Bertrand Martinot est un des anciens patrons de la Délégation Générale à l’Emploi et à la Formation Professionnelle (de 2008 à 2012). A ce titre il est l’un des meilleurs spécialistes de la question du chômage, des politiques de l’emploi et des mécanismes de la décision publique. Il signe aux Belles Lettres et avec l’Institut Montaigne un ouvrage dans lequel il analyse très précisément les causes du chômage, ses effets économiques et sociaux, sa dynamique dans le temps, etc. Et bien entendu il propose des pistes pour que la France sorte de cette malédiction pluridécennale dans le dixième et dernier chapitre du livre.
Le premier chapitre s’attarde sur plusieurs spécificités françaises : le caractère spectaculairement élevé du chômage structurel par rapport aux autres pays de l’OCDE; la proportion très élevée de chômeurs de longue durée; la proportion élevée d’actifs non diplômés (30% en France n’ont pas dépassé le brevet contre 14% en Allemagne). Mais l’auteur précise que cette situation a été vécue et résolue par de nombreux pays, dont notamment l’Allemagne durant la première décennie 2000.
Le second chapitre aborde les deux sujets qui fâchent : la surtaxation du travail en France, et le niveau élevé du SMIC (voir notamment l’étude de l’économiste Francis Kramarz). L’auteur démontre très bien les travers du salaire minimum, dont le principal est que en 2011 11,1% des salariés touchaient ce salaire-là (après un maximum historique à 16% en 2006), là où nos voisins comme les Pays-Bas ou le Royaume-Uni ne compte qu’une toute petite fraction de leur salariat au niveau du salaire minimum.
Le troisième chapitre détaille la pagaille épouvantable qui règne au sein du Service Public de l’Emploi : presque toutes les composantes des pouvoirs publics (Etat, municipalités, conseils généraux, etc.) interviennent d’une manière ou d’une autre dans les politiques de l’emploi, sans réelle concertation (ce qui conduit à des doublons dans certains domaines et presque rien dans d’autres) mais surtout sans aucune évaluation des mesures prises.
En particulier le quatrième chapitre aborde la pierre angulaire des politiques françaises de l’emploi, les contrats aidés. Toutes ces mesures dont entendent couramment parler les français sont à peu près toutes les mêmes (seuls changent quelques paramètres), il s’agit de fortement subventionner l’embauche de publics très éloignés de l’emploi. Mais pour résumer, les principaux bénéficiaires de ces contrats sont… les institutions publiques. En effet l’Education Nationale, principal employeur de ces contrats aidés du secteur non-marchand, utilise cette astuce pour contourner son plafond d’emplois imposé par les Lois de Finance. C’est même une très grande partie de l’Economie Sociale et Solidaire qui est “accro” à ces dispositifs. Une étude menée sur les contrats aidés lancés à la fin des années 1990 établit une conclusion sans appel : un chômeur ayant bénéficié d’un contrat aidé dans le secteur non marchand a moins de chance de retrouver un emploi qu’un chômeur n’ayant pas bénéficié de ce contrat. En revanche, un contrat aidé dans le secteur marchand permet, lui, d’accroître les chances de retour à l’emploi. On peut légitimement se demander dès lors si le but véritable des contrats aidés est la réinsertion des chômeurs de longue durée ou bien si ils ont fini par devenir des manières de subventionner des postes d’employés dans les institutions publiques empêchées d’embaucher par la Loi de Finances.
A partir de là, l’auteur entre dans le détail de la situation spécifique des jeunes (chapitre quatre) qui sont justement la population pour laquelle les contrats aidés dans le secteur non marchand sont la moins efficace. Les Missions Locales, institutions en charge de la réinsertion de ces jeunes, sont décrites précisément dans l’ouvrage de Bertrand Martinot, et là encore, les mêmes maux sont diagnostiqués : aucune culture de l’évaluation ou de la performance, pas de réel pilotage de ce réseau, et manque d’ouverture vers le secteur privé (agence privée de réinsertion).
