De la « lutte des classes » à la « lutte des castes »

La société occidentale du XXIe siècle n’est plus une société de liberté, mais une société de privilèges fondée sur une « lutte des caste ».

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De la « lutte des classes » à la « lutte des castes »

Publié le 1 août 2013
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La société occidentale du XXIe siècle n’est plus une société de liberté, mais une société de privilèges fondée sur une « lutte des castes ».

Par Emmanuel Brunet Bommert.

Bien que décrié par les cercles libéraux classiques et conservateurs, le concept de « Lutte des Classes » n’en est pas pour autant vide de sens. Dans son assertion socialiste, la lutte des classes est d’abord une lutte liée à la propriété privée des terres et des moyens de production en général ; perçus comme des privilèges indus divisant la société, qui devraient donc être abolis pour que puisse émerger une véritable liberté, un « monde sans classes. » Néanmoins, si cette doctrine s’avère fausse, elle ne l’est pourtant pas dans son fondement.

Ce qu’est la véritable lutte des classes

Dans un monde bercé de privilèges, le concept de classes sociales prend toute sa mesure. Chaque droit pour lequel nous « luttons » afin de l’obtenir, comme celui au logement, à la sécurité sociale ou au travail, est un privilège [1] parmi d’autres. Mais ces derniers n’ont pas les mêmes valeurs et nous ne sommes pas garantis non plus de pouvoir tous les obtenir.

En réalité, seuls ceux qui sont considérés comme membres d’une minorité particulière disposent de certains de ces privilèges, là où les membres d’une minorité différente en bénéficient de distincts des premiers. Si bien qu’il n’en reste plus aucune qui n’ait point de droits particuliers.

Parmi ces catégories spécifiques de personnes, il y en a qui ont de grands privilèges, comme par exemple la garantie d’un emploi à vie (donc d’un revenu permanent) ; d’autres de minuscules, comme l’octroi d’une simple carte d’identité gratuite. Mais tous en disposent, tant et si bien que la société entière peut être divisée en catégories de populations, ou de classes sociales, selon les types de « droits » dont chacune dispose.

Tout en bas, la classe que l’on peut nommer « prolétarienne » est celle qui dispose du moins de privilèges mais devra pourtant bien financer elle aussi, d’une certaine manière, ceux d’autrui. Au milieu se trouve la catégorie des « fonctionnaires » qui dispose maintenant d’immenses avantages par rapport au reste de la population. Elle est tout de même contrainte par quelque chose, en échange : fournir au pouvoir sa force de contrainte.  Tout en haut se trouve la classe « dirigeante » qui dispose de privilèges infinis et ne doit rien en échange, sauf partager ces mêmes privilèges de temps à autres avec les classes qui se trouvent en dessous.

Néanmoins, ce schéma reste terriblement réducteur, il n’existe pas deux ou trois classes sociales, mais bel et bien des centaines. Il y en a une pour chaque catégorie privilégiée de la population. Elles sont organisables dans une échelle, de la plus à la moins puissante ; puis de la plus à la moins sûre pour ceux qui en font partie.

Cependant si les privilèges sont échangeables, ils sont aussi limités. Contrairement aux ressources et aux biens qui peuvent s’étendre vers l’infini par le génie de l’esprit humain ; ces avantages dépendent du pouvoir et de la quantité inévitablement limitée d’énergie présente dans l’immédiat, si bien qu’il est impossible de les posséder tous en même temps et qu’il est surtout impossible que tous disposent des mêmes.

Il en vient alors une inévitable situation, ceux qui ont le moins de privilèges sont automatiquement lésés par la seule présence de ceux qui en ont le plus. Puisqu’ils devront tout de même céder une part de ce qu’ils ont pour les entretenir. De même, ceux qui ont le plus de privilèges savent qu’ils ne sont pas infinis, qu’ils peuvent donc les perdre et se les voir aspirés par un tiers moins bien loti. De là nait un conflit entre ceux qui ont et ceux qui veulent avoir, obligeant ceux qui ont à faire tout leur possible pour maintenir dans l’état de dénuement ceux qui n’ont pas de privilèges, garantissant ainsi la préservation des leurs.

De même, ceux qui sont en bas, poussés par la jalousie et l’appétit pour une situation plus confortable et bien plus enviable sont prêts à tout pour faire tomber ceux qui sont en haut.

