L’avènement de la démocratie participative et d’opinion ne reflète pas une dépolitisation de notre société. Face à l’obstruction des canaux traditionnels de la politique, nous assistons à l’émergence d’une nouvelle forme de politisation, non dénuée de risques pour la démocratie.   Â
Par Florent Ly-Machabert.
En France, la démocratie représentative fait faillite, minée par les « affaires », la consanguinité et l’endogamie du personnel politique. Certains voient dans les nouveaux mouvements sociaux (NMS) défendant des valeurs post-matérialistes et des aspirations qualitatives sur des sujets sociétaux, et recherchant avant tout une visibilité médiatique, souvent au détriment du fond, un renouveau de la démocratie. Ces NMS incarneraient une forme avancée de démocratie : la démocratie participative. Je ne suis pas certain que cette nouvelle mode démocratique soit dénuée de toute confusion pour le citoyen et de tout risque pour la démocratie elle-même.
Qu’est ce que la démocratie participative
De la Révolution Française à la Guerre d’Algérie et même jusqu’en mai 1968, on faisait dans notre pays de la macropolitique et l’action politique s’attachait à définir les grandes orientations d’avenir. « L’intendance suivra », disait le Général de Gaulle, se souvenant sûrement qu’étymologiquement ses ministres étaient des petits serviteurs. C’était l’époque où l’on parlait à la France et où on lui parlait d’elle : de la patrie, de la Nation et de la République. Depuis 1970, il s’est produit comme un glissement, un changement de régime pourrait-on dire, entre vie politique et vie privée : la politique s’est mise au service des familles, les hommes politiques ont mis une énergie folle à s’occuper de sujets de société, jusqu’au mariage pour tous du président Hollande. Pendant ce temps, le chômage a triplé, menaçant le niveau général des salaires et le maintien dans l’emploi des autres. C’est l’époque où l’on parle aux Français et où on leur parle d’eux. C’est Nicolas Sarkozy dans son discours de Périgueux sur l’éducation en 2008.
L’instrument de cette évolution, c’est la démocratie d’opinion, qui présente de très gros défauts, mais aussi, reconnaissons-lui cela, des qualités certaines d’authenticité. C’est elle qui produit des objets politiques qui n’auraient pas germé sans elle, tel le fameux DALO, le droit au logement opposable, droit-créance dont on perçoit bien qu’il ne concerne pas que les sans-abri mais aussi tous les travailleurs pauvres. C’est elle qui a finalement renversé le rapport de forces entre la supériorité des Anciens, celle des affaires publiques, et l’infériorité des Modernes et leur exaltation de la liberté de gérer sa vie privée comme on l’entend. Et c’est en cela que son avènement n’est nullement le signe d’une dépolitisation mais bien celui d’une recomposition de la politisation, d’une re-politisation. Mais risquée.
Car, et Raymond Boudon l’a très bien démontré, la démocratie participative, c’est « Anything goes » : c’est un relativisme hétéronomiste, dont Alexis de Tocqueville avait bien prédit qu’il serait le grand mal de la démocratie moderne ; elle est devenue dogmatisme paradoxal, idéologie, bien loin du sain relativisme, celui-là même qui mit fin au géocentrisme et à l’anthropocentrisme, et dont le fruit naturel est le doute et non le dogme !
La camisole de la démocratie au XXIe siècle, c’est le XIXe siècle qui la lui a patiemment tissée, en cessant de mettre l’Homme au centre de lui-même, prenant soudain le contre-pied des Lumières et du courant libéral qui avaient pourtant jeté les bases de notre démocratie, en affirmant l’autonomie de l’individu. Dans la tête de ces tisserands apprentis-sorciers dont l’échec retentissant allait favoriser l’avènement de la démocratie d’opinion, l’Homme apparaissait soumis : avec Marx, à l’utopie communiste ; avec Freud, à l’inconscient. Et jusque dans les années 60, les Barthes, les Foucault et les Bourdieu, dont on enseignera que trop longtemps les thèses, continueront de dépeindre un Homme aveugle à lui-même, un Homme agi par des forces exogènes. Cet héritage historique a peu à peu conduit à ne voir dans l’appareil social qu’un agglomérat de normes arbitraires et à considérer comme impossible l’intercompréhension des cultures.
