La vérité sur les impôts

Jean-Baptiste Say recommandait au politique de dépenser le moins possible et estimait que la meilleure imposition est toujours la plus légère.

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La vérité sur les impôts

Publié le 3 août 2013
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Jour 8 de l’anthologie des 30 textes de Robert Wenzel qui vous amènera à devenir un libertarien bien informé : cet article est une réponse à l’appel lancé par Alan Greenspan pour un impôt sur la consommation, originellement paru dans la Review of Austrian Economics, 1994, volume 7, N°2, pp. 75-90, sous le titre The Consumption Tax: A Critique.

L’Institut Coppet vous propose pour cet été, en partenariat avec Contrepoints, l’anthologie des trente textes libertariens de Robert Wenzel traduite en français. Robert Wenzel est un économiste américain éditeur du site Economic Policy Journal et connu pour son adhésion aux thèses autrichiennes en économie. Cette anthologie regroupe une trentaine de textes qui s’inscrivent quasi-exclusivement dans le courant autrichien et plus généralement dans la pensée libertarienne. Le but principal de cet ensemble bibliographique de très grande qualité est de former au raisonnement libertarien, notamment économique, toute personne qui souhaiterait en découvrir plus sur cette pensée.

Lire aussi les premiers textes de l’anthologie.


Résumé : Selon les économistes de l’offre, l’impôt sur la consommation aurait des vertus supposées par rapport à l’impôt sur le revenu, notamment le fait qu’il serait proportionnel alors que le second serait bien plus souvent progressif. L’impôt retenu à la source a été vu comme révélateur lors de la Seconde Guerre mondiale mis en œuvre par Milton Friedman. La fiscalité progressive sonne comme du vol aux yeux des riches vis-à-vis des pauvres contrairement à la fiscalité proportionnelle qui semble plus équitable, mais est-ce réellement avantageux ? Jean-Baptiste Say recommandait au politique : « Le meilleur régime [publique] de finance est de dépenser le moins possible, et la meilleure imposition est toujours la plus légère. »


Par Murray N. Rothbard.
Traduit par Lydéric Dussans, Institut Coppet

Murray N. Rothbard (1926-1995) fut le doyen de l’école autrichienne, fondateur du libertarianisme moderne, et directeur académique du Mises Institute. Il fut également éditeur avec Lew Rockwell du Rothbard-Rockwell Report, et avait nommé Lew Rockwell comme son exécuteur testamentaire.

 

La prétendue supériorité de l’impôt sur le revenu

L’économie néoclassique orthodoxe a longtemps soutenu que, du point de vue des imposés eux-mêmes, un impôt sur le revenu était plus adapté qu’un impôt indirect sur une forme particulière de consommation, puisque, en plus du revenu total extrait, qui est supposé être le même dans les deux cas, l’impôt indirect surcharge lourdement le prélèvement contre un type de consommateur bien particulier. Ainsi, en plus du montant total perçu, l’impôt indirect biaise et fausse les dépenses et les ressources par rapport aux modes de consommation préférés des consommateurs. On récite alors les courbes d’indifférence pour fournir la patine scientifique de la géométrie à cette démonstration.

Toutefois, comme dans de nombreux autres cas, lorsque les économistes se précipitent pour juger les différentes lignes de conduite des gens comme « bonnes », « supérieures », ou « optimales », les hypothèses qui sous-tendent de tels jugements, toutes choses égales par ailleurs – dans ce cas, par exemple, que les recettes totales restent les mêmes – ne se vérifient pas toujours dans la pratique. Ainsi, il est certainement possible, pour des raisons politiques ou autres, qu’une forme particulière d’impôt n’aboutisse probablement pas au même revenu total qu’une autre. La nature d’un impôt particulier pourrait conduire à plus ou moins de revenu qu’un autre impôt. Supposons, par exemple, que tous les impôts actuels soient abolis et que le même total doive être augmenté d’un nouvel impôt par capitation ou par tête, qui exige que chaque habitant des États-Unis paye un montant égal au gouvernement fédéral, à l’État fédéré, et au pouvoir local. Cela signifie que les recettes fiscales totales actuelles des États-Unis, que nous estimons à 1 milliard 380 millions de dollars – les chiffres exacts ne sont pas importants dans cet exemple – devraient être divisées par un total approximatif de 243 millions de personnes. Cela signifie que chaque homme, femme et enfant en Amérique serait tenu de verser 5 680 dollars à l’État chaque année. D’une façon ou d’une autre, je ne crois pas qu’un montant d’une telle importance puisse être percevable par les autorités, quels que soient les pouvoirs exécutifs accordés au fisc. C’est un exemple clair où l’hypothèse ceteris paribus ne fonctionne pas de manière flagrante.

Mais évoquons plutôt un exemple plus important, quoique moins dramatique. Avant la Seconde Guerre mondiale, le fisc recueillait le montant total auprès de chaque contribuable, en un paiement unique, le 15 mars de chaque année. (Un sursis d’un mois était accordé aux contribuables longanimes.) Au cours de la Seconde Guerre mondiale, afin de permettre une collecte plus facile et beaucoup plus douce des taux d’imposition bien plus élevés, pour financer l’effort de guerre, le gouvernement fédéral avait instauré un plan conçu par l’omniprésent Beardsley Ruml de RH Macy & Co., et techniquement mis en œuvre par un jeune économiste brillant à la Direction du Trésor, Milton Friedman. Ce plan, comme nous ne le savons tous que trop bien, contraignait chaque employeur au travail non rémunéré à retenir l’impôt chaque mois à partir du salaire de l’employé, et à le livrer au Trésor. En conséquent, il n’y avait plus de nécessité pour le contribuable à débourser le montant total en un paiement unique chaque année. Tout le monde nous assurait, à l’époque, que cette nouvelle retenue à la source serait strictement limitée à la situation d’urgence en temps de guerre, et disparaîtrait avec la venue de la paix. Le reste, hélas, appartient à l’histoire. Mais le fait est que personne ne peut sérieusement soutenir que l’impôt sur le revenu, privé de la retenue à la source, puisse être rassemblé à ses niveaux élevés actuels.

