Par Johan Rivalland.
La liberté est le sujet fondamental au centre des préoccupations de Contrepoints, à travers articles, analyses, réflexions, discussions. Au-delà de l’actualité, de l’Histoire, des perspectives d’avenir, qu’en est-il de ce sujet dans la littérature, en particulier lorsqu’on pense à son opposé le plus extrême : le totalitarisme ?
J’ai déjà eu l’occasion, ici-même, de commenter quelques grands romans d’Ayn Rand, qui trouveraient toute leur place dans cette série. Je vais donc prolonger avec d’autres réalisations, dans des registres parfois très voisins.
Deuxième volet, aujourd’hui, avec l’évocation de trois romans (ou films) récents de fiction, plutôt ciblés adolescents mais qui peuvent aussi bien être lus ou vus par des adultes, ayant pour point commun un monde totalitaire dans lequel un personnage principal s’impose par son aptitude différente, en mesure d’en faire un rebelle en puissance.
Hunger Games de Suzanne Collins (film par Gary Ross)
De ce roman (trilogie), que je n’ai pas lu, est inspiré un film, dont les deux premiers opus sont sortis. Un film qui parvient à suggérer la violence inhérente à certaines scènes du scénario plus que de la montrer à l’état brut. Pour un résultat très efficace : un film très prenant et captivant, qui nous plonge dans une atmosphère d’injustice et d’angoisse, faisant appel à notre sentiment de révolte sans surajouter à la violence.
L’histoire peut faire penser à une sorte de version moderne du Prix du danger d’Yves Boisset le choix en moins. En effet, ici les protagonistes du « jeu » télévisé n’ont pas le choix. Ils sont désignés par tirage au sort.
Chaque année, deux enfants âgés de 12 à 16 ans, un garçon et une fille, sont désignés au sein de 12 villages pour participer à un combat à mort. 24 participants au total, dont un seul vaincra et survivra. Le but est à la fois de punir ces peuples pour avoir fomenté une révolte dans le passé, assimilée à une trahison, et de contenir le peuple tout entier, à l’instar de ce qui se pratiquait chez les Romains dans l’Antiquité, avec le fameux principe « du pain, des jeux ».
Une manière de contenir toute nouvelle tentative de révolte, en jouant sur l’endormissement du peuple (un peu à la manière des transmissions télévisées permanentes de Fahrenheit 451, dans un autre genre), manipulé par les images et l’appel au voyeurisme, un peu à l’instar également de ce que l’on pouvait voir dans l’intéressant The Truman Show.
Dans le tome 2, ou ici deuxième volet au cinéma, on revient dans ce monde terrifiant et inhumain où la liberté n’existe pas. Un monde totalitaire et absurde qui ressemble à une vaste comédie, où toute velléité de révolte est aussitôt durement réprimée.
Le scénario est de nouveau de grande qualité, avec une montée en puissance des enjeux comme de la difficulté. L’arrachement, l’écÅ“urement, le chantage, les déchirements intérieurs, mais aussi l’espoir… On ressent au mieux l’injustice insupportable du monde totalitaire, la pression psychologique qui pèse sur les personnages, la difficulté de pouvoir être soi-même et de contenir sa rage si on veut survivre et ne pas mettre les autres en danger. Des situations qui ressemblent beaucoup à la réalité, passée comme encore présente en certains endroits de la planète, avec des scènes très dures mais si tristement réalistes.
Un superbe film, plein d’émotion. Un très bon scénario, qui vous prend littéralement aux tripes et qui vous fait attendre toujours aussi impatiemment la suite…
Divergente de Veronica Roth
C’est en allant voir Hunger games : l’embrasement au cinéma que j’ai vu la bande annonce d’un film qui sortira en mars 2014 et a retenu mon attention. Ce film est l’adaptation d‘un roman, Divergente, écrit par une jeune femme âgée de seulement 22 ans au moment de son édition, que j’ai aussitôt lu, non sans délectation.
Le thème : une jeune fille, Béatrice, a atteint l’âge de 16 ans (décidément !) et va donc devoir passer le test d’aptitude obligatoire pour tous ceux qui atteignent cet âge. Le monde est organisé en cinq factions, qui vivent chacune sur un territoire déterminé et de manière tout à fait différente en fonction de la qualité morale de prédilection qu’elles se doivent de protéger : les Altruistes (auxquels Béatrice appartient, qui ont vocation à s’occuper du gouvernement de l’ensemble, en raison de leur absolue intégrité morale et détachement personnel à l’égard des choses, refusant toute forme d’égoïsme), les Sincères (qui blâment la duplicité), les Fraternels (qui condamnent l’agressivité), les Audacieux (qui dénoncent la lâcheté) et les Érudits (qui pointent du doigt l’ignorance).
