Par Alexandre C.
Si dans l’imaginaire collectif, on a l’habitude que les diamants soient blancs – ou plus exactement incolores –, il est possible que d’autres couleurs du spectre lumineux lui soient substituées. Ainsi il existe des diamants rosés1, bleus, jaunes ou encore verts2. Ces dernières teintes sont tellement rares que leur découverte revêt des allures de légende d’autant plus si la pierre en question atteint une taille et un degré de pureté conséquents.
Sur Terre, les premiers diamants ont été extraits de mines situées en Inde et il faut attendre le XVIIème siècle environ pour qu’ils arrivent en occident. Dès lors, les rois et princes européens raffolèrent de ces pierres précieuses, symboles de puissance et de richesse pour qui les possédaient : rien n’était jamais trop flamboyant ou trop grand, pour épater la cour ou les princes étrangers en visite – Versailles en est un exemple patent.
À cette époque, un diamant, d’une couleur bleue éclatante et d’une taille gigantesque pour une pierre aussi rare, fut ramené en Europe. Racheté par le roi Louis XIV, ce diamant devint l’une des pièces les plus importantes des fameux Joyaux de la Couronne, volés en 1792. Surnommé le Bleu de France en référence à sa couleur, son histoire – et la malédiction qui l’entoure – a passionné des hommes et des femmes pendant plus de trois siècles. C’est cette épopée que je vais vous conter ici.
Origine
En 1663, Jean-Baptiste Tavernier (1605-1689), un explorateur et expert en pierres précieuses part pour son sixième – et dernier – voyage en Inde. Il se rend dans la région de Golconde, au sud de la péninsule, réputée pour être riche en diamants. Du récit de ce voyage, on ne sait plus trop ce qui est de l’ordre de l’histoire ou de la légende. Cependant, il semble que les diamants bleus n’aient pas une bonne réputation dans cette région. Ils apporteraient le mauvais œil. On leur préfère d’autres couleurs telles que le blanc (symbole de prospérité) ou encore le rouge (symbole de courage).
Le sultan de Golconde exploitait plusieurs mines dans la région et en sortait des exemplaires de grande taille, faisant la richesse de son royaume. Dans l’une de ses exploitations, à Coulour, un mineur aurait découvert – vers 1610 – près de la rivière Krishna, une pierre de belle dimension quasi opaque et de couleur grisâtre. Considéré comme impur par le maître des lieux – qui craint peut-être une quelconque malédiction – le diamant est laissé aux intouchables3. La pierre intrigue tant ces nouveaux propriétaires qu’ils décident de la confier à un artisan, qui effectue un polissage des faces, de manière à conserver la pierre la plus grosse possible. Une fois le travail achevé, elle acquiert une légère teinte bleutée et affiche une vague forme de cœur. Rapidement, la nouvelle de l’existence de ce trésor se répand à travers le sultanat. Telle un symbole pour les mineurs, la pierre aurait été placée sur une statue de la déesse Sītā4, au sein d’un temple construit par leurs mains.
Cependant la dévotion pour cette pierre précieuse n’est pas du goût du sultan, qui décide alors de détruire le temple en question pour punir, en quelque sorte, les intouchables. Le diamant disparaît alors, probablement volé ou mis à l’abri5. Lors de son voyage dans cette région, Tavernier en retrouve la trace. Intéressé par la pierre, il propose de l’échanger contre un diamant incolore. Mis au courant de la transaction, le sultan – qui connait l’histoire qui entoure cette pierre – autorise l’échange pensant éloigner le diamant maudit de son royaume. Nouveau propriétaire, Tavernier ramène, cette rarissime pierre bleue en France au cours de l’année 1668.
Le diamant devient le Bleu de France
De retour à la cour du roi Louis XIV, Tavernier présente une importante collection de diamants au contrôleur général des Finances, en la personne de Jean-Baptiste Colbert (1619-1683). Rapidement, le diamant bleu-gris attire le regard du trésorier du roi. D’une taille de 115 carats métriques actuels (112 et 3/16 de carats à l’époque)6, le diamant est acquis pour 220.000 livres tournois par le jeune roi7.
