Par Donald Boudreaux.
Je confesse avoir une profonde sympathie pour l’anarchisme. Je laisse ouverte la possibilité et je garde l’espoir qu’une société puisse prospérer pacifiquement sans la présence d’un État.
Malheureusement, le mot « anarchie » garde une connotation négative. L’anarchie est généralement perçue comme synonyme de « sans loi » qui, lui, est réellement un terme négatif. Une société sans loi n’aurait aucune règle pour arbitrer les comportements humains. Ce serait une société dans laquelle le plus fort physiquement et le plus brillant intellectuellement transformeraient les autres en proies. Les victimes de ces prédateurs souffriraient grandement. La sécurité des personnes et de leur propriété y étant précaire, la société sans loi se retrouverait sans ressources. Le commerce, l’industrie, l’épargne et les investissements ne pourraient se créer. La civilisation ne se formerait pas. Pratiquement tous les efforts des humains, ainsi que les quelques rares ressources, seraient dépensés dans le pillage ou dans la protection contre le pillage. La vie serait, comme le dirait Thomas Hobbes, « solitaire, pauvre, pénible, brutale et courte »1
Un monde « sans-loi » serait une malédiction qui mérite d’être crainte au plus profond de nous-mêmes.
Cette peur justifiée d’un tel monde soutient, pour la plupart des gens, l’hypothèse qu’un État est nécessaire. La majorité des individus, même parmi les libéraux, estiment que la loi doit être créée et maintenue, en finalité, par l’État.
Je ne crois pas que ceci soit vrai. Je ne suis pas d’accord avec ceux qui disent : « Bien évidemment que l’État doit fournir, au moins, la loi et l’ordre pour nous protéger de la violence et du vol. »
C’est le terme « bien évidemment » avec lequel je suis en désaccord. Je m’oppose à l’hypothèse, sans réflexion préalable, qu’une organisation possédant l’autorité souveraine d’utiliser la coercition, à savoir l’État, soit nécessaire. L’État peut être une nécessité, mais la tâche de le prouver repose sur ceux qui le disent plutôt que sur ceux qui la remettent en question.
Aucune organisation humaine n’a plus de sang sur les mains que l’État. À travers l’histoire, les États ont massacré des gens innocents, autant à l’intérieur qu’à l’extérieur de leur propre juridiction. Beaucoup trop d’États ont subjugué les masses pour empêcher des gens ordinaires de commercer librement et de vivre selon leur désir plutôt que comme le souverain voulait qu’ils vivent.
Et les États modernes ont élevé ces effroyables arts à des sommets jamais atteints.
Manifestement, les États communistes et nationaux-socialistes sont les plus barbares. Mais même le gouvernement des États-Unis a répandu le sang d’innocents et tyrannisé des peuples pacifiques. Par le passé, il mit en œuvre l’esclavage, appela sous les drapeaux des jeunes hommes pour se battre et mourir à la guerre ou encore parqua les Américains natifs dans des réserves et les traita cruellement. Aujourd’hui, il conduit des raids armés à la recherche de drogues, empêche les gens d’utiliser volontairement les médicaments que les médecins pourraient prescrire, déleste des personnes de leur propriété lors de confiscations de biens et place chaque Américain face à un risque d’attaque terroriste en intervenant dans les affaires politiques d’autres nations. Le gouvernement des États-Unis essaie même de surveiller nos pensées en créant la notion de crime haineux et en promulguant des lois les condamnant.
Aucune institution présentant le même passif que les États ne mérite une quelconque légitimité.
Encore une fois, il est tout à fait possible que la meilleure des sociétés sans État soit pire que celle possédant un gouvernement structuré et limité par la constitution à protéger ses citoyens contre la violence et le vol. Mais soyons clairs, cela ne signifie pas que la nécessité de l’État ne soit pas une question à se poser.
Plus nous comprenons l’histoire et l’économie, plus nous remarquons à quel point les actions volontaires peuvent être efficaces et créatives dans un régime de droit à la propriété privée.
Hypothèses fallacieuses
Partout dans le monde occidental, avant même la chute de Rome et jusqu’à la fin du 18e siècle, le consensus voulait que les croyances religieuses fussent si importantes qu’elles devaient être régulées par l’État. On pensait le chaos inévitable si chacun était libre de choisir en quels dieux il voulait croire, pour autant qu’il veuille croire. Nous savons désormais que la paix et l’ordre n’ont pas besoin que l’État surveille les croyances religieuses pour exister.
Toujours jusqu’à la fin du 18e siècle, on était aussi persuadé que le commerce international était quelque chose de trop important pour être laissé en dehors du giron de l’État. La croyance était forte [NdT: et l’est parfois encore] que laisser les hommes libres de commercer entraînerait l’appauvrissement de l’État et de la société. Heureusement, les analyses d’Adam Smith, David Ricardo, Frédéric Bastiat, etc. ainsi que les expériences dans le monde réel ont prouvé l’opposé.
Jusqu’à très récemment, même les économistes adeptes du « laissez faire » pensaient que seul l’État pouvait émettre une monnaie stable. Les recherches historiques, ainsi que certains travaux théoriques, ont démontré que non seulement la monnaie pouvait être, mais aussi a été par le passé, émise par des entreprises purement privées. De plus, une monnaie privée aurait plus de chance qu’une monnaie d’État de conserver sa valeur à travers le temps.
L’histoire est similaire pour la liberté d’expression et la liberté de la presse. Dès lors, pour la plupart des choses que le consensus dans l’opinion publique tenait pour nécessaire d’être régulées par l’État, il a été prouvé qu’il valait mieux les laisser à la libre appréciation des individus.