Il évoque également la constitution de Pôle Emploi, résultat de la fusion des réseaux ANPE et Assédic, et c’est peut-être un des seuls bémols que l’on peut apporter à ce remarquable ouvrage.
En effet, dans presque tous les domaines décrits (contrats aidés, chômage des jeunes, etc.) l’auteur produit énormément d’informations, de démonstrations, de comparaisons internationales. Mais la fusion Pole Emploi est presque décrite comme inéluctable, comme obligatoire. Les déboires opérationnels du nouvel ensemble seraient d’après l’auteur essentiellement dus à la crise mondiale qui a commencé à peu près au moment de la fusion. Il était toujours possible de stopper ou suspendre la fusion si les conditions du marché de l’emploi se sont fortement dégradés.
L’auteur poursuit en démolissant cinq idées-reçues sur le chômage : il dénonce le simplisme de la dichotomie “chômeur victime” contre “chômeur fraudeur”, Il explique en quoi une assurance-chômage comme la nôtre, parfois trop généreuse, peut expliquer l’installation de certains chômeurs dans une certaine précarité.
De même apprend-on que ce n’est pas le Code du Travail en lui-même qui pose problème mais aussi et surtout l’invraisemblable édifice jurisprudentiel accumulé depuis des années après les procédures litigieuses entre employeur et employé. L’insécurité juridique dans laquelle peuvent se retrouver les entreprises en cas de litige (procédures très longues aux résultats très incertains) sont le principal facteur expliquant leur frilosité à embauche.
D’une façon très générale le livre est remarquablement documenté, très précis et très convaincant dans les diagnostics et les descriptions des phénomènes sociaux et économiques qui sous-tendent le chômage français. De nombreuses études sont citées ce qui enrichit le texte de références qui crédibilisent l’ensemble des développements
On peut le considérer comme une archive, et probablement un des livres les plus complets sur le chômage en France.
Mieux : au-delà des diagnostics précis dont nous parlons ci-dessus, l’auteur s’emploie dans le dernier chapitre à proposer des pistes de réformes claires et concrètes. L’une d’entre elles, assez originale : moduler les cotisations chômage des employeurs selon les dépenses d’assurance chômage occasionnées par ladite entreprise dans un passé récent. En clair, une entreprise qui licencie trop sera considérée comme “à risque” par l’assurance chômage et paiera donc une indemnité supérieure. Cette disposition existe notamment aux Etats-Unis et a pour but de “sanctionner” les entreprises qui externalisent leur politique de ressources humaines auprès de l’assurance-chômage, en licenciant temporairement un salarié en cas de coup dur pour le ré-embaucher quelques mois plus tard.
En fin de compte et pour conclure, la lecture de l’ouvrage de Bertrand Martinot est absolument indispensable à qui veut comprendre les ressorts du chômage en France. Il ne contient pas d’idéologie mais déborde de pragmatisme, il ne fait la leçon ni aux uns ni aux autres, en particulier il ne stigmatise pas les demandeurs d’emploi en profiteurs du système mais explique comment certains tombent dans la précarité à leur grand dam. Il aborde la question épineuse du rôle des syndicats (de salariés et patronaux), que nous n’avons pas détaillé dans cette recension pour laisser au lecteur la surprise de constater que le livre de Bertrand Martinot propose des idées très intéressantes pour faire que le dialogue social actuellement bloqué en France soit relancé et devienne efficace, et ce pour le plus grand bénéfice des salariés et des chômeurs.
Bertrand Martinot, Chômage : inverser la courbe, Les Belles Lettres, 2013
Très bonne critique et très bonne promotion d’un livre traitant d’un sujet grave. Je ne doute pas a priori de la qualité de l’ouvrage et lui souhaite du succès !
Un autre livre intéressant dont Contrepoints a publié une analyse :
http://www.contrepoints.org/2013/03/03/116896-chomeurs-ou-esclaves-de-philippe-simonnot
Le lien est déjà indiqué ci-dessus, juste après l’article. C’est super !