaire. Je suis trés étonné que cette personne en tant qu ex-magistrat prenne totalement le parti du Crédit Lyonnais, en oubliant (dans le sens stalinien) les jugements précédents et tous favorables à Tapie sur le fond…

      Encore un exemple de la parfaite neutralité des magistrats « engagés » de France…

  • Voici à nouveau une analyse imprégnée d’idéologie de Madame Letteron professeur de droit public… on croirait entendre Laurent Mauduit, journaliste de Mediapart et par conséquent journaliste qui se perd pour un juge et instruit uniquement à charge, pressenti sur tous les plateaux télé pour commenter la décision de la CJR !
    Si les amis de Madame Lagarde se réjouissent de cette décision, ce n’est pas parce qu’elle « innocente » Madame Lagarde mais parce que tous les médias en troupeau bêlant derrière le berger Médiapart sanctifié il y a peu par les aveux de M.Cahuzac, attendaient LA MISE EN EXAMEN.
    Il faut se frotter les yeux et lire les mêmes phrases reprise à l’envie par la presse
    « Madame Lagarde échappe à la mise en examen »
    Comme si les journalistes d’une seule voix avec Médiapart avaient déjà rendu la décision de la Cour de Justice avant celle-ci, et à défaut de pouvoir associer MISE EN EXAMEN et LAGARDE se sentaient tenus de montrer que la mise en examen avait sifflé de près aux oreilles de celle-ci…
    Déçus, frustrés, il leur faut donc expliquer aux citoyens simples d’esprit que le statut de témoin assisté ne veut rien dire de bon, et pourra à l’occasion être modifié.
    Et Madame Letteron agit de même.
    Plutôt que de faire du copier/coller de Médiapart, on aurait pu attendre de la presse qu’elle profite de l’évènement pour revenir sur l’origine de l’affaire Crédit Lyonnais/Tapie/Adidas emblématique des affaires bien troubles et nauséabondes de l’époque Mitterrand…
    Mais non, cela montrerait que tout est parti d’une gestion calamiteuse des socialistes de l’époque qui ont mené le CL à la faillite et favoriserait de regrettables comparaisons avec la situation actuelle…

    • N’importe quoi.
      J’aimerais bien savoir où vous avez décelé la moindre « idéologie » dans cette excellente analyse de Mme Letteron.

      Car, au contraire, je trouve Mme Letteron bien indulgente de parler d' »élément de langage » quand Lagarde se fout ouvertement de la gueule des Français en déclarant : « Mon statut de témoin assisté n’est pas une surprise pour moi, puisque j’ai toujours agi dans l’intérêt de l’État et conformément à la loi ». Comme si « témoin assisté » était équivalent à « agir dans l’intérêt de l’État et conformément à la loi » !!

      Carredas, s’il y a bien quelqu’un qui semble aveuglé ici par l’idéologie, c’est bien vous, et non Mme Letteron.

      • Selon vous, je n’aurais pas lu l’article, selon moi, vous n’avez pas lu mon commentaire.
        Tous les médias, Médiapart en tête, prévoyaient la mise en examen de Madame Lagarde comme plus que probable.
        Or, Madame Lagarde n’a pas été mise en examen.
        Elle l’explique en affirmant avoir toujours agi dans l’intérêt de l’Etat et conformément à la loi.
        Comme Madame Letteron vous en faites une autre lecture puisque vous interprétez cette déclaration comme du « foutage de gueule »
        Pensez-vous sincèrement que Madame Lagarde confonde statut de témoin assisté et non-lieu ou innocence ?
        Madame Letteron de son côté interprète ainsi la déclaration de Madame Lagarde
         » Pour Christine Lagarde, c’est même une récompense, ou presque. Elle serait en effet témoin assisté parce qu’elle a agi « dans l’intérêt de l’État »
        Madame Lagarde n’ayant pas été mise en examen a déclaré que c’est parce qu’elle a agi conformément à la loi.
        Dire qu’elle voit une « récompense » dans le statut de témoin assisté vise à faire d’elle ou bien une cynique ou une idiote.
        L’explication du statut de témoin assisté est une chose, l’interprétation qui en est faite par différents « experts » qui consiste à insister lourdement sur la possibilité de voir évoluer ce statut vers une mise en examen, est autre chose qui déborde largement l’expertise pour atteindre l’idéologie.
        Madame Letteron voit des différences ténues entre les « indices rendant vraisemblable » et les « indices graves précis et concordants »…et donc entre le témoin assisté et l’inculpé.
        Elle insiste beaucoup sur la discrétion laissée au juge de choisir un statut plutôt que l’autre pour ménager une personnalité sous le feu des médias telle Madame Lagarde et sur ce qui rapproche le témoin assisté de l’inculpé.
        Si vous ne voyiez pas l’idéologie derrière l’interprétation, c’est peut-être que vous la partagez et que vous n’y voyez rien à redire.

