Prenant le Medef au mot, le Président Hollande a créé la surprise en proposant lors de ses vœux un Pacte de responsabilité aux entreprises, détaillé à la presse le 14 janvier. Un Pacte qui se veut donnant-donnant : moins de charges et de contraintes contre plus d’embauches. Objectif : la reprise et l’emploi. Un virage bien sûr plutôt positif mais qui ne dit rien sur le financement des entreprises, et donc de la croissance…
Par Pierre de Lauzun.
Ces vœux ne sont pas passés inaperçus, c’est le moins que l’on puisse dire. Le Medef a salué l’initiative, l’opposition s’est trouvée quelque peu prise de court, et la gauche de la gauche crie à la trahison. Tournant libéral ou pragmatisme social-démocrate ? Ou tentative de reprise en main, face à une situation qui ne s’améliore pas et aux sondages désespérants ? Sans parler des questions de fond sur la crédibilité des mesures évoquées et de leur soutenabilité budgétaire, ou même sur la méthode donnant-donnant, alors qu’aucun cadre collectif ne peut engager les chefs d’entreprise sur la création d’emplois. Un point cependant retient l’attention : est aujourd’hui affirmé, au plus haut niveau de l’État, qu’aucune reprise ne sera possible, aucune bataille contre le chômage gagnée, sans que soit restaurée la compétitivité de nos entreprises. Qui n’y souscrirait ?
Face à cela toutefois, j’observe une énorme impasse, malheureusement bien peu relevée. Pour que la croissance reparte de façon saine, il est impératif que les circuits par lesquels nos entreprises financent leur développement fonctionnent, et fonctionnent bien. Car sans financement, rien ne sera possible. Notamment pour leur donner les moyens d’investir afin de développer les nouveaux produits qui feront la différence dans un contexte mondial ultra concurrentiel. C’est dans la recherche et le développement que réside la création de la valeur ajoutée de demain, et ils nécessitent des investissements souvent lourds et sur le long terme que l’autofinancement ne peut assurer à lui seul, surtout avec des marges dont la faiblesse est préoccupante.
Historiquement, le moyen de financement privilégié des entreprises en France est le crédit bancaire. Mais, en raison notamment des nouvelles contraintes prudentielles pesant sur les banques (les fameux accords de Bâle 3), les entreprises pourront beaucoup moins compter sur ce circuit traditionnel pour se financer à l’avenir. Ne parlons pas de l’État : il n’a plus d’argent. Pour lever des fonds propres ou émettre de la dette les entreprises devront donc se tourner de plus en plus vers le marché financier. Celui-ci devient donc une priorité nationale majeure. Ou plutôt il le devrait.
Car c’est là que le bât blesse : si l’épargne française est abondante, elle est très mal orientée. Tout est fait depuis des années pour qu’elle ne se tourne pas, comme elle le devrait, vers nos entreprises, et particulièrement vers le financement actions, le plus important pour leur permettre d’investir sur le long terme mais aussi le plus risqué pour l’épargnant qui ne s’engage pas sur la durée. Notre système fiscal privilégie le court terme, la liquidité et la garantie : ne nous étonnons pas que l’épargne en actions soit aujourd’hui à son niveau historique le plus bas. Situation alarmante, alors surtout que l’assurance-vie s’est elle aussi dégagée dans une large mesure des actions pour des raisons prudentielles.
Si les entreprises ne peuvent donc pas compter sur l’épargne domestique, il faut qu’elles se tournent vers les investisseurs internationaux. Ils sont d’ailleurs de plus en plus présents : près de 50% des grandes entreprises françaises sont aujourd’hui détenues par des non-résidents, un record parmi les pays comparables. Mais cette dépendance n’est pas sans risques car elle fragilise les stratégies de long terme : en cas de crise, les investisseurs étrangers se replient rapidement sur leur base géographique. Sans parler des risques de délocalisation de sièges sociaux hors de France.
Au moins les grandes entreprises ont accès à cette épargne internationale. Ce qui n’est pas le cas de nos PME et même ETI qui se retrouvent ainsi asphyxiées dans leur croissance.
La reconquête de la compétitivité de nos entreprises nécessite donc une réforme en profondeur des circuits de marché finançant les entreprises.
Cela implique en premier lieu une politique publique ambitieuse orientant clairement l’épargne vers ces financements. Pour cela, pas de miracles, le levier de la fiscalité doit être utilisé de façon énergique pour donner un net avantage aux placements longs, surtout en actions, qui traduisent un bénéfice collectif clair au prix d’une prise de risque élevée à court terme (mais sûre à long terme) pour l’épargnant individuel.
Au-delà , cela implique une prise de conscience urgente du rôle croissant que jouent désormais les marchés dans le financement de notre économie, et une réflexion globale sur la finance dont notre pays a besoin pour rebondir, sur son organisation et son fonctionnement pour servir au mieux nos intérêts nationaux.
Certes, des signaux positifs sont apparus récemment : le PEA PME, les fonds Novo, l’allégement de la fiscalité des plus-values, les nouveaux contrats d’assurance-vie… Mais on ne peut pas considérer qu’ils sont, même de loin, à la hauteur du défi que constitue le financement de la reprise. Ils relèvent du traitement pointilliste d’une question globale.
Le virage amorcé aujourd’hui en direction des entreprises doit donc être suivi demain par un second virage, celui de la prise de conscience du rôle positif de la finance pour notre économie. Je parle bien entendu d’une finance saine et tournée vers l’économie réelle : d’une finance de marché orientée vers le long terme et les fonds propres.
Il n’y a pas de fatalité à ce que notre pays reste en marge de la reprise qui paraît s’enclencher en Europe. Tout au long du XIXe siècle et jusqu’à la seconde guerre mondiale, c’est l’épargne de nos compatriotes qui a permis à la France de devenir une grande puissance industrielle en lui fournissant les capitaux nécessaires au développement de ses entreprises.
L’ennemi n’est pas la finance, c’est la mauvaise finance. Alors courage, M. le Président, encore un effort !
Je suis d’accord avec vous sur la « mauvaise finance »….
Je ne me trompe pas mais les banques ne rechigneraient elles pas à prêter malgré les taux directeurs très bas de la BCE ?
« Cela implique en premier lieu une politique publique ambitieuse orientant clairement l’épargne vers ces financements »
C’est impossible : l’Etat a besoin d’orienter l’epargne vers le financement de la dette. Raison pour laquelle les ratios prudentiels favorisent cette orientation en permettant aux banques de ne pas utiliser de capitaux propres dans ce cas-la, sous pretexte que cela serait sans risque.