Par Loïc Floury.
D’Adam Smith à Jean-Jacques Rousseau, l’idée perdure mais ne recouvre jamais le même concept. Tel est véritablement l’esprit de l’ouvrage récemment publié par les Presses Universitaires de l’ICES. En effet, si l’intérêt général légitime traditionnellement l’action des pouvoirs publics et en détermine dès lors les finalités, force est de constater que le concept a su prendre un sens variable selon le contexte et/ou l’individu qui l’emploie
Fortement critiqué dans sa vision rousseauiste par les libéraux, le concept de l’intérêt général n’en demeure pas moins passionnant à analyser, tant sur le plan historique que formel. Et c’est à une jeune historienne du droit – malheureusement disparue trop tôt1 – Valérie Baranger, que de procéder à cette première tâche : se bornant à l’Ancienne France, l’auteur procède à un brillant récit quant à l’émergence, à l’incarnation, à la matérialisation et enfin, à l’évolution du concept légitimant l’État, jusqu’à devenir ce concept moderne si polémique, pour ne pas dire sulfureux.
Car si l’intérêt général passionne dans tous les sens du terme, c’est que sa plus grande force demeure également sa plus grande faiblesse : la raison d’être du droit public demeure parfaitement indéfinissable.
Pourtant, si l’unanimité est absente quant à l’existence et au contenu du concept, les propositions en ce sens abondent, à l’image de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme. Comme le rappelle le professeur Jean Dhommaux, la création prétorienne qu’est l’intérêt général n’a pas tardé à concurrencer – thème ô combien précieux aux libéraux – d’autres intérêts.
Dès lors, les critiques traditionnelles sont dépassées : l’analyse de l’arbitrage effectué afin de résoudre les confrontations entre intérêts privés et généraux demeure fondamentale en ce sens qu’il s’agit, pour reprendre la formule consacrée, d’assurer « un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu… »2. Pour un libéral, la leçon est magistrale : le combat contre l’intérêt général se déroule également dans ses modalités de mise en œuvre, bien que la concurrence instillée entre les intérêts généraux et les intérêts privés soit quelque peu faussée au profit des premiers.
L’analyse ne s’arrête pas là  : si l’historien et politologue Guillaume Bernard tend à démontrer la « dilution » de l’intérêt général dans la transformation du lien social, le lecteur de Contrepoints appréciera particulièrement la contribution d’un auteur bien connu sur le pure-player qu’est Serge Schweitzer.
Optant pour un chemin dissident, l’économiste marseillais partage en réalité un point de vue typiquement libéral en démontrant brillamment que l’intérêt général n’est qu’un « vol de concept » (Ayn Rand), pour ne pas dire, un faux concept. L’argumentaire est brillant et demeure difficilement discutable tant par sa cohérence et sa logique implacable. Là est la force de l’ouvrage : après avoir analysé de manière critique l’émergence de l’intérêt général – tant sur le plan historique que juridique – que ses modalités de mise en œuvre, celui-ci place le lecteur dans une situation réelle de doute : et si ce chemin « dissident » ne l’était qu’au profit d’une plus grande fécondité intellectuelle ?
À cette question vient alors la réponse du professeur François Saint-Bonnet, dont la fable interrogera plus d’un lecteur. Général ou non, un intérêt demeure indiscutable : celui de l’ouvrage.
Sommaire de l’ouvrage :
- Armel Pécheul, « In Memoriam et Introduction générale »
- Valérie Baranger, « L’intérêt général : itinéraire d’une idée »
- Jean Dhommaux, « L’intérêt général dans la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme »
- Christophe Baudoin, « L’intérêt général peut-il se passer du souverain ? »
- Guillaume Bernard, « Transformation du lien social et dilution de l’intérêt général »
- Sally M. Silk & Lauren J. Galgano : « The American Class Action Lawsuit : A tool for shaping justice in consumer societies »
- Pauline Mortier, « Intérêt général et compétences locales »
- Corneliu-Liviu Popescu, « CEDH, Affaire Droits de l’homme c. Intérêt général »
- Serge Schweitzer, « Un chemin dissident : l’intérêt général ou l’invention d’un faux concept »
- François Saint-Bonnet, « Le barrage, le champ éolien et l’intérêt général »
— Collectif, Les métamorphoses de l’intérêt général, Presses Universitaires de l’ICES, Collection Colloques, novembre 2013, 220 pages, 15€.
Où se procurer cet ouvrage ? Directement auprès de l’ICES : Édith Bondu, Presses Universitaires de l’ICES, 17 Boulevard des Belges, 85000 La Roche sur Yon. En librairie : ISBN 978-2-918018-21-6
- On prêtera à son sujet particulièrement attention à l’In Memoriam rédigé par le recteur Armel Pécheul, la tout aussi jeune que prometteuse historienne que fut Valérie Baranger s’étant notamment fait connaître lors de la publication de sa remarquable thèse intitulée « Rivarol face à la Révolution française » (Éditions de Paris, 2007). ↩
- Arrêts « Ocalan c/ Turquie » du 12 mai 2005 et « Sporrong et Lönnroth c/ Suède » du 23 septembre 1982. ↩
La conception française de l’intérêt général, n’est pas la somme des intérêts particuliers, ce qui en fait l’intérêt de personne…
Fort de cette conception, on peut tout faire passer au nom de l’intérêt général: d’un monopole du transport ferroviaire, à la plus abjecte des atteintes aux libertés individuelles.
L’intérêt général est l’alibi du fascisme ordinaire!
« l’intérêt général n’est qu’un « vol de concept » (Ayn Rand), pour ne pas dire, un faux concept. L’argumentaire est brillant et demeure difficilement discutable tant par sa cohérence et sa logique implacable »
Avec la raison on peut démontrer tout et son contraire :
« Par la raison je peux démontrer que j’ai intérêt à détruire le monde plutôt que de m’entailler le doigt »
Einstein