On peut désapprouver sans interdire : demandez aux libéraux

Une leçon de tolérance dans tous les domaines.

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Cannabis (Crédits N.ico, licence Creative Commons)

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On peut désapprouver sans interdire : demandez aux libéraux

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 14 janvier 2014
- A +

Par David Harsanyi.

cannabisEn tant qu’éditorialiste du Denver Post depuis novembre 2004, j’ai passé un temps considérable à écrire des articles en défense de la légalisation du cannabis. J’ai donc été heureux quand le Colorado est devenu un des premiers États fédérés à décriminaliser la possession de marijuana « récréationnelle » en petites quantités. Je crois que la guerre contre des drogues est une utilisation terriblement mauvaise de nos ressources, un projet immoral qui produit bien plus de souffrances qu’il n’en évite. Et sur un plan philosophique, je crois que les adultes devraient avoir le droit d’ingérer ce qu’ils veulent, y compris, mais pas seulement, les acides gras trans, du tabac, du sirop pour la toux, des sodas démesurés… tant qu’ils en assument les conséquences.

Vous savez, ce vieux marronnier libéral.

Irréaliste ? Peut-être. Mais moins que de me permettre de croire que le comportement humain pourrait ou devrait être modifié, incité ou forcé par des politiciens.

Alors naturellement, j’étais curieux de voir comment se comporteraient les ventes de marijuana au Colorado. Selon le Denver Post, il y a près de 40 boutiques à travers l’État qui ont une licence pour vendre du cannabis « récréationnel ». La marijuana est légale depuis plus d’une décennie. Sans surprise, les boutiques de cannabis ne peuvent pas suivre la demande pour des joints de tétrahydrocannabinol récréationnel. Hors des boutiques de Denver, les gens attendent parfois cinq heures pour acheter du cannabis « réglementé » et bien taxé. Les touristes aussi sont arrivés. Tout cela, selon les estimations du Denver Post, se traduira par 40 millions de dollars de recettes fiscales supplémentaires en 2014, qui sont la vraie raison pour laquelle la légalisation est devenue une réalité au Colorado.

Les journaux ont hésité entre une légère perplexité et l’idée selon laquelle la société était au bord d’une victoire majeure pour les droits civiques. Pour moi, tout le spectacle m’a semblé aussi pathétique que peu surprenant.

Ma position est essentiellement idéologique, mais elle est en partie basée sur ma propre expérience. Quand j’étais jeune, j’ai fumé, ce qui ne m’empêche pas de parvenir à rassembler aujourd’hui quelques pensées lucides. Je ne me sens pas comme quelqu’un qui aurait fait quelque chose d’immoral. J’imagine que je m’y connais autant que David Brooks, du New York Times (mais sans ses « évasions désinhibées », hélas) : « Pendant un temps quand j’étais adolescent, mes amis et moi fumions de la marijuana. C’était fun. J’ai des souvenirs très chers de nous tous, déconnant ensemble. Je pense que ces moments d’évasion désinhibés ont approfondi notre amitié. »

Brooks a été tancé pour s’opposer à la légalisation tout en admettant en même temps sa propre délinquance, et en concédant qu’elle était inoffensive. Bien sûr, il se peut qu’il soit hypocrite, mais il ne triche pas davantage que ceux qui nient le droit des gens à se rassembler pour fumer des cigarettes « récréationnelles » ou pour soutenir une des nombreuses initiatives étouffantes visant à nier aux gens leurs libertés. Brooks ajoute aussi, comme beaucoup d’autres, que la dé-criminalisation encourage effectivement l’usage des drogues. Je pense que c’est très exagéré, vue la tolérance largement répandue, et la disponibilité du cannabis avant même la légalisation. Mais n’allons pas jusqu’à prétendre que ce soit complètement absurde, non plus.

Au final, Brooks croit que l’usage de shit « devrait être découragé plutôt qu’encouragé ». Voilà qui semble, en tant que tel, une suggestion raisonnable. Mais de manière déraisonnable, il croit que l’État devrait nous en décourager par la force. Je crois que les voisinages, parents et individus devraient nous en décourager par la persuasion (et autrement que par une rhétorique de combattant anti-drogue hystérique).

