La notion de soutenabilité de la croissance ouvre des perspectives au-delà de l’écologie.
Par Emmanuel Martin.
Un article de Libre Afrique.
En France, les bacheliers de section économique ont eu à plancher, entre autres, sur le sujet suivant : « Montrez que le PIB ne mesure pas la soutenabilité de la croissance ». Critiquer le PIB est la tarte à la crème de tout étudiant en économie : non prise en compte de certaines activités (économie domestique, économie souterraine), des inégalités ou du niveau de vie réel, quantification purement comptable… Il est cependant possible de traiter le sujet de manière quelque peu différente de ce que l’Éducation nationale française attendait sans doute de ses élèves.
Croissance et environnement
La notion de soutenabilité fait évidemment référence aux aspects environnementaux : la capacité à ne pas scier la branche sur laquelle nous sommes assis, en somme. Non seulement la capacité à ne pas épuiser les ressources dans le long terme, mais aussi à ne pas polluer notre environnement et en faire un système invivable dans lequel les populations se rebelleraient contre l’injustice de la pollution due à la croissance – menant de facto à l’insoutenabilité de cette dernière.
En Chine l’air des grandes villes devient irrespirable. Le Delta du Niger est une catastrophe écologique. Dans de nombreux pays africains les ressources halieutiques sont pillées. Ici encore il semblerait que la croissance économique ne soit pas soutenable. Le PIB n’intègre pas cette dimension.
Deux remarques cependant avant de jeter la croissance du PIB aux orties.
Premièrement les ressources sont des « ressources » parce que les hommes pensent qu’elles le sont. À bien des égards, la « ressource ultime » c’est donc l’homme. Non qu’il faille « gaspiller », mais si le pétrole vient à manquer, l’ingéniosité humaine trouvera une autre ressource, grandement aidée par les incitations économiques générées par la rareté.
Deuxièmement, croissance et « marché » sont compatibles avec l’écologie pour peu que des règles de responsabilité soient appliquées. Les problèmes environnementaux sont en effet essentiellement liés à l’absence de propriété sur des biens qui sont donc « libres » : tout le monde a intérêt à les piller. L’appropriation, notamment « en commun » permet de résoudre ces problèmes. Des indicateurs « institutionnels » permettent de mesurer cette dimension juridico-économique qui a un impact direct sur la gestion environnementale.
Mais la « soutenabilité » peut recouvrer d’autres dimensions.
Quelle croissance ? Ce que nous rappellent certains pays d’Afrique
En effet, certains pays en Afrique connaissent des taux de croissance importants. Pourtant, cette croissance se fonde surtout sur les revenus de l’exploitation du pétrole. Elle n’est pas essentiellement générée par une augmentation de la spécialisation, de la division du travail et de la productivité (menant à des revenus plus élevés). Elle n’est donc pas soutenable d’abord parce qu’elle est fondée premièrement sur une manne et non pas sur une diversification progressive des activités économiques.
Une élite proche du pouvoir politique profite de la manne pétrolière. C’est le règne du capitalisme de copinage dans lequel quelques-uns s’enrichissent mais les autres n’ont que des miettes : on refuse à ces derniers les institutions du capitalisme, réservées à l’élite politico-économique.
L’inégalité fondamentale ici est procédurale : les règles du jeu ne sont pas les mêmes pour tous. Mais cette inégalité procédurale donne bien évidemment lieu à des inégalités de résultat, avec des écarts absolument considérables de richesse entre les citoyens de ces pays dont l’immense majorité croupit dans la pauvreté. Les tensions sociales que crée un tel environnement constituent un obstacle à une croissance de long terme, comme nous l’a rappelé le printemps arabe : la « ressource ultime » qu’est l’homme ne peut être gaspillée longtemps.
Dans de tels cas, le PIB est effectivement un indicateur très limité de la soutenabilité de la croissance. Au-delà des indicateurs traditionnels de développement humain ou d’inégalités, il faut prendre en compte la qualité des institutions pour percevoir le degré de partage des opportunités économiques qui forment le socle d’une croissance de long terme.
