J’ai beaucoup apprécié la lecture de ce formidable ouvrage de philosophie politique, écrit de manière très limpide, à la façon d’un très bon cours d’Histoire. Je l’ai savouré lentement, pour mieux m’en délecter de toute la substance. Car c’est un ouvrage vraiment très riche, plein d’enseignements précieux, voire d’érudition. Mais cela tient surtout à son auteur, à l’origine de nombreuses publications de qualité à l’image, entre autres, d’une monumentale Histoire des idées politiques dans l’Antiquité et au Moyen Âge suivie d’une Histoire des idées politiques aux temps modernes et contemporains, ou encore d’un très intéressant Qu’est-ce que l’Occident ?, pour ne citer que quelques-uns des ses ouvrages.
Ici encore, on apprend beaucoup. Ainsi, si l’on sait que notre pays, la France, se caractérise par une particulière importance des mouvements révolutionnaires, désireux de rompre avec le capitalisme ou de changer de société, si l’on sait que les tentations totalitaires (même si elles ne portent pas ce nom) ont été légion, et si l’on sait, pour reprendre les mots de Philippe Nemo :
Il ne s’est pas instauré en France, comme en tant d’autres démocraties libérales, une bipolarisation entre un parti (ou une coalition) de droite et un parti (ou une coalition) de gauche modérées, du type conservateurs-travaillistes en Angleterre, ou républicains-démocrates aux États-Unis, où les deux adversaires s’opposent sur les politiques concrètes (le taux souhaitable de prélèvements obligatoires, la nature et le degré d’intervention dans l’économie, le choix et l’ampleur des politiques sociales, etc.), mais admettent les mêmes institutions et le même modèle global de société.
On ne sait en revanche pas forcément bien dire pourquoi. Et c’est la force de cet ouvrage que d’en expliquer les causes, grâce aux explications historiques.
L’opposition d’idées entre 1789 et 1793
Ainsi, partant de la Révolution française, Philippe Nemo montre en quoi on peut opposer très nettement les idées de 1789, véritablement fondatrices de ce que l’on appelle la démocratie libérale, de celles de 1793, qui, elles, n’ont pas grand-chose de démocrate et moins encore de libéral. Bien sûr, je schématise ici à l’excès. Il faut lire l’ouvrage pour mieux comprendre toute la subtilité de la thèse.
Toujours est-il que cette opposition radicale entre ces deux tendances a des conséquences fondamentales et explique beaucoup de choses dans l’histoire politique de notre pays jusqu’à aujourd’hui. 1793 n’a duré qu’un an, mais a laissé des traces durables.
Ensuite, cet essai vaut par son rétablissement d’un certain nombre de vérités. On sait tous que l’Histoire a beaucoup eu tendance à être réécrite au cours des précédentes décennies (voir, entre autres, L’histoire assassinée : Les pièges de la mémoire de Jacques Heers, L’histoire interdite de Thierry Wolton, ou encore Historiquement correct : Pour en finir avec le passé unique de Jean Sévilla), en particulier avec les lunettes déformantes des principes de la lutte des classes et toute la désinformation qu’elle implique (voir, par exemple, la Petite histoire de la désinformation de Vladimir Volkoff).
C’est pourquoi Philippe Nemo s’attaque ici à un certain nombre de mythes qui ont la vie dure et déforment la vision que nous pouvons avoir de notre société ou les rapports politiques qui la modèlent.
Six grands mythes au sujet de la Révolution française
Premier mythe : 1793 aurait été démocrate
Rien de plus faux lorsque l’on s’intéresse de près aux événements et que l’on sait avec quelle violence inouïe ceux-ci se sont enchaînés (voir par exemple Révolution française, Tome 2 : Aux armes, citoyens ! (1793-1799) de Max Gallo). Et, non seulement la violence, les émeutes et autres voies de fait ont toujours été de mise dans la tradition des héritiers de 1793, mais en outre le plein respect des élections puis de leurs résultats n’ont pas non plus toujours été le fort de ces derniers. Les nombreux faits ici exposés le justifient. La très intéressante explication de Philippe Nemo vaut également son pesant d’or, reposant sur le millénarisme laïcisé de cette orientation.
Deuxième mythe : 1793 aurait fondé la République.
Là encore, un peu d’histoire permet de montrer que les choses sont loin d’être aussi caricaturales, loin s’en faut. Mais je vous laisse le découvrir, par la lecture de l’ouvrage, par volonté de ne pas simplifier à outrance.
Troisième mythe : 1793 aurait été laïque
On pourrait plutôt parler de laïcisme, tant l’anticléricalisme a dérivé vers le fanatisme, puis les persécutions multiples et répétées.
On appréciera tout particulièrement le long exposé sur les francs-maçons, sujet que je connaissais très mal et mouvement dont je sous-estimais l’importance jusque-là . Très instructif.
Le rôle majeur de l’école, notamment, est particulièrement marquant et assez central ici dans l’orientation politique de notre pays.
Quatrième mythe : 1793 aurait été dreyfusard
Un sacré mythe qui a la vie dure et qui est un sacré mensonge ! Là encore, place à l’histoire et au déroulement factuel des événements, dans le respect de la chronologie. Avec des conséquences très lourdes sur la rupture effroyable que cela a provoqué en définitive, puisque l’on a alors assisté à une spectaculaire recomposition des blocs politiques, qui scelle la fin de l’espoir d’une conjonction des centres conforme à ce que nous évoquions plus haut et correspond à la situation politique de la plupart des démocraties libérales.
Cinquième mythe : les adversaires de 1793 auraient été nazis
De l’influence du marxisme dans la culture française d’après-guerre et de ses origines (pour faire court). Ici, vous n’apprendrez pas grand-chose de plus que ce que vous connaissez certainement.
Sixième mythe : il n’y aurait de républicains qu’à gauche
On peut toujours refaire l’Histoire… Mais on peut aussi la relire au fil des faits et des événements. On s’aperçoit alors que cela ne coïncide pas forcément : en cohérence avec ces deux derniers mythes, voir par exemple Les contre-réactionnaires : Le progressisme entre illusion et imposture de Pierre-André Taguieff.
Un ouvrage, en définitive, magistral. Très intéressant et très instructif. Je ne saurais que trop vous en conseiller la lecture.
– Philippe Nemo, Les deux Républiques françaises, Presses Universitaires de France, Quadrige Essais Débats, avril 2010, 320 pages.
Philippe NEMO est l’Hippolyte Taine du XXIème. Je serine qu’il ne faut en aucun cas lire les soi-disant historiens qui sévissent depuis la moitié du XXème, avec une exception pour NEMO qui est plus philosophe qu’historien.
Ne pas oublier Fernand Braudel dans un autre registre qui fut à mon humble avis le plus grand historien français de tous les temps …
La France a toujours été un agglomérat d’agités du bocal, de groupes cherchant à se dominer sans scrupules,
expulsant ses élites inlassablement et coupant les têtes qui dépassent.
Si ce pays a naguère été celui « de la mode », c’est tant le français adore le changement : faites le compte de vos régimes depuis 1830, et comparer à la Belgique qui a toujours eu la même Constitution, et a fait seulement une réforme de l’Etat …
Que de salive et d’énergie gaspillées pour faire sur sur-place (ou reculer).
Amuant, mais quand on lit les auteurs anglais du XVIIIème siècle, ils font déjà le même constat 🙂
Ben ouais, mais vous les belges vous faites tout « une fois », il est donc logique que vous n’ayez q’une seule constitution…