Par Francis Richard.
L’Institut Libéral publie un ouvrage collectif sur le système de santé suisse.
Cette publication a été réalisée sous la direction de Pierre Bessard, directeur et membre du Conseil de fondation de l’Institut libéral à Genève et à Zürich, et d’Alphonse Crespo, médecin et vice-président du Comité de l’Institut Libéral à Genève.
Pierre Bessard est économiste et journaliste. Alphonse Crespo docteur en médecine et spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie.
Cet ouvrage collectif répond à plusieurs interrogations:
Comment se fait-il que les dépenses de santé augmentent alors que la concurrence et l’innovation devraient les faire baisser ? La qualité des prestations et l’accès généralisé aux soins sont-ils menacés par le système de santé actuel ? Quelles sont les alternatives au rôle croissant de l’État dans le financement et l’organisation du système de santé?
Avant de donner les réponses que cet ouvrage apporte à ces questions, peut-être convient-il de rappeler au préalable les grandes lignes de la LAMal, la loi sur l’assurance-maladie, qui, depuis 1996, a transformé le système de santé suisse dans un sens dirigiste.
Toutes les personnes domiciliées ou exerçant une activité lucrative en Suisse doivent souscrire à l’assurance obligatoire des soins auprès d’une des nombreuses caisses maladie privées autorisées par l’État. Cette assurance obligatoire est une assurance par tête, autrement dit chaque membre d’une famille doit être assuré individuellement.
Les primes pour adultes sont les mêmes pour un assureur déterminé dans une région donnée mais elles diffèrent d’un assureur à l’autre et d’une région à l’autre. Autrement dit il n’est pas tenu compte des risques inhérents à la personne. Jusqu’à l’âge de 18 ans, les primes sont moins élevées et, en général, elles sont réduites pour les jeunes gens de 18 à 25 ans.
Une façon de réduire la prime de cette assurance obligatoire de soins est de choisir une franchise plus élevée – elles varient de 500 francs à 2 500 francs pour les adultes et de 100 à 600 francs pour les enfants de moins de 18 ans. Ces franchises respectivement varient donc par jour de 1,37 à 6,85 francs et de 0,27 franc à 1,64 franc…
Pour les coûts qui dépassent la franchise une quote-part de 10% est perçue, de 700 francs au maximum pour les adultes et de 350 francs pour les enfants…
Les personnes de condition modeste peuvent de plus voir leurs primes réduites, voire intégralement prises en charge par les cantons dans lesquels elles habitent.
Lors d’un colloque, organisé le 5 novembre 2013 à la clinique Bois-Cerf, à Lausanne, par l’Institut Libéral, Yves Seydoux, responsable de la Communication d’entreprise du Groupe Mutuel, pouvait affirmer que 30% des ménages étaient subventionnés et précisait, à la suite d’une question, que les personnes qui ne paient rien sont celles qui consomment le plus de services médicaux… Il ajoutait que le Groupe Mutuel avait été contraint par les autorités de l’État d’accepter le transfert de 4 000 cas sociaux d’un seul coup…
Il faut savoir enfin que le montant des primes doit être approuvé par l’Office fédéral de la santé publique… et que la concurrence entre assureurs est réduite à une peau de chagrin : on parle de concurrence solidaire, c’est dire, puisqu’il y a entre eux compensation des risques…
Comme on le voit, de par son financement et de par la large couverture de l’assurance obligatoire de base, le système de santé suisse est rien moins que libéral et l’est même de moins en moins. D’ailleurs, l’intervention de l’État dans la prise en charge des dépenses de santé est passé de 15 à 20% depuis l’introduction de la LAMal…. en dépit des réticences de la population à la collectivisation.
Pierre Bessard, dans son introduction, rappelle que « l’éthique professionnelle fondée sur le serment d’Hippocrate, l’évolution de la médecine jusqu’à son avènement en tant que science, la philanthropie qui a traditionnellement accompagné la prise en charge des nécessiteux reposent toutes essentiellement sur la liberté des échanges au sein d’une société civile qui évolue et se perfectionne ».
Comme il le dit plus loin, « le marché libre ne repose pas sur les lois de la jungle, qui rappelle plutôt les conflits politiques, mais sur l’éthique de la réciprocité. »
Or, le marché de la santé est de moins en moins libre en Suisse. En effet, le dirigisme en matière de santé prend de plus en plus le dessus sur la responsabilité individuelle. Cette opposition entre dirigisme et responsabilité individuelle correspond à deux conceptions opposées de l’homme. Ou l’homme est capable de prévoir les risques les plus élémentaires et de se prémunir contre eux, ou il en est incapable et il faut le protéger contre lui-même en le taxant…
Cette dernière conception est celle de l’idéologie socialiste. Nous avons connu sa version « hard » (fasciste, nazie ou communiste). Nous sommes en train d’expérimenter sa version « soft » (sociale-démocrate), qui aboutit à l’inflation des dépenses, au rationnement des soins et aux files d’attente, aux privilèges occultes.