La démocratie participative, repli sur des idéologies négatives
Et c’est l’échec patent de toutes ces « idéologies positives » au XXe siècle qui explique aujourd’hui ce repli sur des « idéologies négatives », qui triomphe dans le règne de l’opinion de tous et de chacun, alpha et oméga du relativisme participatif. On finit par ne plus concevoir le dialogue qu’entre le gouvernement et la rue, où ne s’expriment plus que des groupes corporatistes, incapables par nature de défendre l’intérêt général, essence de la démocratie, et dont Mancur Olson a montré que plus ils étaient petits et organisés, et plus ils étaient forts.
Dans ce schème, notre démocratie s’est exposée à un risque évident : celui de dériver dans la lutte de pouvoir entre minorités actives, ce qui a fini de consommer le divorce entre citoyens et politiques, par aggravation de la crise de la représentativité, en partie due à la confusion institutionnelle et intellectuelle qui règne parmi les élus eux-mêmes.
Pour sortir de la crise par le haut, il n’y a plus qu’à accroître les pouvoirs de la démocratie représentative, conjointement affaiblie par les médias, qui appellent de leurs vœux une démocratie d’opinion sur laquelle il leur sera plus facile de peser et le scepticisme ambiant.
Il faut reconsidérer le citoyen comme le « spectateur impartial » d’Adam Smith, c’est-à -dire faire confiance à son bon sens, base de la démocratie.
À moyen et à long terme, le citoyen garde la tête froide. Les gens sont beaucoup moins déterminés par ce qu’ils voient, que ce que l’on veut bien croire. Lorsque les Russes ont lancé leur Spoutnik, on sait maintenant que les citoyens russes ont alors pensé que c’était le dernier bobard du gouvernement soviétique. – R. Boudon
Il faut donc retrouver le cap de la démocratie représentative, à la Rousseau, en assurant la prééminence de la « volonté générale » sur la « volonté de tous », qui n’est qu’animée de passions et de préjugés.
Il faut garantir une profonde séparation des pouvoirs, à la Montesquieu, de tous les pouvoirs : pouvoir économique (qui a tendance à empiéter sur le pouvoir politique, d’où la nécessité par exemple de lois sur le financement des partis) ; pouvoir politique, avec la restauration d’un Parlement français qui ait autant de poids que le Congrès américain ; pouvoir médiatique, contre-pouvoir encore trop diffus et polymorphe ; pouvoir administratif ; et pouvoir syndical, véritable « pouvoir social » qui empiète pour Tocqueville sur le pouvoir politique.
Loin de les exclure, la démocratie représentative doit enfin pouvoir renforcer le dialogue et même le regard entre le citoyen et le politique. On pourra dans ce contexte s’interroger sur la pertinence de législatives semi-proportionnelles, inspirées du modèle mixte de l’Allemagne ; de sondages distinguant davantage opinion publique et opinion médiatico-intellectuelle ; et du recours plus fréquent au référendum local, attribut non pas de la démocratie participative mais de la démocratie directe à la suisse.
La démocratie participative n’est que basse démagogie, et la forme de décision la plus pernicieuse.
Nos sages constitutions ont prévu de rétribuer des gens choisis par les citoyens pour étudier les dossiers complexes en profondeur et décider autant que faire se peut en connaissance de cause.
La démocratie participative, c’est juste un concours de slogans, de « sentiments » et de modes …
Le referendum est une idée défendable quand il s’agit d’exprimer un souhait simple : les habitants de Fouy les Oies préfèrent-il que la fontaine du village soit éclairée en bleu ou en vert ? Là , tout le monde comprend la question, et peut y répondre valablement.
Mais demander l’avis de gens pressés et souvent peu formés sur des dossiers complexes … cela donne le referendum imbécile sur le Traité européen :
– un « non » pour emm… Chirac
– un « non » parce que l’UE interdirait l’avortement
– un nom parce que le « Traité n’était pas assez social », alors qu’il n’était qu’une loi-cadre don t le contenu devait être déterminé ultérieurement et au fur et à mesure par les pays membres.
Donner un destin à un pays mérite mieux que ces jeux grotesques.
Je ne vois pas la différence avec la démocratie représentative: un système qui permet a des incompétents de s’assurer un bon train de vie tout en distribuant des pots de vins a leurs groupes favoris et en multipliant la misere.
A mon avis, entre les trois systèmes possibles, la monarchie, la democratie representative et la democratie directe, la democratie representative est le pire. Il n’offre ni l’efficacité d’une monarchie ou oligarchie qui ne s’embarrasse pas de l’avis des gents, ni la representativité d’une democratie directe car les souhaits du peuple sont completement ignorés par les soi-disant representants.
