Travail du dimanche : pourquoi faudrait-il réglementer ?

Avant de se demander si c’est utile, il faut se demander au nom de quoi il faudraitréglementer le travail du dimanche ou en soirée.

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Travail du dimanche (Crédits choudoudou licence Creative Commons)

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Travail du dimanche : pourquoi faudrait-il réglementer ?

Publié le 7 octobre 2013
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Avant de se demander si c’est utile, il faut se demander au nom de quoi il faudrait réglementer le travail du dimanche ou en soirée.

Par Jacques Bichot.

Travail du dimanche (Crédits choudoudou licence Creative Commons)La question du travail le dimanche est un exemple parmi d’autres d’un problème important : jusqu’à quel point l’État et les collectivités territoriales doivent-ils réglementer notre vie ? La liberté totale n’est pas envisageable : quelques comportements, par exemple tuer, agresser, violer ou voler, doivent à l’évidence être interdits et réprimés par les autorités légitimes en complément de leur condamnation morale par l’immense majorité de la population. Mais les réglementations doivent-elles être étendues presque à l’infini, comme c’est le cas actuellement ?

Un texte est, en principe, à la base de tout l’édifice constitutionnel, législatif et réglementaire français : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. Sa clarté et sa concision tranchent avec le bavardage juridique qui remplit par milliers les pages du Journal Officiel. Ses articles 4 et 5 disposent que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. » Et encore : « La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. » Posons-nous donc la question : l’ouverture de magasins le dimanche ou à une heure tardive est-elle nuisible à la société ? Le droit au repos de tout un chacun implique-t-il l’interdiction de travailler comme salarié certains jours ou à certaines heures de la journée ?

Le repos dominical et plus largement celui du week-end et celui du cœur de l’été est une convention qui facilite la vie : en l’absence d’un consensus à ce sujet, il serait nettement plus difficile d’organiser des réunions familiales ou amicales, des rassemblements religieux, sportifs ou musicaux, etc.

Une norme est donc utile à tous. Mais pourquoi cette norme serait-elle juridique ? Pourquoi recourir à la loi, pourquoi imposer par la contrainte ce qui correspond à un désir largement partagé, mais nullement totalitaire ? L’économie des conventions montre que, si certaines conventions ont besoin d’un appui apporté par les autorités politiques, la majorité d’entre elles s’établissent et perdurent assez bien, grâce notamment à une certaine souplesse, par le seul jeu des rapports privés entre des multitudes d’agents et de corps intermédiaires.

La plupart des gens sont heureux de trouver le samedi et le dimanche, ou encore un peu tard le soir, des trains ou des bus qui circulent, des restaurants où venir en joyeuse compagnie, des services d’urgence en matière médicale, des spectacles, et ainsi de suite. Comme le montre un récent sondage CSA pour Les Échos et l’Institut Montaigne, ce désir très majoritaire de trouver de quoi occuper agréablement ou utilement ses loisirs s’étend aux magasins de bricolage : il existe une complémentarité, et non pas une opposition, entre les loisirs dominicaux ou vespéraux de la majorité et le travail professionnel d’une minorité.

Bien entendu, les travailleurs du samedi, du dimanche, du mois d’août ou de la nuit ne doivent pas être exploités par leurs concitoyens. Les horaires atypiques comportent des inconvénients, il est normal que ceux-ci soient compensés par des avantages. Le plus souvent, il s’agit d’une rémunération supérieure, ou d’un temps de travail réduit ; mais certains peuvent aussi être contents de travailler quand les autres arrêtent majoritairement de le faire : des étudiants à l’affut d’un job de vacances, des artistes ou des ministres du culte qui aiment trouver un plus large public, des opérateurs qui apprécient l’ambiance plus décontractée du travail nocturne, et ainsi de suite. Toute la question est de savoir si la société civile est capable de gérer l’offre et la demande de travail atypique en limitant raisonnablement les injustices, ou si les autorités politiques doivent s’en mêler.

Il peut exister des situations qui requièrent l’intervention du législateur, du gouvernement, du préfet ou du maire. Mais elles ne sont certainement pas assez nombreuses pour exiger une interdiction de principe, assortie de dérogations accordées assez chichement, voire au coup par coup. Si, par exemple, la fermeture dominicale de certains services de sécurité rend dangereuse la fréquentation d’un centre commercial ou d’un cirque, on conçoit que l’autorité compétente lui signifie une interdiction d’ouverture. Mais la solution peut aussi être de faire fonctionner le service en charge de la sécurité.

Et de là à faire de l’interdiction la règle générale, de là à obliger tout organisme ou ensemble d’organismes désirant ouvrir le dimanche, ou le soir jusqu’à minuit, à demander une autorisation ! Au pays de la liberté, dans l’esprit des articles de la Déclaration des droits de l’homme cités en introduction, c’est la liberté de travail et d’ouverture des établissements qui doit être la règle générale, et l’interdiction qui doit être l’exception, dûment motivée.

Le marché n’est pas la panacée universelle, mais c’est, dans la majorité des cas, une institution plus performante que la bureaucratie. Si, par exemple, aucune interdiction ne pèse plus sur l’ouverture des commerces le dimanche ni en matière d’horaires, dans un premier temps une sorte de ruée s’effectuera probablement, dépassant les attentes de la clientèle, puis le jeu se calmera, car beaucoup ne feront pas leurs affaires, en tous cas pas suffisamment pour compenser le surcoût salarial entraîné par les horaires atypiques.

Certains travailleurs, initialement motivés par l’appât du gain, deviendront plus réservés – et donc plus disponibles pour leurs familles et leurs amis – lorsque leurs employeurs, faute d’une fréquentation suffisante, essayeront de les faire travailler le dimanche ou la nuit à des tarifs plus proches de celui des heures usuelles. Un équilibre s’établira, qui correspondra à un compromis acceptable entre les avantages liés à la norme sociale du travail du lundi au vendredi de 8 h à 18 h et ceux liés aux exceptions.

L’optimum social sera-t-il atteint ? À supposé que nous sachions quel il est – ce qui m’étonnerait beaucoup, en dépit des déclarations péremptoires des Messieurs-Dames « je sais tout ce qui est bon pour vous et pour la société » – il sera davantage approché qu’en laissant à quelques poignées de politiciens et de fonctionnaires le soin de ficeler leurs concitoyens avec des milliers de règlements. Laisser les gens chercher eux-mêmes, en tâtonnant, un compromis entre leurs différentes conceptions de ce qu’est une bonne vie, et entre leurs différents intérêts, donne plus souvent de bons résultats que le recours à la contrainte.


Sur le web.

Lire aussi : Le faux problème du travail dominical

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  • Je suis en total accord avec cet article, et c’est le genre de remarque que je faisait hier soir devant le « reportage » de M6 sur le sujet.

    Je rajouterais autre chose : donner autant de pouvoir à la bureaucratie, celui de décider qui peut ou ne peut pas ouvrir le dimanche, ne peut que conduire à des abus en tout genre de la part de cette bureaucratie. Du comportement de petit potentat bien content de faire subir « sa » loi à celui plus sournois du « trafic d’influence » (sans parler bien sur de la corruption inhérente à ce genre de pouvoir), j’imagine sans peine ce qui doit se passer en coulisse de ce genre de décision.

  • Bonjour Docteur,

    Je me méfie de la sagesse car, comme Hemingway le disait « avec l’âge, ce n’est pas plus sage que nous devenons, mais plus prudent ».

    Pour autant, votre article est frappé du sceau du bon sens.

  • C’est tout simple : les lois sur les périodes de soldes, et celles sur les heures d’ouverture des commerce sont des « victoires » protectionnistes, obtenues de haute lutte par les plus ringardes des Classes Moyennes.

    La boutique de village qui ne veut toujours pas solder ses caleçons longs stockés avant la guerre, le pantouflard qui veut la paix le soir, mais ne supporte pas qu’on se passe de lui si sa boutique est fermée.

    De quoi faire un bras d’honneur aux grandes surfaces, et à tout le commerce dynamique ! Ultérieurement, on a « vendu » ce système comme étant de l’intérêt des familles, ce qui n’est nullement démontré.

    L’idée fondatrice est que le consommateur ne dépensera pas plus en 7 jours qu’en trois, et qu’il n’a qu’à faire ses courses quand ça convient aux commerçants

    Bien entendu, Bastiat répondrait que ceux qui travaillent des soirs et les dimanches ont un pouvoir d’achat supérieur, et dépensent probablement plus, mais Bastiat est presque à l’index en France …

  • Ce qui est frappant c’est de voir à quel point la mentalité libérale oublie les leçons du passé… Sans réglementation, effectivement à terme, le travail, le dimanche, le soir, la nuit, serait complètement banalisé et donc sans surprime, ni autre avantage, donc le choix pour l’employeur d’imposer les horaires qui lui conviennent à ses salariés. Bref, un retour au XIXème siècle, avec bientôt plus de durée légal de travail, pourquoi pas plus de limite d’âge et le travail des enfants, etc.

