Par Yoani Sánchez, depuis La Havane, Cuba.
La semaine dernière un ami m’a demandé si l’arrivée d’un changement démocratique à Cuba mettrait fin au journalisme indépendant. Je me suis mise à méditer parce qu’il y a des réponses que l’on ne doit pas jeter en l’air sans les avoir bien soupesées au préalable. Pendant les secondes où j’ai gardé le silence ont défilé dans ma tête toutes les images et les moments de ces reporters du risque et de la parole qui ont influencé ma vie. J’ai pensé à Raúl Rivero qui a quitté le journalisme et les institutions officielles pour faire le saut périlleux vers la liberté de sa plume. Je me souviens, dans son appartement de la rue Peñalver, de la machine à écrire posée en permanence sur la table, de l’odeur du cigare, des bras tendus pour accueillir tout ce qui pouvait arriver. Indubitablement, un homme qui aime cette profession pour laquelle il s’est trouvé au centre de tant de répression et de tant d’injures.
J’ai poursuivi en repassant les différents noms. Reinaldo Escobar qui m’a contaminée pour toujours avec le virus du journalisme, les collègues du « Printemps de Cuba », tous les amis qui ont nourri les pages de « Cubanet », « Diario de Cuba », « Café fuerte », « Hablemos Press », « Misceláneas de Cuba », « Voces cubanas », « Penúltimos DÃas » et tant d’autres sites, blogs, agences de presse, ou simple bulletins d’une seule feuille pliée en deux. Espaces dans lesquels on a raconté ce pays escamoté par les médias officiels et le triomphalisme des slogans politiques. Des gens qui ont choisi la voie la plus difficile, au lieu de se taire, de simuler, d’éviter les problèmes, comme la grande majorité. Grâce à eux nous avons pris connaissance des innombrables nouvelles tues par les journaux, la télévision et la radio nationales. Ces dernières, propriété privée et hégémonique du Parti Communiste.
C’est pourquoi quand mon ami m’a lâché cette question, j’ai conclu que dans une nation démocratique le journalisme n’a pas besoin d’appellation particulière. Il n’a pas besoin d’être « officiel » ou « indépendant ». Justement, en modeste hommage à tous ces reporters d’hier et d’aujourd’hui, j’ai écrit la préface de l’anthologie « Con voz abierta » qui regroupe une sélection de nouvelles et d’opinions écrites à l’intérieur de Cuba et dans les conditions les plus précaires du point de vue légal et matériel. C’est un livre de journalistes… tout court, sans qualificatifs qui déterminent leur affiliation ou non à une idéologie. Une compilation qui nous rapprochera de ce futur dans lequel nous n’aurons pas besoin de faire de telles distinctions entre les professionnels de la presse.
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Sur le web. Traduction : Jean-Claude Marouby.
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