L’État et la banque centrale, en intervenant dans l’économie, provoquent des cycles économiques qui sont des anomalies que le marché doit réguler.
Par Philippe Bouchat.
Une fois n’est pas coutume, j’aimerais commencer cet article par une devinette : qu’y a-t-il de commun entre un socialiste, un écologiste, un centriste et un conservateur ? Ne cherchez plus : l’économie « sociale » de marché (Note de Contrepoints : aucun rapport avec la Sozialmarktwirtschaft). D’un côté, les gauchistes ont abandonné – officiellement du moins – l’économie dirigée, alors que, d’un autre côté, leurs homologues du centre et de droite acceptent désormais comme une évidence de réguler le marché. Tous, quelle que soit leur position sur l’échiquier politique, revendiquent le rôle de l’État dans la sphère économique pour atténuer les prétendues injustices créées par le marché.
Et de fait : que constate-on ? Le marché connaît des cycles économiques : tantôt la croissance est en plein boom, tantôt elle est en berne et l’économie entre en récession. Dans le premier cas, des bulles se créent qui exploseront et entraîneront la disparition de centaines d’entreprises et la destruction de milliers d’emplois. Dans le second cas, la consommation est au plus bas et justifie des plans de relance qui vont augmenter l’endettement national pour maintenir le pouvoir d’achat des consommateurs. Ces cycles ont donc des conséquences sociales désastreuses, dont le marché est responsable, selon les étatistes de tous bords. Heureusement, l’État est là pour atténuer ces conséquences dramatiques et réguler les excès du marché. Tout cela est vrai. Mais en apparence seulement !
Car, que s’est-il passé en réalité ? C’est le marché qui est venu réguler les errements de l’État dans l’économie. Les cycles existent, certes ; mais ils ne sont pas provoqués par le marché, mais par l’État. Ludwig von Mises l’a démontré avec brio : en créant une banque centrale qui joue le rôle de prêteur de dernier ressort, l’État facilite l’expansion du passif des banques commerciales. En outre, cette banque centrale va jouer sur le taux d’escompte (taux auquel les banques commerciales empruntent à la banque centrale) et in fine sur les taux d’intérêt des banques commerciales (c’est-à -dire sur le coût de l’argent qu’elles prêtent). L’effet cumulé de ces deux actions va entraîner un accroissement non naturel de la masse monétaire qui va déboucher sur une inflation des prix des biens à la consommation, alors que le coût de l’argent va quant à lui diminuer. Or, que va faire l’entrepreneur lorsqu’il va constater que le loyer de l’argent a diminué ? Il va penser que cela est dû à une cause naturelle, à savoir qu’il y a beaucoup d’épargne dans les banques commerciales et que l’heure est donc venue pour lui d’emprunter pour réaliser des investissements structurels importants. Hélas ! Pour lui, les taux d’intérêt bas qu’il a constatés sont en réalité causés par une décision de la banque centrale. Il vient d’investir de bonne foi, alors que l’heure n’est pas à l’épargne, mais à la consommation. Pour le dire plus simplement, le taux d’intérêt artificiel va provoquer un surinvestissement dans les équipements et un sous-investissement dans les biens de consommation. Bref, à cause de l’intervention étatique à travers la banque centrale, l’entrepreneur va mal investir. Et le marché, qui recherche l’allocation optimale des ressources, va sanctionner ces mauvais investissements – pourtant consentis de bonne foi – en provoquant l’évincement de ces entrepreneurs ayant mal investi à cause de l’État.
C’est donc bien le marché qui régule l’État et non l’inverse ! Mais que voit le citoyen ? Pas l’action étatique de la banque centrale – pourtant bien réelle – mais la régulation du marché qui se traduit par des faillites et l’accroissement du chômage. Schumpeter avait vu juste : le capitalisme est menacé, car son action destructrice se voit, alors que l’action de l’État ne se voit pas. Et l’État se voit ainsi légitimé dans le traitement des injustices sociales « causées » en apparence par le marché !
