Les BRICS coulent-ils ?

Depuis dix ans, on nous promet un miracle économique dans les pays émergents. Mais sans réformes structurelles et stratégies à long terme, le miracle n’aura pas lieu.

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Les BRICS coulent-ils ?

Publié le 30 juin 2013
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Depuis dix ans, on nous promet un miracle économique dans les pays émergents. Mais sans réformes structurelles et stratégies à long terme, le miracle n’aura pas lieu.

Par Guy Sorman.

En sciences économiques, miracles, slogans et proclamations sont sans effets réels. On en voudra pour preuve le déclin soudain des économies dites émergentes : depuis une dizaine d’années, quelques prophètes médiatiques plus habiles en communication politique qu’informés réellement, nous annonçaient que ces pays émergents, en particulier les BRICS, Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud, à quoi on ajoutait souvent la Turquie, devaient se substituer aux pays développés, devenir le moteur de l’économie mondiale. Ils devaient  même nous enseigner une nouvelle théorie économique dans laquelle l’État se révélerait plus efficace que le marché. Hélas ! En l’espace de quelques mois, les mêmes qui célébraient les BRICS ont dû déchanter tandis que le taux de croissance des émergents converge vers zéro : les émergents deviennent des « immergents ».

Certes, la Chine croît toujours à 7% mais on peut douter de l’authenticité de ce chiffre gonflé par l’inflation et qui, spectaculaire en apparence, ne permet plus d’absorber l’excédent de l’exode rural. En réalité, le passage de l’émergence à « l’immergence », au lieu de contredire les lois classiques de l’économie de marché, ne fait que les confirmer avec précision et, on le déplore, avec cruauté au détriment des peuples victimes de politiques économiques déviantes.

La première de ces lois classiques, illustrées par le déclin des BRICS, tient à ce que l’on appelle la malédiction des ressources naturelles. La surabondance d’une matière première, pétrole, gaz dans le cas de la Russie, soja pour le Brésil (et l’Argentine), pour peu que les cours mondiaux s’envolent, apporte une prospérité spectaculaire et provisoire, laissant croire au miracle. Celui-ci est nécessairement de courte durée puisque les cours finissent par s’ajuster à l’offre.

Il en résulte trois conséquences néfastes pour les pays producteurs : la surabondance provisoire des recettes décourage la diversification industrielle, elle conduit l’État à des dépenses insoutenables quand l’aubaine est terminée et elle suscite de grandes inégalités sociales – et corruption – selon que l’on soit branché ou pas sur le circuit de l’exportation. C’est ainsi que la Russie a détruit son industrie, que le Brésil et l’Inde ont investi dans des aides sociales généreuses et que les uns et les autres se retrouvent aujourd’hui confrontés à la stagnation et au chômage. Pour dissimuler aux peuples que les années de vaches grasses sont terminées, la création monétaire et le protectionnisme sont alors les deux mauvaises politiques de court terme : ce à quoi on assiste dans tous ces pays.

Un autre enseignement tout aussi classique du déclin des BRICS nous est apporté, comme dans un manuel d’économie pour débutants, par l’Inde et la Chine. Quand une économie décolle, s’arrachant à la pauvreté de masse et au socialisme, l’autorisation de créer une entreprise (Inde) et le droit de passer de la campagne à la ville (Chine), suscitent mécaniquement une forte augmentation du taux de croissance : un ouvrier et un entrepreneur, à ce stade initial, s’avèrent toujours plus productifs qu’un paysan pauvre. Cette mécanique explique par elle-même les forts taux de croissance des économies asiatiques, avec un effet d’accélération dû à un marché mondial demandeur d’objets courants à bas prix sur ces vingt dernières années. Mais le cycle se bloque quand l’exode rural s’épuise : les salaires augmentent et la productivité chinoise, par exemple, qui progressait de 4% par an en 2006-2012, est tombée à 2% et à 0% en Inde.

Les émergents resteront donc durablement bloqués à leur niveau actuel de PIB par habitant sauf à engager des réformes de structure, également classiques : fonder la productivité future non plus sur la recette que procuraient des cours gonflés de matières premières ou des salaires anormalement bas, mais sur des innovations réelles.

On hésite à rappeler les conditions nécessaires à l’innovation tant elles sont banales et relèvent elles aussi de l’alphabet économique : une monnaie stable et prévisible comme condition de l’investissement à long terme et du crédit qui l’autorise, des lois stables, le droit d’entreprendre, une justice équitable, la liberté des échanges intérieurs et extérieurs, un droit de travail flexible, pas trop de corruption, des prélèvements publics non confiscatoires, une éducation généralisée et de qualité…

Cette évolution vers un état de droit et les fondamentaux de l’économie classique est-elle plus facile à parachever dans des régimes despotiques ou en démocratie ? A l’expérience, la démocratie favorise ces évolutions parce qu’il est permis de les expliquer et d’en débattre. Le Chili démocratique, par exemple, y parvient mieux que l’Argentine autocratique ; la Turquie s’éloigne des réformes à mesure que le gouvernement s’écarte de la démocratie ; le Brésil s’en retourne au caudillisme tout en s’éloignant de l’économie de marché ; la Russie rechute dans le despotisme et dans la récession. En Europe ? L’Espagne, l’Islande, le Portugal, l’Irlande mènent des réformes profondes qui vont restaurer l’économie parce que démocratiques et comprises.

