« El ladrillo », le programme économique des Chicago Boys

Le programme économique élaboré par les Chicago Boys a offert au Chili les meilleurs indices de développement humain et PIB/hab. d'Amérique latine.
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« El ladrillo », le programme économique des Chicago Boys

Publié le 11 septembre 2013
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Le programme de développement économique élaboré par les Chicago Boys avant et pendant la présidence d’Allende a fait du Chili le premier pays d’Amérique du Sud à intégrer l’OCDE, le 7e le plus libre économiquement au monde en 2013, en offrant aux Chiliens les meilleurs indices de développement humain et le plus haut PIB par habitant de toute l’Amérique latine, ainsi que les taux de pauvreté les plus bas de toute leur histoire. Un bien beau résultat pour une aventure qui commença, il y a près de 60 ans, par un accord de coopération entre deux universités.

En 1956, sous le patronage de Theodore Schultz et Arnold Harberger, de l’Université de Chicago, un accord fut signé entre cette dernière et l’Université catholique du Chili. L’accord prévoyait l’envoi d’étudiants boursiers chiliens à Chicago (où étudiaient déjà 300 autres latino-américains) pour y poursuivre des études de 3e cycle en économie. L’objectif était de doter l’Université catholique d’un groupe initial d’au moins quatre professeurs à temps plein formés à la pointe des études économiques.

C’est ainsi qu’à partir de 1958 se produisit une profonde transformation dans l’enseignement économique au Chili. Le résultat fut atteint lorsqu’en 1967 et 1968 furent organisés des cours d’économie spécialement conçus pour des dirigeants d’entreprises. Ces cours se donnèrent dans les locaux de la société Fabril. Y participèrent les entrepreneurs les plus représentatifs et importants du Chili. Les relations entres professeurs et chefs d’entreprises furent mutuellement enrichissantes et débouchèrent sur une proposition de ces derniers pour qu’un groupe de la faculté d’Économie élabore un programme économique pour Jorge Alessandri, qui se présentait à l’élection présidentielle de 1970.

En 1969, toute l’attention de la population chilienne était dirigée vers l’élection présidentielle. Les candidats à la plus haute magistrature étaient connus : Salvador Allende, Radomiro Tomic et Jorge Alessandri. Un groupe commença la rédaction d’un Programme de développement économique – connu plus tard sous le nom de « El ladrillo » (la Brique) – qui devait être présenté à Alessandri. Les travaux se déroulèrent au sein du Centre d’études socio-économiques (CESEC), dirigé par Emilio Sanfuentes, qui était secondé par Sergio de Castro, Pablo Baraona. Un département d’études fut créé, qui intégra Sergio de la Cuadra, Adelio Pipino et Juan Carlos Méndez pour le secteur économique, et José Garrido et Armando Dussaillant pour le secteur agricole. Participa également de manière régulière Manuel Cruzat.

Les politiques économiques alors en vogue au Chili et en Amérique latine, promues par la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes de l’ONU (CEPAL), se caractérisaient par des schémas se basant sur la substitution des importations, le contrôle des prix, les restrictions à l’importation, des tarifs douaniers élevés, le maintien au plus bas de la valeur de la devise nationale. Opérant une véritable révolution dans ce panorama, les orientations fondamentales du programme qui fut présenté à Jorge Alessandri étaient l’ouverture économique de l’économie chilienne, l’élimination des pratiques monopolistiques, la libéralisation du système des prix, la modification de la fiscalité pour la rendre plus neutre, efficace et équitable, la création et la formation d’un marché de capitaux, la création d’un nouveau système prévisionnel, la normalisation de l’activité agricole, détruite par la réforme agraire et la protection des droits de propriété. De nombreuses études virent le jour dans les bureaux du CESEC. Entre avril et juin 1970, Sergio de Castro présenta le programme socio-économique aux principaux assesseurs d’Alessandri. Le groupe d’entrepreneurs qui dirigeait sa campagne déclara être d’accord avec le projet élaboré, tout en estimant que les réformes devaient être introduites graduellement.

Le 4 septembre 1970, Salvador Allende remportait l’élection présidentielle avec une majorité relative et le 4 novembre, Eduardo Frei lui remettait les insignes du pouvoir. Commencèrent les mille jours du gouvernement marxiste d’Unité populaire qui provoquèrent l’effondrement de l’économie chilienne et la division du pays en deux camps farouchement antagonistes et irréconciliables. Le groupe de 1969 retourna dans les salles de cours de l’université, principalement de l’École d’économie de l’Université catholique.

Néanmoins, face à la catastrophe économique que connaissait le Chili sous le gouvernement d’Allende, Emilio Sanfuentes décida de relancer le projet afin de sortir le pays de la prostration. Les lignes directrices furent tracées par lui-même, Sergio de Castro, Pablo Baraona, Manuel Cruzat et Sergio Undurraga. La tâche était immense et dépassait de loin les maigres capacités du groupe. Au début de l’année 1973, celui-ci s’élargit et accueillit de nouveaux membres : Juan Braun, Rodrigo Mujica, Alvaro Bardón, Juan Carlos Méndez, Juan Villarzú, José Luis Zavala et Andrés Sanfuentes. À partir de mars, les réunions furent hebdomadaires, et au fil du temps, la cadence augmenta, de même que le nombre de participants pour aider aux analyses, aux discussion et à l’élaboration de documents, notamment José Luis Federici, Ernesto Silva, Enrique Tassara, Julio Vildósola ou Jaime Guzmán. En marge de la confection du programme de développement économique, Sergio Undurraga réalisait, avec l’aide d’Arsenio Molina, de Jorge Cheyre, de Gerardo Zegers et de Ramiro Urenda, des études de conjoncture économique qui non seulement étaient remises aux autres membres du groupe, mais également à un grand nombre de parlementaires de l’opposition au gouvernement d’Unité populaire. Ces études furent à la base du projet d’action du ministre des Finances de la junte militaire en octobre 1973, le contre-amiral Lorenzo Gotuzzo.