Cette organisation sociale est destinée à permettre un certain équilibre, chaque faction ayant son rôle, et à faire en sorte que le monde puisse évoluer dans une situation de Paix. En effet, « il y a plusieurs dizaines d’années, nos anciens ont compris que les guerres n’étaient causées ni par les idéologies politiques, ni par la religion, ni par l’appartenance ethnique, ni par le nationalisme. Mais par une faille dans la personnalité même de l’homme, par son penchant à faire le mal sous une forme ou une autre. Ils se sont donc séparés en factions dont chacune s’est donnée pour mission d’éradiquer le travers qu’elle considère comme responsable des désordres de ce monde », rappelle l’un des personnages.
Le test d’aptitude a ainsi pour objet d’aider chacun à déterminer son choix en connaissance de cause. Ce qui conduit soit à demeurer dans sa faction et continuer de vivre avec sa famille, ce qui est le cas de la grande majorité des gens, soit à devoir renoncer à tout jamais à sa famille, dans la mesure où on appartient totalement à sa faction. Choix douloureux.
À l’issue, une cérémonie a lieu, durant laquelle chaque participant se détermine, de manière irrévocable.
Or, le test de Béatrice ne se déroule pas normalement. Ses résultats laissent apparaître un profil atypique, qui menace directement sa vie si cela se sait : elle ne correspond à aucun des profils de faction de manière exclusive. Elle est ce qu’on appelle une « Divergente ».
Dès lors, les choses vont devenir compliquées. Elle est, par nature, en danger. Il va donc falloir choisir… et surtout se faire très discrète et contrôler chacun de ses gestes comme chacune de ses émotions. Dans le monde dans lequel elle évolue, c’est chose plus que difficile… Je n’en dis pas plus.
Une histoire passionnante, menée tambour battant. Beaucoup de violence, mais aussi de suspense, de rebondissements et d’intelligence.
Sans vous dévoiler l’histoire, ce qui m’a attiré avant même la lecture était le monde artificiel dans lequel l’action se situe. Comme toujours dans ce type de monde utopique, que ce soit dans les expériences réelles (sociétés communistes, notamment) ou romanesques (Le passeur, Fahrenheit 451, Le Meilleur des mondes, Anthem : (Hymne), etc.), la conception idéaliste se heurte systématiquement aux réalités de la nature humaine. Allait-il en être de même ici ? Et comment est-il concevable de ne posséder, de manière exclusive, que les qualités de chacune de ces factions, à l’exclusion des autres ?
La jeune romancière de 22 ans y répond avec une certaine maturité et un grand talent, à travers un roman captivant de bout en bout (en attendant le tome 2, que je lirai pour ma part sans tarder…) et dans un style simple, qui ne devrait pas rebuter les moins courageux.
Le Passeur de Lois Lowry
Encore un roman captivant, que l’on dévore en un rien de temps, tant il est facile à lire et passionnant.
Bienvenue dans un monde situé entre Le Meilleur des mondes et Fahrenheit 451, avec un petit côté Le Prisonnier, voire L’apprenti sorcier. Un monde « idéal », où l’on ne connaît ni la guerre, ni la faim, ni le chômage, ni toutes ces souffrances qui émaillent hélas notre monde. Un monde qui, à première vue, peut donc faire rêver.
Mais un monde de relative uniformité, sans passé reconnu (point déjà abordé au cours de notre premier volet), un peu insipide, sans véritable contrariété, ni sentiment profond. Un monde où règne « l’Identique », construction humaine destinée à gommer toutes ces aspérités qui rendent la vie si difficile… mais aussi peut-être sans ce qui en assure le charme.
Un monde sans livre, ou presque – juste les recueils de règles et lois essentielles qui régissent la vie en société et les conduites à tenir (là encore, cela nous rappelle quelque chose d’abordé dans notre premier volet).
Un monde où courtoisie, politesse et confidences publiques quotidiennes et instituées, devenues quasi mécaniques, assurent un équilibre collectif salvateur. Tandis que chaque vie est réglée, comme prédéterminée, et tient compte des aptitudes observables de chacun. Mais comme dans toute société idéale, où l’on peut se demander si tout est aussi idéal qu’il n’y paraît.
C’est dans ce contexte que Jonas, un jeune garçon de 11 ans, va vivre une expérience unique et stimulante, mais tout à la fois très angoissante, qui a quelque chose de la souffrance christique. Je n’en dis pas plus…
Prochain volet : Le totalitarisme ou ce qui s’y assimile, à travers quelques œuvres de la littérature ou du cinéma.
— Suzanne Collins, Hunger Games, 3 tomes, Pocket Jeunesse, octobre 2009, mai 2010, mai 2011.
— Gary Ross, Hunger Games 1 et 2, Metropolitan Vidéo, août 2012 et courant 2014.
— Véronica Roth, Divergente, tome 1, Nathan, novembre 2012, 435 pages.
— Lois Lowry, Le passeur, L’école des loisirs, coll. Medium, mai 1993, 288 pages.