Résumons-nous. L’État et la banque centrale, en intervenant dans l’économie, provoquent des cycles économiques qui sont des anomalies que le marché doit réguler. Cette régulation se traduit par des faillites et du chômage, ce qui est inévitable. Le marché a donc le mauvais rôle, alors que l’État a le beau rôle de celui qui va traiter socialement les prétendues injustices sociales du marché. L’État profite alors d’être ainsi légitimé pour accroître son emprise sur les individus : c’est la pieuvre de l’État-providence qui étend ses tentacules et prélève des impôts de plus en plus importants pour assumer ses missions toujours plus nombreuses. Voilà où nous en sommes aujourd’hui : un État omniprésent qui justifie des impôts toujours plus élevés. Mais la coupe est à présent pleine et les contribuables grondent avant peut-être de se révolter…
En intervenant dans l’économie, l’État s’assure la légitimité nécessaire pour asseoir son emprise liberticide sur les individus et justifier l’expropriation des revenus des citoyens par des prélèvements obligatoires confiscatoires ! Il s’agit donc d’une spoliation légale au sens littéral.
La flamme de la Liberté est ainsi quasi éteinte, mais personne ne s’en émeut, car la liberté est assimilée, par un raccourci aussi malhonnête que stupide, au marché et aux ultra-libéraux qui pourtant n’ont vraiment rien à voir avec les vestales de la liberté véritable que sont les libéraux authentiques.
Nos concitoyens se rendent-ils donc compte qu’ils soutiennent l’action de l’État qui n’a de cesse pourtant de les priver de leur liberté et de leurs ressources ?!
La réponse est non ! Et pour cause : dans la situation précaire que nous connaissons – et qui est l’œuvre de l’État – l’écrasante majorité de nos semblables préfèrent la sécurité à la liberté. Or, Hayek l’a bien démontré : les deux notions sont radicalement incompatibles ! Plus on recherche la sécurité, moins on est libre ! L’État, avec la complicité consciente ou non de la presse subventionnée par lui, dispose donc de l’arme absolue : la peur ! La peur du lendemain, la peur de perdre son emploi, la peur de ne pas subvenir aux besoins de sa famille, etc. Or, cette peur n’a été rendue possible que par le cortège de misères provoquées par l’intervention de l’État dans l’économie.
Concluons. L’État fausse l’économie. Le marché n’a pas d’autre choix que de réguler ces erreurs en apportant des corrections socialement désastreuses, afin de retrouver une situation économique saine. L’État intervient pour traiter ces désastres sociaux et en profite pour étendre son emprise. La peur s’installe et le bon peuple recherche la sécurité. Le sens et la quête de la liberté sont grandement menacés. Et le tour est joué : l’État règne en maître sur des sujets asservis, spoliés, appauvris et dépendants. C’est le nouveau tyran, mais qui a réussi le tour de force d’être légitimé dans son action tyrannique!
Nous en sommes là maintenant, à la croisée des chemins. Soit nous continuons à croire à ce mensonge catastrophique que c’est l’État qui régule le marché ; dans ce cas, c’en est fini de la liberté : l’Histoire de notre civilisation occidentale s’arrête et nous crevons tous en adorant l’idole étatique. Soit, nous réussissons, nous libéraux, à convaincre nos contemporains que c’est le marché qui régule l’État et que si nous voulons vraiment (re)découvrir ce qu’est une société d’hommes libres, il nous appartient de lutter contre la cause de tous nos maux : l’intervention de l’État dans l’économie. Nous devons convaincre qu’il est de nécessité vitale de supprimer toutes les banques centrales (en commençant par la BCE), de supprimer les plans de relance, de réduire les endettements des États et, surtout, de faire confiance – enfin confiance ! – aux entrepreneurs et au marché. Si l’État se retire de l’économie, alors le cercle vertueux va remplacer le cercle vicieux actuel : les cycles vont disparaître, les prix vont s’équilibrer, les taux d’intérêt vont naturellement refléter l’état réel de l’épargne dans les banques commerciales, les entrepreneurs vont investir à bon escient, le nombre de faillites va sensiblement diminuer, ainsi que le taux de chômage. Les seuls qui vont perdre dans ce schéma, ce sont ceux qui vivent de l’étatisme, à commencer par les corps intermédiaires et les capitalistes « pourris » (crony capitalists). La société sera donc assainie.
Deux seules conditions sont nécessaires pour renverser la tendance : redonner le goût de la liberté à nos semblables et la confiance dans la prise de risque. C’est peu, mais tellement à la fois : notre responsabilité en tant que libéraux est immense : nous sommes le « petit reste » d’où la Renaissance peut venir. C’est à notre portée, là où nous vivons. Le libéral se doit d’être optimiste : lui seul peut sauver notre civilisation. Ceux qui ne partagent pas cette analyse sont déjà atteints du cancer étatiste…
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Sur le web.