Les discussion du groupe concernaient un large spectre de sujets : la propriété de la terre, des banques, des entreprises « d’aire sociale », des mines furent des thèmes largement débattus. Tous les participants étaient convaincus des bienfaits de la liberté économique, après des années d’étatisme et ce bien avant l’arrivée d’Allende au pouvoir. La réalité sociale et économique de la gestion du gouvernement d’Unité populaire était si absolument catastrophique que sur de nombreux points mentionnés, les participants du groupe jugèrent nécessaire d’avoir une approche unique et concertée au lieu de présenter des alternatives qui auraient pu provoquer retard et désorientation, insistant sur l’application globale du plan dans son ensemble plutôt que par une approche partielle qui pouvait être contre-productive. Ainsi la politique monétaire n’était pas indépendante de la politique fiscale ; les politiques de change et celle du commerce extérieur étaient intimement liées à la politique interne des prix ; l’assignation efficace des ressources requérait une concordance entre les politiques monétaires, de marchés de capitaux, de prix, de fiscalité et de commerce extérieur ; etc.

Après le coup d’État du 11 septembre, c’est avec étonnement que les membres du groupe apprirent que la junte militaire avait connaissance de leur projet et le considérait comme d’application possible pour sortir le Chili de la crise. C’est ainsi que le premier effet du Programme de développement économique fut la migration de presque tous ses auteurs des salles de cours vers le gouvernement. On peut s’étonner de ce que les responsables militaires chiliens aient décidé d’appliquer un programme libéral aussi éloigné des concepts d’extrême centralisation auxquels ils sont accoutumés, et alors même que les autres dictatures militaires qui gouvernèrent l’Amérique latine se signalaient par leur goût pour l’intervention étatique dans le domaine économique.

La réponse doit certainement se trouver dans le chaos indescriptible créé par le gouvernement marxiste d’Allende qui ne fit qu’accélérer la tendance socialisante et étatiste qui caractérisait la politique chilienne depuis les années 30, maintenant le pays dans l’arriération économique et, incapable de créer de la richesse, ne disposant que du seul outil de la redistribution forcée des revenus pour palier à la misère d’une partie de la population. Il fut, dès lors, facile de démontrer aux militaires que les modèles socialistes conduisaient toujours à l’échec. Le modèle d’économie sociale de marché telle qu’il était proposé en remplacement du modèle en vigueur avait sa propre cohérence logique et offrait la possibilité de sortir du sous-développement par la création de richesse plutôt que par la spoliation d’une partie de la population au profit d’une autre..

C’est ainsi qu’après un militaire (Lorenzo Gotuzzo), un planificateur (Raúl Sáez) et un entrepreneur (Fernando Léniz), en 1974, ceux qui seront plus tard connus sous le nom de Chicago Boys prirent en main les destinées économiques du Chili, avec l’arrivée de Jorge Cauas au ministère des Finances. Les premières mesures adoptées concernèrent la diminution des dépenses publiques, la restructuration de l’appareil de l’État et un contrôle strict des finances publiques. Une fois réalisées ces mesures d’urgence, une réforme fiscale fut entreprise, de même qu’une réforme du marché du travail, une libéralisation de différents secteurs de l’économie (notamment dans l’agriculture). La libre circulation des capitaux fut instaurée et opérée une réduction drastique des barrières douanières. Plus tard, vint la réforme de la sécurité sociale (avec notamment l’instauration d’un système de pensions privé par José Piñera), l’élaboration d’un nouveau code du travail, la privatisation d’entreprises dites « stratégiques » et l’ouverture au privé d’anciens monopoles (mines, énergie, télécommunications, infrastructure, etc.)

Cette politique de renforcement du secteur privé et de la concurrence dans l’économie fut menée durant toute la période du régime militaire et, après le retour à la démocratie, sans aucune modification substantielle, par les quatre gouvernements de centre-gauche, dont deux présidences socialistes (Lagos – qui, aux Etats-Unis, fera même la promotion du système de pensions privé –  et Bachelet), qui se succédèrent entre 1990 et 2010 (privatisations de ports, concessions privées de routes et d’aéroports, élargissement et approfondissement du système de pensions privé , etc.), ainsi que par le gouvernement de centre-droit de Sebastián Piñera depuis cette date. Après être passé par les inévitables maladies de jeunesse qui surgissent lors de toute réorganisation sociale et économique, le modèle proposé dans le Programme de développement économique élaboré avant et pendant la présidence d’Allende tint toutes ses promesses et fit du Chili le premier pays d’Amérique du Sud à intégrer l’OCDE, le 7e le plus libre économiquement au monde en 2013, le propulsant en tête des nations latino-américaines, en offrant aux Chiliens les meilleurs indices de développement humain et le plus haut PIB par habitant de toute l’Amérique latine,  ainsi que les taux de pauvreté les plus bas de toute leur histoire. Un bien beau résultat pour une aventure qui commença, il y a près de 60 ans, par un accord de coopération entre deux universités.

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Lire aussi les autres articles du dossier « Salvador Allende, 40 ans plus tard » :

Salvador Allende et la voie chilienne vers le socialisme
Cybersyn, le rêve mouillé du socialisme
Les mille jours d’Allende
Les textes cachés de Pablo Neruda

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