Un pamphlet riche d’enseignements, qui dissipe bien des idées reçues de manière fort utile et salutaire. À mettre entre toutes les mains.
Par Johan Rivalland.
Très bonne idée que la re-sortie de ce pamphlet au format pratique et agréable, pour cette nouvelle édition de ce texte bien connu des libéraux, datant de 1849 et qui n’a rien perdu de sa pertinence et son caractère pédagogique. Bienvenu, surtout, à un moment où il se trouve complètement d’actualité, à l’heure où les politiques monétaires expansionnistes créent l’illusion de l’arrivée de la reprise, qui serait entretenue par la politique de facilités.
Très bien vu, également, sur la forme. Avec cette idée de dialogue entre deux interlocuteurs, à la manière d’un Voltaire dans Candide, voire d’un dialogue à la Socrate ou, plus proche, d’un Philippe Simonnot dans ses 39 leçons d’économie contemporaine. Et cet humour captivant, comme ces expressions révélatrices, à l’image, dès la première page qui annonce la couleur, de ce « la plus encensée des divinités du monde », au sujet de l’argent, ajoute au plaisir du lecteur. Le style, également, digne d’un Molière ou d’un Corneille, renforce ce sentiment d’avoir affaire à une lecture propice à la détente, alors même que le sujet est on ne peut plus sérieux et profond.
Le procédé ironique est particulièrement efficace. Dès les premiers instants de la discussion, l’interlocuteur de notre personnage principal qui symbolise parfaitement la pensée de Frédéric Bastiat, croit avoir affaire à l’un de ces idéologues qui entend réinventer le monde, à moins qu’il ne s’agisse d’un « proudhonien ou proudhoniste ». Le ton est donné. Et notre personnage principal de s’en référer à Dieu, ou à travers lui, on l’aura compris, aux forces spontanées du marché, plutôt qu’à « cette manie du jour », qui symbolise le caractère éphémère des politiques interventionnistes.
Puis vient la leçon, magistrale, sur la confusion qui règne dans l’esprit du plus grand nombre entre richesses et argent. Nulle question, ici, de mépriser les premières. Bien au contraire,
… c’est du pain pour ceux qui ont faim, des vêtements pour ceux qui sont nus, du bois qui réchauffe, de l’huile qui allonge le jour, une carrière ouverte à votre fils, une dote assurée à votre fille, un jour de repos pour la fatigue, un cordial pour la défaillance, un secours glissé dans la main du pauvre honteux, un toit contre l’orage, des ailes aux amis qui se rapprochent, une diversion pour la tête que la pensée fait plier, l’incomparable joie de rendre heureux ceux qui nous sont chers. La richesse, c’est l’instruction, l’indépendance, la dignité, la confiance, la charité, tout ce que le développement de nos facultés peut livrer aux besoins du corps et de l’esprit ; c’est le progrès, c’est la civilisation. La richesse, c’est l’admirable résultat civilisateur de deux admirables agents, plus civilisateurs encore qu’elle-même : le travail et l’échange.
On ne peut meilleure et plus belle définition de la richesse.
Mais c’est cette confusion malheureuse entre richesse et argent qui conduit notre personnage à maudire ainsi l’argent, car « de cette confusion sortent des erreurs et des calamités sans nombre ». C’est lui aussi qui « brouille toutes les idées, fait prendre le moyen pour le but, l’obstacle pour la cause, alpha pour oméga » et qui « dans ses formes multiples, a appauvri les hommes et ensanglanté la terre ». Or, trop peu de monde se sent capable d’écouter la « fastidieuse dissertation » nécessaire à la bonne compréhension de ces problèmes. Ce que propose de mener ici notre personnage et, à travers lui, Frédéric Bastiat.
Et c’est ainsi que le raisonnement commence par mettre à mal le mercantilisme et ses croyances en un « jeu à somme nulle », comme il s’en prend à cette capacité des législateurs à décider pour le peuple en dépit du bon sens, par manque d’imagination, ou pire de se projeter dans la situation de celui-ci. Au risque de famines, guerres, périls meurtriers. Pour un simple malentendu multi-millénaire sur le rôle dévolu à la monnaie et au véritable sens du mot « richesse ». L’ignorance tue, en somme, comme je l’ai toujours pensé sur un tas de sujets.