Merci pour cette explication. Il y a peut être un 3° solution: le FN….Le Français ne comprenant toujours pas d’où vient son mal, va au contraire s’enfoncer encore plus dans la dictature sous prétexte que c’est de la faute des étrangers….. Finalement, peut on en vouloir aux Français d’avoir une vision aussi limité avec les médias et l’éduc natizional ?! Pour finir, je ne crois pas que les libéraux vont arriver à quelque chose avec le Français. Après tout, ne sommes nous pas « déjà  » dans une dictature, heu pardon, démocratie libérale ?!!!! Et c’est connu, les turbos, capitalistes néos-libéraux, sont des mageurs de chatons, des violeurs d’enfants et surtout des gens qui ne pensent qu’à leur liberté et surtout pas aux malheurs des autres…..
FN: encore plus étatiste que les autres partis de Droite et de Gauche, à éviter plus que tout autre.
Complètement d’accord, le FN ne ferait que déplacer le problème sans le résoudre. Le pouvoir d’achat des étrangers est bien connu et suffisamment faible pour savoir qu’il n’occasionnerait pas le moindre soubresaut dans l’économie.
On ne peut pas diriger un état avec des plagistes.
@Golum, merci pour le commentaire. Tant que le clivage gauche-droite servira de grille de lecture politique, le fossé entre le politique et les citoyens s’aggrandira : c’est inévitable, car force est de reconnaître que gauche et droite (et centre) appliquent la même politique colbertiste avec les mêmes conséquences désastreuses. Le FN a donc un boulevard … sauf à expliquer aux Français le nouveau clivage constructivistes/planistes (dont le FN est l’exemple le plus funeste) vs. libéraux. phb
C’est à se demander aussi si la violence n’est pas un réflexe purement socialiste et donc un but recherché par tous les partis confondus.
On devrait pousser le raisonnement plus loin et privatiser la monnaie ce qui reste le meilleur moyen d’atténuer les risques pris par un acteur au niveau mondial.
L’État est une pure abstraction. Derrière ce rideau de fumée platonicien se cachent un certain nombre d’individus, bien réels, qui se servent de cette abstraction, admise par le plus grand nombre, pour satisfaire leurs intérêts: pouvoir, argent, gloire, et tout ce qui va avec (vivre comme un « riche » alors même qu’on prétend ne pas aimer les « riches »).
Et derrière ces opportunistes suivent tous ceux qui leur assurent, contre faveurs personnelles, le succès: c’est le social-clientélisme (je t’accorde telle faveur si tu votes pour moi). Plus il y a de suiveurs, plus les opportunistes sont assurés de perdurer dans leurs pratiques et plus la « démocratie » est « renforcée ».
C’est bien-là le cercle vicieux qu’il va falloir briser et ce ne sera pas facile, car tous ceux qui ont intérêt à conserver leur situation aux dépens de celle des autres vont s’accrocher à leur « privilèges ».
Les libéraux, qui ont compris l’aspect pernicieux de ce système, vont devoir faire preuve d’imagination pour faire comprendre qu’il spolie l’indépendance et donc la liberté d’un grand nombre d’individus, qui n’est pas forcémment le plus grand dans notre pays.
c’est ce que j’essaie de faire avec mon modeste article @Hermodore, phb 😉
les questions qu’il serait intéressant d’approfondir sont les suivantes :
1. qu’est-ce qu’on appelle par marché ? terme employé par beaucoup à tort et à travers mais qui finalement est maîtrisé par très peu de personnes
2. l’Etat encadre-t-il le marché ou fait-il lui-même partie du marché ? En effet, personne ne peut nier que le marché ne peut exister sans un Etat, ou des institutions qui l’encadrent (tout simplement pour des questions aussi simple que le vol, ou encore pour des questions plus économique comme la monnaie (dénominateur commun des échanges, ou plus pratique comme le respect de la concurrence « libre et non faussée (interdit de rire….))) mais est-ce sont seul rôle ? L’Etat est aussi fournisseur de services, Ces services font-ils partie du marché ? Si non, on retombe à la question 1. : qu’appelle-t-on le marché ? Ces questions sont loin d’être anodines car elles sont fondamentales pour élaborer une théorie économique crédible.