    Le problème c’est que le rapport de force entre l’employeur et l’employé n’est pas symétrique, que pour un poste (surtout dans le commerce), il existe de nombreux candidats, et que la course au moins disant salarial, à celui qui acceptera les conditions les plus précaires est largement ouverte. Il a fallut des siècles pour se rendre compte de cela, pour voir que le système était faussé à la base, si les uns avaient un énorme capital à la naissance, et pas les autres, et qu’aucune réglementation n’est établie pour protéger ces derniers. Que la lutte sociale était un droit pour tendre à égaliser un rapport de force biaisé à titre individuel.

    Dans le meilleur des mondes, sans inégalité de naissance, le modèle libéral est peut-être intéressant, mais en l’état actuel, combiné à la sacro-sainte propriété privée héréditaire, il ne peut qu’amplifier les inégalités. L’histoire est claire à ce propos, aussi claire que pour les tentatives dramatiques de communisme. « L’optimum social » sus-mentionné est à trouver entre les deux et la réglementation est parfois indispensable (quitte à effectivement autoriser plus largement le travail le dimanche et le soir, mais en définissant clairement les bénéfices que peuvent en attendre les personnes qui s’y consacrent).

    • Cher, Gégé,

      Nombreuses sont les erreurs et autres approximations (souvent frappées du sceau du collectivisme) dans votre commentaire.

      Tout d’abord cette affirmation péremptoire :  » à terme, le travail, le dimanche, le soir, la nuit, serait complètement banalisé  » mais pourquoi donc ? S’il ne fait aucun doute que plus de gens travailleraient hors des horaires communes si nous sortions du régime réglementé actuel, rien ne permet de penser que ces pratiques seraient généralisées, et c’est d’ailleurs la raison d’être des surprimes liées à ces horaires : l’absence d’une offre conséquente ! Loi de l’offre et de la demande, quand tu nous tient…
      Quant au couplet sut les pov n’enfants zexploités et le XIXème siècle, prière de laisser la manipulation rhétorique de bas étage au placard…

      Vous remarquez ensuite (très justement d’ailleurs) que les relations employeur-employé sont asymétriques : très bien, mais c’est fondamrntalement le cas de toute relation commerciale ! Du côté de l’offreur l’information (ou le savoir-faire), de l’autre la possibilité d’aller voir ailleurs : où réside le vr

      • Foutu clavier…
        Bref où réside le vrai contrôle d’après vous ? Chez celui qui certes sait faire ou chez celui qui put faire jouer la concurence ? Par ailleurs, et nous sommes bien d’accord, le chômage de masse crée des conditions défavorables aux travailleurs, mais ce chômage est justement conséquence des règlementations délétères que vous appelez de vos voeux humides…
        Quant à la lutte sociale qui serait un droit, il n’existe tout simplement aucun droit à contraindre les autres à payer tel prix ou à traiter avec telle personne plutôt qu’une autre… Ce sont là les usurpations typiques auxquelles se prêtent la sociale-démocratie. Par ailleurs cette lutte n’aboutit pas à égaliser mais à exclure et à appauvrir : les exemples sont légions (règlementations, salaire minimum et autres « aides » sociales).

        Concernant votre dernier paragraphe, la propriété privée n’a rien de sacro saint dans notre bon pays… Au contraire elle est toujours comprimée , oppressée, rançonnée, limitée, dénoncée et finalement vidée de sa substance même : le droit de disposer librement. Au delà du fait qu’elle ne contribue pas à augmenter les inégalités, en quoi cela serait un objectif souhaitable ? Mieux vaut l’enrichissement de tous plutôt qu’une chimérique lutte contre des disparités de toutes façons en permanent mouvement.

        • Bonjour Delendra,

          « à terme, le travail, le dimanche, le soir, la nuit, serait complètement banalisé  » : en fait j’avais rajouté « effectivement » car je reprenais les arguments de l’auteur de l’article à ce sujet :
          « lorsque leurs employeurs, faute d’une fréquentation suffisante, essayeront de les faire travailler le dimanche ou la nuit à des tarifs plus proches de celui des heures usuelles. »

          Pour les approximations à caractère « collectiviste », c’est la rhétorique habituelle de contrepoints : dès qu’une personne effectue une analyse qui n’est pas dans la ligne dogmatique libérale, caricaturez-le !

