Libéral parce que conservateur

Le conservatisme libéral est une option qui a fait ses preuves à l’époque des plus belles heures du libéralisme et qui reste envisageable en politique.

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Libéral parce que conservateur

Publié le 30 juillet 2013
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Le conservatisme libéral est une option politique viable qui a fait ses preuves à l’époque des plus belles heures du libéralisme et qui reste tout à fait envisageable dans un futur panorama politique français.

En contrepoint de l’article de Mathieu Bédard : L’imposture du « libéral-conservatisme »

Dans un article republié par Contrepoints, Mathieu Bédard s’inquiétait d’une sorte d’OPA de la droite française, classique ou « extrême », sur le libéralisme et prévenait que les libéraux français pouvaient perdre leur âme s’ils oubliaient tout ce qui les séparent radicalement des conservateurs. Si l’on tient compte de son caveat préalable – à savoir qu’il parlait du conservatisme tel qu’il est majoritairement compris aujourd’hui en France aussi bien par ses partisans que ses détracteurs –, on sera du même avis que lui pour dire que nous, libéraux, n’avons rien à voir avec ces gens. Ou si peu.

Ceci dit, même si d’un point de vue pratique, d’action politique immédiate dans la France de ce début du 21e siècle, le propos de Bédard vise juste – se méfier comme de la peste du baiser de Judas de la droite –, il n’en est pas moins vrai que l’association du libéralisme et du conservatisme reste non seulement une chose possible, légitime et cohérente, mais correspond également à une longue et riche tradition politique et intellectuelle, depuis le comte de Montalembert en France jusqu’aux paléo-libertariens américains dans le sillage de Lew Rockwell, en passant par Edmund Burke et Lord Acton en Grande-Bretagne, le catholicisme libéral en Belgique et bien d’autres exemples encore.

Car le conservatisme, c’est bien autre chose que ce qu’en montre la droite française actuelle. Droite qui, loin d’être conservatrice, est bien plutôt réactionnaire. En ce sens qu’elle est aussi constructiviste que la gauche. Alors que la gauche prône l’action coercitive de l’État pour faire évoluer la société vers un modèle utopique dans le futur, la droite, elle, prône l’action coercitive de l’État pour forcer la société à se conformer à un modèle idéalisé d’une ancienne communauté fantasmée. Et là, on ne peut être que pleinement d’accord avec Mathieu Bédard : même si cette droite peut, par hasard ou calcul politique, adopter quelques mesures libérales, même s’il est possible de s’allier ponctuellement avec elle, les libéraux ne doivent jamais oublier qu’il existe un abîme infranchissable entre eux et le constructivisme, qu’il soit de gauche ou de droite. Mais le fait est que le conservatisme, tel que l’ont compris ses principaux théoriciens, non seulement n’est pas un constructivisme, mais est certainement son plus sûr ennemi et, partant, parfaitement compatible avec le libéralisme.

Leviathan

Qu’est-ce donc qu’être conservateur ? Si l’on résume l’excellente description qu’en a fait Russell Kirk, être conservateur, c’est croire en l’existence d’un ordre moral durable, respecter les coutumes et les conventions, privilégier la continuité, croire à ce que l’on pourrait appeler le principe normatif, se guider par la prudence, respecter la diversité, éviter les excès en se souvenant toujours de l’imperfectibilité humaine, être convaincu que la liberté et la propriété sont inséparables, appuyer les communautés librement consenties et s’opposer au collectivisme imposé, comprendre qu’il faut freiner le pouvoir et les passions humaines, comprendre qu’une société vigoureuse reconnaît et concilie le permanent et le mutable. Le conservatisme n’est donc pas une volonté de revenir en arrière, vers une société passée réelle ou imaginaire. Ce n’est pas plus une volonté de figer de manière immuable la société dans le temps. Le conservatisme, c’est essentiellement la reconnaissance que la société évolue d’elle-même à un certain rythme et que, vu l’incapacité à prévoir toutes les conséquences à long terme de l’action de l’homme, la prudence et la retenue, ainsi que la confiance dans ce qui existe et fonctionne relativement bien depuis longtemps sont les meilleures politiques que l’on peut suivre dans la conduite d’une communauté.