« Nombreux sont ceux qui, ces temps-ci, hésitent à parler du statut moral de la drogue, parce que cela impliquerait que certains modes de vie vaudraient mieux que d’autres », écrit Brooks. Jonah Goldberg l’a mieux dit dans un éditorial, montrant que l’interdiction de porter des jugements fait partie de notre catéchisme laïc. Et que peu de gens sont moins moralisateurs que les libéraux en ce qui concerne le mode de vie. Heureusement, on peut aussi faire les deux à la fois. Je crois que la prostitution devrait être à la fois légalisée et stigmatisée.

Le problème est que les Américains voient l’État comme une boussole morale. Pour un libéral, il est souvent frustrant d’expliquer que plaider pour la dé-criminalisation d’une chose n’est pas synonyme de soutenir cette chose. Il est souvent plus facile d’éclipser en rationalisant les conséquences de davantage de choix que d’admettre qu’elles existent.

La marijuana est, pour l’essentiel, une habitude inoffensive. Mais il peut y avoir des effets psychologiques et physiologiques mauvais pour le corps humain après une utilisation prolongée. Elle diminue la capacité mentale des gens qui en abusent. Je suis certain que vous avez déjà rencontré des exemples. De nombreux partisans de la légalisation veulent que les Américains croient que les infirmières, les comptables, les commerçants et autres merciers constituent la plus grande partie de ceux qui fument du Caramelicious (NdT : une variété de cannabis) le week-end. Quiconque est allé voir de quoi il retournait sait que c’est grotesque. Il y a des hordes de shiteux qui en font un choix de « style de vie » et qui en dépérissent. Est-ce grave ? Probablement pas. Devrions-nous criminaliser le laisser-aller ? Non. Est-ce que ça devrait être découragé ? Probablement. À choisir, certaines vies sont meilleures à vivre que d’autres. On imagine bien que la plupart des commentateurs libéraux qui soutiennent la légalisation ont des diplômes du supérieur pour prouver ce que je dis.

Si les idées libérales sont en train de gagner la bataille, comme le pensent certains de ces commentateurs, alors le fait que l’État sorte du business de la « moralité par la législation » devrait attirer notre attention. La dé-criminalisation par l’État d’une activité ou d’une substance ne la transforme pas en quelque chose de moral, de sain ou d’admirable. Et les libéraux n’ont pas à agir comme si c’était le cas. On peut glorifier la liberté des gens sans glorifier toutes les choses débiles que les gens peuvent faire avec leurs libertés.

Comme, par exemple, faire la queue pendant cinq heures pour acheter pour dix dollars de résine.


Sur le web. Initialement paru sur Reason.com sous le titre « Libertarians Know How To Oppose Things Without Banning Them ».

Traduit de l’anglais par Benjamin Guyot pour Contrepoints.

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  • Je n’ai jamais fumé un seul pétard de ma vie et je n’ai pas l’intention d’en fumer. Je n’ai même pas fumé une seule cigarette, même pas essayé une seule fois dans ma vie. Ni aucune de ces choses qu’on range dans la catégorie « drogue ».

    Pourtant je suis opposé à toutes les interdictions et les réglementations en ce qui concerne la drogue ou le tabac.

    Suis-je tolérant ? Même pas sûr. C’est juste ma détestation du pouvoir je crois. 😀

    • Je comprend votre position: Pourquoi est ce que VOUS qui ne prenez pas de drogue devriez payer la police pour forcer ceux qui font l’autre choix à revenir dans le droit chemin? La légalisation est le seul moyen pour que ceux qui ne prennent pas de drogue n’aient aucune responsabilité envers ceux qui choisissent d’etre irresponsables.

  • Nous sommes devenus des oiseaux qui ont oublié qu’ils peuvent voler.

  • « Je crois que la prostitution devrait être à la fois légalisée et stigmatisée. »
    Alors ça c’est hypocrite! La prostitution est un très beau métier!