« Sain relativisme, celui-là même qui mit fin au géocentrisme et à l’anthropocentrisme ». Le doute en matière scientifique est l’impératif utile à la découverte de la vérité. Le doute en matière scientifique ne conduit pas au scientisme car il est encadré par des lois scientifiques qui s’imposent à tous. A l’opposé, le relativisme en matière politique ou philosophique, qui ne sont pas des sciences, ne peut être encadré autrement que par une loi absolue, la morale. Le doute sans limite, hors de contrôle, permet aux Ãœbermenschen de corrompre et de massacrer les Untermenschen avec la proclamation fallacieuse du devoir accompli. Sa conséquence est la dictature collectiviste (socialiste), l’Etat déifié qui détruit les contrepouvoirs, avec son cortège de ruine économique, de famines génocidaires et de charniers.
Le rejet de l’anthropocentrisme, qui ne doit pas être confondu avec le géocentrisme, est une autre folie car il conduit à la résurgence du paganisme, avec anthropomorphisme idolâtre des animaux ou des choses (Gaïa) et, conjointement, réification de l’humanité jusqu’à la réduire à un cancer proliférant. La négation de l’anthropocentrisme mène au nihilisme, à l’égocentrisme morbide, à l’anti-humanisme absolu. Immoral, le rejet de l’anthropocentrisme est évidemment illibéral.
« Pouvoir économique (qui a tendance à empiéter sur le pouvoir politique…) ». On avait plutôt l’impression que c’était le pouvoir politique qui avait tendance à empiéter sur le pouvoir économique, en multipliant les spoliations et les réglementations ubuesques, permettant à des politiciens au pouvoir sans limite un contrôle profond de l’économie, à la tête du client (clientélisme).
Enfin, nul n’ignore que la démocratie participative, dans l’esprit de leurs promoteurs, c’est la démocratie des assemblées générales syndicales, la démocratie des soviets où celui qui éructe sa haine le plus fort a raison, où l’on vote à main levée une arme sur la tempe, où l’opposant est exécuté à la sortie de l’assemblée terrorisée. La démocratie participative est l’inverse de la démocratie directe responsable où le droit de contrôle d’un Etat limité est la contrepartie raisonnable de devoirs effectivement assumés (financement de l’Etat).
La démocratie participative, dont on ne connait pas les modalités de fonctionnement, ressemble à une tentative de manipulation de l’électorat par les « zélites ».
Comment croire à la démocratie participative de ceux qui ne la pratiquent même pas en interne ?
Pareil pour la transparence.
Après c’est une riche idée, la responsabilisation des citoyens, plutôt que leur enfantilisation décrite par Tocqueville.
Plus haut on voit toutefois une belle diatribe d’un homme resté bloqué il y a un siècle.
Découvrez un peu la démocratie délibérative, la démocratie délégative, les deux peuvent être conjuguées grâce à l’outil qu’est internet, donnant naissance à une démocratie plus fluide, où chacun a une voix.
Aucun rapport avec les manipulations d’Assemblée décrites plus haut.
Aussi j’adore ce commentaire
« Nos sages constitutions ont prévu de rétribuer des gens choisis par les citoyens pour étudier les dossiers complexes en profondeur et décider autant que faire se peut en connaissance de cause.
La démocratie participative, c’est juste un concours de slogans, de « sentiments » et de modes … »
Alors que la démocratie représentative est le summum du concours de slogans, avec des représentants qui ne représentent qu’eux-mêmes, ne sont plus en phase avec la société, ses évolutions technologiques et culturelles.
On voit ressurgir Rousseau qui est un maître à penser du socialisme.(?)
1 homme = 1 voix
La démocratie ne peut pas tenir dans le temps car prisonière du rapport de force majorité vs. minorité.
La seule alternative possible est : le Droit individuel, rien que le Droit. Rien d’autre.
Magnifique étalage d’ignorance et d’autosatifaction quand l’auteur parle de démocratie pour qualifier le gouvernement représentatif pensé contre la démocratie.
 » la démocratie représentative doit enfin pouvoir renforcer le dialogue et même le regard entre le citoyen et le politique »
C’est précisément l’inverse de son objectif: lutte contre la transparence, barrières au pluralisme, self-protection lors des lois électorales, avec une cartellisation qui fige un système qui ne porte que les plus corrompus.
Bonjour,
Quelque soit les bonnes intentions initiales, il n’y a pas en France de véritable initiative de démocratie participative à l’exception de celle qui vient de voir le jour ! Transparence, éthique, contrôle, décisions citoyennes, venez découvrir un vrai contrat moral avec de vraies listes citoyennes !
http://www.la-democratie-participative.org
Et reprenez le pouvoir !
Bien cordialement.