Par Alex Korbel.
Ce monde est de plus en plus étrange.
Même les plus ardents défenseurs de la baisse du taux directeur de la Banque Centrale Européenne (BCE) opérée la semaine dernière prétendent que cela n’aura aucun effet.
Ils estiment en revanche que cette baisse est un signal psychologique lancé aux marchés plutôt qu’un changement significatif de politique monétaire. Selon eux, l’engagement de Mario Draghi à faire « ce qu’il faut » pour sauver l’euro est ainsi réaffirmé.
En effet, même si la réduction du taux de la BCE à 0,25% est historique, ce taux était d’un niveau déjà faible de 0,5%. Il est donc peu probable que cette baisse aura un impact significatif sur les conditions de prêt dans les pays les plus touchés par la crise.
Diversité des analyses
Certains analystes pensent que ce signal psychologique destiné à apaiser ceux qui craignent une déflation ne fera qu’augmenter le risque de déflation étant donné que cela signifierait que la BCE prend le risque de déflation au sérieux ! D’autres analystes pensent que le résultat à long terme sera une inflation, peut-être pas dans les prix à la consommation, mais au moins dans les prix des actifs. D’autres encore considèrent que la BCE a outrepassé son mandat une fois de plus.
Bref, les analystes financiers pensent que cette baisse du taux directeur de la BCE pourrait conduire à la déflation. À moins que cela ne conduise à de l’inflation. Ou que cela ne conduise à rien. Ou simplement à envoyer un bon signal aux acteurs économiques. Ou pas.
Pourquoi les commentateurs sont-ils si divisés ?
Parce que cette baisse du taux directeur de la BCE conduit la banque centrale en territoire inconnu. Bien sûr, le monde a déjà connu des taux directeurs nuls dans le passé. Mais, de par la diversité des situations économiques qu’elle abrite et le manque d’innovation des pays d’Europe du Sud, la zone euro d’aujourd’hui n’est pas le Japon des deux dernières décennies.
On touche ici au cœur du problème. La crise des dettes publiques européennes est structurelle. Les problèmes sont bien connus mais rapidement oubliés dès que la discussion s’engage sur le terrain monétaire. Il n’est pas nécessaire de baisser le taux d’intérêt de la BCE pour déréglementer le marché du travail en Italie, mettre un terme à la corruption en Grèce, accroître la productivité du Portugal et réduire la bureaucratie en France.
L’Europe ne s’engageant toujours pas sur la voie de telles réformes économiques structurelles, la BCE tente de contrer le malaise économique résultant de ce statu quo à l’aide d’une nouvelle dose de politique monétaire agressive. Ce ne sera pas la dernière et les prochaines prescriptions (un quantitative easing, par exemple) seront peut-être plus fortes. Mais l’interrogation perdurera : n’est-ce pas de l’acharnement thérapeutique sur un malade en phase terminale ?
Une politique monétaire agressive, faute de mieux
D’une certaine façon, c’est de manière indirecte que la politique monétaire semble être devenue le dernier espoir de l’Europe. Pendant des décennies, de nombreux pays européens ont eu recours à toutes sortes de politiques visant à stimuler la croissance économique sans réformes structurelles.
La recette classique pour obtenir un petit sursaut de croissance sans mécontenter personne est le déficit budgétaire. L’Europe a beaucoup fait appel à cet expédient depuis le milieu des années 1970. À l’époque, la plupart des États européens avaient une dette publique égale à 30% de leur PIB. Aujourd’hui, dans la zone euro, elle flirte avec les 90%. Quarante années de feu de paille de déficits budgétaires ont conduit à l’incendie actuel de dettes publiques.
Une autre recette miracle était la dévaluation. En Italie, la dévaluation était un moyen bien commode de rester compétitif sur les marchés d’exportation sans aborder aucun des problèmes réels du pays. Et puisque la racine du mal n’était jamais traitée, la dévaluation suivante n’était jamais loin.
Ces deux politiques – déficit budgétaire et dévaluation monétaire – ont fait leur temps. Le niveau d’endettement des États est si élevé que le financement des dettes publiques supplémentaires devient impossible. Dévaluer est non seulement impossible en raison du taux de change fixe entre les économies de la zone, mais aussi parce que d’autres pays non membres de la zone euro sont en train d’affaiblir leur monnaie.
Que reste-t-il comme moyen indolore de stimuler un peu la croissance sans réformer les États ? Une politique monétaire accommodante. Exactement ce que fait la BCE.
Lost in monetarization
On le voit, le problème fondamental de nombreux pays européens est qu’ils ont oublié comment générer une croissance économique sans dette publique, dévaluation ou argent gratuit. Aidons-les à se souvenir. Comment retrouver une croissance économique soutenable ? En réformant.