L’économiste ne peut prétendre que l’impôt sur le revenu, ou tout autre impôt, est mieux du point de vue de la personne imposable, car les recettes totales collectées sont souvent fonction du type d’impôt fixé. Et il semblerait que, du point de vue de la personne imposable, le meilleur serait d’en extraire le moins possible. Même l’analyse de la courbe d’indifférence devrait confirmer cette conclusion. Si quelqu’un veut prétendre qu’une personne imposée est déçue du peu d’impôt qu’on lui demande de payer, cette personne est toujours libre de combler le déficit présumé en faisant un don volontaire aux autorités fiscales, qui seront alors déconcertées mais heureuses [1].

Un deuxième problème insurmontable, avec des types d’impôts recommandés par les économistes à partir du point de vue présumé de l’imposé, est que le contribuable peut bien avoir des évaluations subjectives particulières du type d’impôt, à l’exception du montant total perçu. Même si le revenu total qu’on lui a extrait est le même pour l’impôt A et B, il peut avoir des évaluations subjectives très différentes des deux processus d’imposition. Revenons, par exemple, à notre cas de l’impôt sur le revenu par rapport à un impôt indirect. Les impôts sur les revenus sont recueillis dans le cadre d’un examen coercitif, et même brutal, de pratiquement tous les aspects de la vie de chaque contribuable par le fisc omnipotent et omniscient. Chaque contribuable est en outre tenu par la loi de tenir des registres précis de ses revenus et de ses déductions, et puis, de remplir et de soumettre, soigneusement et honnêtement, les formulaires mêmes qui tendent à l’incriminer en matière de responsabilité fiscale. Un impôt indirect, disons sur le whisky ou les entrées de cinéma, ne s’introduira pas directement dans la vie ou les revenus de quelqu’un, mais seulement dans les ventes de la salle de cinéma ou du magasin d’alcool. Je me permets de penser que, dans l’évaluation de la « supériorité » ou de l’ « infériorité » des différents modes d’imposition, même le buveur ou le cinéphile le plus déterminé serait prêt à payer des prix beaucoup plus élevés pour le whisky ou les films, que peuvent l’envisager les économistes néoclassiques, afin d’éviter le long bras du fisc [2].

 

Les formes d’impôt sur la consommation

Ces dernières années, la vieille idée d’un impôt sur la consommation, contrairement à un impôt sur le revenu, a été mise en avant par de nombreux économistes, notamment par les prétendus conservateurs pro-libre-marché. Avant de passer à une critique de l’impôt sur la consommation comme substitut à l’impôt sur le revenu, il convient de noter que les propositions actuelles pour un impôt sur la consommation priveraient les contribuables de la joie psychique de l’éradication du fisc. Car, si la discussion est souvent formulée dans ces termes, les différentes propositions reviendraient vraiment à ajouter un nouvel impôt sur la consommation en plus de l’arsenal massif actuel de la puissance fiscale. En somme, voyant que les niveaux de revenus peuvent avoir atteint leurs limites politiques, pour le moment, nos conseillers fiscaux et les théoriciens suggèrent une nouvelle arme fiscale brillante à exercer par le gouvernement. Ou, dans les mots immortels de ce tsar économique exemplaire et serviteur de l’absolutisme, Jean-Baptiste Colbert, la tâche des autorités fiscales est de « plumer l’oie pour obtenir le plus possible de plumes avec le moins possible de cris ». Nous, les contribuables, sommes bien sûr les oies.

Mais acceptons la proposition d’impôt sur la consommation, et traitons-la comme un remplacement complet de l’impôt sur le revenu, avec des recettes totales similaires. Notre premier point consiste en ce qu’une forme vénérable d’impôt sur la consommation conserve non seulement le despotisme du fisc existant, mais le rend encore pire. C’est l’impôt sur la consommation proposé de manière saillante par Irving Fisher [3]. L’impôt Fisher conserverait le fisc, ainsi que l’exigence que tout le monde fournisse des rapports détaillés et fidèles et évalue sincèrement ses propres impôts. Mais il ajouterait quelque chose d’autre. En plus de la déclaration des revenus et des déductions, tout le monde serait tenu de déclarer ses ajouts et ses soustractions aux immobilisations corporelles (y compris les espèces) au cours de l’année. Alors, tout le monde paierait le taux d’imposition désigné sur son revenu moins ses ajouts aux immobilisations, ou la consommation nette. Ou, au contraire, s’il a dépensé plus qu’il a gagné au cours de l’année, il paierait un impôt sur son revenu en plus de sa réduction des immobilisations, égalant à nouveau sa consommation nette. Quels que soient les mérites ou les démérites de l’impôt Fisher, le pouvoir du fisc sur chaque individu serait donc augmenté, puisque l’état de ses immobilisations, en incluant son stock d’argent, serait maintenant examiné avec le même soin que son revenu.

Une deuxième proposition d’impôt sur la consommation, la TVA ou taxe sur la valeur ajoutée, impose un impôt hiérarchique curieux sur la « valeur ajoutée » par chaque entreprise et chaque activité. Ici, au lieu de chaque individu, chaque société commerciale serait soumise à un examen bureaucratique intense, car chaque entreprise serait obligée de déclarer ses revenus et ses dépenses, payant une taxe désignée sur la valeur ajoutée. Cela tendrait à déformer la structure de l’entreprise. D’une part, il y aurait une incitation à l’intégration verticale anti-économique, car moins il y aurait de ventes, moins seraient les impôts perçus. En outre, comme il s’est passé dans les pays européens ayant une expérience de la TVA, une industrie florissante peut émettre des faux chèques, de sorte que les entreprises peuvent sur-gonfler leurs dépenses présumées et réduire leur valeur ajoutée déclarée. Certainement, une taxe de vente, toutes choses étant égales par ailleurs, est manifestement plus simple, moins altérante des ressources et énormément moins bureaucratique et despotique que la TVA. En effet, la TVA ne semble pas avoir de net avantage sur la taxe de vente, sauf bien sûr, si on considère la multiplication de la bureaucratie et du pouvoir bureaucratique comme un avantage.

