Quel rôle pour les intellectuels dans la démocratie en Afrique ?

Quel est le rôle des intellectuels africains dans la démocratie en Afrique ?

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Quel rôle pour les intellectuels dans la démocratie en Afrique ?

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 13 janvier 2014
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Une réponse précise à cette question est d’autant plus urgente que la démocratie libère la parole, appelle le débat d’idées, requiert la construction de projets de société et que les nouveaux régimes démocratiques sollicitent de plus en plus les intellectuels, pour penser la démocratie afin d’en déployer toute l’efficience dans le sens de l’émancipation des peuples.

Par Isidore Kpotufe, depuis le Ghana (*)

afrique1Bien souvent, par le passé, beaucoup d’intellectuels africains se sont, par affinité ethnique et pour des raisons pécuniaires, mis au service des dictatures. Nombre d’entre eux se sont fait conseillers des tyrans et ont été les intellectuels organiques des régimes despotiques du continent. Et lorsque, comme Laurent Gbagbo, ils eurent à exercer directement le pouvoir, ils installèrent des régimes liberticides et corrompus et se révélèrent pire que les régimes autoritaires et les despotes qu’ils avaient combattus. Historiens, avocats, philosophes et hommes de lettres cédèrent à l’ivresse du pouvoir et à la séduction de l’argent qui les transforma en prédateurs et en oppresseurs des peuples. Le peuple africain est donc désabusé parce que les intellectuels africains se sont discrédités. Ils ont trahi les idéaux qu’ils étaient censés servir et sont tombés largement dans l’hétéronomie.

Confusion de l’État avec la société politique

Aujourd’hui, l’enjeu de l’engagement des intellectuels au service de la démocratie est donc de redorer ce blason sali. Contre les intellectuels organiques des dictatures africaines, qui incarnèrent à leur manière la faillite de l’intelligence dans le service de l’oppression sous le mode de « la trahison des clercs », dénoncée naguère par Julien Benda, ils doivent réhabiliter et incarner, en effet, l’autonomie de l’intelligence dans le service de la liberté. L’engagement démocratique de l’intellectuel doit se fonder dans l’éthos de la distance critique et de l’autonomie de la pensée qui correspond à l’autonomie du système politique en démocratie, car la démocratie se distingue du régime politique non-démocratique, au sens où en démocratie le système politique est autonome par rapport à l’État et à la société civile.

En effet, « la démocratie n’est pas un mode d’existence de la société toute entière, mais de la société politique ». C’est la société politique dont l’institution centrale est le parlement qui est le lieu de la démocratie, qui se définit par l’autonomie du système politique et par son rôle de médiation entre l’État et la société civile. Distinct de ces deux dimensions de la société, le système politique « a pour charge de faire fonctionner la société dans son ensemble, en combinant la pluralité des intérêts avec l’unité de la loi ». Par ce travail de médiation, l’autonomie dans le corps social est préservée à travers le service et la défense des droits et des libertés !

La confusion de l’État avec la société politique conduit à subordonner la multiplicité des intérêts sociaux à l’action unificatrice de l’État. Une dérive despotique de l’État peut procéder de cette confusion. Inversement, une confusion de la société politique avec la société civile conduit à créer un ordre politique et juridique qui reproduit les intérêts économiquement dominants.

L’intellectuel doit lutter contre le populisme

Cette autonomie fondamentale de la démocratie, qui ne se trouve ni dans l’État ni dans la société civile, mais dans la société politique, assigne à l’intellectuel un rôle d’autonomisation du corps social et de médiation entre l’universel et le particulier. Le rôle de l’intelligentsia dans la démocratie doit être le reflet intellectuel de l’autonomie du système politique, dans la mesure où l’activité de l’intellectuel se décline nécessairement sous les trois dimensions de la critique idéologique morale ou technique.