Des droits de propriété bien définis et stables, des États à taille limitée, des taxes moins élevées et plus prévisibles, un fardeau réglementaire moins lourd : comme le nouveau rapport Doing Business 2014 le montre, l’Europe est encore loin de satisfaire à ces critères. La France est actuellement classée 38ème, l’Espagne 52ème et l’Italie 65ème.
Êtes-vous économiquement myope ou astigmate ?
Tout cela explique la diversité des commentaires face à la baisse historique du taux directeur de la BCE. Si vous êtes surtout préoccupé des chiffres de la croissance du prochain trimestre, voire du marché boursier de demain, alors peut-être que la BCE a fait le bon choix à vos yeux. Si toutefois vous vous posez la question plus fondamentale de savoir si Mario Draghi a fait quelque chose pour résoudre les problèmes structurels de l’Europe, la réponse est sans doute négative.
Pendant des décennies, l’Europe a essayé toutes les alternatives possibles aux réformes structurelles. Les taux directeurs quasi nuls ne sont que le dernier épisode de ce déni permanent. Ils échoueront comme toutes les autres pseudo-solutions précédentes.
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Article originel publié sur 24hgold.com.
Cette analyse est correcte mais elle reste ciblée sur le point de vue de l’Allemagne et des pays du nord de l’Europe. La France et les pays du sud de l’Europe espèrent maintenant contraindre la BCE a engager un assouplissement quantitatif qui serait une première étape vers une mutualisation des dettes. L’immobilisme de la France pourrait être délibéré dans cette approche.
La mutualisation des dettes est impossible à mettre en oeuvre. Quel Etat prendra le risque d’avoir à contraindre par la force un Etat impécunieux à respecter ses engagements, sauf à envisager de lui déclarer une guerre froide ou chaude ? Or, nul n’ignore que les Etats réclamant la mutualisation sont déjà impécunieux (France, Italie…) S’ils réclament la mutualisation, c’est bien dans l’espoir de ne pas avoir à rembourser leurs dettes et de se goinfrer tranquillement une bonne dose d’argent gratuit supplémentaire pour esquiver les réformes.
Pour ces raisons, la mutualisation des dettes n’aura pas lieu, quelle que soit la pression des cochons impécunieux (PIGS+F) sur les Etats bien gérés. Quant à l’assouplissement quantitatif inconditionnel façon Fed, il est tout aussi improbable. Jusqu’à présent, la BCE a refusé de s’engager dans une politique non conventionnelle inconditionnelle. Deux raisons à cela : son mandat limité et la situation de l’euro qui n’a rien à voir avec celle du dollar. Et qui sait ? Peut-être SuperMario a-t-il compris qu’une monnaie forte, peu ou pas manipulée, garantissait l’avenir de l’Europe et de ses membres ?
Les motifs sont valables pour ne pas lâcher la bride mais les positions des membres de plus en plus difficilement conciliables. La BCE a épuisé les méthodes conventionnelles. La décision de la BCE de baisser son taux directeur pourrait être un message à l’attention des dirigeants européens pour le leur signifier, comme une forme de mise en demeure de trouver un accord politique.
Comment il faudrait faire: comme en Island, en Irlande, en Suède, en Allemagne, même l’Italie, l’Espagne, la Grèce essaient de réformer.
La France joue le jeu du « too big to fail » et veut en effet forcer la BCE et l’Europe à alléger ses souffrances.
Mais, il n’y a qu’une solution: un gros coup de pied au cul de la France. Qui va le donner ? Personne, hélas.
Il faut espérer que ça vienne au moins de l’intérieur: des Français eux même.
(Enfin, faut pas trop rêver, c’est l’hiver, la trêve hivernale est entamée. Les impôts prélevés, les vacances de Noël approchent à grands pas. D’ailleurs les annoncent d’interim et de CDD affluent pour les remplacement de fin d’année…bref l’Europe est foutue et le mal absolu est en France.)
En Allemagne? non merci.
Faut sérieusement arrêter de prendre l’Allemagne comme exemple. Qu’on me parle de Royaume-Uni à la limite, d’Irlande ok, mais l’Allemagne est juste une vaste blague, ils ont juste créé toutes les conditions d’un krach boursier. Leurs débouchés se tarissent à mesure qu’ils appauvrissent leurs clients et qu’ils s’appauvrissent eux mêmes, ils se retrouveront bientot avec des tonnes de marchandises sur les bras qui ne vaudra plus rien….. L’Allemagne n’est pas la Chine. Ces derniers ont pu profiter d’une consommation en hausse exponentielle, et d’un marché intérieur faramineux. Mais l’Allemagne ne fait que surproduire avec une consommation en berne et en liquidant celle des voisins au passage, ceux là même qui sont ses débouchés. Soyons clair: l’Allemagne a triché pour améliorer ses chiffres à l’instant T et se faire passer pour le bon élève de l’Europe. Sauf que leur politique à hyper court terme touche à sa fin. C’était du vent.
