Reinhart et Rogoff : erreurs et abus

Prudence et humilité sont les grandes leçons à tirer de l’imbroglio Reinhart-Rogoff.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Reinhart et Rogoff : erreurs et abus

Publié le 14 juin 2013
- A +

Prudence et humilité en matière de politique économique sont les grandes leçons à tirer de l’imbroglio Reinhart-Rogoff.

Par Axel Korbel.

L’eau bout à 100 degrés Celsius. Tout le monde apprend cela dès le plus jeune âge, à l’école ou à la maison. C’est pourtant inexact. L’eau bout à des températures différentes en fonction de la pression atmosphérique : son point d’ébullition baisse à une altitude supérieure et vice versa. Donnez-moi votre altitude et je vous dirai à quel degré votre eau bout.

Tout le monde fait des erreurs

Fréquemment citée par ceux qui dénoncent le poids de la dette publique en Europe et aux États-Unis, une étude datée de 2010 concluant que la croissance économique baisse quand la dette publique dépasse 90% du PIB est actuellement fortement critiquée. Ses auteurs, Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff, ont été les cibles de soudaines invectives.

Trois chercheurs de l’Université du Massachusetts ont publié une étude qualifiant le travail de Reinhart et Rogoff de « mauvais » et rendu caduc par « l’exclusion sélective des données disponibles et la pondération non conventionnelle de statistiques établissant à tort un lien de causalité entre la dette publique et la croissance du PIB ». En plus de cela, les auteurs ont fait une erreur assez embarrassante dans l’utilisation du tableur Excel.

Tout le monde fait des erreurs. Trouver et corriger ses erreurs fait partie du processus de recherche. Bien sûr, faire des erreurs est embarrassant mais ce n’est pas déshonorant. Se tromper est nécessaire pour progresser.

Reinhart et Rogoff répondent à certaines de ces charges en maintenant que leur recherche continue de montrer des épisodes historiques où une dette publique plus élevée est associée a un « très grand » impact cumulatif sur la croissance économique.

Mais est-ce une relation causale, et si oui dans quel sens ? La relation entre la dette publique et la croissance économique varie-t-elle en fonction d’autres variables économiques telle que la capacité d’un État à emprunter dans sa propre monnaie ? Qu’arrive-t-il quand la dette publique sert à financer des niveaux plus élevés de dépense publique ?

La recherche comme élément de langage politique 

Ces questions méritent d’être posées. Le souci, c’est que les hommes d’État et les personnes impliquées dans le débat d’idées cherchent à utiliser la recherche universitaire afin d’illustrer, de justifier leur cause.

Le fait que l’équipe politique A cite une étude pour justifier une politique publique -X et que cette étude comprend une erreur ne signifie pas que l’équipe politique A ait tort et que l’équipe politique B ait raison de se faire le chantre de la politique +X. Votre opinion n’est pas forcément valide s’il est prouvé que l’équipe adverse a avancé un argument faux. Le croire serait faire preuve d’un manque de nuance, voire même d’humilité.

C’est pourtant ce manque d’humilité qui est illustré quand Robert Pollin et Michael Ash, deux des économistes ayant relevé l’erreur de Reinhart et Rogoff, font cette affirmation catégorique et sans fondement dans un article publié dans le Financial Times : « le déficit budgétaire du gouvernement reste l’outil le plus efficace pour lutter contre le chômage de masse provoquée par les graves récessions ». Vraiment ? Il existe pourtant un très grand nombre d’études contradictoires sur l’impact et l’efficacité des mesures de relance budgétaire.

Prudence et humilité devant la complexité

Je souhaite à chacun beaucoup de courage pour tenter de déterminer l’impact pluriannuel d’un plan de relance sur une économie alors que dans le même temps la banque centrale est engagée dans une politique monétaire expérimentale, que l’État met en œuvre des révisons règlementaires dans des secteurs très importants comme la finance, les retraites ou la santé et que le changement technologique transforme les secteurs de l’énergie et des communications.

L’économie n’est pas une science – du moins pas comme la chimie ou la physique. Il est difficile de réaliser des expériences économiques contrôlées. Le comportement des gens est beaucoup plus difficile à analyser et prédire que celui des molécules d’eau. Les efforts pour appliquer des méthodes scientifiques à l’économie peuvent donner des résultats décevants.

