Aron, Weber et Hayek

Extrait d’un compte-rendu publié par Marc Crapez, dans la revue Controverses de mars 2009, en contrepoint aux affirmations de Serge Audier sur Aron.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Aron, Weber et Hayek

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 18 octobre 2013
- A +

Par Marc Crapez.

[…]

ARON Raymond, 1966 © ERLING MANDELMANN ©Dans un précédent livre, sur Raymond Aron1, Audier conjecture que la pensée aronienne présente des « affinités certaines » avec le socialisme libéral de Bouglé, Mazzini, Rosselli… Pourtant, Aron reprochait à Célestin Bouglé de juger « non par rapport au réel, mais par rapport aux partis »2. La confiance d’Aron en la « légitimité de la discussion » sur la cité est interprétée comme une perspective « dialogique ou communicationnelle » de « discussion illimitée » (Aron avait pourtant le sens des limites). À deux reprises, Audier suppute qu’Aron serait plus proche d’Habermas que de Weber… Pourtant, s’il advient qu’Aron critique Weber, auquel le lie une « affinité élective », c’est immédiatement pour le classer en tant que « grand penseur », et rien n’autorise à penser qu’il aurait pu considérer comme tel Habermas. Audier compare la notoriété de Tocqueville à celle du socialiste libéral Bourgeois ou du socialiste Enfantin, et se réclame, en outre, de Pierre Mendès-France. Aron pourtant jugeait Mendès surévalué parce que coqueluche des intellectuels. Pour lui primait, ce qu’Audier cite du reste, la « qualité intellectuelle » sur les auteurs « intellectuellement inférieurs ». C’est le sens de ses critiques de l’Université, comprises par Audier comme des gages d’anti-gaullisme, alors que mai 68 a empiré les choses de par une « politisation » accrue « du monde universitaire » et un « activisme universitaire » exigeant « l’expulsion des professeurs réputés réactionnaires ou fascistes »3. À l’inverse, Aron fit preuve de probité dans les instances universitaires où il « trancha par son honnêteté intellectuelle [pour] sélectionner les nouveaux candidats »4.

Qu’Aron se soit distingué des vues d’Hayek comme d’une sorte d’utopie déterministe est une chose. Mais camper un « Aron face au néolibéralisme », c’est oublier que celui-ci considérait Hayek comme un auteur puissant, duquel il différait en degré plus qu’en nature5. Qu’Aron se soit distingué du libéralisme intégral d’Hayek et du conservatisme absolu de Monnerot n’empêche pas qu’il ait été à leurs côtés contre deux régimes totalitaires. Qu’Aron jette une pierre dans le jardin de telle « objection spirituelle » de Paul Valéry n’implique pas qu’il stigmatise une position « élitiste et conservatrice » comme le prétend Audier. Dans son premier livre, Audier désapprouve que, dans telle publication du PS des années 70, « Aron ne mesure pas combien cette analyse, derrière un discours antilibéral, présente des aspects libéraux et même ‘libertaires’ ». Dans le second, il soutient qu’Aron aurait estimé qu’en 68 « la critique libertaire du capitalisme était déjà ‘libérale’ à son insu ». Un journaliste accentue ce contresens en faisant croire aux jeunes esprits qu’Aron aurait regardé 68 comme une « matrice de progrès social » avec laquelle il n’aurait été qu’en « désaccord sur la méthode »6. L’un des abus d’Audier consiste à accorder le même crédit aux éditions posthumes de cours de l’enseignant Aron – nécessairement porté à être plus consensuel avec l’air du temps – qu’aux livres écrits et publiés par les bons soins d’Aron en personne. Aron lui-même reconnut que son livre Démocratie ou totalitarisme résultait de cours de 1957-58 à la fois « influencés par le dégel » et édulcorés par « l’expression atténuée que j’en présentai aux étudiants »7.

[…]

—-
Suivre les articles de l’auteur sur Facebook.

Retour au sommaire de l’édition spéciale Raymond Aron, 30 ans déjà

  1. S. Audier, Raymond Aron. La démocratie conflictuelle, Michalon, 2004.
  2. R. Aron, Mémoires. 50 ans de réflexion politique, Julliard, 1983, p. 143.
  3. Ibid., p. 497, 336, 487.
  4. N. Baverez, Raymond Aron. Un moraliste au temps des idéologies, Flammarion, 1995, p. 327-328.
  5. R. Aron, Études politiques, Gallimard, 1972, p. 195, 206.
  6. X. de la Vega, compte-rendu de La Pensée anti-68 dans Sciences humaines, juillet-août 2008 (« 12 livres pour l’été »).
  7. R. Aron, Mémoires, op. cit., p. 406-407.
Voir les commentaires (3)

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Stockholm a tiré un coup sur l'arc de l'establishment en reconnaissant Hayek, mais c'était un honneur que le grand homme de Vienne méritait amplement. Il y a trente-deux ans, le 23 mars 1992, l'économiste autrichien, philosophe politique et lauréat du prix Nobel Friedrich August von Hayek s'éteignait à l'âge de 92 ans. Ce n'est pas sur ce triste événement que je m'attarde ici, mais plutôt sur le 50e anniversaire, plus tard dans l'année, de son discours d'acceptation lors de la cérémonie des prix Nobel à Stockholm, en Suède. Quel moment glorie... Poursuivre la lecture

Par Sylvain Fontan.

[caption id="attachment_127195" align="alignleft" width="235"] Milton Friedman (Crédits : The Friedman Foundation for Educational Choice, licence Creative Commons)[/caption]

L'interview qui suit est donnée par Milton Friedman, économiste libéral, prix Nobel d'économie 1976 et chef de file de l'École monétariste. L'entretien date de 2003, il est dirigé par l'économiste français Henri Lepage.

Depuis cette interview, Milton Friedman est décédé. Âgé alors de plus de 90 ans, lors de cet échange il dresse so... Poursuivre la lecture

Extrait de Philippe Nemo, Histoire des idées politiques aux Temps modernes et contemporains, PUF, 2002, p. 779-781.

 

Si l’on entend par socialisme une doctrine, ou une famille de doctrines, condamnant la propriété privée, prônant la mise en commun des biens, imposant des conduites normées qui restreignent la liberté individuelle, il est clair – et les premiers socialistes ont explicitement revendiqué cette parenté – que le socialisme peut et doit être rapproché des « communautés primitives » ayant précédé l’émergence de l’... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles