Par Xavier Alberti.
Il vient un instant dans l’histoire des sociétés où tous les cris individuels, catégoriels, communautaires et corporatistes n’en forment plus qu’un, puissant et inextinguible. Cet instant approche, il marque le croisement rare d’un moment et d’un mouvement, ce moment précis où le jour se lève.
Les aspirations profondes des peuples avancent masquées, cachées derrière des revendications, des cris, des pancartes, souvent dérisoires, mais révélatrices de la perte de sens. À ce titre, le sujet n’est pas de payer trop d’impôts, mais bien de ne plus savoir pourquoi on les paie, le sujet n’est pas de travailler trop, mais de ne plus savoir pourquoi on travaille, le sujet n’est pas qu’il y ait trop d’étrangers en France, mais de ne plus savoir ce qu’est la citoyenneté, car le problème n’est pas de savoir quel est le sens de tout ceci, mais bien de retrouver du sens.
Voilà le rôle inaliénable d’un leader, qu’il soit président, roi, prince ou premier ministre, proposer une vision et une ambition afin de la faire partager et ainsi redonner une perspective à chacun et donc à tous. Gloire à celui qui aura la force et la clairvoyance de poser ces questions autour desquelles se bâtissent les projets qui dépassent les hommes pour mieux les rassembler : pourquoi devrais-je être fier d’être français ou européen, pourquoi dois-je reverser à l’État plus de la moitié de ce que mon travail me mérite et pourquoi enfin devrais-je accepter les termes d’un contrat social qui ne sert plus aucune ambition commune ?
Quand l’exécutif s’effondre, que la droite se dilue, que la gauche se fissure et que le système partisan ne vaut plus que par la politique des slogans, vient cet instant rare et précieux où les peuples ont la capacité de reprendre leur destin en mains. Cet interstice, logé entre l’apparente invulnérabilité de la forteresse étatique et la colossale inertie d’une société millénaire semble à ce point mince que personne n’ose s’y aventurer. Et pourtant…
Cet interstice-là est à nous, nos aïeux nous l’ont gagné avec courage, souvent par le sacrifice de leurs vies, en osant dire non à l’ordre établi quand celui-ci ne servait plus l’intérêt commun, mais seulement celui de ses confiscateurs ; cet interstice-là est partout où les citoyens se regroupent pour faire vibrer ce qui transcende les différences et fonde une république, cet interstice-là rayonne aux frontons de nos villes et de notre Constitution, cet interstice-là porte un nom, il s’appelle Liberté.
Or, la crise que traverse la France aujourd’hui est avant tout celle d’un peuple enfermé et qui peine à s’emparer de nouveau, librement, de son destin. Incarcéré dans 50 ans de bureaucratie, de complexification et de réglementations, le peuple français a peu à peu abandonné le principe pourtant inscrit noir sur blanc dans l’article 2 de la Constitution et qui donne en 11 mots la voie à suivre : « Le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ».
Enivrés par une révolution qui n’en était pas une, les Français ont tourné la page de 1968 en se jetant corps et âmes dans la consommation de masse, et ont abandonné ce principe fondateur pour jouir de la vie et finalement laisser à d’autres le soin de gérer un pays pourtant ingérable, et ce, jusqu’à institutionnaliser la machine à fabriquer l’élite dirigeante autorisée. Si bien que rendu au seuil du XXIe siècle les Français ont abandonné le pouvoir à des gens qui ne leur ressemblent pas et qui finalement ne les représentent plus.
La fissure qui se fait jour désormais n’est que la résurgence de cet interstice, né de l’inéluctable décalage entre le peuple et ses élites. Il est d’ailleurs intéressant de constater que nos dirigeants passent leur temps à taxinomier les révoltés qui pointent partout leurs bonnets, leurs sifflets, leurs huées ou leurs pétitions en les classant inéluctablement dans les mêmes sempiternelles et infâmes catégories : les fascistes, les nazis, les racistes, ou de l’autre bord, les bolchéviques, les communistes, les assistés… comme si la révolte légitime n’était plus possible, comme si la souffrance qui se cache derrière n’était plus envisageable.
Pourtant, la souffrance est là, fille de la pauvreté, de la précarité, du déclassement social, de la peur du lendemain, de la désespérance et surtout de la perte de repères et de sens. Loin d’être paralysantes, les questions de la citoyenneté, du modèle de redistribution des richesses, de la fiscalité, de la retraite, de l’autorité parentale, devraient nous amener à faire ce que fait tout corps (social ou physique), s’adapter et évoluer pour vivre mieux. Mais voilà, loin d’évoluer, notre pays se crispe, se recroqueville pour finalement s’agripper à un passé sur lequel repose désormais notre passif.
La lutte émergente bien qu’encore rentrée est la manifestation de la résistance de la machine étatique et de la recherche de sa sanctuarisation par le statu quo. Or ce statu quo, c’est finalement ce qui étouffe notre pays, incapable de sortir de son modèle pour le façonner de nouveau. Nous sommes devenus tellement soucieux de la préservation de notre emblème que nous en sommes à reparler de frontières.