De même que le système politique préserve son efficience démocratique, en évitant de se confondre avec l’État et la société civile, l’intellectuel doit lutter à la fois contre le populisme et défendre les libertés et les droits contre le Pouvoir. Son engagement pour la défense des libertés et des droits personnels et collectifs doit être accompagné par une conduite d’exemplarité ! La démocratie se maintient par cette synergie de l’autonomie du système politique avec le caractère autonome de la participation démocratique des intellectuels, car « le système politique n’est pas seulement défini par un ensemble d’institutions démocratiques, de mécanismes de prises de décisions reconnues comme légitimes ; il correspond à l’ensemble de l’espace public, en particulier à l’influence des médias et aux initiatives des intellectuels ».

La synergie des initiatives critiques des intellectuels et de l’autonomie du système politique préserve la société de la dérive oligarchique et de la dérive populiste. Elle est requise pour que les institutions démocratiques parviennent à se transformer en institutions représentatives et pour que le projet de développement endogène, qui est le télos de la démocratie en Afrique, puisse être poursuivi avec efficience. Le rôle des intellectuels est spécifiquement, en ce sens, de « combiner la mise en œuvre du développement endogène, en particulier les conflits sociaux dont l’enjeu est l’utilisation sociale de la rationalisation avec la mobilisation des forces de libération ».

Tomber dans l’égoïsme moral en ramenant toutes les fins à soi

Lorsque, cédant à l’ivresse de l’opium de la parole et de la critique facile, l’intellectuel tombe dans la rhétorique creuse et dans les sophismes qui le conduisent à combiner des mots vides dans la démagogie, au lieu de combiner la liberté et les forces de libération qui permettent d’élargir les espaces politiques de la démocratie et de poursuivre le développement endogène ; lorsque, saisi par une pathologie de la réflexion, il tombe dans l’égoïsme moral en ramenant toutes les fins à soi, en ne voyant d’utilité qu’en ce qui lui est utile ; lorsque, par eudémonisme, il ne fonde la destination suprême de son vouloir que sur son utilité et son bonheur personnel, et non sur la représentation de son devoir et s’abime dans l’hétéronomie ; quand il abdique du service exigeant de l’autonomie, de la subjectivation démocratique, et de l’exemplarité qui permet d’établir les libertés publiques, de construire et d’affermir la conscience de la citoyenneté, il réédite la faillite des clercs jadis dénoncée par Julien Benda et il creuse la tombe de la démocratie !

(*) Isidore Kpotufe est le responsable du Projet Francophone du think tank Imani Ghana.

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  • L’Afrique a d’abord besoin d’entrepreneurs africains. De vrais entrepreneurs.
    Entrepreneurs en dur, Industrie, travaux publics, pêche hauturière, etc. plutôt qu’entrepreneurs des services suceurs de roues.
    Je pense qu’il y a pléthore d’intellectuels qui n’apporte aucune valeur ajoutée, si on veut oublier la « valeur soustraite ».
    Or il serait intéressant d’analyser les populations universitaires sur place et expatriées pour pressentir si le continent saura se prendre en main ou pas. Si le modèle est-asiatique a quelque valeur, il montre bien que ce sont les entrepreneurs et personne d’autres – surtout pas les observateurs payés au mois – qui ont arraché des millions de gens à la misère.
    Suffit de copier.

    • Le modèle asiatique est toujours appuyé sur un état fort et une hypertrophie exportatrice caractéristique d’un système bancaire trafiqué, et d’un taux change pas très clair. Mais il y a effectivement souvent de grands entrepreneurs, comme en Chine ou à Taiwan. Les exemples inverses étant la Corée du Sud et le Japon.

      • Le modèle asiatique est appuyé depuis toujours sur un Etat, fort ou moins fort mais déployé. Sans être irréprochables, ses agents sont depuis toujours des fonctionnaires sélectionnés sur concours et leurs « bureaux » sont protégés.
        L’Afrique pâtit d’un faible déploiement de l’Etat, souvent mis à l’encan des factions.
        Sur le reste, je vous ferais observer que l’exportation, sous un régime de contrôle des changes égoïste(?!), est l’excédent d’une activité génétiquement frénétique en ces contrées. Par comparaison l’Afrique a plus de contemplatifs.