  • La question de la dépénalisation du cannabis n’est pas une question de tolérance mais de santé publique. Comme avec l’alcool un excès de consommation peut faire des ravages et le développement du système nerveux et cérébral des enfants et adolescents est mis en danger par la consommation de ces substances.
    Donc oui à l’interdiction stricte chez les jeunes, et oui à la dépénalisation du cannabis pour les adultes.
    Et si l’état perçoit une taxe là-dessus pourquoi pas, c’est une meilleure voie de perception que de taxer le travail et ça aidera à prendre en charge des éventuelles externalités négatives.
    Il y a pourtant ironie quand l’état qui interdisait ces substances au nom du danger qu’elles présentent doit maintenant en réguler et contrôler la qualité.
    Pour les drogues dures et addictives mon avis n’est pas si clair car les conséquences vont au delà de la responsabilité et de la santé du simple consommateur.

    • « La question de la dépénalisation du cannabis n’est pas une question de tolérance mais de santé publique. Comme avec l’alcool un excès de consommation peut faire des ravages et le développement du système nerveux et cérébral des enfants et adolescents est mis en danger par la consommation de ces substances. »
      Inutile de vous dire, je crois, qu’une énorme partie des jeunes, à l’anniversaire de leur dix-huit ans, ont déjà eu plusieurs cuites. Ce n’est pas pour autant qu’ils sont atteints de cirrhose ou qu’ils deviennent impotents. Comme pour tout, la responsabilité individuelle plaide. Dans le cas d’un enfant, l’attention du parent remplace un petit peu la responsabilité individuelle de l’enfant. Dans ce rapport parents/enfants, l’État n’a rien à faire (si j’estime que mon enfant est mature et apte à dix-sept ans pour boire de l’alcool, c’est mon droit et c’est le droit de mon enfant).

      « Et si l’état perçoit une taxe là-dessus pourquoi pas, c’est une meilleure voie de perception que de taxer le travail et ça aidera à prendre en charge des éventuelles externalités négatives. »
      Un raisonnement purement utilitariste, et en décalage avec l’article : l’intention de l’auteur est déontologique, pas utilitariste. Et puis je ne vois pas de quelles externalités négatives vous parlez, du moins vis-à-vis du cannabis. Il a été prouvé que cette substance a très peu d’impact sur la santé. Tout au plus, l’étude de Dunedin a relevé une légère baisse de concentration, de raisonnement et d’attention à la fin de l’adolescence pour des consommateurs réguliers (ce qui se traduit par une légère baisse du QI). Ce n’est pas une énorme externalité négative qui puisse justifier une taxe qui, comme au Colorado, génère des dizaines de millions de dollars de revenus pour l’administration…
      L’excuse de l’externalité négative pour une taxe sur les produits polémiques est foireuse.
      Prenez par exemple la cigarette. Soit un paquet à 5,90€ (à l’époque…) coûtant hors taxes 1€10 environ.
      (source : http://libre-sans-tabac.fr/prix-du-paquet-de-cigarettes-marge-du-buraliste/ )
      Un individu qui consomme un paquet par jour pendant 25 ans à 5,90€ le paquet économiserait 43.800€ si le paquet était hors-taxes… de quoi largement contribuer à se payer une assurance couvrant les frais d’un éventuel cancer du poumon. Bref, les conséquences médicales peuvent largement être supportées individuellement sans passer par un État réglementaire. Et si on prend le risque de ne pas prévoir les conséquences médicales, on aura dépensé son argent autre part, ce qui aurait largement contribué à l’économie. Et ça, c’est pas de l’externalité positive !?

      « Il y a pourtant ironie quand l’état qui interdisait ces substances au nom du danger qu’elles présentent doit maintenant en réguler et contrôler la qualité.
      Pour les drogues dures et addictives mon avis n’est pas si clair car les conséquences vont au delà de la responsabilité et de la santé du simple consommateur. »
      Personne ne demande à ce que l’État ne réglemente la qualité, ça peut être fait par des labels indépendants, associations de vendeurs, avis de consommateurs, etc. C’est juste la loi qui est comme ça au Colorado.

      « Pour les drogues dures et addictives mon avis n’est pas si clair car les conséquences vont au delà de la responsabilité et de la santé du simple consommateur. »
      Non, elles sont parfaitement identiques. Si vous craignez que des individus puissent perdre le contrôle d’eux-même après un shoot d’héroïne, soyez cohérent et :
      – interdisez l’alcool, la colère, la vie conjugale (ça peut rendre nerveux et ça mène à des crimes passionnels), etc.