Y a-t-il jamais eu une représentation plus obsolète dans le monde qui se lève que celle du douanier dans sa guérite ? La frontière c’est la camisole de force dans laquelle certains voudraient nous faire entrer pour s’assurer qu’aucun mouvement ne pourra jamais nous faire trébucher. La frontière c’est d’abord celle de la vision de nos politiques, enfermés dans leurs certitudes et prêts à toutes les servitudes idéologiques. Dans un monde global, la réponse ne peut être que continentale. L’Europe des nations et des régions sera… ou alors, nous finirons empaillés dans notre tout petit musée national.
Personne ne pourra plus arrêter ce qui se lève parce que la seule revendication est celle de la réhabilitation de cette liberté qui donne de la perspective et de la dynamique. Il est devenu impossible pour un Français de vivre dans un pays où on lui dit tout et finalement dicte tout… les hygiénistes comment boire et manger, les médecins comment dormir et marcher, les pédopsychiatres comment élever son enfant, les psychologues comment ressentir, et finalement les politiques comment penser et parler.
Le vent qui se lève est celui du basculement vers un nouveau modèle démocratique. La confiscation de la parole publique par une forme auto-proclamée d’aristocratie intellectuelle portait en elle le germe de sa dégénérescence, désormais inéluctable. Place aux faiseurs, place aux acteurs, place à tous ceux qui font la France quotidiennement et qu’on maintient sous le couvercle de la cocotte bureaucratique. Il est temps que nous nous ré-emparions de la parole abandonnée et de notre capacité à mener notre destin collectif.
Les changements de modèle se nourrissent de ce qui fait l’essentiel c’est-à-dire la quête d’un nouveau possible et la prise de conscience de l’obsolescence de l’ancien. Ensuite, quelques actes suffisent à tout renverser :
- Le renouvellement du personnel politique par la mise en place d’un strict non-cumul des mandats et de leurs renouvellements dans le temps :
– Mandat de 7 ans non renouvelables pour la Présidence de la République,
– Mandat de 5 ans renouvelable une seule fois pour les députés,
– Mandat de 6 ans renouvelable une seule fois pour les maires.
- La mise en place d’un travail de simplification et de déréglementation, en commençant par la disparition des départements au profit des régions.
- Le passage à une fiscalité permettant la redistribution juste de la richesse dans les fonctions créatrices, le travail et l’investissement.
- La sortie du commandement intégré de l’OTAN – structure d’un autre siècle et d’un autre monde – pour que la France puisse reprendre librement la parole dans le concert mondial.
Ce pays n’a plus besoin qu’on lui espère un changement qui viendrait du ciel… Il est temps pour les Français de se réapproprier une parole trop longtemps abandonnée aux faux clercs légitimes. Cela ne dépend de personne, et il n’y aura ni homme providentiel, ni recours dans ce combat intérieur qui oppose la France à son ombre. La nation est l’agrégation désincarnée des citoyens passés, présents et futurs. Il arrive qu’elle doive se mettre en vibration pour imposer son destin. Ce moment est venu, le jour se lève.
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Publié initialement sur Le Cercle Les Échos.
L »auteur est visiblement inspiré par son sujet, la France éternelle, ce qui rend son article intéressant.
Il est si inspiré qu’il en oublie d’assumer ses contradictions entre liberté des citoyens et attente d’un « leader » visionnaire et guidant le peuple vers des sommets que lui seuls entreverraient, mais aussi entre un peuple, une nation, une histoire, des intérêts communs et la frontière, déclarée camisole de force c’est à dire prison. Hors les frontières ne sont plus que des lignes administratives depuis la victoire de l’UE sur … le peuple français après la forfaiture sarkozienne-hollandienne versaillaise ratifiant le dernier grand traité européen.
L’histoire montre que la plupart des hommes providentiels se transforment en dictateur pour peu que les citoyens s’opposent à leurs visions mégalomanes et il y en a toujours pour le faire.
Les citoyens ne sont pas dans leur grande majorité des moutons obéissants aux injonctions des uns et des autres, ils gardent leur liberté de jugement mais n’ont que trop peu l’occasion de l’exprimer. Ce n’est pas parce qu’ils ont été si souvent trahis, voire vendus, par leur soit-disant élite, qu’ils approuvent ce qu’on leur impose par la ruse, la manipulation ou la force.
« Le gouvernement du peuple par le peuple » est un formidable slogan mais a peu à voir avec la réalité lorsque le dit peuple n’est consulté que tous les 5 ans.
Le suffrage universel se révèle un piège habile par lequel on force l’acceptation d’une fausse légitimité par le jeu des partis politiques. Au final, par la limitation artificielle des tours de scrutin à 2, on truque le résultat en contraignant au choix entre 2 personnalités représentant au final les seuls intérêts de l’oligarchie qui les finance.