L’obsession de la croissance
En occident, les décideurs publics sont littéralement obsédés par la croissance. En France par exemple, M. Sarkozy promettait d’aller « chercher la croissance avec les dents » lors de la campagne électorale 2007. Cinq ans plus tard, M. Hollande se présentait comme le « candidat de la croissance ». C’est que la croissance a un impact sur l’emploi et donc sur le recul du chômage (Loi d’Okun). La croissance a aussi un impact sur les rentrées fiscales, et dans les pays surendettés aux déficits budgétaires qui explosent, quelques dixièmes de pourcentage de croissance peuvent faire la différence dans les finances publiques.
Mais ici aussi il y a croissance et croissance.
Car le risque est que de nombreuses politiques soient mises en place pour « relancer » ou « stimuler » la croissance à court terme, au prix de sa « soutenabilité » à long terme. C’est notamment le cas de la politique budgétaire expansionniste dont l’Europe fait en réalité les frais aujourd’hui.
De même pour la politique monétaire expansionniste ou, comme l’on dit aujourd’hui, « accommodative ». Le meilleur exemple de sa nocivité est sans doute celui des États-Unis au début des années 2000 où la politique monétaire, du fait du « double mandat » des autorités monétaires (maîtriser l’inflation et permettre la croissance), a été mise au service de la « relance ». Sauf que cette relance de la croissance s’est essentiellement canalisée dans l’expansion très exagérée du secteur du bâtiment. Avec les conséquences que l’on connaît.
Certains économistes, de l’école « autrichienne », estiment que la stimulation artificielle de la croissance, par la manipulation de la politique monétaire, génère un « boom » économique qui ne pourra se payer que par un « bust » (une récession). L’idée sous-jacente est que, du fait de cette stimulation monétaire, l’économie surinvestit, et mal-investit, dans certains secteurs qui s’avèreront finalement peu rentables. La correction de l’erreur est évidemment douloureuse. Ce processus serait à l’origine des cycles économiques et, en définitive, d’une croissance « non soutenable ». Ici aussi des indicateurs institutionnels intégrant la qualité de la politique monétaire par exemple sont essentiels.
La notion de soutenabilité de la croissance ouvre des perspectives au-delà de l’écologie. Le PIB est une mesure effectivement limitée et doit être assorti d’indicateurs qualitatifs institutionnels.
—
Sur le web.
Avant de s’inquiéter de la soutenabilité de la croissance, il faudrait d’abord qu’il y ait croissance 🙂
Ensuite, c’est le problème de Lejaby ou La Perla 🙂
« si le pétrole vient à manquer, l’ingéniosité humaine trouvera une autre ressource »
Bonjour Madame Irma. Vous prenez combien à la consultation ? Car vu l’étendue du pouvoir de votre 3 ème oeil, ce serait dommage de laisser cette ressource inexploitée.
@FabriceM
Je croyais que les « peak-oil » de tous poils avaient disparu. Il semblerait que le ridicule ne les ait pas tués, enfin, pas tous.
L’auteur aurait effectivement pu dire mieux : « d’ici que le pétrole vienne à manquer – et ce n’est pas demain la veille » l’ingéniosité humaine aura trouvé … »
Des « gaz de schistes » aux « hydrates de méthane » en passant par … le charbon, les candidats se pressent déjà au portillon.
PapyJako
Je ne prétends pas pouvoir dater le peak oil, je ne prétend pas non plus que le peak oil sera un évènement d’une quelconque importance, je ne prétends pas non plus qu’il faille chercher à organiser étatiquement -de quelque manière que ce soit- la « société post-pétrole ».
Je prétends seulement que, pourvu qu’on se tienne à une définition scientifique du mot « pétrole » (i.e, qui n’inclue pas les hydrocarbures liquides du style CTL, GTL, agrocarburants, GPL, et reste sur le produit liquide à température ambiante de la cuisson d’un kérogène, même si dégradé en bitume en surface) , l’existence d’un pic de production est inéluctable, et qu’il s’agit seulement d’un bon sens élémentaire que de surveiller l’évolution de la production d’une ressource aussi critique au fonctionnement de l’économie moderne.