Pour passer de « l’immergence » à l’émergence, l’alliance entre démocratie et marché reste encore ce que l’on sait faire de mieux, toutes civilisations confondues.

Sur le web.

Lire aussi :

Au Brésil, une crise créée par l’État

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  • Je comprends pourquoi vous étiez un des auteurs favoris de Jean Gol !

    On remarque aussi que lorsqu’un pays vit essentiellement d’un produit phare – le pétrole par exemple – c’est exactement comme un gamin qui hérite trop tôt : il s’achète une Ferrari, fait la noce, et claque tout … Puis, il vient taper sa tante 🙂

    C’est en tout cas ce qui se passe dans les démocraties gâtées par la nature : chaque groupe se bouscule pour piller la richesse commune, au lieu de songer à investir et à diversifier en vue des futures vaches maigres. Cela se passe bien mieux dans des pays sous « despotisme éclairé », comme les Emirats qui, d’ores et déjà, ne comptent plus leur pétrole que comme une mince constituante de leur PIB.

    • D’après vous un pays comme le Qatar qui claque son fric ne provenant que d’une seule ressource , est-ce qu’il va droit dans le mur ?

      • S’il faisait ce que vous dîtes, à moyen terme, c’est ce qui l’attendrait, oui.
        Mais en fait, ce qu’il fait, c’est de l’investissement dans la diversification.
        Si demain le pétrole cesse d’être cher (à cause des gaz de shiste, des shistes bitumineux, de nouvelles décourvertes, d’énergies alertnatives, ou de baisses de la demande), le Qatar, comme beaucoup, sera dans la panade. Mais si ça se produit dans quelques années ou décennies, comme c’est plus probable, lui se sera préparé.

  • Totalement d’accord avec l’ensemble du texte hormis les derniers mots. Sans vanter la dictature qui a ses nombreux maux, c’est justement la démocratie qui a mis ces pays dans le pétrin. Ce sont justement les politiciens de ces pays qui pour être élus ont promis de favoriser les rentes dans les matières premières et de les redistribuer avec des aides sociales généreuses. Tout ceci a recréé en retour de la corruption et les dérives autocratiques que l’on connait en Russie, en Turquie ou ailleurs.
    Bref, les BRICS ont démontré à toute vitesse comment une démocratie dégénérait en autocratie. Et l’Europe suit le même chemin.

  • De cet article, finalement ce qui ressort c’est votre diatribe condescendante contre les journalistes et les économistes médiatiques. Dommage car sur le fond le sujet est intéressant.

    Sur le fond justement, je ne suis pas tout à fait confronté à la même réalité. Je travaille dans l’industrie, et la concurrence des BRICS (surtout de Chine) est bien réelle et toujours plus forte.
    Je prends en exemple deux secteurs industriels que je connais bien.
    Chimie. Le secteur de la chimie ces dix dernières années a littéralement explosé en Chine. Le destin de la Chimie se joue probablement en Chine. Prenez des faits récents qui l’illustrent : ouverture des usines Solvay et de Bostik en Chine. Les prix des produits chimiques fabriqués en Chine sont imbattables avec une qualité toujours supérieure. Beaucoup d’entreprises chimiques européennes de petite taille se concentrent désormais sur des marchés de niche pour gagner correctement leur vie. Mais pendant combien de temps encore ces marchés vont être à l’abri de la concurrence chinoise ?…
    Automobile. Des dizaines de milliards d’euros ont été investis en Chine par les constructeurs automobiles. Il y a dix ans la Chine produisait environ 2 millions de véhicules, aujourd’hui c’est plus de 10 millions ! Dans le même temps, la production en France a été divisée par deux. L’industrie automobile allemande a investi récemment des milliards d’Euros au Mexique. Ne pensez pas que ces investissements se font uniquement au profit des entreprises européennes. Ces milliards investis favorisent le développement d’entreprises locales, dont les constructeurs ont besoin. Ces entreprises viennent ensuite concurrencer les Européens sur leurs propres marchés.

    • Mais je pense que l’article ne conteste pas le fait que les BRICS ont un role toujours plus important pour l’occident, mais veut juste montrer que leur niveau de vie n’atteindra pas celui de l’occident. D’ailleurs c’est notre niveau de vie qui baissera et rejoindra celui de la Chine entre les deux.

  • je me demande comment Guy Sormand aurait pu enseigner l’économie vue qu’il n’a jamais été économiste. Il s’est contenté d’introduire le Reaganisme en France en adoptant le deux ou trois idées idées de base de la doctrine.

  • Hahaha. C’est plutôt qui n’êtes pas informé, Aujourd’hui ils sont les BRIIICS et ce n’est point la France inculte qui va juger les autres pays. Vous avez peine à parler anglais, dont vous ne seriez point capable de comprendre le russe,le mandarin ou ortugais

  • Lol le titre
    les brics coulent ils? normalement elles coulent oui…:) si elles sont creuses a l’intérieur elles ont une chance…

  • Sur la fin je pense que vous faites fausse route: que cela plaise ou non, les plus belles reussites de transition rapides de pays pauvres en pays riches, modernes et democratiques se sont faites grace a des dictateurs « eclaires » qui ont imposes les reformes structurelles dont vous parlez. Regardez l’histoire de la Coree du Sud et de Taiwan, deux pays a l’origine tres pauvres, maintenant a la pointe grace a deux dictateurs, Pak Chung Yi et Chiang Kai Shek …

    Malheureusement Poutine n’est pas assez bon et l’Inde trop « diverse » et democratique pour cela …

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