Le troisième type d’impôt sur la consommation est la fameuse taxe de pourcentage sur les ventes au détail. Parmi les différentes formes de taxes sur la consommation, la taxe de vente a sûrement le grand avantage, pour la plupart d’entre nous, d’éliminer le pouvoir despotique du gouvernement sur la vie de chaque individu, comme pour l’impôt sur le revenu, ou sur les entreprises commerciales, comme pour la TVA. Cela ne fausserait pas la structure productive comme le fait la TVA, et cela ne fausserait pas les préférences individuelles, comme le feraient les impôts indirects spécifiques.

Considérons maintenant les mérites ou les démérites d’un impôt sur la consommation par rapport à un impôt sur le revenu, en mettant de côté la question du pouvoir bureaucratique. Il faut d’abord noter que l’impôt sur la consommation et l’impôt sur le revenu ont tous deux une implication philosophique distincte. L’impôt sur le revenu repose nécessairement sur le principe de la capacité contributive, à savoir le principe que si une oie a plus de plumes, elle est plus mûre pour la plumaison. Le principe de la capacité contributive est exactement le credo du bandit de grand chemin, de prendre lorsque la prise est bonne et d’extraire autant que les victimes peuvent supporter. Le principe de capacité contributive est l’incarnation philosophique de la réponse mémorable de Willie Sutton lorsqu’il lui a été demandé, sans doute par un travailleur en psychologie sociale, pourquoi il volait les banques. « Parce que », répondit Willie, « c’est là où l’argent se trouve ».

D’un autre côté, l’impôt sur la consommation peut seulement être considéré comme un paiement pour un permis de séjour. Il implique que l’homme ne pourra pas faire progresser ou même supporter sa propre vie à moins de payer une redevance à l’État pour en avoir l’autorisation. L’impôt sur la consommation ne me semble pas le moins du monde, dans ses implications philosophiques, plus noble ou moins présomptueux que l’impôt sur le revenu.

 

Proportionnalité et progressivité : Qui ? À qui ?

Une des vertus suggérées de l’impôt sur la consommation, avancé par les conservateurs, est que tandis que l’impôt sur le revenu peut être et est généralement progressif, l’impôt sur la consommation est quasi automatiquement proportionnel. Il est également allégué que la fiscalité progressive équivaut à un vol, avec les pauvres qui volent les riches, alors que la proportionnalité est l’impôt juste et idéal. En premier lieu, toutefois, l’impôt sur la consommation type Fisher pourrait bien être tout aussi progressif que l’impôt sur le revenu. Même la taxe de vente est à peine exempte de progressivité. Car la plupart des taxes de vente sont exonérées dans la pratique des produits comme les aliments, exonérations qui faussent les préférences individuelles du marché et introduisent également la progressivité de l’impôt.

Mais la progressivité est-elle vraiment le problème ? Prenons deux individus, l’un qui fait 10 000 dollars par an et l’autre qui fait 100 000 dollars. Posons deux systèmes fiscaux alternatifs : l’un proportionnel, l’autre fortement progressif. Dans le système d’impôt progressif, les taux d’impôt sur le revenu s’étendent de 1% pour l’homme qui gagne 10 000 dollars par an, à 15% pour l’homme au plus haut revenu. Admettons que dans le système proportionnel gagnant, tout le monde paie un même taux de 30%, indépendamment du montant du revenu. Dans le système progressif, l’homme au faible revenu paie 100 dollars par an en impôts, et le plus riche paie 15 000 dollars, alors que dans le système prétendument plus équitable proportionnellement, le pauvre homme paie 3000 dollars au lieu de 100 dollars, tandis que le riche paie 30 000 dollars au lieu de 15 000 dollars. C’est toutefois une maigre consolation, pour la personne au revenu plus élevé, que l’homme le plus pauvre paie le même pourcentage d’impôt sur le revenu que lui, car la personne la plus riche est davantage frappée qu’avant. Il n’est guère convaincant, par conséquent, de dire à l’homme riche qu’il n’est désormais plus « volé » par les pauvres, car il perd beaucoup plus que par le passé. Si l’on objecte que le niveau total de la fiscalité est beaucoup plus élevé dans notre système proportionnel que dans le système progressif, nous répondons que c’est précisément le cas. Pour que la personne à revenu élevé ait une objection – que ce n’est pas un vol mythique infligé par les « pauvres » – son problème est la quantité réelle qui lui est arrachée par l’État. Le véritable reproche de l’homme le plus riche n’est donc pas à quel point il est traité par rapport à quelqu’un d’autre, mais combien d’argent est soutiré de ses propres biens durement gagnés. Nous estimons que la progressivité de l’impôt est un leurre, que le vrai problème et la bonne mise au point devraient être le montant que tout individu est tenu de remettre à l’État [4].

