Par Guillaume Nicoulaud.
Une adresse e-mail est composée de trois éléments essentiels. Le premier est l’identifiant de l’utilisateur, le troisième est le nom de domaine et le second, celui qui fait la jointure entre les deux, c’est le désormais omniprésent signe @ (ou arobase).
Pourquoi ce signe et d’où vient-il ?
Pour le savoir, il va nous falloir suivre sa trace en commençant par ce beau jour de 1971 où Ray Tomlinson, l’ingénieur américain qui a inventé et envoyé le premier message électronique de l’histoire, va décider d’utiliser ce symbole plutôt qu’un autre. Quand on lui demande la raison de ce choix, la réponse de Tomlinson est d’une désarmante logique : le symbole @ présentait le double avantage de ne pas être ambigu (on ne risquait pas de le confondre avec le nom de l’utilisateur ou celui du domaine) et de faire sens puisque, chez nos amis anglo-saxons, il était déjà largement compris comme signifiant at (à) de telle sorte que user@domain se lit intuitivement « user at domain » ; ce qui, vous en conviendrez, tombe assez bien.
Donc, le signe-at (@) était déjà en usage chez les Anglo-Saxons bien avant que le premier e-mail ne soit envoyé et, plus précisément, il était fréquemment utilisé par les commerçants pour désigner le prix unitaire d’un produit : bien avant 1971, « 10 chickens @ $5″ signifiait déjà et très précisément 10 poulets à 5 dollars l’un. Mais avant que l’informatique ne lui offre son heure de gloire, le at commercial restait tout de même d’un usage relativement confidentiel ; on trouve bien quelques polices de caractères et machines à écrire (dès les années 1880 aux États-Unis) qui l’avaient prévu mais, pour l’essentiel, il semble que le @ ait surtout été longtemps manuscrit.
Pendant très longtemps à vrai dire. Parce que notre at commercial, voyez-vous, ne date ni d’hier, ni du XIXe siècle : on en trouve la trace jusqu’au XVIe siècle ! Où ça ? Eh bien toujours chez les marchands mais les italiens cette fois-ci. James Mosley, dans son excellent papier consacré au sujet, en propose quelques exemples ; je publie ici sa reproduction d’un document daté de 1569 où l’on peut lire « … la valuta di libre centouinticinque di seta calabrese presa da noi @ Ragion di [scudi] tre la libra per pagar a tempo dj xviij mesi proximi @ venire » ; c’est-à-dire « la valeur de cent vingt-cinq livres de soie calabraise, obtenue de nous @ raison de trois scudi par livre, à payer dans les dix-huit mois prochains @ venir. »
Un arobase de la Renaissance
Le @, signifiant « à » (ou at en anglais) existait donc déjà au XVIe siècle, c’est une certitude, et il semble bien qu’il ait été utilisé avec à peu près la même signification un peu partout en Europe. De là, on est en droit de se demander comment ce symbole s’est diffusé de Venise à Londres. Bien sûr, le fait qu’il soit utilisé par des marchands peut porter une part d’explication mais il existe aussi une autre possibilité : le latin.
Eh oui, le latin, véhiculé par les moines copistes reste, encore à cette époque, la langue qui unit toute l’Europe et il se trouve qu’en latin, notre @ se serait dit ad. Jetez un coup d’œil sur la graphie onciale et vous admettrez que la ligature du a et du d a quelques solides chances de donner un @ – surtout quand on se souvient que celle du e et du t nous a donné l’esperluette (&). Ce n’est, bien sûr, que pure conjecture mais il n’en reste pas moins que les moines utilisaient bel et bien le @ dès le XIIe siècle :
Quand au mot arobase, il nous vient du castillan arroba, unité de poids et de capacité en vigueur dans la péninsule ibérique depuis au moins 1088 ; l’arroba (pluriel : arrobas), dont le nom est lui-même tiré de l’arabe الربع (« le quart »), valait un quart de quintal de 100 livres – soit 10,4 kilos en Catalogne, 11,5 en Castille et 12,5 en Aragon – ou, en certaines occasions, de 12,5 à 16 litres en fonction du liquide. D’ailleurs, le Dictionnaire de l’Académie Françoise dans sa version de 1798 :
« ARROBE. s. mas. Mesure de poids, usitée dans les possessions d’Espagne et de Portugal, et qui varie suivant les différens lieux. Vingt arrobes de sucre. »
Mais alors, me direz-vous, par quel miracle en sommes-nous venus à nommer arobase (ou arrobe si ça vous amuse) ce signe @ qui, de toute évidence, signifiait ordinairement ad, a, à ou at ?
