Pourquoi n’y a-t-il pas eu d’inflation malgré la politique d’assouplissement monétaire de la Fed ?
Par Gerald P. O’Driscoll, depuis les États-Unis.
Un article du Cato Institute, traduit par Libre Afrique.
En Décembre 2008, la Réserve fédérale américaine a fait chuter son taux directeur à près de zéro. En Mars 2009, elle annonçait un ambitieux programme d’achat de titres adossés à des créances hypothécaires. Ces actions ont été suivies par des cycles successifs de mesures d’assouplissement monétaire sans précédent. Les économistes prédisaient une flambée de l’inflation. Ont-ils eu tort ?
Pour les critiques, l’absence d’inflation prouve que ces prévisions apocalyptiques étaient fausses. Paul Krugman par exemple soutient même que davantage de stimulus monétaire est nécessaire. Ils soulignent que l’inflation des prix à la consommation aux USA était de seulement 1,1% sur les 12 derniers mois se terminant en avril : il y aurait une large marge de manœuvre pour un nouvel assouplissement monétaire.
Pourtant, la déclaration devant le Congrès du président de la Fed. Ben Bernanke le 30 mai suggère que la Fed commence à douter de la sagesse de sa politique actuelle d’assouplissement monétaire. L’idée est que les prix augmentent plus vite que ce que l’indice des prix à la consommation ne suggère…
L’inflation se définit comme une augmentation générale des prix, mais ces augmentations ne doivent pas nécessairement se produire en même temps, et normalement ne le font pas.
Mais d’abord, tournons-nous vers ce qui provoque l’absence apparente d’inflation (voire même un peu de déflation). Milton Friedman nous a appris que l’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire. La création monétaire a été massive et, toutes choses égales par ailleurs, il devrait déjà y avoir une inflation importante.
Mais toutes les choses sont loin d’avoir été « égales par ailleurs ». L’effet de levier sans précédent des bilans des propriétaires, des consommateurs et, surtout, des sociétés financières avait alimenté un boom immobilier. Quand l’expansion s’est effondrée, les emprunteurs et les prêteurs se sont retrouvés avec un endettement excessif par rapport à la valeur réduite des actifs sous-jacents. Tous les acteurs se sont bousculés pour se désendetter, et réduire le fardeau de leur dette en même temps. Toute une structure de crédit s’est défaite. Ce processus est en cours depuis au moins l’effondrement de Lehman Brothers à l’automne 2008. Le désendettement a de nombreuses conséquences, dont une course à la liquidité (espèces ou autres).
Si les banques ont de l’argent (réserves), elles ne veulent pas le prêter, et surtout pas à d’autres banques. Chaque banque suppose logiquement que les autres banques sont en aussi mauvais état qu’elle-même. Cela provoque une panne sur le marché interbancaire, qui, en temps normal finance les prêts entre banques. Le processus prend la forme à la fois d’une ruée sur les liquidités, et d’un effort pour recapitaliser les institutions dont les bilans se sont détériorés.
L’assouplissement quantitatif était conçu pour stopper l’effondrement de la structure de crédit. Les taux d’emprunt au jour le jour des banques ont été baissés à près de zéro. Et les réserves des banques à la Fed. sont montées en flèche. Ces réserves excédentaires, au-delà de ce que les banques sont tenues de détenir, sont passés en gros de zéro à près de 1800 milliards de dollars aujourd’hui. Les réserves sont la base sur laquelle la structure de la monnaie et du crédit est érigée. C’est cette croissance explosive des réserves qui a, au cours des quatre dernières années, alimenté les nombreuses prévisions d’inflation de prix. Le processus de création des réserves en temps ordinaire aurait dû conduire à une croissance rapide de la monnaie, puis à l’inflation des prix. Sur une base historique et théorique, les prédictions étaient justes.
Le processus de désendettement a bloqué le mécanisme de création monétaire. La vitesse de circulation de la monnaie (le nombre de fois qu’un dollar est dépensé par an) s’est effondrée. Selon la mesure monétaire utilisée (plus ou moins large), la vitesse de circulation de la monnaie a chuté à des niveaux historiquement bas qu’on n’avait pas connu depuis des décennies.
Il y a eu une croissance de la masse monétaire. Aux USA, le taux de croissance de M1 (un agrégat monétaire relativement restreint) sur 12 mois jusqu’à avril 2013 a été de 12%. Le taux de croissance sur 12 mois de M2, un agrégat plus large, a été de 7%. Les effets stimulants de la croissance de la masse monétaire ont été compensés par la baisse de la vitesse de circulation de la monnaie (soit une augmentation de la demande de monnaie).
Et il y a eu inflation des prix, aux USA et partout dans le monde. L’indice des prix à la consommation n’est en réalité qu’une mesure d’un sous-ensemble de tous les prix.
Les prix des biens de consommation pour les Américains ont été maintenus bas pendant des décennies grâce à l’entrée de la Chine et de l’Inde dans l’économie mondiale. Ce processus se poursuit alors que les autres économies à bas salaires exportent de plus en plus de marchandises dans le monde. La liste comprend le Vietnam ou le Bangladesh. Par conséquent, l’IPC (ou d’autres mesures de prix à la consommation) n’a pas constitué un indicateur précis de la relance monétaire depuis des décennies. La monnaie emprunte de nombreux canaux pour s’écouler dans l’économie mondiale.