L’État, bien sûr, dépense l’argent qu’il reçoit auprès de différents groupes, et ceux qui soutiennent que la progressivité de l’impôt escroque les riches au profit des pauvres le font en comparant le niveau de revenu des contribuables avec celui des bénéficiaires des largesses de l’État. De même, l’école de Chicago affirme que le régime fiscal est un processus par lequel la bourgeoisie exploite à la fois les riches et les pauvres, tandis que la Nouvelle Gauche insiste sur le fait que les impôts sont un processus par lequel les riches exploitent les pauvres. Toutes ces tentatives échouent misérablement en mettant de côté toute une catégorie de contribuables et de bénéficiaires de l’État. Ceux qui paient des impôts à l’État, qu’ils soient riches, de la classe moyenne, ou pauvres, sont certainement floués, et un autre ensemble de personnes que celles qui sont riches, de la classe moyenne, ou pauvres, et qui reçoivent de l’argent des coffres de l’État, en incluant notamment les politiciens et les bureaucrates ainsi que ceux qui reçoivent les faveurs de ces membres de l’appareil d’État. Cela n’a aucun sens de regrouper ces groupes. Il est beaucoup plus logique de réaliser que le processus d’impôt et de dépense crée deux et seulement deux classes sociales séparées, distinctes, antagoniques, ce que Calhoun identifie brillamment comme les contribuables et les consommateurs fiscaux, ceux qui paient des impôts et ceux qui vivent à leurs frais. Je soutiens qu’en regardant dans cette perspective, il devient particulièrement important de réduire au minimum les fardeaux que l’État et ses consommateurs fiscaux privilégiés placent sur la productivité des contribuables [5].

 

Le problème de la taxation d’épargne

L’argument majeur pour le remplacement d’un impôt sur le revenu par un impôt sur la consommation est que les économies ne seraient plus imposées. Un impôt sur la consommation, affirment ses défenseurs, reviendrait à taxer la consommation et non l’épargne. Le fait que cet argument soit généralement avancé par les économistes libéraux, de nos jours, principalement par les économistes de l’offre, paraît d’emblée tout à fait étrange. Car après tout, les individus sur le marché libre décident de leur propre allocation des revenus, entre consommation ou épargne. L’économie autrichienne nous enseigne que cette proportion de consommation et d’épargne est déterminée par le taux de préférence temporelle de chaque individu, le degré par lequel il préfère le présent aux biens futurs. Car chaque personne répartit continuellement son revenu entre la consommation immédiate, et la sauvegarde de la monnaie pour investir dans des marchandises qui apporteront un revenu dans l’avenir. Et chaque personne décide de l’allocation sur la base de sa préférence pour le présent. Dire, par conséquent, que seule la consommation devrait être imposée et non l’épargne, c’est défier les préférences volontaires et les choix d’individus sur le marché libre, et c’est dire qu’ils n’épargnent pas assez et qu’ils consomment trop, et donc que les impôts sur l’épargne devraient être enlevés ainsi que toutes les charges qui pèsent sur le présent par rapport à la consommation future. Mais faire cela, c’est défier les expressions du marché libre de la préférence temporelle, et c’est plaider la contrainte par la force de l’État pour modifier l’expression de ces préférences, de façon à exercer des pressions sur le taux d’épargne par rapport à la consommation pour le rendre plus élevé que celui souhaité par des individus libres.

Nous devons alors nous demander : par quelles critères les économistes de l’offre et les autres défenseurs des impôts sur la consommation déterminent pourquoi et dans quelle mesure l’épargne est trop faible et la consommation est trop élevée ? Quels sont les critères « trop faible » ou « trop forte » sur lesquels ils fondent leur proposition de contrainte exercée sur le choix individuel ? Et qui plus est, de quel droit ils se disent partisans du « libre marché » quand ils proposent de dicter des choix dans un tel domaine vital comme le rapport entre la consommation présente et future ?

Les économistes de l’offre se considèrent comme les héritiers d’Adam Smith, et dans un sens, ils ont raison. Car Smith, lui aussi guidé par une hostilité calviniste enracinée à l’égard de la consommation luxueuse, a cherché à utiliser l’État pour augmenter la proportion sociale d’investissement sur la proportion de consommation au-delà des désirs du marché libre. Une méthode qu’il préconisait était des taxes élevées sur la consommation de luxe, une autre était des lois sur l’usure, d’entraîner les taux d’intérêt en dessous du niveau du marché libre, et ainsi de canaliser ou de rationner l’épargne et le crédit de manière coercitive entre les mains sérieuses des principaux emprunteurs commerciaux industrieux, et entre les mains des consommateurs « projecteurs » et « prodigues » qui seraient prêts à payer des frais d’intérêt élevés. En effet, par le dispositif du Spectateur Impartial fantomatique, qui, par contraste avec les gens réels, est indifférent au moment où il recevra des marchandises, Smith a pratiquement considéré qu’un taux nul de préférence temporelle était idéal [6].

Le seul argument cohérent proposé par les partisans de la consommation contre l’imposition du revenu est celui d’Irving Fisher, basé sur les suggestions de John Stuart Mill [7]. Fisher a soutenu que, puisque le but de toute la production est la consommation et puisque tous les biens d’équipement sont seulement des points d’escale sur la route de la consommation, le seul revenu véritable consiste dans les dépenses de consommation. La conclusion est donc vite tirée que le revenu de consommation, et non ce qui est généralement appelé « revenu », devrait être soumis à l’impôt.

Plus précisément, il est prétendu que l’épargne et la consommation ne sont pas vraiment symétriques. Toute économie est orientée vers la jouissance de davantage de consommation dans l’avenir. La consommation actuelle potentielle est abandonnée en échange d’une augmentation attendue de la consommation future. L’argument conclut que, par conséquent aucun retour sur investissement ne peut être considéré comme un « double comptage » du revenu, de la même manière qu’un comptage répété des ventes brutes, par exemple, d’une caisse de céréales Wheaties du fabricant à l’ouvrier, au grossiste jusqu’au détaillant, comme part du revenu net ou du produit, serait un comptage multiple d’un même bien.

Ce raisonnement est correct dans la mesure où il explique le processus de consommation-épargne, et il est très utile dans le nivellement d’une critique du revenu national conventionnel ou des statistiques du produit. Car ces statistiques mettent soigneusement de côté tous les multiples ou doubles comptages pour arriver au produit net total, bien qu’ils incluent arbitrairement dans le revenu net total l’investissement dans les biens d’équipement d’une durée d’un an – un bel exemple de double comptage. Ainsi, la pratique courante exclut d’une manière absurde du résultat net l’investissement d’un marchand dans les stocks sur une durée de 11 mois avant la vente, mais inclue dans le revenu net des investissements dans les stocks sur une durée de 13 mois. La conclusion convaincante est que l’estimation du revenu social ou national devrait inclure seulement les dépenses de consommation [8].