Et là, nous voyons très clairement comment il est possible d’être libéral et conservateur à la fois. En caractérisant l’individualisme comme une attitude d’humilité à l’égard du processus social, Hayek – qui se défendait pourtant d’être conservateur –, indiquait les passerelles qui unissent libéralisme et conservatisme. Car le libéralisme, bien compris, est modeste. Son objet est modeste – les rapports politiques et rien qu’eux –, ses moyens sont modestes – intervenir le moins possible dans la vie des gens parce qu’on ne se croit pas nécessairement plus malin qu’eux – et ses promesses sont modestes – faire le mieux possible, et non pas promettre la perfection. Encore une fois, les intersections sont évidentes entre libéralisme et conservatisme.

Non seulement conservatisme et libéralisme sont bien compatibles, mais le libéralisme est sans doute la meilleure voie du conservatisme. Le refus du constructivisme, la volonté ferme d’empêcher l’État d’intervenir tous azimuts pour imposer un agenda « progressiste », notamment dans les questions sociétales sont les meilleurs garants d’une société stable et évoluant à un rythme naturel, en permettant aux gens, au fil des générations, de s’adapter aux transformations inéluctables qui touchent toute société humaine. L’histoire montre de manière assez claire que les sociétés sans État ou ayant un État minimal sont plus conservatrices que les autres. Et ce n’est pas par hasard si l’agenda « progressiste » a été le plus largement appliqué dans les sociétés à l’État ventripotent ou totalitaire, là où le constructivisme a pu se déployer à son aise.

Pour illustrer concrètement cette possible convergence entre libéralisme et conservatisme, on peut prendre quelques classiques sujets de friction. Ainsi, au niveau d’un programme politique, un conservateur devrait lutter contre l’acceptation légalement forcée du mariage entre homosexuels, non pas parce qu’il refuse l’union de deux personnes du même sexe, mais parce que l’État impose un schéma de société. Comme le libéral, le conservateur luttera, de manière plus générale, pour retirer à l’État son monopole exclusif de la reconnaissance des relations matrimoniales. Une fois ce monopole supprimé, un conservateur ne devrait avoir aucun problème pour interdire à l’État d’empêcher que puisse se développer des formes d’union entre personnes du même sexe qui pourraient surgir naturellement et librement au sein de la société. De même qu’un conservateur n’aurait aucun problème pour accepter l’immigration, conséquence naturelle des mouvements de population qui ont toujours existé depuis que le monde est monde. Par contre, il luttera, comme le libéral, contre toute action gouvernementale qui, par des politiques d’ingénierie sociale, dévoie l’immigration – phénomène normal et souhaitable en lui-même. Un conservateur n’aurait pas peur, pas plus que le libéral, des autres religions. Et si une religion donnée devait jamais céder le pas devant une autre en termes de représentativité relative au sein de la population, par la simple force des choses, sans intervention de l’État, que cela soit. Tant que l’État n’interdit ou n’impose la pratique d’aucune religion. Dans toutes ces matières, comme dans bien d’autres, la devise du libéral comme du conservateur reste Que sera, sera.

Certes, la droite française dite « conservatrice » se situe actuellement à mille lieues de cette configuration. Cette droite, de la plus molle et presque honteuse à celle de l’« extrême », loin de refuser le constructivisme, loin de viser une réduction de l’État et de son emprise chaque fois plus grandissante sur les individus, recherche bien le pouvoir afin d’imposer ses propres lubies, de la protection partisane d’intérêts particuliers au détriment d’autres à la xénophobie la plus rance en passant par toutes les formes d’intolérance sectaire. Et l’imposture dénoncée par Mathieu Bédard dans son article est bien là : le conservatisme libéral n’existe pas en France, simplement parce que la droite française n’est ni libérale, ni même conservatrice. C’est pourquoi les libéraux français ne doivent jamais oublier que l’on ne peut dîner avec elle que muni d’une longue cuillère. Mais ce constat établi ne doit pas nous faire oublier que le conservatisme libéral est une option politique viable qui a fait ses preuves à l’époque des plus belles heures du libéralisme et qui reste tout à fait envisageable dans un futur panorama politique français.

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