          Vous en appelez à l’offre et la demande, j’en appelle à l’histoire à ce propos : les rapports sont inégaux par nature, pour que la loi de l’offre et de la demande fonctionne, il faut un rapport de force qui ne soit pas biaisé. S’il y a pénurie de travail, n’importe quelle personne peu qualifié, ne peut pas négocier correctement (d’où la course au moins disant que j’évoquais). D’où l’intérêt des syndicats (« union » en anglais), dont le but est de rassembler des personnes pour défendre à plusieurs leurs intérêts, ce qu’il ne peuvent faire efficacement en étant seuls. Au passage, si vous êtes contre la possibilité pour les gens de s’associer et faire valoir leur point de vue, vous n’êtes pas véritablement libéral. Je ne dis pas que le syndicalisme tel qu’il est pratiqué aujourd’hui soit la panacée, ni un exemple de vertu, bien au contraire. Mais je reconnais liberté de sa constitution et son intérêt.

          Pour les pauv’ n’enfants, ce n’est rien d’autre que l’enchaînement idéologique que vous prônez : sans contrainte, jusqu’où aller ? quelle serait la limite ? La encore l’histoire, et l’expérience de l’économie mondialisée, nous apprend que sans réglementation spécifique rien n’interdit véritablement, le travail des enfants (au XIXè siècle effectivement, mais aussi aujourd’hui au Bangladesh, en Inde, etc.). Les circuits sont trop opaques pour que les consommateurs aient de toute façon les moyens d’être renseignés sur qui a travaillé à la constitution des produits qu’ils achètent (à moins, là encore, qu’ils ne constituent des groupes de pression – ah, syndicalisme quand tu nous tiens ! -).

          Vous dites, « Par ailleurs cette lutte n’aboutit pas à égaliser mais à exclure et à appauvrir » pourtant le syndicalisme était fort pendant les trentes glorieuses, et la majorité de la population a bien su s’enrichir…

          « la propriété privée n’a rien de sacro saint dans notre bon pays » : là n’était pas mon propos, comme vous l’ignorez une fois de plus. Je soulignait qu’un monde libéralisé à outrance, ne permet pas à la majorité des gens qui possèdent peu à la naissance de rattraper ceux qui ont beaucoup (problématique des inégalités de naissance). Sans aucune loi visant à équilibrer la répartition des richesses, et au terme rapports gérés individuellement, celui qui part de plus haut aura beaucoup plus de facilité à grimper encore plus haut, que celui qui part du bas de l’échelle. Votre litanie sur un hypothétique « enrichissement de tous » ne tient pas : avec une instruction payante, que faire sans argent, ou très peu ? Avec un système de santé privatisé, comment être bien soigné avec peu d’argent ? etc. Les exemples sont légions dans les pays en voie de développement : avec l’émergence d’une classe moyenne, les gens se rassemblent pour défendre leur intérêts et mettre en place un rapport de force plus favorable à leurs intérêts… Tout ce qu’il y a de plus « naturel » en quelque sorte.

      •  » à terme, le travail du soir, de nuit, sera complètement banalisé  » mais pourquoi ?

        mais c’est évident : parce que le soir, et surtout la nuit, on y voit bien mieux que le jour !!!
        sauf, c’est bien connu, pour les asiatiques, qui font de trés mauvais pilote la nuit ( ou tous les gauchistes sont gris ) !

    • Le rapport de force entre employeur et employé est symétrique par nature, seule l’intervention étatique le rend asymétrique en empêchant le marché de jouer. La France est sur le podium des pays où le marché du travail est le plus contraint, ce qui explique sans doute la difficulté des Français à concevoir qu’un contrat d’embauche ailleurs soit en général gagnant-gagnant.

    • « pourquoi pas […] le travail des enfants »

      Ca tombe bien : le travail de enfants a été réinstauré en 1941 et généralisé en 1945 dans un système particulièrement immonde sur le plan moral : la retraite par répartition. Et dans les deux cas, des socialistes en étaient les initiateurs.

      • Rappelons à Gégé que l’abolition du travail des enfants s’est faite en grande partie grâce aux libéraux. Alors le fantasme du monde turbolibéral qui réduit les enfants en esclavage, poubelle.

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