Voici la véritable forme de la célèbre « Lutte des Classes », une lutte mortelle entre des castes de privilégiés. Certaines ont beaucoup de privilèges et d’autres n’en ont que peu mais espèrent bien obtenir ceux des premiers, y compris si une forme de meurtre déguisé en est le prix. Notre monde occidental n’est donc en rien différent du monde séparé en castes de l’Inde ancienne, nos classes sociales sont des castes où il est trop souvent possible de naître sans jamais pouvoir s’en échapper de toute sa vie.

Mais dans cette lutte, le communisme, ce socialisme scientifique qu’on disait révolutionnaire, ne promettait pas véritablement un « monde sans classes », c’est-à-dire un monde débarrassé du fléau des privilèges garantis par la force. Mais un monde où chaque privilège est équitablement distribué entre chaque citoyen (c’est aussi ça, la redistribution des richesses : une redistribution des privilèges). Tant et si bien que ce « monde sans classes » communiste n’est rien de plus qu’une tyrannie de tous envers tous, qui ne change rien dans le fonctionnement du monde d’avant.

De l’origine de la confusion entre « fortune » et « privilège de classe »

Lorsque la société de liberté se transforme en société de privilèges, l’argent change ; de même que toutes les entreprises humaines. La naissance des corporations est la première véritable marque de ce changement. Ces corporations s’étendent promptement dans la vente, l’achat et la location de privilèges ; certaines en font même leur spécialité. Si bien que, rapidement, il apparait terriblement lucratif pour un tiers fortement privilégié de vendre les moins intéressants contre une forte somme d’argent, lui permettant ensuite d’en acquérir d’autres, plus intéressants. Dans l’autre sens, il apparait vital à une multitude de gens d’acheter (s’ils le peuvent) ou de louer ces privilèges contre une rétribution.

C’est là que nait, pour la première fois, la confusion la plus grave de toute l’histoire moderne. L’argent, ainsi utilisé devient la monnaie qui indexe la valeur des privilèges. Ainsi, celui qui dispose d’une fortune considérable dispose littéralement d’une quantité tout aussi considérable de privilèges, dont celui de la propriété, devenu simple distinction parmi d’autres.

Pourtant, nous continuons tous de produire naturellement des biens et des services, comme nous le ferions dans une société de liberté. Mais désormais, la loi nous interdit de fournir certains de nos services à tous mais seulement à ceux qui ont acquis le privilège de les recevoir.

Tout comme tous les biens ne sont pas accessibles à tous mais seulement à ceux qui ont reçu l’accréditation pour cela : les biens et les services que nous fournissons ne nous appartiennent plus totalement, ils sont conditionnés par une série de directives qui divisent les gens entre ceux qui ont droit et ceux qui n’ont pas droit.

Avec l’apparition des corporations, ce petit monde cloisonné se disloque petit à petit, permettant aux plus vindicatifs, ceux qui réussissent à obtenir les ressources, d’obtenir des privilèges qu’ils n’auraient jamais pu acquérir autrement. L’argent, sans rendre les avantages plus disponibles qu’ils ne l’étaient, représente pourtant un argument de poids dans leur échange.

C’est pour cette seule raison que la richesse implique inévitablement des privilèges à notre époque : la loi s’est faite garante de centaines de milliers de ces derniers. La loi n’est pas moins corruptible que ne le sont ceux qui l’ont rédigé, ainsi, de garante de la paix, elle devient une arme corporatiste permettant la libre circulation non plus des biens, mais des privilèges.

Notez bien que ce n’est pas pour rien que tous les permis, tous les passeports, tous les visas, tous les diplômes et toutes les certifications qui existent sont maintenant devenus payants et ce, partout dans le monde. Chacun de ces documents pourtant indispensables pour vivre dans la société, a son propre tarif, qui ne correspond pas au service de le rédiger, mais au droit d’en disposer comme d’un privilège.

Ceux qui ont les ressources traversent les castes. Passent de la plus pauvre à la plus riche, se transfèrent de la moins bien lotie à la mieux gratifiée ; et c’est cette raison qui, il n’y a pas si longtemps, fit l’exécrable réputation de la « bourgeoisie. » D’association de gentilshommes qu’elle était à l’origine, elle fut simplement remplacée, littéralement avalée par l’aristocratie des privilèges échangeables de la société de privilèges.

Travailler est maintenant un privilège

Lorsque les grandes corporations du Moyen-âge ont vu le jour, elles formaient des communautés d’artisans qui avaient toutes en commun une chose : interdire leurs professions respectives à qui n’était pas dûment sélectionné par un comité de sages omnipotents. Il n’y a pas de grandes différences aujourd’hui.