Eh bien c’est fort simple : il se trouve que l’arroba castillane était elle-aussi symbolisée par un @ tout comme le symbole du réal était un r également enveloppé. Lorsque, à partir de 1971, les Espagnols ont redécouvert le symbole @, il lui ont tout naturellement redonné son ancien nom, arroba, et nous-autres Français, avons fait de même avec notre arrobase.
C’est de là d’ailleurs que vient toute la confusion qu’a jeté la fameuse lettre de Francesco Lapi, laquelle, écrite le 4 mai 1536, est réputée contenir la plus ancienne trace non monacale de notre @. Le castillan, en effet, utilise deux fois le symbole : une première fois en tant que ad dans la date (« @ 4 di maggio 1536 ») et une seconde fois comme symbole de l’anfora (je vous laisse deviner l’étymologie), une unité de mesure italienne plus ou moins équivalente à l’arroba. D’où la confusion.
Bref, ni arobase, ni arrobe ne sont appropriés : le véritable nom du @ en français, c’est le signe à.
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Sur le web.
Article publié initialement à 8 janvier 2014.
C’est un peu le texte (mais contre le mot arrobe) d’un des experts francophones des signes et d’Unicode :
http://hapax.qc.ca/Pourquoi_arrobe_dans_10646.html
dites ha !
hhhaaaaaaa……glurp
Le traducteur technique et scientifique que je fus ajoutera que sur les spécifications de performances les anglo saxon utilisaient l’@ par exemple:
450 hp @ 2,200 rpm
520 kt @ 75% @ 10,000 ft
etc.
« Ce n’est, bien sûr, que pure conjecture »
C’est bien une ligature, comme le & ou de manière plus confidentielle les « f » liés (qu’on retrouve encore dans certaines éditions haut de gamme comme la Pléiade). Enfin, en existe pas mal qui tendent à disparaitre et a devenir de la marotte de typographe.
http://webexpedition18.com/wp-content/uploads/2011/02/12-mrs-eaves-just-ligatures.jpg
Un autre usage courant, au moins en Espagne, est d’utiliser l’@ pour représenter à la fois un « o » et un « a », pour la terminaison d’un mot, pour indiquer à la fois le masculin (généralement terminé par « o ») et le féminin (généralement terminé par « a »). Par exemple, une traduction du français « utilisateur/trice » pourrait être « usuari@ ». En revanche je ne sais pas si c’est un usage officiel.
Amusant
Merci, très intéressant!
Merci pour cet article très instructif !
Très intéressant
Bon article
Ouf, on l’a échappé belle : on a failli devoir entrer الربع dans les adresses de messagerie.
(Qu’eut dit Zemmour !).
Merci pour cette republication!
J’enregistre ces nouvelles hypothèses d’étymologie, mais on m’a toujours dit que c’était de la contraction de «a rond bas», c’est-à-dire situé en bas de la planche d’impression, avec les autres caractères spéciaux
D’où la proposition de le prononcer « chez », sens voisin de « at » et du « ad » latin, tout en étant du bon français
Je confirme. J’ai toujours entendu l’explication du « a rond bas » utilisé autrefois en imprimerie.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Arobase
a enroulé ?
a niché, plutôt
Bonjour, une autre utilisation du symbole @ : j’ai trouvé ce symbole dans différents écrits (journaux, manuscrits) lors de mon séjour à Madagascar en 1972-73, utilisé comme abréviation de la préposition passe-partout » amin’ » au sens de » à « .