La dedans, vous êtes le personnage ridicule qui balance des grandes expressions comme si c’étaient des arguments massue, alors qu’il n’en est rien. Aujourd’hui, les hydrates de carbones ne sont pas plus exploitable que l’uranium des océans. Aujourd’hui, le taux de retour sur investissement des exploitations de gaz de réservoirs compacts, dont les gaz de roches mères dits gaz de schiste est toujours recouvert d’un superbe point d’interrogation, et est en tout cas indéniablement inférieur à celui des exploitations conventionnelles. Aujourd’hui, les explorations arctiques sont au point mort non pas à cause d’un manque de volonté mais de successions d’avaries techniques et d’imprévus environnementaux. Aujourd’hui, malgré les prétentions des électro-ucléarophiles de tout bord, et malgré des dizaines de milliards investis partout dans le monde, aucun réacteur à neutron rapide à échelle industrielle économiquement rentable n’existe, et n’est près d’exister avant des dizaines d’années.
Votre portillon est rempli jusqu’à la gueule de nains prétentieux. Espérons que certains seront à la hauteur de leurs prétentions. Mais rien ne permet d’en être certain, contrairement à la diminution progressive de la qualité géo-chimique des ressources restantes.
FabriceM : « Aujourd’hui… »
…tout et finu..fouti, founini… c’est la fin quoi merde !
FabriceM : « Mais rien ne permet d’en être certain, contrairement à la diminution progressive de la qualité géo-chimique des ressources restantes. »
Avec une biomasse humaine qui représente une infinitésimale partie de la croute terrestre on sent bien cette finitude. Surtout avec ces nouvelles lois de la physique écologique : « tout se perd rien ne se transforme jamais ».
http://kopfkrabbe.files.wordpress.com/2012/09/ohne-titel.jpg
Merci James pour cette intervention rapide et précise afin de rétablir l’ordre du monde.
« Merci James pour cette intervention rapide »
Serviteur, Mr Droopy.
http://rapgenius.com/Nessbeal-clown-triste-lyrics
1) La soutenabilité de la croissance en AFRIQUE ne devrait pas entraîner nos hexagonaux européens à tirer sans discernement vers la posture de l’auteur !
2) à celui-ci : « croissance du PIB » fondée sur l’exploitation pétrolière, je voudrais faire remarquer que LEURS réserves de pétrole ne sont pas prêtes de s’assècher dans les décennies à venir. Donc – hors cas spécifiques – le problème en s’y pose pas encore à moyen/long terme.
3) Qu’en outre, la corruption endémique dans les classes dirigeantes de ces pays-là pose bien plus de problème à leur développement équilibré qu’un hypothétique tarissement de leurs ressources naturelles.
4) Enfin, qu’il tombe sous le sens (PARTOUT dans l’économie mondiale) qu’une DIVERSIFICATION intelligente des ressources fondatrices du PIB constitue le premier garant protecteur contre les aléas cycliques ou ceux d’une mono-économie.
Je ne doute cependant pas que l’auteur ait une pleine conscience de ces aspects.
Pour le reste, laissons les zozos de l’ONU et altermondialistes divers s’extasier avec leur coefficient GINI & Co ?
A terme, le PIB reste un excellent indicateur de la soutenabilité de la croissance. Il suffit d’attendre que le voile des illusions se déchire. Ainsi, les PIB des économies socialistes finissent toujours par s’effondrer, parce que le socialisme n’est pas soutenable, jamais, nulle part.
Après l’Allemagne nazi et l’URSS, ce sera au tour de la Chine et de la France, les deux autres expériences majeures du socialisme dans le monde contemporain, de voir leurs PIB respectifs s’effondrer, sans doute avant 2020.