Si bien qu’un jeune adulte, en Europe – et presque partout où la société de privilèges est présente – ne cherche plus vraiment à travailler, que ce soit de façon indépendante ou pour un employeur, après avoir acquis sa majorité. Mais il souhaite tout simplement entrer dans un corps, soit une administration soit – au mieux – dans une entreprise.

La nuance n’est pas ridicule, elle fait toute la différence. Dans une société de liberté, l’objectif était de rendre un service ou de produire un bien, que ce fut dans le cadre d’une entreprise organisée ou celui d’un honnête labeur indépendant. Rien n’empêchait quelqu’un de décider de faire quelque chose par lui-même, sans entrer dans le cadre contraignant d’une compagnie ou d’une association déjà existante. Parfois il arrivait que ces indépendants aient tant de succès qu’ils décident de recruter d’autres personnes : ainsi naissaient les entreprises et les artisans.

Mais lorsque le simple fait de travailler devient un privilège, tout cela change. Travailler implique d’obtenir un sponsor, de s’engager comme on s’engage dans une armée. Le jeune qui recherche son premier emploi n’est plus dans la démarche de « qu’est-ce que je vais faire pour gagner ma vie ? » mais de « quelle entreprise va vouloir m’embaucher ? ». Seules les entreprises et les corporations conservent, à terme, le droit à effectuer des travaux spécifiques en éradiquant du même coup toutes les démarches indépendantes des possibilités réelles d’activités.

Survivre dans ces conditions implique de se plier au système, de s’y insérer – qu’on accepte ou pas l’unification des chemins obligatoires du travail – puisqu’il n’est plus légalement possible de faire autrement. Travailler est maintenant devenu un véritable privilège et les corporations proposent d’y accéder en échange de votre force, de votre esprit et de votre obéissance pleine et entière.

Tel est le travail issu d’une société de privilèges : on n’échange plus une activité contre un salaire mérité, mais on mendie un privilège en échange de ses capacités.

L’art indépendant est balayé au profit de l’art sponsorisé et de l’art subventionné (donc privilégié). L’artiste indépendant ne peut plus exercer son art en dehors du cadre normatif soit d’une corporation, soit d’un gouvernement, là où avant il fournissait son art à un public assez éclairé pour le comprendre. Il fournit maintenant un produit à une masse en quête de privilèges et de sensations dûment conditionnés aux règles de la société.

L’Artiste à disparu, il est suivi de l’artisan puis, en fin de cycle, le sera par l’ouvrier.

La société de consommation des privilèges

Dans une société de privilèges, le pouvoir tolère la probabilité de votre propriété tant que s’en approprier la gestion lui requiert trop d’énergie face aux ressources qu’il en obtiendrait. De cela naît une nouvelle et dérangeante réalité : si nous ne sommes plus vraiment les propriétaires de nos biens, il en ressort alors que nous n’en sommes que les locataires.

Même en achetant une maison entièrement payée par notre propre labeur ; les impôts que nous devons sur l’existence de ce bien honnêtement acquis ne sont pas la juste rétribution d’un service rendu par l’État. Non. Ils sont le prix du privilège de la propriété aux yeux du pouvoir. S’il existe d’ailleurs un impôt sur chaque chose, c’est justement pour le seul droit à pouvoir en disposer. Il apparait que rien ne nous appartient vraiment jamais : tout est propriété exclusive du pouvoir qu’il cède selon les dispositions qui lui apportent le plus.

Ainsi, devenant peu à peu propriétaires de rien, nous en finissons les locataires temporaires, continuellement et en permanence obligés de consommer des produits qui ne sont certainement pas les biens ou les services dont nous pourrions honnêtement jouir après la sueur versée, mais bien louer le seul droit d’en disposer comme d’un privilège temporaire. Un privilège qui, pour rester rentable aux yeux d’un gouvernement ou d’une corporation, doit continuer à circuler.

L’art est l’exemple d’un privilège consommable, il est conçu pour cela. Ceux qui n’ont pas les ressources ou n’entrent pas dans les cases que les gouvernements décrètent comme les seules bonnes et valables pour accéder à cet Art, n’y auront simplement pas accès ; mais il s’agit d’un parmi des milliers d’autres.

Privés de propriété, nous sommes dans une situation de permanente dépendance, rien de ce que nous avons ne nous permet véritablement de produire le nécessaire de notre subsistance, puisque cela nous est interdit par le statut privilégié de ces mêmes choses.