L’inflation des dépenses ? La généralisation du tiers payant et l’illusion de la gratuité, qui en résulte, produisent une demande illimitée, d’autant que le prix des prestations ne joue aucun rôle et ne constitue plus un frein aux dépenses personnelles. L’assurance obligatoire, dont le périmètre est très large, entraîne alors la hausse des primes.
Le rationnement des soins ? Le contrôle des coûts, généré par la demande illimitée, conduit à rationner les prestations et à les limiter à ce que la bureaucratie estime nécessaire. Par exemple, la planification hospitalière diminue ainsi la qualité des soins et leur accessibilité.
Les privilèges occultes ? La concurrence est remplacée par des monopoles légaux, des cartels ou un monopole d’État.
A contrario la première conception de l’homme, considéré comme responsable, conduit à un système de santé basé sur le libre-échange, tel qu’en Géorgie, qui se caractérise par une diminution du prix des services médicaux, obtenue grâce à la concurrence, par une meilleure accessibilité aux soins et par des délais d’attente moindres, par une grande diversité des prestataires et des assureurs.
À Singapour, il y a trente ans, a été introduite une solution alternative aux systèmes d’assurance sociale et à la redistribution centralisée des ressources. Il s’agit de la prévoyance à l’aide de comptes « santé d’épargne » individuels, complétés par des assurances pour les grands risques. Les résultats sont probants :
- des dépenses de santé limitées à 4,6% du PIB (10,9% en Suisse)
- une espérance de vie de 82 ans (83 en Suisse)
- un taux de mortalité infantile de 2 pour mille (4 pour mille en Suisse)
- une faible densité de médecins… et aucune pénurie de soins (400’000 personnes viennent même de l’étranger s’y faire soigner chaque année : nombre impressionnant, à comparer à la population de 5,3 millions d’habitants de Singapour)
Les nécessiteux ne sont pas oubliés. Un fonds a été créé pour eux. Ce fonds ne cesse de croître et permet donc de pourvoir largement à leurs dépenses de santé, sans menacer ruine.
Certes il s’agit d’un système d’épargne forcée avec des restrictions de disposition de cette épargne, donc un système qui porte atteinte aux droits de propriété, mais l’intervention de l’État n’y a rien à voir avec celle des États où le système de santé est collectivisé et financé par l’impôt ou des primes obligatoires sans rapport avec les risques, les jeunes payant, par exemple, de manière disproportionnée, pour les vieux…
Quand financement public et financement privé peuvent se comparer comme en Suisse sur une période de dix ans, de 2000 à 2010, alors il n’y a pas photo, les taux de croissance des coûts sont très différents : 59% contre 29%… alors que le PIB a augmenté de 33% pendant ce temps-là .
Il y a donc péril en la demeure avec la tendance à planifier et à redistribuer toujours plus largement dans le système de santé suisse et avec la nouvelle chimère d’une caisse unique qui prétendument résoudrait tout et ne ferait en fait qu’aggraver les dérives actuelles.
Seul le retour à la concurrence et à la responsabilité individuelle peut permettre efficience pour la société et libre choix pour les patients et les assurés. Ce livre très documenté sur le sujet en apporte les preuves incontestables et offre des pistes que je laisse le soin au lecteur de découvrir plus profondément.
Au chevet du système de santé – De la dépendance à la prévoyance, Pierre Bessard . Alphonse Crespo, dir., 200 pages, Institut Libéral
Je retiens que l’obligation de souscrire une assurance santé. n’est pas une mauvaise en soi mais par contre que le monopole de cette assurance santé détenu par l’Etat est un mauvais chose.
L’obligation de souscrire une assurance modifie substantiellement les conditions de marché en rendant la demande captive de l’offre. Elle implique la limitation de l’obligation d’assurance au minimum assurable pour maintenir un maximum de concurrence, de lutter contre les pratiques de passager clandestin, et enfin un contrôle renforcé des pratiques anti-concurrentielles des assureurs, trois conditions évidemment incompatibles avec le socialisme.
En outre, le billet expose clairement la séparation du petit et du grand risque d’une part, de l’assurance et du social d’autre part. On peut d’ailleurs noter que le petit risque fait l’objet d’une épargne, donc d’une provision préalable, rémunérée de surcroit. Ce système ne peut donc être structurellement déficitaire, tout en garantissant réellement l’accès aux soins pour tous, avec les résultats qu’on observe.
Bref, l’assurance obligatoire n’est pas mauvaise en soi, à condition qu’elle évite l’écueil de se transformer en politique « sociale », c’est-à -dire l’exact contraire d’un projet démagogique tel l’ObamaCare, pour prendre un exemple au hasard ;).
L’obligation de souscrire une assurance santé est la porte ouverte et le début de la pente très glissante vers la collectivisation totale. Bref, c’est une chose extrêmement mauvaise.
Enfin un peu de vérité dans cet océan de mensonge…