Par Oliver Rach.
Dans A Touch of Sin (天注定), le réalisateur Jia Zhangke nous fait explorer les plaies profondes de la société chinoise à travers les misérables destins de quatre personnages. Ceux-ci, infimes rouages de l’entreprise communiste, sombrent tous dans une violence sans merci, guidée par des sentiments aussi variés que la jalousie, l’ennui, la rage et le désespoir. Emprisonnés par les cordes de la pauvreté, de l’immobilisme et de l’amour inassouvi, ils ne peuvent trouver d’échappatoire par le truchement de leur labeur ; ils s’évadent donc par le biais d’actes posés ou irréfléchis, mais toujours sanguinaires, toujours plus proches de l’état animal — du moins si l’on adopte le point de vue énoncé en cours de film à propos de la chute du quatrième récit.
Les histoires de ces quatre personnages ne se recoupent guère ; elles se succèdent au gré de croisements fortuits sur les routes de Chine. Ces transitions minimalistes illustrent bien que la recherche de Jia Zhangke n’est pas scénaristique mais plutôt descriptive. Il s’attache en effet plus à peindre la société chinoise, à saisir son Zeitgest, qu’à tenir le spectateur en haleine. Dans des décors froids — des cités grises qui cherchent égalitairement les cieux, des manufactures bruyantes, des rues désertées mais toujours espionnées par l’œil pétrifié de Mao —, il dévoile progressivement les meurtrissures de la Chine moderne. Les quatre antihéros évoluent dans un monde dominé, assujetti, soumis par le parti unique. Le chef de village, le collecteur de bakchich, le fortuné cadre de parti, le copain mercantiliste, tous surgissent sans crier gare à l’un ou l’autre moment du film, au plus grand malheur de leurs futures victimes. La corruption endémique qui touche le pays est filmée sans mystère, comme une plaie éternelle impossible à soigner.
De façon plus générale, c’est sur le thème de la violence que l’accent est mis — cette violence confisquée par l’État et ses larbins, cette violence iniquement usitée contre les faibles, cette violence qui corrélativement veut renaître des mains de ceux qui ne contrôlent plus leur destin. A Touch of Sin décrit l’homme comme un loup pour l’homme, avide d’argent, de sexe et de pouvoir, prompt à exploiter ses semblables — et même les animaux. Un parallèle récurrent est d’ailleurs fait entre la condition humaine et celle animale : ce cheval de trait fouetté jusqu’à l’écroulement, par exemple, ne symbolise-t-il pas le travailleur qui, par instinct de survie, obéit à ses maîtres dans l’espoir de jours meilleurs, dans l’espoir — peut-être — d’une libération inopinée ?
Jia Zhangke livre au final une œuvre inégale, pessimiste et extrêmement lente — qui finit même par se rendre ennuyeuse. Le spectateur assez candide pour croire que la Chine communiste a répondu aux sirènes du capitalisme y trouvera certainement de l’eau pour alimenter son moulin à fiel contre le libéralisme, cette doctrine responsable des terribles maux qui frappent la société chinoise — pauvreté, corruption, exploitation, folie. Le spectateur appréciant les films à la narration forte risque par contre d’être déçu : le prix du scénario reçu lors du Festival de Cannes 2013 ne constitue que la dernière facétie en date du jury méditerranéen. À noter aussi une autre mystification, en provenance cette fois du plat pays : le Festival International du film de Flandre-Gand 2013 a décerné son prix de la meilleure musique à cette production, pourtant peu servie par sa pénurie musicale.
– A Touch Of Sin : drame social chinois (2013) de Jia Zhangke, avec Wu Jiang, Vivian Li. Durée : 2 heures 09.
C’est du Ken Loach chinois ?
Ça a en tout cas le même rythme que du Loach ou du Dardenne.