Grand amateur de pierres précieuses, Louis XIV chargea quelques temps plus tard Jean Pittan, l’un des joailliers les plus renommés de son temps, de retailler la pierre, afin d’en faire ressortir le meilleur éclat possible. L’homme travailla sur le projet pendant deux ans et il lui fallut encore deux années supplémentaires pour effectuer la taille, après quoi le diamant passa de 115 carats à 69 carats (68,5 de l’époque). Le résultat obtenu était tel que la réputation du diamant désormais d’un bleu éclatant se propagea rapidement. L’orfèvre avait, en effet, réussi l’exploit de faire ressortir au mieux la lumière captée par la pierre. De forme triangulaire, le diamant était pourvu d’un pavillon dit en « rose de Paris » d’ordre 7, c’est-à-dire à sept facettes, tel un soleil, symbole du roi. Serti dans une couronne en or, le diamant servait de broche pour maintenir le foulard de Louis XIV. Il rejoignait ainsi le célèbre Sancy8 au sein des diamants de la couronne. La légende – encore une – veut que ce soit Colbert qui le baptise Bleu de France.
La Toison d’or de Louis XV
Pourtant, malgré sa rareté et son éclat, le diamant est rapidement délaissé par le roi9. Louis XV, nouveau monarque de France à partir de 1715 le reçoit en héritage mais préfère utiliser des diamants incolores pour sa couronne de sacre. Le Bleu de France entre alors dans une longue période d’hibernation. En 1749, pourtant, on se rappelle de son existence au moment où le roi, récemment fait chevalier de la Toison d’Or10, demande à Pierre-André Jacquemin, un joaillier, de réaliser une parure en incluant le fameux diamant bleu. Pourvue de nombreuses pierres précieuses (trois topazes jaunes, un diamant blanc le Bazu11, de nombreux saphirs…), cette œuvre représente un dragon en spinelle – une pierre semi-précieuse – dit Côte-de-Bretagne « crachant » des flammes rougeâtres. D’une incroyable richesse, cette parure est arborée par le roi dans les grandes occasions.
C’est à cette époque que les premiers dessins – peu précis – du diamant bleu apparaissent. En 1787, un physicien et zoologiste de l’Académie des Sciences, Mathurin Jacques Brisson (1723-1806) en réalise un dessin très approximatif mais parvient à en estimer les dimensions et le poids exact.
Révolution et vol des Joyaux de la couronne
En 1789, la Révolution bouleverse le pays et la monarchie est petit à petit dépecée de ses trésors. Un temps exposés au public, les Joyaux de la Couronne sont ensuite entreposés à l’hôtel du Garde-Meuble, alors que la famille royale est aux Tuileries. En 1792, alors que la capitale est encore agitée par les troubles révolutionnaires, un groupe de voleurs réussit le tour de force de voler les plus belles pièces du trésor royal – qui à l’époque comptait plus de 9000 pierres précieuses, soit plusieurs centaines de millions d’euros de pierreries, et constituait l’une des plus importantes collections du genre – lors de cinq nuits de pillage, entre les 11 et 16 septembre, et ce sans alerter l’attention des gardes du lieu. L’un des casses les plus audacieux vient d’avoir lieu. La précieuse Toison d’Or et son célèbre diamant bleu disparaissent corps et biens. Il semblerait que la liste des fabuleuses pièces royales, dressée un an auparavant, par la toute jeune Première République, aurait attisé les convoitises de quelques personnes.
Rapidement la trace des brigands est retrouvée : ils seraient partis pour l’Angleterre. D’intenses investigations sont menées et permettent de retrouver une majorité des pierres – tout du moins les plus importantes – telles le Sancy ou le Régent12. Les autres, desserties de leur bijou d’origine, ont été revendues et le cas échéant retaillées, ce qui ne facilite par leur recherche et leur récupération. Ainsi le Bleu de France reste désespérément introuvable. Un homme, probablement l’un des membres de l’équipée et répondant au nom de Cadet Guillot est retrouvé à Londres en possession de la fameuse spinelle en forme de dragon – d’un poids de 107 carats tout de même ! Il est alors soupçonné d’avoir eu entre ses mains la Toison d’Or et donc le Bleu de France, qu’il a certainement revendu à quelque receleur. La piste pour mettre la main sur le diamant s’évanouit : il est considéré comme perdu.
