Par Peter Suderman, depuis les États-Unis.
Le grand gagnant au box-office de l’été dernier était le blockbuster adapté du comics classique de Marvel The Avengers. Le film, un crossover tentaculaire avec Captain America, Iron Man, Thor, Hulk et autres membres de l’agence de sécurité fictionnelle SHIELD, a ratissé plus de 622 millions de dollars aux États-Unis dès septembre 2012, près de 3 fois son coût de production.
Une grande partie de ce budget est allée dans les cascades et effets spéciaux, notamment un final époustouflant de 30 minutes, dans lequel les héros affrontent une horde d’envahisseurs extraterrestres dans le centre de Manhattan. Un hic : presque aucun plan n’a été tourné dans les rues de New York. Au lieu de cela, les réalisateurs ont utilisé une combinaison de sites alternatifs. Pour certains des gros plans, ils ont recréé le fameux pont de la ville en face d’un écran vert géant dans une gare abandonnée d’Albuquerque. La majeure partie des scènes de rue ont été tournées dans une ville rarement vue comme une des grandes métropoles américaines : Cleveland.
Cleveland, une ville du Midwest aux prises avec une baisse de population constante de 500.000 personnes en 1990 à 393.000 en 2011, a eu la chance unique d’être la doublure de Manhattan, quartier central de la ville qui ne dort jamais avec ses 8,24 millions d’habitants. Mais pas sans une cure de jouvence : les concepteurs du film ont importé les taxis new-yorkais, les façades de bâtiments et le signalement routier (avec un stock confortable de décombres) pour reproduire l’apparence d’un Manhattan envahi.
Pourquoi Cleveland ? La décision de ce lieu de tournage peut être résumée en deux mots : subventions fiscales. L’État de l’Ohio [NdT : où se situe Cleveland] offre à tous les cinéastes un allègement fiscal s’élevant entre 25 et 35% des salaires et dépenses effectuées dans l’État. Il s’agit d’un refundable credit1, donc bien plus qu’une réduction sur les impôts qu’aurait payés la production du film. C’est une subvention à peine déguisée sur les stars du cinéma qui font des affaires dans cet État.
C’est une bonne chose, selon Ivan Schwarz, directeur exécutif de la Commission du Film de Cleveland. « Pour être clair » écrivait-il sur cleveland.com l’été du tournage, « je pense que tous les habitants de Cleveland vont savoir que les Avengers sont dans la ville ».
Ils vont bien entendu payer pour ça. Tout compte fait, The Avengers a reçu des crédits d’une valeur d’environ 6,7 millions de dollars selon le ministère du développement de l’État.
The Avengers n’est pas le premier blockbuster de super-héros à choisir Cleveland plutôt que New York. Spider-Man 3, en 2007, a utilisé le quartier des théâtres de la ville pour filmer plusieurs scènes d’explosions dans la rue. Mais il n’y a pas que les super-héros. Le thriller politique de George Clooney, Les Marches du Pouvoir, a aussi profité du crédit de l’Ohio l’année dernière (le gang de Clooney a même fait coup double en ramassant des subventions du Michigan aussi).
Les législateurs de l’Ohio et d’ailleurs vantent le crédit d’impôt comme moyen de créer des emplois, attirer l’attention nationale sur les villes de survol [NdT : terme américain pour désigner les villes centrales qui servent de correspondances d’avion entre l’Est et l’Ouest], et finalement créer une industrie de la production cinématographique en plein essor. Et ils ont doublé les moyens qu’ils sont prêts à distribuer, en augmentant les fonds disponibles pour le crédit de 10 à 20 millions de dollars. Pendant l’été, le représentant républicain au Congrès Mike Dovilla, qui a parrainé l’expansion de crédit, s’est vanté dans un dépliant de campagne que « les grandes idées telles que le crédit d’impôts de l’Ohio pour les films, qui a amené The Avengers à Cleveland, avaient contribué à faire de notre État le premier du Midwest pour la création d’emplois ».
Mais les crédits d’impôts des États sont une grande idée sans grand profit. Actuellement, 43 États offrent des subventions, d’une valeur totale de 1,5 milliard de dollars. De nombreuses études de ces crédits dans des États tels que le Michigan ou le Massachusetts, ont montré que ces subventions étaient rarement rentables. Au lieu de cela, les États finissent par perdre de l’argent à payer des productions de films qui, dans de nombreux cas, se seraient passées sans incitation fiscale.
Le principal concurrent des Avengers au box-office de l’été dernier le prouve. The Dark Knight Rises, le film de Batman des rivaux de DC, a choisi Pittsburgh pour représenter Gotham, ville fictive d’accueil du héros masqué. Et bien que la Pennsylvanie offre un crédit d’impôts pour les films, la production ne l’a pas utilisé. Les Avengers sont peut-être les super-héros les plus puissants du monde, mais le Chevalier Noir a réussi sans aucune aide des contribuables.
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Sur le web. Traduction : Cthulhu/Contrepoints.
- Une réduction d’impôt non plafonnée au montant de celui-ci, donc assimilable à une subvention. ↩
Iron man a privatisé la paix dans le monde, mais pas la production de ses films.
La vraie question est : « Qui finance le SHIELD ? »