        • Vraiment n’importe quoi…
          Vous êtes une groupie umpiste, je ne vois pas d’autres explications.

          « Madame Lagarde n’ayant pas été mise en examen a déclaré que c’est parce qu’elle a agi conformément à la loi. »
          –> Non.
          Elle a déclaré : « Mon statut de témoin assisté n’est pas une surprise pour moi, puisque j’ai toujours agi dans l’intérêt de l’État et conformément à la loi ». Comme si « témoin assisté » était équivalent à « agir dans l’intérêt de l’État et conformément à la loi »… Elle cherche à rouler les gens dans la farine. Et je vois que ça marche avec ses groupies énamourées.

    • @Carredas: On dirait franchement que vous n’avez pas lu l’article. Ou se trouve l’ideologie? On peut supposer que Mme Letteron est liberale si elle ecrit ici, mais ca ne transparait pas dans son texte. Ce que je vois quand je lis ce texte est une analyse claire de la nature du statut de temoin assisté.Que reprochez vous exactement a Mme letteron. Quand vous dites quÄelle fait preuve dÄideologisme, pourriez vous citez un passage, qu’on sache de quoi vous parlez exactement.

  • L’étonnant dans cette affaire est que le ministre d’état de l’époque Jean-Louis Borloo n’est jamais cité dans cette affaire alors qu’il fut l’avocat de Bernard Tapie.

  • On oublie un peu vite que l’escroquerie était celle du Crédit Lyonnais dans lequel l’État était majoritaire et le montant de la vente d’Adidas devait être réglé, de toutes façon (d’où les 350M€). Le montant des dommages et intérêts (50M€, dont 60% ont été récupéré sous forme de taxes) sont un autre problème. Leur calcul était assez simple : à-t-il été réalisé correctement ? C’est ce qui semblait à l’époque au MinEFi.
    Une suite judiciaire aurait probablement aboutie aux mêmes résultats, et coûté beaucoup plus cher (longueur de la procédure et avocats).

    À-t-elle fait le bon choix ? Personnellement, je le pense (en tous cas, il ne semble pas qu’elle en ait tiré le moindre bénéfice personnel, jusqu’à preuve du contraire)…

    • Une procédure d’arbitrage entre l’Etat et un particulier me semble un sacré privilège. Tous ceux qui sont poursuivis par le fisc aimeraient sans doute bien bénéficié d’un tel privilège.

      Ensuite, le choix des trois arbitres est sujet à caution. Et leur résultat d’affecter 45 M€ au titre de préjudice moral est quand même bien curieux !

      • 45M€ incluant les intérêts, quand même, cette histoire ayant duré assez longtemps, ne l’oublions pas. La poursuivre en procédures longues aurait coûté bien plus cher et était perdue d’avance (l’arnaque avérée venant du CL, pas de Tapie…) !
        Je continue à croire que c’était l’option la moins onéreuse pour l’État.
        Et si il y a eu, semble-t-il, irrégularités de la part des négociateur, la justice est là pour faire son boulot.
        Maintenant, qu’on fasse une « chasse aux sorcières », c’est une autre histoire.
        Et vouloir faire passer Lagarde pour une pro-Tapie est doucement risible.

        • Vous, libéraux, je vous trouve bien indulgents et bien discrets sur cette affaire, qui vous coûte quand même 400 000 000€ !

          Dont 45 000 000€ exonérés, rien que pour le dédommagement moral !? Arbitré par des personnes suspectées de connivence !?

          Le libéralisme et contrepoints ne sont plus ce qu’ils étaient 🙂

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