Et ce n’est que le début, comme le démontre brillamment Frédéric Bastiat. Car ensuite, lorsqu’il s’agit de payer la facture de ces guerres et des destructions (ou de tenter de remédier, comme aujourd’hui, à un excès d’endettement), on procède alors à la création de monnaie. Ce qui cause inflation et guerres, civiles cette fois. Le monétarisme, un siècle avant Milton Friedman.
En fin de compte, rien ne vaut davantage que de revenir aux sources, et à ce qui définit la monnaie et sa valeur. Elle n’est autre qu’un bon, correspondant au fruit de son travail et donnant droit à échange d’autres biens ou services équivalents en valeur. Et surtout, l’idée fondamentale est qu’un accroissement de la quantité de numéraire qui ne correspondrait à aucun accroissement de biens ou services disponibles serait artificiel et n’aurait aucun effet réel sur la richesse. De la création de « fausse monnaie », en quelque sorte, comme aime à parodier Olivier Delamarche dans ses interventions hebdomadaires iconoclastes sur BFM Radio, faisant probablement référence à Frédéric Bastiat lui-même, qui parle de « fausse monnaie légale » (p. 34).
Plus grave, la dépréciation qui s’ensuit, loin d’être neutre, pénalise les plus fragiles, puisque les variations de prix des produits ou des services délivrés ne sont pas instantanées ni homogènes, et que les plus habiles (spéculateurs, gens d’affaires bien informés) sauront mieux tirer leur épingle du jeu que les citoyens ordinaires. Sans même parler des mouvements de lutte des classes et autres sentiments hostiles, qui proviendraient de ces incompréhensions.
Et Bastiat de conclure son article par une dernière idée, qui expliquerait tout le reste, c’est-à -dire la manière de penser des gens ou l’incompréhension fondamentale face aux mécanismes de l’Économie : « Tous les monopoles sont détestables, mais le pire de tous, c’est le monopole de l’enseignement ». Une idée que l’on ne contredira pas et qui mériterait encore bien des développements.
À cet article est ajoutée, en fin d’ouvrage, la désormais célèbre parabole de « La vitre cassée », selon laquelle, du point de vue de trop d’esprits tordus, « À quelque chose, malheur est bon » et que cette casse conduit à l’enrichissement (du vitrier). Sauf que « ce qui ne se voit pas » est ce à quoi cet argent aurait dû être utilisé d’autre et comment il aurait pu contribuer à enrichir par exemple le cordonnier, tandis que le propriétaire de la vitre jouirait à la fois de sa vitre et d’une paire de souliers. Un plus grand enrichissement collectif, en somme.
À cette aune, en généralisant (par exemple à une guerre, l’incendie d’une ville ou une catastrophe naturelle), on peut en conclure que « la société perd la valeur des objets inutilement détruits ». Ce qui rend hors de propos ce dicton que Bastiat juge vulgaire : « Que deviendraient les vitriers si l’on ne cassait jamais de vitres ? ». Or, il s’agit d’une idée fort répandue (et défendue en particulier par les keynésiens).
Un pamphlet très pédagogique et très utile, donc, dont on peut d’autant plus conseiller la lecture qu’elle est très rapide et facile d’abord. C’est parfois avec de tels opuscules qu’on instruit finalement le mieux les esprits et combat les idées reçues les plus tenaces et dommageables.
— Frédéric Bastiat, Maudit Argent !, Berg International, mai 2013, 56 pages.
Pour se préserver de l’ignorance…
Bastait est quasi inconnu en France.
Grâce à cela, par exemple, on peut encourager la délinquance, qui fait vivre des animateurs de rues, des flics, des avocats, des magistrats, des gardiens de prisons, de psy, des assistantes sociales et des kings de la réinsertion, des agents de gardiennage, des placeurs d’alarmes … Imaginons le désastre s’il n’y avait plus de délinquants !
Nos pays passent leurs nuits à se mutiler et leurs journées à se coller des sparadraps … et puis s’étonnent de s’appauvrir 🙂
Sinon, pour les amateurs d’ebooks, on trouve les oeuvres complètes de Bastiat sur le projet Gutenberg:
http://www.gutenberg.org/ebooks/35390
http://www.gutenberg.org/ebooks/42300
http://www.gutenberg.org/ebooks/43315
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