Le marché c’est l’ensemble des actions des acteurs économiques, donc des individus. Non ?
Correction : l’ensemble des ressources issues des actions acteurs économiques.
Et c’est bien parce que c’est tellement gigantesque et fractionné qu’un état peu ou prou centralisateur ne peut qu’échouer quand il se substitue au marché. Son rôle est régalien et rien d’autre.
Sauf que l’Etat est composé d’individus ! L’Etat fait-il alors partie du marché selon vous ? Si je vous suis, l’Etat serait finalement une conséquence du marché, puisque l’Etat est une conséquence des actions des individus. Ce qui pose un grave problème de cohérence. Comment opposer Etat et marché alors que l’un serait une conséquence de l’autre ?
je viens en bout de course les amis, mais je voudrais préciser que, pour moi, si l’Etat et le marché sont deux abstractions, la grande différence est que l’abstraction étatique asservit les individus et les empêche d’entrer directement en relation les uns avec les autres, alors que l’abstraction ‘marché’ libère les individus et les met – ne fût-ce que virtuellement – en relation les uns avec les autres. Et cette différence fondamentale les oppose radicalement. phb
Lionel37 : L’état est de fait dans le marché, oui. Il ne crée pas de richesse – à moins de faire du profit – mais en réalloue une partie à travers ses activités. C’est un acteur économique et à ce titre il est donc présent dans le marché. Mais l’un n’est pas la conséquence de l’autre, ce sont simplement deux choses distinctes. Il n’y a pas à les opposer… sauf lorsque l’Etat veut se substituer d’avantage au marché. Ce qui est trop souvent le cas.
Philippe Bouchat : Ce sont tellement des abstractions que personne n’a eu à les inventer !
Pas d’accord sur l’opposition mais c’est un débat libéral/libertarien.
Tout d’abord, je vois mal en quoi une abstraction asservirait un individu, je vois mal comment, un concept, une abstraction, un objet de la pensée est capable d’asservir un individu. La croyance, les actions effectuées au nom d’un concept, oui je suis d’accord avec vous mais un simple concept ! Je vois mal, également, en quoi l’Etat empêcherait les individus d’entrer en relation les uns avec les autres, il faudrait imaginer un Etat totalitaire qui contrôle tous les faits et gestes des individus pour admettre cela, ce qui n’est nullement le cas de nos sociétés. J’aurai même tendance à dire que l’Etat démocratique moderne qui permet le respect des libertés individuelles de chacun (puisque chacun a son mot à dire dans cet Etat) a tendance à favoriser cette rencontre des individus entre eux.
L’Etat créé à la fois des richesses (des services à forte valeur d’usage (éducation, santé, sécurité) mais également de la valeur monétaire (en rémunérant ses agents) comptabilisée dans le PIB. Il faudra un jour m’expliquer cette curieuse logique qui voudrait une tâche effectuée par le privé soit considérée comme une création de richesse et de valeur monétaire alors que la même tâche effectuée par le public ne le serait pas. Depuis le temps que je pose cette question, personne n’a pu me répondre.
Parfait et splendide résumé de la situation…
Si seulement on pouvait vous lire autre part que sur ce site ! Si seulement on pouvait planter cette petite graine de liberté et d’espoir dans la tête de certains, on pourrait peut être changer les choses…
Mais malheureusement, comme vous le décrivez si bien, le choix entre liberté et sécurité (au sens large) est naturellement biaisé en défaveur de la première option (comme le confirme le premier commentaire de ce post)
J’ai bien peur que nous devions passer par la case « chaos » avant de pouvoir repartir sur de meilleures bases… Et un peu comme c’était le cas pour la Russie d’après communisme, il y a fort à parier qu’une génération entière (ou plus) soit irrémédiablement « foutue » (comprenez par là : endoctrinée par l’éducation et les médias)…
Merci @PeacefulJoe : compliment que j’accepte bien volontiers 🙂 vous pouvez lire ma prose également sur mon blog : http://lecontradicteur.unblog.fr/ . J’avoue que j’essaie de publier ici et là dans les médias subsidiés (horresco ferens), mais la plupart rechigne les articles par trop libéraux pour eux… belle soirée! phb