Le PIB est ce qu’il est: un indice de flux. En aucun cas il ne mesure la production de richesse (par ailleurs difficile a mesurer) et on peut parfaitement envisager d’avoir une croissance du PIB concomitante avec un perte de richesse. Le problème est que les gouvernements aussi bien que la plupart des citoyens pensent que croissance du PIB égale croissance de la richesse nationale.
La croissance de la richesse nationale sous-entend l’alternative suivante :
– ou bien une économie OUVERTE et largement exportatrice …
… celle-ci drainant en retour des ressources extérieures (PIB+)
ou bien
– une économie AUTARCIQUE flanquée d’une auto-suffisance de ses ressources naturelles et de fortes compétences humaines. Combinées, elles assurent une expansion potentielle, à condition de ne pas subir des entraves artificielles et bureaucratiques. Suivez mon regard (U.E. unificatrice à outrance et la France qui l’imite idéologiquement).
Ce 2e cas (autarcie) ne se rencontre quasiment jamais.
Les Etats du monde sont donc condamnés à s’ouvrir afin de compenser leurs manques endogènes et subir la stimulation d’apports externes.
Curieusement, ce sont les plus obtus (altermondialistes , activistes de l’écologisme étroit , syndicats bornés) qui prêchent tous à ce repli sur soi … soit une forme de pis aller (ce qui se comprend de la part d’esprits à oeillères). Eux et leurs théoriciens affidés à l’ONU nous ont pondu l’indice GINI pour complaire leurs penchants.. Vrai/Faux ?
« Ce 2e cas (autarcie) ne se rencontre quasiment jamais » : si, c’est l’économie mondiale ! Jusqu’à preuve du contraire, nous n’échangeons pas avec les martiens. Dans cette économie mondiale, les Etats improductifs, lorsqu’ils débordent de leurs fonctions régaliennes minimales (instaurer des droits de douanes au lieu de lutter contre la piraterie par exemple), sont les principaux freins aux échanges.
@Ilmryn:
1) Ce n’est parce que la biomasse humaine représente une faible masse qu’elle n’a guère d’influence: Qu’est-ce que l’anthropocène alors??? juste le résultat de’une des dégradations de notre environnement, non insurmontable mais destructrice des ressources, de richesses considérables.
Dans ce cas, quelle peut être la réaction de l’humain se prétendant intelligent et mature?
2) Ce n’est pas parce que « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » que c’est vertueux. On peut transformer le carbone du charbon en surplus atmosphérique de CO2 pour créer de l’énergie supplémentaire, ce n’est pas pour cela que le résultat est vertueux.
@the Wolff: sur 4): Le réchauffement climatique, c’est cyclique: la période est de seulement quelques siècles.
sur 4) encore: La période de l’anthropocène est de quelques millénaires. On a mangé notre pain blanc. En attendant, attendons le pire, et ça ira mieux au cycle suivant ?…
@Cavaignac: comment le PIB peut-il être indicateur de sa propre évolution? Si c’est par extrapolation, ce n’est pas la méthode la plus fiable utilisée pour les prévisions économiques.
@2nd the wolff: dans le cas d’une économie autarcique, pourquoi ne concevez vous qu’une économie en croissance? C’est le dogme de la croissance vertueuse qui vous guide?
Pourquoi les obtus tels que les économistes Alain Grandjean, Gaël Giraud poussent au protectionnisme? Notamment à cause des externalités économiques du libre-échange! La plupart des échanges intercontinentaux sont à court terme créateurs de richesses et à long termes destructeurs: voir la consommation de ressources associées.
La seconde externalité majeur est la diplomatie et l’effort militaire souvent associé pour le commerce international: il y a qu’à voir dans le Golfe d’Aden les coûts rarement imputés aux transporteurs.
2nd Cavaignac: les états improductifs investissent dans la diplomatie, la sécurité, les pépinières d’entreprises, les infrastructures pour que des sociétés prospèrent. L’état improductif a bon dos parfois.
Cordialement