Réduits à la dépendance, puis à l’irresponsabilité, nous en devenons des consommateurs absolus, contraints d’acheter en permanence nos propres biens et nos propres services puisque n’ayant plus le droit d’en disposer véritablement comme nous pourrions légitimement l’espérer.

La « société de consommation » telle que nous l’entendons, n’est pas une société libre ; une société de propriété et d’indépendance, basée sur la collaboration, mais une société de privilèges, contrôlée par les gouvernements corrompus par le pouvoir et entourés de corporations dont la puissance ne cesse de croître à mesure qu’elles permettent à ce même pouvoir d’enfoncer plus profondément ses racines dans la société humaine.

Tel est l’Occident du début du 21ème siècle.


Note :
  1. Vous pouvez aussi vous tourner, pour la démonstration, à l’article Du « Droit à » au « Privilège de ».
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  • Commençons par supprimer ce privilège exorbitant : la captation du pouvoir politique par la Fonction Publique, dont sont issus, à une majorité écrasante, députés et sénateurs. Un fonctionnaire qui tente sa chance en politique ne prend aucun risque, puisqu’il garde son contrat de travail: il est sûr, à l’expiration de son mandat, de retrouver sa place. A l’inverse, un cadre du privé , qui voudrait faire profiter la collectivité de son expérience, devrait prendre le risque d’un saut dans le vide. Ainsi avons-nous une caste politique qui, non seulement n’a jamais mis les pieds dans une entreprise mais explique avec arrogance aux forces vives du pays comment ils doivent s’y prendre ! Ainsi s’expliquent des bourdes aussi énormes que les 35 heures, la tricherie avec les préconisations du rapport Gallois, le refus d’entendre la Cour des Comptes, le mépris à l’encontre des injonctions de Bruxelles. Commençons par supprimer ce privilège, en modifiant la Constitution pour qu’un fonctionnaire doive choisir entre un mandat électif et son contrat de travail : ainsi n’aurons-nous dans les Assemblées que les meilleurs d’entre eux, ceux prêts à prendre un vrai risque ! Par ailleurs, inspirons-nous des bonnes pratiques des Etats-Unis, où les élites entrepreneuriales font volontiers des allers-retours entre le privé et le public. Bref, dotons-nous enfin d’une classe politique à la hauteur des défis que la mondialisation impose au pays.

    • Quelle assemblée de fonctionnaires serait assez stupide pour se délester de cet énorme privilège? C’est bien là toute la difficulté de la tâche.
      Vous pouvez, de plus, ajouter à la liste de fonctionnaires « représentants » des électeurs, tous ceux qui trouvent sinécure dans les collectivités locales. Sauf erreur, environ 75% des élus sont des fonctionnaires: on comprend pourquoi le système étatique fonctionne si bien!

  • « En même temps qu’ils organisaient en commun l’institution parisienne, les gouvernements d’Europe s’étaient livrés à une intense propagande pour l’Art dans la masse de leurs peuples. Les peintres diplômés qui s’établissaient dans un quartier bourgeois, ouvrier ou commerçant voyaient acourir la clientèle. Il ne se trouvait pas un ménage qui ne désirât posséder dans sa salle à manger quelque nature morte, une marine au dessus de son lit et le portrait du dernier-né entre les deux fenètres du salon. Pour éviter toute spéculation, la corporation des peintres fixait le prix de vente des tableaux d’après leurs dimensions.
    Les nouveaux chef-d’oeuvre ne se trouvaient plus enfermés stupidement dans les musées, loin des regards de la foule. L’Art était devenu populaire. Un tableau garanti par le gouvernement ne coûtait pas plus cher qu’une paire de draps.
    Les peintres non diplômés gardaient le droit de peindre, mais non celui de vendre. Quelques-uns s’y risquaient. La corporation les poursuivait pour exercice illégal de la peinture. »

    Barjavel

  • La « lutte des classes » est une absurdité, une contradiction dans les termes.

    Pour qu’il existe des « classes sociales », il faut qu’il y ait créaton de richesses. Or, celle-ci n’est possible que par accumulation de capital et spécialisation du travail afin de permettre un échange. S’il y a lutte, il n’y a pas échange, il ne peut y avoir de spécialisation du travail, donc pas de classes sociales.

    Si les rapports humains sont des luttes, il ne peut y avoir que la misère et la guerre, donc il ne peut y avoir de création de richesse, donc il ne peut y avoir de classes sociales…

    La lutte des classes est un concept rationnellement impossible….

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