L’apparition du Hope
L’histoire du Bleu de France se perd dans les méandres des turpitudes de l’Empire napoléonien. Pourtant en 1812, soit vingt ans et deux jours précisément après sa disparition, un diamant bleu est présenté au public à Londres par deux bijoutiers, Francillon et Eliason. De forme ovale, ne pesant que 45,5 carats, soit bien moins que le Bleu de France, il fait dire à certains qu’il s’agit d’une retaille du diamant français. En effet, bien qu’à cette époque le délai de prescription pour un vol est de vingt années, celui de recel est bien supérieur à cette durée, ce qui justifie que le diamant ait pu changer de forme afin d’éviter d’éventuelles poursuites. Même si certains émettent des doutes sur la provenance de l’objet, il n’en est pas fait mention avant 1858 quand le joaillier Charles Barbot établit un lien entre les deux pierres, alors qu’il consulte l’ouvrage de Germain Hirst, dans lequel figurent deux gravures de Lucien Hirst, représentant, à l’échelle, Bleu de France13.
Il faut attendre 1824-1825 pour qu’on lui trouve un premier propriétaire reconnu en la personne d’un banquier anglais, Henry Philip Hope14. Dès lors, la pierre bleue prend le nom de Hope. Suivant le destin des objets précieux, le diamant Hope change de mains lors d’héritages et le petit fils de Hope le cède en 1901 à un bijoutier new-yorkais, Joseph Frankel, afin de régler ses dettes. Le périple continue. En 1908, il est revendu à un marchand turc, Selim Habib, qui le cède dès l’année suivante à un joaillier du nom de Rosenau. Acquis par la célèbre maison Cartier en 1910, il est acheté par une richissime américaine, Evalyn Walsh McLean15, qui fut subjuguée par son histoire rocambolesque et mystérieuse16. Elle en reste propriétaire jusqu’à sa mort en 1947. Entre-temps, la malédiction autour du diamant rejaillit puisque May Hope, la femme du petit-fils de Hope écrit en 1821 un livre sur le sujet. En 1932, Evalyn gage le diamant pour payer la rançon du bébé de Charles Linbergh enlevé quelques temps auparavant.
À la mort de McLean, Harry Winston, surnommé « The King of Diamonds » rachète entièrement sa collection de bijoux. En 1958, il fait don du Hope au Smithsonian Institute de Washington – non sans avoir obtenu une réduction d’impôts équivalente – qui en est toujours le propriétaire légal. Quatre ans plus tard, le diamant est prêté à la France et exposé au Musée du Louvre.
Encore aujourd’hui, et malgré les retailles successives, il s’agit du plus gros diamant de couleur bleue jamais découvert. Sa réputation est telle qu’il attire tous les ans presque autant de visiteurs que La Joconde, le chef d’oeuvre de Leonard de Vinci au Louvre.
Épilogue
L’histoire aurait pu se terminer ici, mais c’est sans compter sur la ténacité sans faille de quelques personnes. Le pionnier dans cette enquête est Bernard Morel qui dans son livre Les Joyaux de la Couronne sortie en 1988, reprend les travaux de Charles Barbot. Mais les gravures manquent de précision : seuls un dessin ou une moulure du Bleu de France permettrait de véritablement savoir si le Hope en constitue une retaille.