      Bref, le meilleur régulateur c’est soi-même. La responsabilité est individuelle.

      • Pardon, erreur d’écriture :
        « Un individu qui consomme un paquet par jour pendant 25 ans à 1,10€ le paquet(…) »

      • Mégalo: « L’excuse de l’externalité négative pour une taxe sur les produits polémiques est foireuse. »

        D’autant plus foireuse que les fumeurs par exemple meurent 7 ans plus tôt et que le cout de la mort est équivalent à celle des non fumeurs. La différence ce sont ces 7 ans de grande vieillesse chez les non fumeurs qui coutent un rein.

    • C’est bien d’être tolérant et je suis tout en faveur de cette tolérance envers les fumeurs et autres heroinomanes: Qu’ils crèvent s’ils ont envie de crever avec leur seringue dans le bras, ca ne me regarde pas.
      Ce qui m’améne au coeur de mon « objection » a votre post: En quoi est ce que la drogue est un probleme de santé PUBLIQUE. Pourquoi n’est ce pas un problème PRIVÉ? En quoi les choix de chacun doivent ils être un problème d’Etat ou lié à un choix démocratique?

      Qu’est ce que c’est concrètement un problème de santé public? Ma santé à moi elle est stritement privée, que je me pionarde à coup de pinard ou que je sniffe de la coke, que je sois végétarien hyper diétetique ou que je mange à Mc Do tous les jours, pourquoi est ce que ca doit etre le problème de quelqu’un d’autre que moi?
      Qui va avoir le courrage de venir me dire en face: C’est un problème qui regarde toute la sociète ce que te mets dans le pif. Si j’étais un esclave dont la santé appartient à son maître, je dis pas, mais je croyais que justement c’était interdit… Mon corprs et son etat de fonctionnement ne sont ils pas justement des problématiques purement privées?

      A part les épidémies contagieuses, je vois pas ce qui peut effectivement relever du public en terme de santé.

    • Le fait que l’achat de drogue soit interdit aux enfants par mesure de police ne se justifie pas moralement mieux que l’interdiction du suicide ou de l’avortement en général… Il manque la volonté politique d’individualiser la contrainte et l’éducation au niveau patriarchal/matriarchal comme jadis chez les romains.
      L’argument veut que dans l’occident moderne, l’essentiel de la violence mortelle se constate entre proches souvent de même famille agissant dans l’affect, ce qui contredirait pratiquement les tentations de dépénalisation unilatérale et d’une remise des responsabilités sur les mineurs au / à la chef de famille quel qu’il soit. Déjà politiquement un suicide à première vue .

  • « Le problème est que les Américains voient l’État comme une boussole morale. »

    Absolument d’accord.
    L’État s’est emparé du magistère moral, et nous ne sommes donc plus en régime laïc.

    Le mariage pour tous en est pas de géant dans cette direction, où la morale est inextricablement mêlée à la contrainte: Le mariage civil est dorénavant une institution étatique vouée à guider les individus sur le chemin du bonheur, et non plus à encadrer la procréation (ce qui est justifiable par la nécessité objective).

    Il sera dorénavant extrêmement difficile de s’opposer à des lois vouées à définir les conditions dans lesquelles il est permis d’être heureux, et donc les choix de vie qu’on est tenu d’encourager sous peine de prison, qu’il est interdit de critiquer même objectivement, sans même oser chercher à en détourner, que nous devrons subventionner par nos impôts, et que l’école apprendra à nos enfants, à nos frais, à considérer comme moraux sans se poser de questions.

    Tout cela au nom de la laïcité, alors que c’en est l’exact opposé.

  • En tant que traducteur de cet article, je me permet de revenir sur le « chapeau » que je lui ai donné : « Une leçon de tolérance dans tous les domaines. ».
    Je trouvais ça assez intéressant, en cette période troublée où mes amis me traitent de « traître » et de facho pour ne pas avoir l’obsession interdire certains spectacles dits comiques, et où les autres me qualifient de « sale youpin » et (eux aussi) de facho pour oser penser que le comique en question raconte beaucoup de merde et que ses fans naviguent pour beaucoup entre l’idiot (in)utile et le décérébré mal fini.
    Triste époque.

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