Par Jean-Baptiste Noé.
Les émeutes antifiscales qui sévissent en Bretagne en octobre 2013 témoignent de la permanence de l’histoire à travers les régimes et les gouvernements. Que nos émeutiers bretons aient revêtu un bonnet rouge, rappelant ainsi la révolte du papier timbré de 1675, n’est qu’un élément de cette permanence, la plus symbolique et la plus visible. Mais c’est surtout dans les actes et les discours que les liens entre la révolte du XVIIe siècle et celle d’aujourd’hui sont les plus visibles.
L’écotaxe est le nom actuel de l’octroi, tout concourt en effet à une ressemblance parfaite. Les nationales sont dotées de portiques, qui calculent la distance parcourue par les camions, et les taxent en conséquence. C’est plus qu’un simple péage qui permet l’accès à une autoroute, c’est véritablement un droit de passage sur un grand axe routier. Ce droit de passage est affermé à la société Ecomouv, qui en est le prestataire.
Le samedi 26 octobre 2013, un groupe de manifestants s’est retrouvé à Pont de Buis, dans le Finistère, pour attaquer l’un des trois péages de Bretagne. Le préfet a dépêché une compagnie de CRS pour le protéger et éviter sa destruction. En cette fin d’année 2013, nous sommes pleinement replongés dans les pratiques d’Ancien Régime, quand les populations prenaient d’assaut les octrois.
Nous voyons aussi ressurgir les pratiques régionales. Les Bretons se battent pour eux-mêmes. Ils ne demandent pas l’abrogation de la taxe au niveau national, mais au niveau régional. Celle-ci ne sera peut-être pas appliquée en Bretagne, mais en Alsace, en Provence ou dans le Centre, oui. Que le gouvernement, qui se targue de valeurs républicaines, y consente, est le signe d’un abaissement de cette république jacobine, une et indivisible, qui ne nous a pas habitués à céder aux appels du régionalisme.
Reprenons les caractéristiques de la révolte de 1675, pour mieux en distinguer les parallèles intéressants avec notre temps.
En 1672, Louis XIV s’engage dans une guerre contre les Provinces-Unies. Celle-ci se passe mal. Les Hollandais ont ouvert leurs canaux pour inonder les terres, ce qui empêche la progression de l’armée française. En manque de capitaux pour payer les armées, le roi lève de nouveaux impôts. Parmi eux on relève le fermage du papier timbré, le monopole de la vente de tabac et l’imposition d’une taxe sur les objets en étain.
Le papier timbré est indispensable à l’établissement des actes authentiques. C’est l’ancêtre de notre timbre fiscal. Pour réaliser un testament ou un contrat de mariage, ainsi qu’un contrat de vente, il faut utiliser un papier muni d’un timbre. Cette taxe, créée en avril 1674, renchérit donc le coût des actes officiels. L’imagination fiscale n’est pas une nouveauté.
Le Roi décide également d’imposer un monopole sur la vente du tabac. Celui-ci est affermé et taxé. L’affermage existe encore aujourd’hui, mais on parle plutôt de délégation de service public. Toujours est-il que Louis XIV inaugure la longue histoire d’amour entre le tabac et l’État, dont les taxes et les richesses qu’il procure servent de liens matrimoniaux.
Enfin, les objets en étain sont taxés. Cette mesure est rétroactive : les objets achetés dans le passé doivent être taxés eux aussi. Voilà qui nous rappelle la tentative de taxation rétroactive de l’épargne des Français. Cette taxation rétroactive n’a pas dû être simple à faire valoir. On se doute que les propriétaires d’objets en étain ne sont pas venus spontanément payer leur taxe et qu’ils ont dû cacher leurs objets. Face à l’inventivité fiscale, les Français ont développé une évasion fiscale où ils sont aussi experts.
En 1675, la révolte a été très violente, avec des morts nombreux en Bretagne, mais aussi en Aquitaine, qui fut également touchée par le mouvement. La répression le fut tout autant. Louis XIV eut à subir la plus grande révolte de son règne depuis la Fronde. Il fallut bien transiger et différer les taxes, mais, dans l’ensemble, les impôts furent appliqués, et le Roi profita des événements pour renforcer les liens unissant la Bretagne à Paris. Les historiens n’ont pas manqué de faire remarquer que les zones où la répression a été la plus forte, sont celles où il y eut le plus d’adhésion à la République pendant la Révolution, et celles aussi qui adhérèrent le plus au communisme rural dans les années 1950-1970. Cet échauffement breton s’inscrit donc davantage dans une longue durée de l’histoire, que dans une nouveauté passagère.
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Sur le web.
Merci beaucoup. C’est carré, limpide et il y a tout.
Il va falloir que « Contrepoints » se positionne clairement sur les moyens d’obtenir quelque chose du gouvernement par la violence et les manifs.
Ici il approuve les violences en Bretagne tandis que les manifs ouvrières et syndicales pour la sauvegarde des acquis sont toujours condamnées.
@turnover
« se positionne clairement » ????
C’est une blague ?
C’est quels mots que vous ne comprenez pas dans « liberté d’expression » ?
D’autres part, renseignez-vous sur ce que sont réellement les manifs syndicales. Vous serez un peu moins ridicule.
« Cet échauffement breton s’inscrit donc davantage dans une longue durée de l’histoire »
je ne vois vraiment pas ce que viens faire ce commentaire de constructif ici.Cet echauffement s’inscrit dans le cadre d’une Bretagne qui s’appauvrit au meme rythme que la france et qui en a marre de raquer pour tout.
ce mouvement s’inscrit dans le cadre d’une population soumise et apathique, ou il semblerait que ce soit ces bretons echauffes dans la dureede l’histoire qui conservent la couille nationale, souvent egaree.
Eh bien tant mieux. Je crois à une nouvelle Révolution Française, née en Bretagne, en novembre 2013, avec les bonnets rouges. Avec une telle énergie et une telle détermination à sa base, le mouvement a toutes les chances de durer et de l’emporter. Les bretons parlent clairement de faire sécession, et parmi les drapeaux bretons, j’ai vu des drapeaux Corses. C’est le peuple de France, je crois qui se réveille, en retrouvant ses bannières.
En Corse, à Orezza, en 1735, fut proclamée la première déclaration d’indépendance, proclamation inappliquée dans les faits. Mais en 1755, la Corse, devenue effectivement indépendante, avec une administration exerçant un contrôle effectif sur son territoire, se dotait effectivement de son hymne, de son drapeau actuel (la tête de Maure), alors que la France n’avait pas encore le sien, sa monnaie, son armée, ses institutions, sa constitution écrite, alors que la France n’en avait pas encore non plus. Elle fut défaite à Ponte Novu en 1769, par l’Armée de Louis XV, venu autorisé par un bout de papier sans valeur. Les Corses fêtent encore Ponte Novu, quoi que cet événement soit une défaite, de leur point de vue, pour rappeler que l’histoire s’est arrêtée là, et que c’est là qu’elle reprendra un jour ou l’autre.
Etre français ne nous dérange pas, et nous sommes même capables d’en être d’excellents. Tant qu’il n’est pas question de cesser d’être Corses. Il n’existe, entre les deux, aucune antinomie. Et si, cette différence, on nous la dénie, eh bien oui, contraints et forcés, nous dirons quand-même au revoir à la France, parce que cesser d’être Corses, comprenez-le ou pas, nous ne le pouvons pas. Et je pense qu’il en va de même des Bretons.