Malgré les nombreuses vertus de l’analyse de Fisher, cependant, il n’est pas permis de sauter à la conclusion que la consommation devrait être taxée plutôt que le revenu. Il est vrai que l’épargne conduit à une plus grande offre de biens de consommation dans le futur. Mais ce fait est connu de tout le monde, c’est précisément pour cela que les gens économisent. Le marché, en bref, sait tout sur la puissance productive de l’épargne pour l’avenir et alloue ses dépenses en conséquence. Pourtant, même si les gens savent que l’épargne leur donnera plus de consommation dans le futur, pourquoi ne pas épargner tout leur revenu actuel ? De toute évidence, en raison de leurs préférences pour le temps présent plutôt que pour la consommation future. Ces préférences temporelles régissent la répartition des populations entre le présent et l’avenir. Chaque individu, étant donné son « revenu » monétaire – défini en termes conventionnels – et ses échelles de valeur, allouera ce revenu dans la proportion désirée entre la consommation et l’investissement. Toute autre répartition de ces revenus, en des proportions différentes, satisferait donc ses besoins et ses désirs dans une moindre mesure et abaisserait sa position sur son échelle de valeur. Il est donc inexact de dire que le prélèvement de l’impôt sur le revenu est un fardeau supplémentaire sur l’épargne et l’investissement : ils pénalisent le niveau de vie entier, présent et futur, d’un individu. Un impôt sur le revenu ne pénalise pas en soi les économies, pas plus que cela pénalise la consommation.

Par conséquent, l’analyse de Fisher, malgré toute sa sophistication, partage simplement les préjugés des autres défenseurs de l’impôt sur la consommation contre la répartition libérale volontaire entre la consommation et l’investissement. L’argument accorde plus d’importance à l’épargne et à l’investissement que le marché ne le fait. Un impôt sur la consommation est tout aussi perturbateur des préférences temporelles volontaires et des allocations de marché que ne le serait un impôt sur l’épargne. Dans la plupart ou dans tous les autres domaines du marché, les économistes libéraux comprennent que les répartitions sur le marché ont tendance à être toujours optimales par rapport à la satisfaction des désirs des consommateurs. Pourquoi alors font-ils bien trop souvent une exception pour les répartitions consommation-épargne, refusant de respecter les taux de préférence temporelle sur le marché ?

Peut-être que la réponse est que les économistes sont soumis aux mêmes tentations que n’importe qui d’autre. L’une de ces tentations est d’inciter fortement vous-même, lui et l’autre gars à travailler plus dur, et à économiser et à investir davantage, augmentant ainsi votre propre niveau de vie, présent et futur. Une tentation partagée est d’appeler les gendarmes à faire respecter ce désir. Quel que soit le nom que nous donnons à cette tentation, la science économique n’a rien à voir avec cela.

 

L’impossibilité d’imposer seulement la consommation

Après avoir contesté le bienfondé de l’objectif d’imposer seulement la consommation et de libérer l’épargne de la taxation, nous continuons maintenant à nier la possibilité de réalisation de ce but, c’est-à-dire que nous maintenons qu’un impôt sur la consommation se transformera, bon gré mal gré, en un impôt sur le revenu et donc sur l’épargne aussi. En somme, même si pour les besoins du raisonnement, nous voulions imposer la consommation et ne pas imposer les revenus, nous ne pourrions pas être en mesure de le faire.

Prenons, tout d’abord, le plan de Fisher, qui, en apparence simple, exempterait l’épargne et imposerait seulement la consommation. Prenons M. Jones, qui gagne un revenu annuel de 100 000 dollars. Ses préférences temporelles sont amenées à dépenser 90% de son revenu sur la consommation et à épargner et investir l’autre 10%. Dans cette hypothèse, il passera 90 000 dollars par an sur la consommation, et épargnera et investira les 10 000 dollars. Supposons maintenant que l’État prélève une taxe de 20% sur les revenus de Jones, et que sa préférence temporelle horaire reste la même. Le ratio de consommation-épargne sera toujours 90/10, et donc, après impôt sur le revenu, étant désormais de 80 000 dollars, les dépenses de consommation seront de 72 000 dollars et son épargne-investissement sera de 8 000 dollars par an [9].

Supposons maintenant qu’au lieu d’un impôt sur le revenu, l’État suit le programme d’Irving Fisher, et prélève un impôt de 20% par an sur la consommation de Jones. Fisher a soutenu qu’une telle taxe ne baisserait que sur la consommation, et non sur l’épargne de Jones. Mais cette affirmation est erronée, puisque toute épargne-investissement de Jones est fondée uniquement sur la possibilité de sa consommation future, qui sera imposée aussi. Puisque la consommation future sera imposée, nous supposons, au même rythme que la consommation à l’heure actuelle, que nous ne pouvons conclure que les économies à long terme reçoivent une exonération d’impôt ou un encouragement spécial. Il n’y aura donc aucun changement pour Jones en faveur de l’épargne et de l’investissement en raison d’un impôt sur la consommation [10]. En somme, tout paiement d’impôts au gouvernement, qu’il s’agisse de consommation ou de revenu, réduit nécessairement le revenu net de Jones. Puisque le calendrier de sa préférence temporelle reste le même, Jones va donc réduire sa consommation et ses économies proportionnellement. L’impôt sur la consommation sera décalé par Jones jusqu’à ce qu’il devienne équivalent à un taux inférieur de l’impôt sur son propre revenu. Si Jones passe encore 90% de son bénéfice net sur la consommation, et 10% de l’épargne-investissement, son revenu net sera réduit de 15 000 dollars, au lieu de 20 000 dollars, et sa consommation sera désormais au total de 76 000 dollars, et ses épargnes-investissements de 9 000 dollars. Autrement dit, l’impôt sur la consommation de 20% de Jones deviendra équivalent à un impôt de 15% sur son revenu et il va organiser ses proportions d’épargne-consommation en conséquence 11.

