Ah, les emprunts toxiques ! En matière de décontraction dans la dépense et d’irresponsabilité crasse de la part d’élus, difficile de trouver un meilleur exemple dans l’actualité que ces opérations financières dans lesquelles se sont fourvoyées un paquet de communes à la tête desquelles on trouve de façon assez systématique des bestiaux politiques bien plus capables d’embobiner le bon peuple que de faire une simple règle de trois…
L’aventure, commencée au milieu de la première décennie du XXIème siècle, aura permis de donner à ces édiles de droite et de gauche une vraie occasion d’enfoncer leur commune dans des dépenses hors de tout contrôle et de toutes proportions, le tout en minimisant largement le risque associé de se voir traînés dans des tribunaux et terminer leur brillante carrière d’aigrefins politiques dans une cellule certes républicaine mais règlementairement étroite.
L’idée générale, telle qu’expliquée par les élus, est la suivante : les communes ayant d’impérieux besoins de financements ont reçu de très alléchantes propositions par des banques peu scrupuleuses, n’hésitant pas à échafauder des montages complexes et imperméables au maire moyen, pour assurer à la fois une bonne rentabilité du prêt à la banque et une source juteuse d’argent frais pour la commune. Las : les prêts se sont avérés piégés et particulièrement coûteux lorsque la conjoncture s’est retournée après 2008, mettant les communes dans d’affreuses difficultés financières. À l’évidence, les banques ont failli à leur nécessaire devoir de transparence et d’information auprès des pauvres maires qui n’auraient jamais contracté de tels emprunts s’ils avaient su à quels risques ils s’exposaient.
Ben voyons. Et la réalité, telle qu’une fois débarrassée de sa gangue de mauvaise foi et de sabir politocard atténuant, est bien moins tranchée : les élus ont sollicité les banques pour des prêts sur des montants souvent trop importants pour leur commune, avec des échéances aussi lointaines que possibles, et engageant en cela les prochaines équipes communales sur des montages qu’elles n’avaient pas signés. Les banques, sautant sur l’occasion, leur ont proposé des prêts en carry-trade, essentiellement basés sur des calculs d’intérêts en fonction des parités de l’euro face (par exemple) au franc suisse. L’ensemble de ces prêts, on l’a su par la suite, était en fait parfaitement limpide et simple à comprendre (lire ce billet, qui détaille un de ces prêts par le menu). Loin de faire appel aux équipes comptables ou financières de leurs communes ou des trésoreries publiques, les maires concernés auront signé aussi vite que possible, croyant faire des affaires.
La suite, on la connaît assez simplement par les coupures de presse qui s’entassent : les taux de ces emprunts, assis sur des conditions idylliques et instables, ont explosé, rendant rapidement intenables les remboursements communaux. Rapidement, les maires, plutôt qu’admettre avoir signé n’importe quoi, n’importe comment, se sont immédiatement réfugiés dans les jupons de l’État pour fuir leurs responsabilités et les poursuites judiciaires qu’il aurait été normal d’intenter contre eux.
Réclamant tous une socialisation aussi rapide que possible des pertes supportées, il fut rapidement question que les contribuables (qui auraient payé les prêts) soient mis à contribution pour que les dérapages soient épongés (vous saisissez la nuance : dans un cas, les maires indignes doivent répondre à leur population de l’augmentation stratosphérique des taxes locales, dans l’autre, on lisse la bévue sur tout le pays, et au pire, ce sont les générations futures qui paieront au travers de la dette étatique contractée alors, tranquillou).
Et on apprend donc que jeudi dernier, les députés (comptant beaucoup de maires, merci le cumul des mandats) ont voté le dispositif gouvernemental de sortie des emprunts toxiques en créant un fonds de soutien doté chaque année de 100 millions d’euros sur une durée maximale de 15 ans, soit 1.5 milliards d’euros de vos poches vers les comptes de ces communes incontinentes de la dépense publique.
Autrement dit, les petits arrangements entre amis continuent : non, il n’y aura pas de faillites communales, jamais, c’est impossible. Aucun maire jeanfoutre des finances publiques ne sera poursuivi pour ses décisions calamiteuses. L’irresponsabilité pourra continuer de régner en France, bravo.
Cependant, au-delà de la perpétuation de cette socialisation des pertes, deux aspects méritent d’être retenus.
D’une part comme je l’ai expliqué, ce vote permet de lisser les patouillages financiers de quelques communes sur l’ensemble des contribuables français, et notamment ceux qui ont eu la bêtise d’imaginer que la propriété (par l’épargne) était encore un droit de l’homme couvert par la République française. En conséquence, il évite le passage en pertes de ces emprunts contractés par ces communes et collectivités de communes, et d’alourdir le passif déjà monstrueux des banques mouillées dans ces opérations improbables. Or, le principal établissement bancaire acoquiné avec les maires dans la large ouverture de ces arroseurs à pognon public n’est nul autre que Dexia.
Pour rappel, Dexia a été de multiples fois renflouée au point que les recapitalisations successives pèsent maintenant sur les comptes publics tant en France qu’en Belgique, et ce de façon périlleuse. Le plus beau, bien sûr, est de bien comprendre que lorsque je parle d’acoquinement entre les maires et les dirigeants de Dexia, il n’est ici question d’aucune exagération. Dexia, dont les dirigeants sont quasiment tous des commis de l’État, est un magnifique exemple de ce capitalisme de connivence que les rares libéraux encore présents en France n’en finissent pas de dénoncer.
Bref : l’État, en choisissant, encore une fois, de faire payer les contribuables de la nation tout entière pour l’incurie de quelques maires indignes et la connivence décontractée des dirigeants bancaires, ne fait que protéger ses petits intérêts bien compris. Laisser tomber les maires, c’est à la fois s’attirer des problèmes avec les thuriféraires zélés de ses politiques dépensières, et c’est risquer de plus gros ennuis financiers si jamais la banque devait vraiment carafer.
Mais d’autre part, après ce vote assez magnifique où, finalement, on pardonne voire on récompense les gestions les plus calamiteuses de la République en donnant une large période de rédemption aux fauteurs, un autre aspect du vote en question dévoile l’état préoccupant des finances du pays.
En effet, dans la foulée, les parlementaires ont voté l’annihilation d’une décision de justice du TGI de Nanterre favorable aux collectivités locales qui faisait jurisprudence et obligeait la banque Dexia à recalculer à la baisse les taux consentis au conseil général de Seine-Saint-Denis pour avoir oublié de mentionner un taux d’intérêt déterminant dans un fax, le fameux Taux effectif global (TEG), qui représente le coût réel du crédit. J’avais évoqué l’affaire dans un précédent billet qui, au passage, montrait de façon assez visible la manipulation éhontée des élus pour faire passer la déculottée qu’ils s’étaient prise en victoire triomphante.
Ce que veut dire cette annulation de jurisprudence est que les finances actuelles sont à ce point tendues que si elle s’était appliquée, la banque aurait pu être condamnée de façon systématique, avec à la clef, là encore, une faillite possible de Dexia qui risquait d’emporter bien plus que la banque elle-même dans la débandade.
Jusqu’ici, vous sentiez probablement assez bien le caractère scandaleux de ces arrangements entre amis. Il faut cependant l’intervention de nos branquignoles gouvernementaux, en parallèle, pour transformer tout ça dans l’éternel foutage de gueule que sont devenus les finances publiques de ce pays. Parce que pendant que nos députés et nos maires se votaient des rallonges et camouflaient les erreurs des uns et des autres pour éviter une faillite retentissante qui aurait au moins eu le mérite de ne porter que sur les responsables, Cazeneuve, le clown en charge du budget, rappelait en substance aux Français que ces cascades financières au frais du contribuable ne sont valables que pour les élus, et que les Français, eux, en revanche, doivent arrêter de se monter le bourrichon avec de la révolte fiscale, merde à la fin.
Eh oui : les maires font de grosses erreurs ? La collectivité paye. Dexia est gérée n’importe comment ? La collectivité paye. L’Etat fait des dettes ? La collectivité, les générations futures payent. Mais lorsque le contribuable commence à dire « Bon, ça suffit », il se trouvera toujours un petit vertueux de pacotille pour balancer de l’anathème (un petit coup de poujadisme par-ci, un petit coup d’extrême-droite par-là) afin de bien remettre les choses au clair : En matière de finances, l’État a tous les droits, et les contribuables, aucun.
À présent, moutons, payez. Et taisez-vous.
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Sur le web
Il y a comme un parfum d’hallali (rien à voir avec halal) et la question récurrente qui vient à l’esprit est : « C’est pour quand la chute finale ? » XAVIER KEMLIN PRESIDENT !!!
dans ma commune, le maire, un faux-jeton qui dit oui à tout le monde et va se foutre devant pour qu’on le voit partout, et qui sert des mains en veut tu en voila, a toujours signé un tas de documents qu’il ne comprennait mème pas. je suppose que ce doit etre pareil y compris dans les grandes ville.
rien à voir non plus avec » ha lala ! » ?
xavier kremlin président ! encore un rouge !!
Il faut en finir avec les dépenses à crédit donc , non financées, des collectivités locales.
Dans les années 70 , on attendait parfois 2 ou 3 ans pour que la commune décide de refaire le revêtement goudronné d’une rue pourtant passablement abimé par le gel. La mairie attendait qu’il y ait l’argent nécessaire pour lancer les travaux, quitte à mécontenter les riverains.
Aujourd’hui, dans cette même petite ville, on assiste à des débauches de grands travaux (construction d’un centre communal pour le « théatre et la danse » digne de l’Olympia, construction d’un parking souterrain sur 3 étages, réfection totale de la médiathèque confiée à des architectes de renom, aménagements paysagers, rénovation inutiles de stades avec installation de matériels dernier cri etc…
Travaux souvent entachés de malfaçons (d’où rallonges budgétaires) et suivis d’inaugurations avec ruban tricolore et petits fours + champagne pour les invités.
D’où vient le fric pour faire tout ça en si peu de temps ?
de vos impôts, pardi..
Et des banques qui se gavent au passage en empruntant quasiment à 0 % à la BCE ! Savez-vous, pour tenter de comparer la gestion d’une commune avec la gestion d’un foyer, puisqu’on parle d’emprunts toxiques, que le taux d’intérêt d’un revolving ou d’un découvert sur une carte de crédit atteint des sommets : du genre 19 % l’an alors que l’inflation a tendance à devenir négative. Des Carrefour, Leroy-Merlin et autres grands distributeurs le savent et en profitent et c’est tout bénéfice pour eux et les banques !
@jacqueshenry
Tout à fait exact pour les taux d’intèrêt des crédits revolving. Dernièrement, mon épouse a acheté par correspondance un vêtement à 75 euros et a payé avec sa carte Cofidis.
Quelle ne fut pas sa surprise (alors qu’elle avait demandé un prélèvement au comptant) de recevoir un échéancier avec un paiement de cette somme en 6 fois (6 fois *12,5 €) et bien entendu majorée lors du dernier paiement de frais de crédits à 18% ! ! !
Il a fallu envoyer une LR/AR à COFIDIS pour exiger de payer les 75 euros au comptant (dingue)
Autant que je sache, nul n’est obligé d’utiliser une carte, et il vaut mieux demander un découvert ou un crédit bancaire que d’utiliser ces cartes autrement qu’avec paiement immédiat.
pas tout a fait:il y a les dépenses de fonctionnement et celles d’investissement.seules celles d’investissement doivent etre a l’équilibre.celles d’investissement sont des crédits qui ne seront jamais remboursés et probalement titrisés
Rappel: on a les élus qu’on mérite.
BBBEEEEH voyons
From off a hill whose concave womb reworded
A plaintful story from a sistering vale,
My spirits to attend this double voice accorded,
And down I laid to list the sad-tuned tale;
Ere long espied a fickle maid full pale,
Tearing of papers, breaking rings a-twain,
Storming her world with sorrow’s wind and rain.
On dit aussi: qui se ressemble s’assemble, les opposés s’attirent, on a la femme que l’on mérite, etc…
Bon, je retourne dans mon Shakespeare. Ils étaient peut être pas plus mal à cette époque. Au moins il y avait une certaine beauté du mot. Et puis ils crevaient à 50 ans, pas de problème de retraite, de soins…
Pourquoi pas mettre un peu de http://www.opensourceshakespeare.org/ dans des textes !
Le + cocasse c’ est qu’ il y aurait eu des maires ayants fait appel à un conseillé rémunéré pour souscrire finalement à un emprunt tox , possible ?
C’ est du spéculatif ces emprunts et certains sont contre la spéculat sauf avec les sous des autres .
Observant vos déboires de l’étranger, je suis peu au fait de votre système judiciaire et des pouvoirs de votre parlement, mais il me semblait que la France avait depuis longtemps adopté la séparation des pouvoirs. Comment se fait-il qu’un parlement puisse invalider une décision de justice?
Parce qu’en france, les règles ne sont valables qu’aussi longtemps qu’elles n’empêchent pas les magouilles.
Il ne s’agit évidemment de capitalisme (qui implique une étude sérieuse des placements) mais d’une bande d’enfoirés qui s’est sur-évaluée … La cuidité sans le cerveau !
En Belgique, un Bourgmestre rigolait : il avait été approché à l’époque par des faiseurs de miracles, qui lui promettaient 14 % de rendement.
Sa réponse avait été laconique : « 14 % ? Vous voulez mon pied au cul ? » 🙂
Quand on se prétend apte à gérer le bien public, il faut tout de même avoir la tête entre les deux oreilles !
vos éditos sont de plus en plus perspicaces… merci c’est un réel plaisir que de lire vos articles. en plus cela confirme, souvent par les faits, ce que finalement tout le monde pense… État = Incapable !!!