Le plus urgent est donc de revoir la loi électorale afin d’ouvrir le choix à des personnalités choisies par les citoyens en fonctions de leurs réalisations et non pas, de parfaits incompétents issus de l’appareil du parti dont le seul talent est d’avoir encore plus promis qu’un autre les postes rémunérateurs à leurs amis politiques et du vent aux électeurs.
Je ne crois ni « au recours », ni à l’homme providentiel et cela est écrit noir sur blanc dans le dernier paragraphe. Je ne partage pas le reste de votre analyse non plus et en particulier sur le suffrage universel, mais je vous remercie pour la lecture et le commentaire engagé !
Liberté des citoyens et besoin d’un leader n’a rien de contradictoire. Je ne vous lance pas la pierre, mais ce type de vision, avec le petit peuple opposé au méchant pouvoir, est très française et franchement datée.. D’accord sur le reste.
J’oserais aller plus loin : A t-on vraiment besoin d’un président ? D’un porte-parole ?
Aussi, comme vous l’avez fait remarquer, il convient de renouveler le personnel.
Je pense qu’il faut le faire régulièrement pour éviter une monopolisation du pouvoir par une classe qui ne sert que ses intérêts.
Je propose des mandats courts, non renouvelables, et surtout révocables, sans oublier l’obligation de faire un compte-rendu.
A côté de cela, nous devons aussi donner un droit d’initiative et un droit de véto aux citoyens.
Le droit de veto du citoyen existe, il s’appelle vote… Selon moi ce qu’il manque le plus c’est effectivement le renouvellement permanent du personnel politique.
Merci pour la lecture et votre commentaire.
ne pouvoir choisir qu’entre un mauvais et un pire n’est de loin pas satisfaisant.
bla bla, bla bla, …. bla bla
Je pense avoir compris le sens de votre commentaire… Merci tout de même de m’avoir lu.
je vous trouve drôlement optimiste !
En même temps, le pessimisme nous pourrit la vie, alors à quoi bon ?
Merci pour votre lecture !
Si j’ai tout compris, on passe alors en République sixième (avant la suivante).
En l’état de calamité financière du pays, il serait tout de même plus utile de promouvoir un rétrécissement de l’Etat jusqu’à le contenir dans son domaine régalien, libérant par défaut la société civile.
Aparté : en quoi précisément (avec svp deux exemples pour quelqu’un de simple comme moi) l’OTAN bride-t-elle « la parole de la France dans le concert mondial » ?
Bonsoir et merci de votre lecture et de votre commentaire.
Concernant le premier point, je suis en phase avec la nécessité de ramener l’Etat sur ses fondamentaux régaliens.
Concernant l’Otan, il y a tant à dire que je me permets de vous renvoyer sur une autre tribune qui lui est dédiée.
http://lecercle.lesechos.fr/politique/vie-politique/221153647/reste-t-independance-nationale
Mais surtout l’indépassable lettre adressée par Debray à Védrine sur le même sujet… Un régal (pour moi):
http://www.monde-diplomatique.fr/2013/03/DEBRAY/48843
» la nation…. »
la principale » révolte » de l’année 2013, a été le fruit de breton ultrasubventionnés, qui arbore de drapeau noir et blanc d’un autre siècle, et qui disent san honte:
» on veut continuer à recevoir de l’argent de paris, mais rien donner en retour, et acceder à l’autonomie pour pouvoir nous partager la manne comme on veut ! «
Il y a du vrai dans ce que vous écrivez. Je pense cependant que les réflexes communautaires ou régionalistes naissent de la perte de sens que j’évoque. Donnons une raison aux Bretons (et aux autres) d’être fiers du drapeau tricolore et ils le brandiront également…
Quand à l’ambiguité de modèles construits sur la subvention, je suis d’accord avec vous. Ils empêchent l’évolution des structures.
Merci pour votre lecture et votre commentaire !
C’est absurde de traiter une région en vase clos et pointer une péréquation du doigt pour ensuite comparer au reste de la nation. Les conditions politiques qui ont mené à la situation économique de la Bretagne proviennent justement de Paris qui impose des contraintes économiques et qui transfère politiquement des forces de marché ailleurs. C’est l’État qui intervient pour des soit-disant « avantages comparatifs ». Or, ces influences politiques ne figurent jamais dans aucun livre comptable.
C’est facile de tenir un discours de discrimination économique quand on tronque la situation.
moi, je dit simplement que je n’irai jamais chercher de l’argent chez quelqu’un sur qui je crache.
les bretons brandissent des drapeaux noir et blanc, mais ne sont pas prés de lacher leurs DPU. c’est vrai qu’il s’agit d’argent tout autant européen que français. cela montre assez l’hypocrisie de la société française: donner, donner moi, dieu vous le rendra…
Tres joli article. Mais les reformes enumerees sont a mon sens tres superficielles et ne s’attachent pas a corriger les causes soulignees avant.