Nous avons vu au début de cet article que l’impôt indirect, biaisant les ressources des autres biens désirables, ne signifie pas nécessairement que nous pouvons recommander une alternative comme un impôt sur le revenu. Mais que diriez-vous d’une taxe générale sur les ventes, en supposant que l’on peut être prélevé politiquement sans exemptions de biens ou de services ? Un tel fardeau fiscal ne serait-il pas seulement sur la consommation et non sur le revenu ?

En premier lieu, une taxe de vente serait assujettie aux mêmes problèmes que l’impôt sur la consommation de Fisher. Comme la consommation future et actuelle serait taxée aussi, chaque individu changerait à nouveau ses habitudes pour que la consommation future soit réduite autant que l’actuelle. Mais, en outre, la taxe de vente est soumise à une complication supplémentaire : l’hypothèse générale selon laquelle une taxe de vente peut être facilement répercutée auprès du consommateur est totalement fallacieuse. En fait, la taxe de vente ne peut pas être répercutée du tout !

Considérez que tous les prix sont déterminés par l’interaction de l’offre, le stock de biens disponibles à la vente, et de la courbe de la demande pour ce produit. Si l’État prélève un impôt général de 20% sur toutes les ventes au détail, il est vrai que les détaillants vont maintenant subir un coût supplémentaire de 20% sur toutes les ventes. Mais comment peuvent-ils augmenter les prix pour couvrir ces coûts ? Les prix, en tout temps, ont tendance à être établis au point de revenu net maximal pour chaque vendeur. Si les vendeurs ne peuvent simplement pas passer l’augmentation de 20% des coûts sur les consommateurs, pourquoi auraient-ils besoin d’attendre une taxe de vente pour augmenter les prix ? Les prix sont déjà au plus haut niveau de revenu net pour chaque entreprise. Toute augmentation de coût, par conséquent, devra être absorbée par l’entreprise, et ne peut être répercutée auprès des consommateurs. En d’autres termes, le prélèvement d’une taxe sur les ventes n’a pas changé le stock déjà disponible pour les consommateurs, ce stock a déjà été produit. Les courbes de demande n’ont pas changé, et il n’y a aucune raison pour qu’elles changent. Puisque l’offre et la demande n’ont pas changé, le prix n’a aucune raison de le faire. Ou en regardant la situation du point de l’offre et la demande d’argent, ce qui aidera à déterminer les niveaux généraux des prix, l’offre de monnaie est restée comme elle était, et il n’y a aucune raison de supposer un changement dans la demande de soldes de trésorerie. Par conséquent, les prix resteront les mêmes.

On pourrait objecter que, même si le changement de la hausse des prix ne peut pas se produire immédiatement, il peut le faire à plus long terme, lorsque les propriétaires des facteurs et des ressources auront une chance de réduire leur offre à un moment ultérieur. Il est vrai qu’un impôt indirect partiel peut être répercuté de cette façon, à long terme, en abandonnant des ressources, comme par exemple dans l’industrie des boissons alcoolisées, en répercutant auprès d’autres industries immunisées. Après un certain temps, alors, le prix des boissons alcoolisées peut être soulevé par une taxe sur l’alcool, mais seulement en réduisant l’offre future, le stock d’alcool à vendre à une date ultérieure. Mais un tel « transfert » n’est pas un passage indolore et rapide sur des prix plus élevés pour les consommateurs, il ne peut être accompli à plus long terme que par une réduction de l’offre d’un bien.

Cependant, le fardeau d’une taxe sur les ventes ne peut pas être répercuté de la même manière. Car les ressources ne peuvent pas échapper à une taxe sur les ventes comme elles peuvent l’être à un impôt indirect – en abandonnant l’industrie de l’alcool et en passant à une autre. Nous partons du principe que la taxe de vente est générale et uniforme ; elle ne peut donc nous échapper en ressources que par la fuite dans l’oisiveté. Par conséquent, nous ne pouvons pas affirmer que la taxe sur les ventes sera répercutée à long terme par toutes les provisions de marchandises chutant par quelque chose comme 20% (en fonction de l’élasticité). Les provisions générales de marchandises tomberont et donc les prix monteront, seulement dans la mesure relativement modeste que le travail, voyant une hausse du coût d’opportunité du loisir en raison d’une baisse des revenus salariaux, abandonnera la main-d’œuvre et deviendra volontairement inoccupé (ou plus généralement abaissera le nombre d’heures travaillées) [12].

Sur le long terme, bien sûr, et ce terme n’est pas très long, les entreprises de vente au détail ne seront pas en mesure d’absorber une taxe de vente : elles ne sont pas des piscines illimitées de richesse prêtes à être confisquées. Comme les entreprises de détail subissent des pertes, leurs courbes de demande pour tous les biens intermédiaires et puis pour tous les facteurs de production, vont s’effondrer et ces baisses dans les courbes de demande seront rapidement transmises à tous les facteurs suprêmes de production : le travail, la propriété foncière et les revenus d’intérêts. Et puisque toutes les entreprises ont tendance à obtenir un rendement d’intérêt uniforme déterminé par la préférence temporelle sociale, l’incidence de la baisse de la courbe de demande se repose assez rapidement sur les deux facteurs ultimes de la production : le travail et la propriété foncière.