L’affaire semble définitivement classée, lorsqu’en 2007, François Farges, chercheur en minéralogie découvre, par hasard, un modèle en plomb du Bleu de France au Muséum d’Histoire naturelle de Paris alors qu’il entreprend un inventaire des lieux. Poursuivant ses investigations, il met la main sur l’étiquetage du plomb : il fait apparaître que Hope en était bien le propriétaire entre 1792 et 1812, faisant de lui l’artisan de la retaille de la pierre17. S’envolant pour Washington, il convainc ses homologues américains de comparer – à l’aide d’outils numériques – le modèle en plomb qu’il possède au Hope : il s’avère alors que la correspondance est parfaite et permet même d’expliquer les quelques irrégularités de l’actuelle pierre. Le professeur Farges met ainsi un point final à plus de deux siècles d’interrogation sur l’origine du diamant Hope18.
Dernière anecdote concernant ce diamant : c’est cette pierre qui aurait inspiré le fameux Coeur de l’Océan, le magnifique diamant en forme de cœur porté par Rose dans Titanic de James Cameron.
—
Sur le web.
- L’un plus des plus connus est le Daria-e nour, littéralement mer de lumière en persan. Il fut découvert en Inde. ↩
- Le plus connu étant le diamant Dresde Vert, ville où il se trouve encore aujourd’hui. ↩
- Les intouchables – nommés aussi parias ou dalits – sont des individus exclus du système de castes institué en Inde. ↩
- Cette déesse est l’un des avatars de Lakhsmi. Elle symbolise la nature. ↩
- Le voleur aurait d’ailleurs été foudroyé au cours de l’opération selon une variante de la légende. ↩
- Un carat représente 200 mg soit 0.2 g dans notre système métrique actuel. ↩
- Pour l’époque, cette somme représente près de 147 kg d’or. ↩
- Le Sancy est un diamant incolore qui a plusieurs fois changé de mains, avant d’échoir entre celles du cardinal Mazarin, mentor du roi Louis XIV à qui il le lègue en 1661. Il disparaît change à nouveau de propriétaires plusieurs fois avant d’être acquis par le Musée du Louvre en 1979. ↩
- Cette disgrâce coïncide avec la révocation de l’Édit de Nantes, suite à laquelle la famille Pittan est persécutée et finit par émigrer en Angleterre. ↩
- Ordre de chevalerie fondée à Bruges en 1430 par le Duc de Bourgogne. ↩
- D’une taille de 32 carats, ce diamant, volé en 1792, n’a jamais été retrouvé. ↩
- D’une taille de 140 carats, ce diamant fut retrouvé en 1793 et est depuis 1887 la propriété du Musée du Louvre. Il constitue l’un des derniers Joyaux de la Couronne de France. ↩
- On évoque aussi dans certaines sources la date de 1856. ↩
- Hope se serait ruiné pour acquérir cette pierre, l’obligeant à la gager par la suite. Certains spécialistes du diamant avaient évoqué son rachat par le roi George IV du Royaume-Uni mais cette rumeur n’a jamais été attestée. ↩
- Pour la somme de 180 000 dollars de 1911. Soit plus de 4 millions de 2008. ↩
- Il est dit que c’est Pierre Cartier lui-même qui lui conta l’épopée du diamant. ↩
- L’étiquetage portait la mention « Mr Hoppe de Londres ». ↩
- Un livre et plusieurs documentaires ont depuis été publiés sur cette histoire. ↩
thank you
C’est pour des aussi pour des aventure comme ça que l’on devient entrepreneur….
ce diamant va faire de heureux mais aussi des malheureux ,on se l’arrache ,j’imagine le prix de ce diamant !!
» la femme du petit fils de hope écrit en 1821 un livre sur le sujet »
si j’ai bien suivi, ce doit etre plutot 1921 et pas 1821 ?
que d’histoire là dedans… certains ont dit que danton, mèler de prés ou de loins au vol des bijoux de la courrone, aurait » acheté » la bataille de Valmy avec certaines pièces, qui furent retrouvées dans l’héritage de Brunsvik, aprés sa mort à la bataille d’iéna en 1806. pas besoin de rappeler que ce dernier commandait à Valmy.
quand à l’affaire du collier de la reine, en 1786, quelle aventure… elle vaudrait bien un papier comme celui-ci.