  • « Quand a moi pour ouvrir le débat, je considère que c’est la parole qui apporte la démocratie…On ne peut prétendre être démocrate sans s’efforcer d’écouter les autres, le mot démocratie, veut dire « pouvoir au peuple », mais plus précisément dans notre monde moderne « pouvoir à l’union de la majorité du peuple »…Le palabre est une vieille coutume africaine, depuis la nuit des temps, les problèmes de société se sont réglés sous les grands arbres (kapokiers, baobab, tamarinier), les anciens savaient qu’il fallait parler pour trancher, ils n’étaient pas pour autant des « intellectuels » car ils n’avaient qu’une connaissance de leur passé, de leur rite, de leurs culture ethnique, pourtant ils étaient déjà démocrates…Les vieux discutaient, palabraient, et le roi écoutait, le roi n’était pas celui qui avait le premier mot, mais c’était celui qui avait l’autorité, celui qui tranchait et avait le dernier mot…La démocratie n’est donc pas nouvelle en Afrique, elle a toujours existé, ce qui est nouveau ce sont les républiques, parce que les occidentaux, notamment les Français, ont déterminés d’après leur histoire, qu’un roi ne pouvait pas être démocrate…En effet les Rois de France ne l’étaient pas, mais l’Afrique n’était pas la France…(Ceci était une mise au point du principe de démocratie en Afrique) …Passons maintenant aux rôle des intellectuels, qu’est-ce d’abord qu’un intellectuel ? C’est je pense, un homme ouvert d’esprit qui a étudié « l’humanité », c’est a dire la culture humaine à travers les civilisations et les cultures, l’intellectuel est celui qui veut comprendre l’homme, l’humain, la sociologie, la science, l’histoire, la nature, la médecine, la faune,etc…L’intellectuel cherche a comprendre l’univers qui l’entoure et le moyen d’y vivre mieux, il ne trouve pas forcément de solutions, mais il veut souvent apporter un progrès à la société, sa pierre à l’édifice…Un intellectuel ne peut que rarement être un politique, (Mandela est une rare exception, politique pour l’histoire) il peut agir pour les politiques en les conseillant, en leur écrivant des discours et en analysant des situations…Le propre d’un intellectuel, est qu’il n’est jamais satisfait d’une situation arrêtée, il veut progresser, c’est un idéaliste en somme…Celui qui se prétendra intellectuel et voudra une fonction politique sera en quelque sorte un usurpateur, le rôle des politiques étant en effet limité au rôle de diriger une majorité, alors que le rôle d’un intellectuel est celui de comprendre l’humanité…Cela dit un intellectuel à le droit d’avoir une opinion et une sensibilité politique, une tendance …Il peut donc travailler de pair avec des politiciens, mais tout en se gardant d’en être un lui même…Pour répondre à votre question, les intellectuels ne peuvent être que des consultants, des conseillers, jamais des gouvernants…La sensibilité de l’intellectuel ne le rend pas apte a l’autorité, et toute réflexion approfondie ne peut être comprise par tous, il ne sera donc pas populaire en étant ministre ou président…Napoléon s’est entouré d’intellectuel pour créer le code civil, l’académie Française, l’école polytechnique, et tant d’autres institutions, pourtant lui n’était qu’un conquérant qui n’a inventé que la conscription pour mettre les armées européennes à genoux…Hitler désirant copier Napoléon, a éradiquer les intellectuels, il a basé sa propagande sur la supériorité raciale, la haine, l’amertume, il n’a choisi d’écouter que les fous qui le vénérait…Poussé par sa démence, il a éradiquer tous ceux qu’il jugeait responsable des erreurs du passé, il a poussé son pays à la haine et l’y a perdu, aujourd’hui Napoléon est une légende historique ( pourtant c’était un grand dictateur) Hitler était et sera toujours une honte pour l’humanité qui n’aura laissé que des mauvais souvenirs (pourtant il fut adulé par son peuple)…Le progrès ne peut se faire que par l’échange, par la diversité, la connaissance et le mélange des cultures, chaque culture à son joyau, chaque peuple à son trésor…Aux intellectuels de les identifier et de les mettre en valeur, au Politique de gouverner et de faire respecter l’ordre le plus cohérent, pour la paix et le développement à long terme… »