Par conséquent, le point de vue apparemment de bon sens qu’une taxe des ventes au détail est facilement répercutée auprès du consommateur est totalement erroné. En revanche, l’impact initial de la taxe portera sur les revenus nets des entreprises de vente au détail. Leurs pertes sévères conduiront à une répercussion rapide de la courbe de demande, avec une hésitation pour le travail et la propriété foncière, c’est-à-dire les taux de salaire et des rentes foncières. Ainsi, au lieu d’une taxe sur les ventes au détail répercutée rapidement et sans douleur, cela sera à plus long terme douloureux et en retrait pour les propriétaires fonciers et les revenus du travail. Une fois de plus, un impôt présumé sur la consommation a été transmuté par les processus du marché en un impôt sur les revenus.

L’effort général sur la répercussion, et la négligence des reculs en économie sont dus à la méconnaissance de la théorie autrichienne de la valeur, et de son idée que le prix du marché est déterminé uniquement par l’interaction d’un stock déjà produit, des utilités subjectives et des courbes de la demande des consommateurs pour ce stock. La courbe d’offre du marché, par conséquent, devrait être à la verticale dans le schéma habituel offre et demande. La courbe d’offre marshallienne standard inclinée vers l’avant y intègre illégitimement une dimension temporelle et ne peut donc pas interagir avec une courbe de demande du marché instantanée. La courbe marshallienne soutient l’illusion que l’augmentation des coûts peut directement augmenter les prix, et pas seulement en réduisant indirectement l’offre. Et tandis que nous pouvons arriver à la même conclusion que l’offre marshallienne, l’analyse de la courbe d’un impôt indirect particulier, où l’équilibre partiel peut être utilisé, cette méthode standard s’écroule pour la fiscalité générale des ventes.

 

Conclusion : Le montant par rapport à la forme de la fiscalité

Nous concluons avec l’observation qu’il y a eu beaucoup trop de concentration sur la forme, le type de fiscalité, et pas assez sur son montant total. Le résultat est un infini remaniement des types de taxes, couplées à la négligence d’une question beaucoup plus critique : quelle quantité de produit social doit être détournée des producteurs ? Ou combien d’argent doit être conservé par les producteurs, et combien de revenus et de ressources doivent être détournés de manière coercitive au profit des non-producteurs ?

Il est particulièrement étrange que les économistes qui se proclament fièrement comme les défenseurs du marché libre ont au cours des dernières années ouvert le chemin à cette voie erronée. C’était prétendument des économistes libéraux et qui, par exemple, était des pionniers dans la propagande pour la soi-disante loi sur la réforme fiscale de 1986. Ce changement massif était censé nous apporter la « simplification » de nos impôts sur le revenu. Le résultat, bien sûr, était si simple que même le fisc, sans parler de la flopée d’avocats fiscalistes et de comptables-fiscalistes, a eu beaucoup de difficulté à comprendre la nouvelle dérogation. Curieusement, d’ailleurs, dans toutes les manœuvres qui ont conduit à la loi sur la réforme fiscale, le critère retenu par ces économistes, apparemment si évident pour n’avoir besoin d’aucune justification, était que la somme des modifications fiscales soit « fiscalement neutre ». Mais ils ne nous ont jamais dit ce qui était si bien au sujet de la neutralité fiscale. Et bien sûr, en clivant sur un tel critère, la question cruciale du total des recettes a été délibérément exclue de la discussion.

Ce qui est encore plus flagrant était une jeune doctrine d’un autre groupe de supposés défenseurs du marché libre, les économistes de l’offre. Dans leur manifestation de la courbe originale de Laffer, heureusement reléguée aux oubliettes de l’histoire, les économistes de l’offre maintiennent que le taux d’imposition qui maximise les recettes fiscales est le taux « volontaire », et un taux qui devrait être activement poursuivi. Il n’a jamais été signalé dans quel sens un tel taux d’imposition est « volontaire », ou ce que le concept de « volontaire » a à voir avec la fiscalité en premier lieu. Les économistes de l’offre dans leur forme « lafferite » ne nous ont jamais expliqué pourquoi nous devions tous faire de la maximisation des recettes publiques notre « beau idéal » [en français dans le texte, NdT]. Certes, pour les partisans du libre marché, on pourrait penser que la minimisation de la déprédation étatique du produit privé serait un peu plus attrayant.

C’est avec soulagement que l’on se tourne vers un réaliste aussi bien que vers une approche véritable de l’économie de marché : celle de Jean-Baptiste Say, qui a beaucoup plus contribué à l’économie avec la loi de Say. Say n’entretenait pas l’illusion que la fiscalité est volontaire ou que les dépenses de l’État contribuent aux services productifs pour l’économie. Say a souligné qu’en matière de fiscalité,

Le gouvernement exige d’un contribuable le paiement en argent d’une contribution quelconque. Pour satisfaire le percepteur, ce contribuable échange contre de la monnaie d’argent les produits dont il peut disposer, et remet cette monnaie aux préposés du fisc.

Finalement, l’État dépense de l’argent pour ses propres besoins, de sorte qu’

Enfin cette valeur se consomme ; Dès lors cette portion de richesse, sorties des mains d’un contribuable, est anéantie, détruite.

Notez que, comme dans le cas de la Calhoun plus tard, Say considère que la fiscalité crée deux classes antagonistes, les contribuables et les collecteurs d’impôts. Si ce n’était pour les impôts, le contribuable aurait dépensé son argent pour sa propre consommation. Comme ça l’est, « c’est l’État […] qui aurait joui de cette consommation. »

Say dit :

On a cru, dans presque tous les temps, que les valeurs payées par la société pour les services publics, lui revenaient sous d’autres formes […] ce que le gouvernement ou ses agents reçoivent, ils le restituent en le dépensant.

Say en colère, déclare que « c’est une erreur, et une erreur dont les suites ont été déplorables, en ce qu’elles ont entraîné d’énormes dilapidations commises sans remords. »       

Au contraire, Say déclare : « La valeur fournie par le contribuable est livrée gratuitement ; le gouvernement s’en sert pour acheter un travail, des objets de consommation, des produits ».

