Par Johan Rivalland
Ce célèbre texte est, en fait, un discours de philosophie politique prononcé par Benjamin Constant à l’Athénée royal de Paris en 1819.
Dans le contexte des débats entre libéraux, favorables à la défense des libertés individuelles et politiques, rassemblés autour de Mme de Staël, et ultras, favorables quant à eux à un retour à l’Ancien Régime, Benjamin Constant y défend une conception tournée vers la promotion du système représentatif, destinée à nous prémunir notamment contre le despotisme, la censure et la pratique de l’ostracisme.
La liberté des anciens, en effet, est caractérisée essentiellement par une forte participation à la vie publique et politique, ne laissant que peu de place à l’individu lui-même, tandis que la liberté des modernes peut être assimilée à la prééminence des droits individuels, qui étaient quasi-inexistants dans les systèmes antérieurs. Si toutefois ces libertés individuelles paraissent désormais difficiles à remettre en cause et rendent caduc un retour à la liberté des anciens, il ne faudrait pas non plus, nous dit Benjamin Constant, que ces libertés individuelles qui nous sont aujourd’hui si chères, et le risque de repli sur soi qui leur est subséquent, aboutissent à négliger les libertés politiques, ce qui risquerait de constituer une menace sérieuse envers ces mêmes libertés.
Ce faisant, partant de constats historiques, et notamment de l’avènement du commerce, qui a permis le développement de ces libertés individuelles, au détriment des conflits guerriers permanents qui ont caractérisé les époques antérieures, Benjamin Constant évoque l’erreur de Rousseau, qui confondait ces deux conceptions de la liberté, mais qu’il traite cependant avec égard, et surtout récuse les idées de l’abbé de Mably, qui détestait la liberté individuelle au plus haut point. Or, les temps ont changé et la référence aux idées du passé est rendue inadaptée par le cadre nouveau au sein duquel on évolue désormais. En effet, la liberté des anciens résidait dans la forte participation à la vie publique, au détriment des droits et libertés privées, aujourd’hui privilégiés plus que tout. Ce qui était possible dans des sociétés moins peuplées et reposant sur l’esclavage, mais plus dans des États unifiés et où l’homme est placé au centre des préoccupations, excluant de telles perversions. En cela, il rend hommage à la Révolution française, tout en récusant les dérives dont elle a été l’objet.
Certes, il n’évoque pas ou ne voit pas encore les dangers que recèle le système représentatif lui-même, puisqu’il y voit une sécurité contre les risques liés au repli sur soi, sans considérer que, par des mécanismes que nous connaissons malheureusement aujourd’hui, des dictateurs peuvent très bien conquérir le pouvoir et le confisquer au terme d’un processus de représentation issu des urnes. Mais, d’une part, l’époque était plutôt à considérer, du moins en ce qui le concerne, qu’une monarchie constitutionnelle pouvait être indiquée, et d’autre part n’oublions pas qu’il ne s’agit ici que d’un discours, qui se veut donc forcément concis et ne permet pas de développer en profondeur l’ensemble des points abordés, ainsi qu’il le précise lui-même à plusieurs reprises, en particulier lorsqu’il revient sur le fonctionnement des sociétés gauloise, romaine ou athénienne, entre autres.
Quoi qu’il en soit, il s’agit ici d’un discours majeur, qui constitue une base de réflexion intéressante et permet, aujourd’hui encore où l’idée de liberté est sans cesse dévoyée et difficile à cerner, de mieux en comprendre les fondements contemporains et mieux asseoir nos institutions, en permettant d’expliquer comment et pourquoi les libertés politiques ont reculé et en quoi le système représentatif constitue un relais important à même de protéger les libertés individuelles au regard de la tendance au repli sur soi qui en est une conséquence constatable mais pas inéluctable.
— Benjamin Constant, De la liberté des anciens comparée à celle des modernes, Mille et une nuits / La petite collection, mai 2010, 59 pages.
C’est l’abbé de Mably, et pas Malby. Le frangin du libéral Étienne Bonnot de Condillac.
C’est en effet un texte majeur. Merci de nous le faire (re)découvrir !
Merci de m’avoir signalé cette erreur ! Je n’avais pas fait attention à la faute de frappe, malgré ma relecture…
C’est corrigé.
Ces études sont passionnantes, et on apprends rien de tout ça à l’Education Sovietique Nationale. C’est vraiment intéressant de voir que l’Histoire n’est pas fait d’une montée de progrès continue, qu’il y a eu des siècles anciens où les gens vivaient mieux et plus libres que des siècles plus proches de nous. Passionnant également l’étude des institutions. Je n’ai pas lu Constant encore mais Tocqueville est genial là -dessus, notamment sur notre pays dans « L’Ancien Regime et La Révolution ».
« La liberté des anciens, en effet, résidait dans la forte participation à la vie publique » – La vie publique d’un village, d’une agora, il faut donc relativiser…
Ces sociétés n’existaient que par l’esclavage et pour les gérontocrates, la guerre.