    • J’aime bien votre formule qu’on pourrait ramasser : le roi n’a jamais le premier mais le dernier mot. Le débat honnête est primordial en société, mais la démocratie n’est souhaitable que si, dans le jeu libre de des institutions, elle protège les intérêts et les droits fondamentaux des minorités.
      Ce n’est pas un régime facile à faire vivre et sa mise en oeuvre sur des sociétés mal préparées ne résout rien. C’est d’ailleurs l’avis autorisé du Secrétaire Ban Ki-moon.
      Sans doute est-il plus simple de confier la fonction de modération et de protection de la minorité à une personnalité disposant d’une autorité naturelle, le roi traditionnel, qu’à une assemblée enfiévrée et distante.

  • Il y a du vrai, mais c’est trop exagéré, trop facile … L’Afrique doit être en phase avec sa culture intrinsèque, mais ne peut pas revenir à ses habitudes et culture du passé, elle doit s’intégrer dans l’économie mondiale, accepter la modernisation et y intégrer sa culture…Chaque culture est d’inspiration d’une autre, ce discours est dangereux, même si on peut reconnaitre la trop grande influence occidentale sur l’Afrique, on ne peut pas non plus prôner le retour à l’origine, le progrès est inévitable…C’est inepte, ce gourou est dangereux et il a de toute évidence d’autres desseins…L’indépendance c’est l’autonomie économique certes, une particularité culturelle aussi, mais chacun reste libre de s’ouvrir au monde et de s’adapter à d’autres cultures, de s’en inspirer…Il faut arrêter aussi avec le sempiternel méchant ogre colonisateur, il y a eu du mauvais dans les relations entre peuple, parce qu’a cette époque l’Afrique et sa culture était méconnue et que le monde entier était intellectuellement « arriéré » en matière d’ethnologie, il faut pour cela savoir qu’un Français était très loin d’avoir les mêmes droits qu’aujourd’hui au début du 20 eme siècle…Il faut comparer ce qui est comparable…Je ne suis pas d’accord avec toute l’analyse qui présente l’occident contre des monstres, comme des génocidaires, comme des « ogres »…Il y a une réalité mondiale, chaque peuple a été colonisé depuis la préhistoire, les Français n’ont plus rien des Gaulois, et encore heureux, nous avons nous même évolué avec la colonisation romaine, qui elle aussi a conquit toute l’Europe, après les grecs…Le pillage des ressources, pareil, il faut nuancer, une ressource brute s’achète moins chère qu’une ressource raffinée, et dans la mesure ou le pays n’est pas en mesure de l’extraire lui même, il est normal que les investissements d’extraction soient déduits du prix d’achat, c’est le cas du pétrole et de l’Uranium. Sur la religion, je le concède, c’est le plus grand outil de colonisation, mais c’est également un moyen de fédération et d’union populaire…Quand à l’exemple de Mao Tse Tung, on peut surtout dire que la révolution chinoise a exterminer des millions de gens et d’intellectuels pour arriver finalement aujourd’hui à un pays aussi capitaliste qu’occidentalisé…Ce discours n’est pas faux dans les fondements mais il attise trop de haine, et n’est pas assez tolérant, l’Afrique doit tenir compte de sa culture dans son ouverture au monde, c’est vrai, mais on ne peut pas revenir aux frontières ethniques, ce serait une régression économique, d’autant qu’aujourd’hui, elles seraient bien différentes que par le passé, songez qu’en 1890 il y avait 2000 habitants a Lomé, et aujourd’hui 1.900.000, quel découpage pourrait-on rétablir…Cet homme est un gourou qui énonce des vérités en diabolisant le monde, pour y trouver un avantage personnel…Il ne parle pas de paix et de Tolérance et reste irresponsable dans ses propos, il ne fait pas de comparaison juste et cohérente…Pour une fois Isidore, je considère que tu vas un peu trop loin…Il faut être plus pragmatique..

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