Par conséquent, le fait que la relation entre deux variables économiques importantes comme la dette publique et la croissance économique puisse apparaitre comme inextricable ne devrait surprendre personne.

Pour les décideurs, la réponse appropriée à cette réalité n’est ni la paralysie politique, ni les appels instinctifs à stimuler ceci ou cela, mais la prudence et l’humilité. C’est la grande leçon à tirer de l’imbroglio Reinhart-Rogoff.

Publié initialement sur 24hgold.com.

–-
Comment sortir la France et l’Europe de l’ornière ? Pour y répondre, Contrepoints organise une grande conférence ce 15 juin à Paris. Plus d’information ici.

Voir les commentaires (6)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (6)
  • Rogoff, ce n’est pas ma tasse de thé. encore hier, dans les Echos, il appelait à plus d’inflation! Comme si c’était la solution, comme si il suffisait de dire « je veux plus d’inflation » pour que celle-ci apparaisse comme par magie! Ce type n’est qu’un dangereux apprenti sorcier de plus!

  • Oui , mais la Grande France est à 9O % minimum d’endettement explicite et …au double avec l’implicite ( si on provisionnait les retraites des fonctionnaires , la SS , la CAF , ) et la croissance est à zéro , ce qui confirme ce que disent Kenneth et Rogoff !!!

    • Kenneth et Rogoff. Ce ne serait pas plutôt Reinhart et Rogoff!

      L’idée de déterminer un seuil précis au delà duquel ce serait mal et en deçà ce serait bien, est ridicule! Cela montre à quel point ces deux économistes pensent que l’économie est un simple logiciel que l’on programme et commande à sa guise. Cela ne fonctionne pas comme çà.

      • Lio ,

        Ok pour Rheinhart ( qui a donné renard en français !!!!) …Néanmoins , la remarque des deux économistes Us me semble toujours aussi pertinente , que vous preniez la France ou d’autres pays ( Usa , Italie , Grèce , Gb …) …à partit de ce seuil d’endettement , vous n’avez plus de croassance , vous tournez continuellement à l’endettement , vous taxez au maximum vos producteurs de richesse pour redonner à l’assistanat , aux fonctionnaires , Vous êtes out of the window !!!

  • Heureusement pour vous que l’erreur existe puisqu’elle prouve que vous existez. Pas d’erreur pas d’humanité. Si tous nous pensions la même chose au même moment, il ne se passerait rien. C’est le gros problème des socialo-constructiviste, ils ne peuvent l’admettre intellectuellement. C’est la raison pour laquelle je m’entête à annoncer inlassablement que nous sommes en présence de débiles.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Voilà un message que certains ne voudront jamais entendre... Et pourtant s'il y a une chose que l'Histoire nous enseigne, c'est que la réalité est intangible. On peut la nier, on peut en faire le tour, mais ça ne changera rien. Ça ne fera que repousser le moment où chacun devra ouvrir les yeux et la regarder en face.

Posons d'abord les bases de cette réflexion : une nation est faite de citoyens, et c'est l'énergie de chaque citoyen, son travail, sa créativité, son ambition, qui créent l'énergie du pays. Les anciens pays de l'Est, pour ... Poursuivre la lecture

L'économie bolivienne ne se porte pas très bien. En voici cinq raisons.

On ne pense pas souvent à la Bolivie, petit pays situé au cœur de l'Amérique du Sud. Mais dès qu'on l'évoque, outre les montagnes et les lamas, on pense au socialisme et à Evo Morales. Certains vont même jusqu'à parler de « miracle socialiste » en raison de sa stabilité économique et monétaire dans les années 2010. Pourtant, cette perception est loin de la réalité.

Le parti politique bolivien actuel, Movimiento al Socialismo (Mouvement vers le socialisme), e... Poursuivre la lecture

On dit souvent que seul un fou – ou un économiste – peut croire que nous pouvons avoir une croissance infinie sur une planète finie. Les ressources sont rares et s'amenuisent, nous dit-on. Jour après jour, nous semblons sur le point d'épuiser un ingrédient essentiel à la civilisation ou de surutiliser des matériaux au point de provoquer notre propre perte.

Article original paru sur l'American Institute for Economic Research.

L'état d'esprit qui fait croire aux gens que nous sommes perpétuellement à la veille d'une catastrophe se... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles