Par Bernard Zimmern.
Un article d’Emploi-2017.
D’après leur déclaration commune : « Le « corporate venture » ou « capital investissement d’entreprise » est une forme spécifique de capital-investissement. Cette méthode de financement recouvre en pratique l’investissement d’une entreprise dans une autre, typiquement la prise de participation d’une grande entreprise dans une jeune PME innovante. Le « corporate venture » se distingue donc du capital-investissement classique où l’investissement repose in fine sur des investisseurs individuels. Le « corporate venture » est notamment utilisé par les grandes entreprises pour favoriser l’innovation dans leur secteur d’activité ou explorer de nouveaux marchés. »
Ces investissements d’une entreprise dans une autre seraient encouragés en permettant l’amortissement de l’investissement sur 5 ans à hauteur au maximum de 1% du capital du souscripteur. Bercy en attend 600 millions d’apports pour un coût fiscal de 200 millions.
D’abord, quels sont les aspects positifs de cette mesure ?
Il est maintenant reconnu internationalement que l’investissement dans les créations d’entreprises ne peut se faire de façon efficace pour le capital national que si l’investissement est décidé et mené par un entrepreneur ayant déjà créé une entreprise et réussi : la force des États-Unis, du Royaume-Uni, du Canada, etc. est d’avoir des « serial entrepreneurs », des individus déjà à la tête d’entreprises et qui décident d’investir dans des projets formés par d’autres. Si le « corporate venture » débouche sur des patrons de PME ou d’ETI et les pousse à investir dans des projets d’autres, nous ne pouvons qu’applaudir.
Mais il semble qu’il y ait à la base de ce texte une énorme méprise, toujours la même, et que ni Pierre Moscovici ni Fleur Pellerin n’ont vue, car Bercy se garde bien de les prévenir, c’est de nous faire croire que nous manquons de capital-risque, au sens large de « venture capital ». Celui-ci s’investit dans des projets qui ont déjà décollé et fait leurs preuves, et qui ont donc généralement largement dépassé le million de capitaux propres.
Nous ne manquons pas de capital-risque en France car celui-ci traverse les frontières ; la mesure est certainement bien accueillie par les fonds de capital-risque (presque tous logés dans Paris 75008), dont beaucoup émanent de capitaux étrangers, car elle va renforcer le business. Mais quant à créer des emplois, c’est une autre affaire.
On sait en effet – ce que les fonctionnaires de Bercy se gardent bien de dire à leurs ministres – que le manque de fonds ne se situe pas au niveau du capital-risque mais en amont, lorsqu’il s’agit de trouver le premier million qui permet de démarrer une entreprise sérieusement, c’est là que se situe la Vallée de la Mort. Dans un article joint, nous expliquons que c’est la raison pour laquelle nos chercheurs du plateau de Saclay ne se lancent pas à créer des entreprises, à la différence de leurs homologues anglo-saxons et malgré les dispositifs mis en place à l’origine par Claude Allègre.
Nous reproduisons en fin d’article la structure de l’investissement dans les entreprises comparée entre USA et France. Mais nous ne pouvons que nous étonner de voir Bercy continuer à vivre dans la fiction du capital-risque 55 ans après que les Américains aient mis en place une législation Business Angels. Ne lisent-ils pas les rapports de leur ambassade à Washington qui vient enfin, au début de 2013, de s’apercevoir que les Business Angels étaient une étape incontournable dans la création des entreprises ? Ou après que dans les discussions, lors de la création de l’ISF-PME en 2007, il ait été reconnu que l’investissement d’individus et non d’organisations, était indispensable pour le financement des créations ?
Est-ce à dire que l’influence d’intérêts financiers, ceux des fonds, qu’ils soient privés ou d’État, continuent d’influer sur les politiques publiques et de créer le chômage ?
Structures comparées du financement des entreprises aux États-Unis et en France vers 2005 en distinguant les trois étapes du capital informel (financement par la famille et les amis), celui des Business Angels et celui du capital-risque.
Il est peut-être discutable de prendre 10 milliards pour l’investissement du capital-risque en France dans la mesure où cela comporte environ 7 milliards de LBO (leverage buy out) et donc seulement environ 3 milliards investis dans la création et le développement des entreprises mais il est clair que nous manquons de la marche intermédiaire, celle des Business Angels.
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Sur le web.
Bon article. Mais quand toutes les mesures vont dans le même sens, i.e. en faveur des grands groupes et contre les intérêts des PME/TPE qu’elles prétendent servir, il est difficile de parler d’erreur.
En gros: on réduit à peau de chagrin la capacité d’autofinancement des entrepreneurs individuels, on leur fait subir de plein fouet le financement de politiques monétaires dont ils ne voient pas la couleur mais dont ils subissent les effets pervers, on les conspue pour leur manque de civisme devant l’impôt alors même qu’ils sont ceux qui en acquittent la plus grosse partie…