Est-il possible que la même chose soit vraie pour la loi ?
Nous savons déjà que la plupart des lois sont le fruit de l’action volontaire, plutôt que celle de la coercition étatique. Les lois régissant le commerce dans les pays occidentaux ne sont pas le fruit de la réflexion d’un monarque ou des délibérations d’une assemblée législative. Elles sont plutôt l’œuvre des pratiques régulières des marchands eux-mêmes. La « Loi marchande » (qui est la base du Code Commercial Uniformisé en vigueur de nos jours aux États-Unis) provient des temps médiévaux, quand le commerce commença à s’étendre tout autour de la Méditerranée. Les marchands de Gênes et Venise affrétèrent des biens à ceux de l’Afrique du Nord, d’autres endroits distants et vice-versa. Aucun pouvoir souverain ne gouvernait ces marchands collectivement. Si un marchand tunisien refusait de payer son fournisseur vénitien pour des biens en provenance de Venise, aucun shérif royal, ni de haut fonctionnaire international2 ne pouvait être appelé pour obtenir par la force le dû du Tunisien récalcitrant.
Malgré ça, le commerce était florissant. La raison ? Les marchands eux-mêmes, des hommes d’affaires ne partageant aucun maître souverain, développèrent des instances légales et des procédures qui, en conséquence, donnèrent corps à des lois nuancées déterminant les droits et obligations des marchands.
Si un marchand était en désaccord avec le tribunal marchand, ou encore violait la loi marchande, il n’était pas pour autant fait prisonnier ou menacé avec violence. Au lieu de ça, il perdait son bien le plus précieux pour un homme d’affaires : sa réputation d’intégrité. Un marchand « hors la loi » ne pouvait ainsi plus trouver de correspondants avec qui commercer. Il était hors course. Le résultat de ce système légal volontaire était un comportement général respectant les lois à un degré remarquable.
Ce succès des lois commerciales privées prouve-t-il que les autres types de loi, en particulier le droit pénal, peuvent être fournies par le privé ? Non. Mais, la « Loi marchande » combinée avec une longue suite d’hypothèses fallacieuses concernant la nécessité de l’action étatique laisse penser que nous ne devrions pas présupposer que l’État est nécessaire pour créer les lois et fournir une protection contre les agressions. Peut-être – je dis bien peut-être – une société pacifique et productive est-elle possible sans aucun État.
Qu’une société sans État soit appelée « anarchique » ou d’une autre manière est sans importance. Ce qui l’est, c’est que nous ne rejetions pas sa possibilité d’existence avant d’y avoir sérieusement réfléchi.
—
L’article original titré « The A Word: Must the State Supply and Enforce Law? » a été publié le 01.07.2001 par The Freeman.
Traduction : Jérémy Berthet.
- Citation originale : « solitary, poor, nasty, brutish, and short. » ↩
- Traduction libre de « international Pooh-Bah » d’après la définition Wikipedia. ↩
On peut toujours rêver. Mais avant d’en arriver à une société sans Etat, on peut peut-être passer par une société intermédiaire. Revoir tout le bousin et ramener le code pénal, du travail et civil à la taille du code de la route pour que chacun puisse l’apprendre par coeur et donc ne pas ignorer la loi. On met en place un examen à 18 ans pour avoir le droit de vote et être considérer comme majeur. En cas d’échec, on peut renouveler l’examen tous les 3 mois.
Soyons réaliste, il a fallu plusieurs siècles pour passer de la loi du plus fort à la démocratie que l’on connait, mais qui infantilise les masses. Le chemin vers l’anarchie ne doit pas être un horrible retour en arrière. Je ne crois pas au big bang sociétal, la liberté c’est comme toute chose, cela s’apprend…
« la liberté c’est comme toute chose, cela s’apprend… »
Certainement pas quand on vit de subventions…
« La tâche de le prouver repose sur ceux qui le disent plutôt que sur ceux qui la remettent en question »
Les pirates, les mafias… Comment les honnêtes citoyens, soucieux de leur réputation commerciale, peuvent-ils faire face sans unir leurs forces afin d’être plus forts que les pirates ou les mafias ? Le simple fait d’envisager de regrouper ses forces pour se défendre revient à créer un Etat. En outre, les pirates et mafias agissent eux-mêmes comme autant de minuscules Etats en concurrence, soumettant à leurs lois aléatoires ceux qui tombent dans leurs griffes.
La multiplication de pirates ou de mafias, ces minis Etats, montrent que l’anarchie ne conduit pas à l’absence de loi mais à l’excès de lois. L’honnête citoyen doit alors affronter autant de lois qu’il existe de groupes de pirates ou de clans mafieux.
A l’autre bout du spectre, l’Etat providence obèse produit lui aussi un excès de lois : le socialisme conduit inexorablement à l’anarchie légale. On peut l’observer en France avec, par exemple, l’arbitraire fiscal qui est devenu la norme et la toute puissance du fisc se comportant ni plus ni moins qu’en pirate, effectuant ses raids criminels contre les honnêtes citoyens productifs (Ecotaxe, hausse de la TVA, fusion IR/CSG…) Là encore, l’honnête citoyen doit affronter autant de lois qu’il existe de terroristes politiques ayant le pouvoir exorbitant de voler ses contemporains sans en subir la moindre conséquence.
Entre ces deux extrémismes que sont le socialisme ou l’anarchie, l’Etat minimal régalien est la solution d’avenir, pacifique, cohérente, moderne, civilisée.