Comme nous l’avons appris dans les années 2000, une politique résultant en des taux d’intérêt faibles (voire négatifs) affecte les prix réels des actifs durables de façon disproportionnée et ce, avant d’avoir un impact sur les prix à la consommation. Lors d’un épisode inflationniste, les prix des biens augmentent souvent de façon séquentielle, et non en tandem. Ce séquençage des hausses de prix avait été bien compris par les économistes aussi divers dans leurs points de vue que Keynes et Hayek. Ce processus implique des changements dans les prix relatifs et l’allocation des ressources. Il avait été explicité dès le 18ème siècle par l’économiste irlandais Richard Cantillon.
Les prix des maisons sont à nouveau sur une tendance haussière, et nous verrons si la Fed. contribue à gonfler une autre bulle immobilière. Si une bulle se définit classiquement comme une hausse insoutenable des prix, les prix des obligations constituent alors une bulle, quel que soit le point de vue historique que l’on prenne. Je laisse aux lecteurs le soin d’exercer leur propre jugement sur les prix des actions.
Le dollar est la devise globale dominante, et la quantité de dollars en circulation influe sur les prix dans le monde. Ce canal est surtout apparent pour les pays qui ancrent leur devise au dollar, comme Hong Kong ou Singapour, et même la Chine. L’arrosage de dollars « par hélicoptère » au niveau mondial par le président de la Fed. Ben Bernanke a contribué au boom de l’immobilier à Hong Kong et à Singapour, tout en laissant le marché immobilier américain dans son marasme. Des pays comme le Brésil connaissent une substantielle inflation des prix des biens de consommation. En Avril 2013, le taux annuel y était de 6,5%.
En bref, si l’on veut voir l’inflation, il faut se pencher au-delà des prix à la consommation aux États-Unis et regarder autour de la planète. L’expansion monétaire a des effets au-delà des prix à la consommation nationaux. Il ne faut pas supposer que les politiques monétaires expansionnistes affectent en premier lieu les prix des biens de consommation.
L’inflation est déjà là, et il va en arriver bientôt davantage dans votre coin. Si l’on se réfère à ses comportements passés, la Fed. va attendre trop longtemps pour réagir à l’inflation.
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Cet article a été publié originellement en anglais sur le site du Cato Institute. Traduction : Libre Afrique.
Bonne analyse.
Même dans les pays développés ! « Indice des prix à la consommation excluant les matières premières ». Pourquoi je vous prie ? Les gens normaux, ça ne mange pas ? Ca ne se chauffe pas ? Manipulation….
Bref, les USA exportent leur inflation.
« Le dollar c’est notre monnaie, votre problème. »
Mais pour combien de temps ? Il y a bien un jour où les banques vont re-prêter ?! Il y a bien n jour où le QE s’arrêtera ?! Dès lors, on risque d’assister a des choses pas très agréables.
Pour info, 12 Etats américains ont fait des lois pour reconnaître les pièces d’or et d’argent comme monnaies légales… ça a commencé par le premier Etat en 2011.
On parle souvent de Friedman, on entend souvent qu’il aurait été pour les QE. J’en doute fort ! Peut-être le premier peut-être, pas plus. Et n’aurait pas sauver toutes les banques. Il était résolument contre le QE pour financer la dette publique. Il aurait remonté très vite les taux pour qu’ils ne soient pas négatifs. Et surtout, rappelons-le, il était pour abolir la FED. Il disait de Bernanke « il m’a l’air bien, nous verrons à l’avenir, mais le problème c’est qu’une institution avec tant de pouvoir ne devrait pas se baser sur la compétence d’un homme, une telle institution ne devrait pas exister ».
Rappelons aussi que Friedman aurait été pour l’étalon-or, s’il n’était pas pour c’est simplement parce qu’il estimait que jamais nous n’avons eu d’étalon-or à 100%, même du temps de l’étalon or aux USA il y avait 10 à 20% d’or et 80% de papier. Il était pour un accroissement de la masse monétaire fixe entre 3% et 5% selon la croissance du pays, afin d’avoir une masse monétaire stable et ne pas dépendre d’une FED. Enfin, et c’est pour moi le plus important, il a toujours dit que c’était son point de vue en l’état actuel des connaissances, mais que si l’expérience et la recherche amenées à des meilleurs solutions il fallait bien sûr les appliquer. Finissant sa vie en disant que le problème de la monnaie serait toujours central et prendrait la tête des économistes pendant encore longtemps.
Pas d’inflation, ça dépend dans quelles dépenses, pour quels niveaux de revenus… Quand je vois ce que je dépense en nourriture par rapport à il y a 2 ans… On a bien une inflation à 2 chiffres/an.
Je ressortirai le terme de Charles Sannat : l’indéflation.
Encore un économiste qui tente d’expliquer l’imprévu par l’étonnant… On pourrait certainement se fier à son analyse s’il faisait partie des 100 plus grandes fortunes du moment, ce qui n’est pas le cas, évidemment (pourquoi se fendrait-il d’un article sur Cato si c’était le cas ?).
Zéro donc. Ou presque : ce monsieur est un connoisseur : il prédit une certaine inflation sans mentionner de délai ni d’envergure. L’avenir finira par lui donner raison, tiens. Mais ma mère ou moi-même, qui n’y connaissons rien en économie, aurions fait tout aussi bien.
On a inventé les économistes pour donner du sérieux aux astrologues, disait quelqu’un de bien connu ici… J’ai tout de suite pensé à cette phrase en lisant cet article.