Article publié initialement le 20 janvier 2014
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Toujours pas de Starship Trooper? 😉
hors sujet. A ce compte toutes les productions faisant référence à l’armée et la guerre seraient qualifiées.
Je ne suis pas d’accord avec vous.
Starship Trooper (Etoiles, garde-à -vous!) a été écrit à la fin des années 50, peu après la chute de MacCarthy. Sous couvert du récit d’une guerre contre un ennemi dont personne ne cherche les motivations, il décrit fort bien l’état d’esprit qui prévalait aux USA à la sortie de la 2ème guerre mondiale, jusqu’à la fin de la « peur rouge ».
Une société qui est parvenue à la conclusion que la démocratie ne marche pas et que seuls ceux qui ont été incorporés ont le droit de vote… Cela interpelle non?
J’adore ce film, comme j’adore « la chute du faucon noir », deux films qui me semblent souvent compris à contre-sens. Mais encore une fois je le trouve HS. outre que la dictature, même militaire, n’est pas forcément totalitaire, tous les théoriciens ont dit et toutes les tentatives pratiques ont démontré que
* Le lien citoyenneté (droit de vote) = appartenance à l’armée (milice) est consubstantiel à la démocratie,
* la démocratie ne supporte pas la guerre effective, qui tue la vérité (propagande, espionnage), l’économie (pénurie, rationnement et dirigisme), et l’égalité citoyenne (discipline, prééminence militaire donc politique de généraux ou corps prestigieux), c’est à dire trois conditions essentielles à l’exercice démocratique .
Je parlais du livre, pas du film. J’aurais du donner le titre du livre et non du film 😉
hunger games est une daube, avec un scénario à la base débile et des gentils et des méchants de carnaval. Le « maillon faible » est nettement plus représentatif et révélateur de ce que peut être un jeu cathartique organisé par un pouvoir totalitaire et dictatorial (et les deux adjectifs sont nécessaires : le gros malentendu c’est de confondre les deux concepts, alors qu’on peut parfaitement être totalitaire sans être dictatorial, et réciproquement)
Le film japonais « Battle Royale » a un scénario très proche de celui du premier volet d’hunger game et est à mon avis bien meilleur.
Au cas ou vous aborderez le jeu video, je pense qu’il faut parler des bioshock 1, 2 et infinite (et surement d’autres jeux)
Resterait quand même à mentionner dans les classiques la très troublante « machine à remonter le temps », de Wells (société humaine dégénérée dont une partie laborieuse vit cachée sous terre et entretien l’autre dans l’oisiveté et l’imbécilité… pour s’en nourrir durant la nuit!).
Puis moins connu de ce côté de l’Atlantique : « Révolte sur la Lune » de Heinlein à écouter éventuellement en VO sur Youtube (en 7h
et avec la chanson d’hommage de J.Webb en toile de fond (dont reprise par … Joan Baez!?).
http://www.youtube.com/watch?v=l8fXt4w9y2U
Merci pour les références.
J’aurais pu, effectivement, présenter le roman de H.G Wells, mais il ne m’a pas paru faire partie de mon sujet sur les totalitarismes. Plutôt une forme d’humanoïdes plus proches du sauvage (cannibale) que de l’être humain civilisé tel qu’on le conçoit à notre époque.
Néanmoins, si cela vous intéresse, j’ai écrit un petit commentaire sur ce roman ici :
http://www.amazon.fr/review/R2LOTXWJOKEI0N/ref=cm_cr_dp_title?ie=UTF8&ASIN=2070630129&channel=detail-glance&nodeID=301061&store=books
Cordialement.
Mais oui, à bien y réfléchir vous avez évidemment raison. Ce livre sort de cette (de toute?) classification … quoique l’idée du totalitarisme y est peut-être bien présente sous une forme plus radicale encore que dans les descriptions méticuleuses d’Orwell…
Merci en tout cas de votre réponse Professeur Rivalland. Votre rang de commentateur sur Amazon n’a pas finit de me bluffer. Quelle passion de la lecture! Vous me donner en plus l’occasion d’exprimer la forte impression que ce livre a fait sur moi également:
Wells ce visionnaire génial, suggère que les classes sociales peuvent avoir évolué au cours des millénaires, de sorte que « tous les besoins humains auraient fini par être satisfaits » et qu’une sorte de « spécialisation (dégénérescence) bipolaire en est née ». Il décrit ce nouveau rapport de fonctionnement entre travail et oisiveté non sans rappeler aussi l’histoire de « Matrix ». Le monde oisif y est un leurre, mais les activités de ce peuple laborieux constituent une forme de totalitarisme terrible.
Ce n’est pas un totalitarisme politique, mais celui de la « nécessité biologique » qui finit par tuer (symboliquement) le « politique » au noble sens Grec du terme, comme Hannah Arendt le décrit souvent, déjà pour le nazisme et le stalinisme.
Merci pour cette intéressante analyse.