Say continue à dénoncer la « fausse et dangereuse conséquence » des auteurs économiques que la consommation publique augmente la richesse. Il note avec amertume que « si de tels principes ne se montraient que dans les livres, et n’étaient jamais mis en pratique, on pourrait s’en consoler, et les envoyer avec indifférence grossir l’immense amas des erreurs imprimées ».

Mais malheureusement, il a noté que ces principes ont été « réduits en pratique par ceux qui sont armés du pouvoir, et qui peuvent prêter à l’erreur et au mauvais sens, la force des baïonnettes et celle du canon ». [13] La fiscalité était alors pour Say :

cette portion des produits de la nation, qui passe des mains des particuliers aux mains du gouvernement pour subvenir aux consommations publiques. […] c’est une charge imposée aux particuliers, ou à des réunions de particuliers, par le souverain, peuple ou prince, pour fournir aux consommations qu’il juge à propos de faire à leurs dépens. [14]

Mais la fiscalité, pour Say, n’est pas seulement un jeu à somme nulle. En prélevant un lourd fardeau sur les producteurs, il le souligne, les impôts, au fil du temps, paralysent la production elle-même. Say écrit que la fiscalité « ravit au producteur un produit dont il aurait retiré une jouissance, s’il l’eût consommé improductivement ; ou un profit, s’il l’eût consacré à un emploi utile. Comme un produit est un moyen de production, lorsqu’on lui enlève un produit on diminue plutôt qu’on augmente sa faculté de produire. »

La recommandation politique de J. B. Say était claire et cohérente avec son analyse et celle du présent document. « Le meilleur de tous les plans de finance est de dépenser peu, et le meilleur de tous les impôts est le plus petit. »


Suivre les articles de l’anthologie libertarienne de Robert Wenzel.

Notes :

  1. En 1619, le Père Pedro Fernandez Navarrete, « aumônier de canoniste et secrétaire de sa haute Majesté », a publié un livre de conseils pour le monarque espagnol. Conseillant sévèrement une réduction drastique de la fiscalité et des dépenses publiques, le Père Navarrete a recommandé que, dans le cas de situations d’urgence soudaines, le roi doit uniquement reposer sur la sollicitation des dons volontaires. Alejandro Antonio Chafuen, Christians for Freedom: Late Scholastic Economics (San Francisco, Ignatius Press, 1986), p. 68.
  2. Il est particulièrement poignant, un 15 Avril ou aux alentours, de contempler la maxime du Père Navarrete, selon laquelle « le seul pays agréable est celui où personne n’a peur de collecteurs d’impôts », Chafuen, Christians for Freedom, p. 73. Voir aussi Murray N. Rothbard, « Review of A. Chafuen, Christians for Freedom: Late Scholastic Economics,”, International Philosophical Quaterly 28 (Mars 1988), 112-14.
  3. Voir, par exemple, Irving et Herbert N. Fisher, Constructive Income Taxation (New York, Harper, 1942).
  4. Pour un développement plus complet, et une discussion sur qui est volé par qui, voir Murray Rothbard, Power and Market: Government and the Economy, 2e éd. (Kansas City, Sheed Andrews & McMeel, 1977), pp 120-21.
  5. Voir Murray N. Rothbard, L’Homme, l’Économie, et l’État. Un Traité sur les principes économiques.
  6. Article de Roger W. Garrision, « West’s ‘Cantillon and Adam Smith’: A Comment, » Journal of Libertarian Studies 7 (automne 1985): 291–92.
  7. Voir Rothbard, Power and Market, pp. 98–100.
  8. Nous ne parlerons pas ici de la question fascinante sur la façon dont les activités de l’État doivent être traitées dans les statistiques nationales sur le revenu. Voir Rothbard, L’Homme, l’Économie et l’État, 2, pp 815-20; idem, Power and Market, pp 199-201; idem, America’s Great Depression, 4e éd. (New York, Richardson & Snyder, 1983), pp 296-304; Robert Batemarco, « GNP, PPR, and the Standard of Living », Review of Austrian Economics 1 (1987): 181-86.
  9. Nous avons mis de côté le fait que, à la baisse du montant des actifs financiers pour Jones, le taux de préférence temporelle, compte tenu de son emploi du temps, sera plus élevé, de sorte que sa consommation sera plus élevée, et ses économies davantage inférieures que nous avions supposées.
  10. En effet, conformément à la note 9, ci-dessus, il y aura un changement en faveur de la consommation en raison d’une quantité réduite de l’argent qui fera évoluer le taux de préférence temporelle du contribuable en direction de la consommation. Ainsi, paradoxalement, une taxe pure sur la consommation revient à taxer davantage l’épargne que la consommation ! Voir Rothbard, Power and Market, pp 108-11.
  11. Si le revenu net est défini comme le revenu brut moins le montant payé en taxes, et que pour Jones, la consommation est de 90% du revenu net, un impôt sur la consommation de 20% sur 100 000 dollars de revenu sera équivalent à une taxe de 15% de ce revenu. Rothbard, Power and Market, pp 108-11. La formule de base est que le revenu net,
    N = G / (1 + tc)
    où G = revenu brut, t = le taux d’impôt sur la consommation, et c, la consommation en pourcentage du revenu net, sont les données du problème, et N = G – T par définition, où T est le montant payé en impôt sur la consommation.
  12. Rothbard, Power and Market, pp 88-93. Voir aussi l’article notable par Harry Gunnison Brown, « The Incidence of a General Sales Tax », dans Readings in the Economics of Taxation, R. Musgrave et C. Shoup, eds. (Homewood, Ill, Irwin, 1959), pp 330-39.
  13. Jean-Baptiste Say, Traité d’économie politique, 6e éd. (Philadelphia, Claxton, Remsen & Heffelfinger, 1880), pp 412-15. Voir aussi Murray N. Rothbard, « The Myth of Neutral Taxation », Cato Journal 1 (automne 1981): 551-54.
  14. Say, Traité, p. 446.
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