Aujourd’hui, l’Allemagne est loin d’être sortie d’affaire, au contraire, ils ont retardé l’échéance, maintenant, ils vont devoir assumer.
Les anglais ont eu bien plus de courage et ont affronté la crise frontalement, ils n’ont pas cherché à tricher pour gagner du temps. Et aujourd’hui, ils en gagnent, du temps. L’année prochaine ils seront loin devant tout le monde en matière de croissance, comme les irlandais (je parle en Europe de l’Ouest évidemment), et contrairement aux allemands, leur croissance servira la consommation et ils se relanceront réellement.
Oui, l’Allemagne n’est pas parfaite. Elle a quand même fait des bonnes réformes. L’Allemagne à conservé un outils industriel au lieu de fabriquer des fonctionnaires. En matière de voiture c’est en tout cas un exemple à suivre. Regardez le documentaire sur la fabrication de la BMW z4, on pourra faire un comparatif objectif avec la ligne de fabrication d’une Citroën Française dans la gamme premium….non, oups on peut pas. Désolé !
Encore une fois l’Allemagne n’est pas parfaite, si la France pouvait avoir seulement le quart de cette imperfection…..cela serait un bon départ.
Et puis, c’est très Français d’oculeter les trucs qui marchent bien ailleurs. On pourrait imaginer qu’avec le recul et les bons exemples depuis 1990, la France ferait un cocktail magnifique de réformes qui sont validés efficaces. Non, au lieu de ça, on critique les autres. Tirons les autres vers le bas, ça demande moins d’effort.
Des taux directeurs quasi nul sont institués pour de multiples raisons soulignées par l’article mais la raison principale, la seule qui intéresse les gouvernements, c’est à dire les hommes politiques soucieux de leur réélection, c’est les taux d’intérêt de la DETTE.
Pour la France, par exemple, les taux à 10 ans sont actuellement de 2,4%. Les intérêts versés annuellement aux créancier sont déjà le premier poste budgétaire à 47 milliards. Imaginons que les taux montent à 5%, ce qui n’est pas impossible, les remboursements annuels passeraient à près de 100 milliards.
Les 3 pays les plus malades sont le Japon, la GB et les US. Ces 3 pays font acheter leurs bons du trésor par leur banque centrale au moyen de la planche à billets, en réalité en fabriquant de la monnaie et en l’échangeant avec les actifs pourris des banques.
Tous les efforts sont donc concentrés sur le maintien de faible taux d’intérêt car dans le cas où ceux ci augmenterait, un Tsunami financier ravagerait le monde sans que personne ne puisse prévoir (surtout n’ose évaluer) l’étendue et la nature des dégâts.
Cela explique pourquoi les chiffres de l’inflation sont bidouillés, pourquoi le taux du livret A est si bas, pourquoi de nombreuses dettes sont soigneusement camouflés par tous les pays pour ne pas noircir leur ration bidon dettes/PIB. Le véritable ratio à prendre en compte étant évidemment dettes/revenus de l’impôt (la cata pour tous).
En clair, la politique de l’autruche à l’échelle planétaire par ceux là même qui sont mandatés pour conduire les politiques économiques.
« Imaginons que les taux montent à 5% »
Ils ne monteront pas. En revanche, la baisse des recettes fiscales et la déflation feront exploser la part des intérêts de la dette dans le budget. Et ce sera la panique.
« Et ce sera la panique » : donc les taux monteront à 5%, peut-être même à 15% ou plus.
En fait, même si je déplore ces taux d’intérêt bas qui plombent toute l’UE, leur dernier abaissement vient … de la politique américaine !
L’augmentation vertigineuse de la dette américaine inquiète tout le monde, le dollar, valeur universelle, n’attire plus beaucoup, et l’UE craint que l’euro ne prennent trop de valeur. Un euro fort, c’est top, un euro trop fort, c’est préjudiciable.
Mais, l’article le rappelle, la surenchère dans le QE est une réponse à courte vue et stupide à long-terme, puisqu’elle permet de reporter les nécessaires réformes structurelles — encore une minute, Monsieur le bourreau — sans apporter le moindre espoir de pouvoir s’en passer.
L’Europe en voie de grecification..C’est maintenant!