Par Le Minarchiste.
Voilà maintenant plus de trois ans que l’austérité européenne s’est mise en marche. Le débat fait toujours rage, mais nous commençons tout de même à disposer de données intéressantes quant aux impacts de ce qui a été fait. Cependant, nous sommes inondés de mythes et d’informations mal interprétées ou incomplètes, ce qui ne permet pas d’analyser objectivement la situation. Je vous propose ici d’explorer les données et de débusquer certains de ces mythes.
Commençons tout d’abord par situer le problème. La justification primaire de l’austérité est, en théorie, que certains pays ont des niveaux d’endettement et de déficits publics qui sont insoutenables, ce qui nécessite une réduction de déficit.
En observant le déficit budgétaire total de 2009, qui est la pire année, on constate que 11 pays européens majeurs avaient un déficit de plus de 5%. De ces 11 pays, 8 d’entre eux avaient en 2012 un ratio dette/PIB de plus de 85% (des études récentes considèrent qu’un niveau de 90% et plus est problématique). Ainsi, pour la plupart de ces pays, le rythme de ces déficits est insoutenable à moyen terme puisque ceux-ci se retrouveraient bien en haut de 100% du PIB d’ici quelques années.
Idée reçue n°1 : Les pays qui ont le plus augmenté leurs dépenses publiques discrétionnaires durant la récession sont ceux qui ont connu la récession la plus sévère.
On serait porté à croire que les pays qui ont connu le choc économique le plus sévère sont ceux qui ont vu leur État dépenser le plus pour stimuler l’économie. C’est faux.
J’ai observé les chiffres pour les 19 principaux pays européens. Pour ceux-ci, le sommet de leur économie a été atteint vers le premier trimestre de 2008, alors que le creux de leur récession est survenu vers le deuxième trimestre de 2009. Entre le sommet et le creux, le PIB a chuté en moyenne de -8,1% et la production industrielle de -15,9%. En 2009, les dépenses discrétionnaires des États (excluant les paiements de transferts, les sauvetages bancaires et les intérêts sur la dette) ont augmenté en moyenne de +8,7%, ce qui indique que plusieurs pays ont tenté de stimuler leur économie. Ceci dit, il n’existe aucune relation statistique entre l’ampleur de la récession et la hausse des dépenses.
Idée reçue n°2 : Les pays dont les États ont le plus stimulé l’économie par leurs dépenses publiques discrétionnaires sont ceux qui ont connu la reprise la plus forte.
Du creux de la récession jusqu’à ce jour (Q3/2013), le PIB a augmenté de +5,9% et la production industrielle de 11,3% en moyenne pour ces 19 pays ; et il n’existe aucune relation statistique entre l’augmentation des dépenses discrétionnaires durant la récession et l’ampleur de la reprise. Cependant, il y a une relation négative entre la taxation et la vigueur de la reprise, ce qui signifie que les pays qui ont réduit leurs taux de taxation ont connu une meilleure reprise économique que ceux qui les ont augmenté. Notez qu’ici ma mesure de taxation est une combinaison de la TVA et du taux marginal maximal d’imposition.
Ce que l’on observe en revanche est que plus le boom économique a été fort entre 2003 et 2008, plus la récession subséquente a été sévère. Qu’est-ce qui a causé ce boom ? C’est surtout l’accession à l’Euro, qui a fait en sorte que les pays de la périphérie ont vu leurs taux d’intérêt chuter de moitié, ce qui incita les ménages, les entreprises et les gouvernements à s’endetter. Même un pays comme la Lettonie, qui ne faisait pas partie de l’Euro à l’époque, arrimait sa devise à l’Euro au taux de 1,42, ce pourquoi sa banque centrale devait créer énormément de monnaie et garder les taux d’intérêt à des niveaux très bas incitant à l’endettement. Ainsi, ce boom insoutenable ne fut rien d’autre qu’une bulle monétaire…
Par ailleurs, il y a une forte corrélation négative entre l’ampleur de la récession et l’ampleur de la reprise ; c’est-à-dire que plus la récession a été brutale, moins la reprise a été vigoureuse !
Idée reçue n°3 : Les déficits des pays européens résultent de la récession.
On pourrait penser que, vu la récession, les États voient à la fois leurs recettes d’imposition diminuer, leurs paiements de transfert augmenter et leur PIB chuter, ce qui fait gonfler leur déficit budgétaire en pourcentage du PIB.
C’est l’OCDE qui dispose des meilleurs chiffres quant aux déficits budgétaires des États, calculés en pourcentage du PIB potentiel. On peut évaluer l’impact de la récession en se concentrant sur le déficit « structurel » avant l’austérité (disons en 2009, soit le pire de la crise budgétaire européenne). Le déficit structurel exclut l’impact des cycles économiques sur les paiements de transfert et sur les recettes d’imposition. Cet ajustement permet donc d’éliminer une bonne partie de l’impact des cycles économiques sur les comptes nationaux.
Ainsi, la balance structurelle des États européens était négative en 2009. En Grèce, elle est passée de -9,3% en 2006 (avant même la récession !) à -16,4% en 2009. En Espagne, de +0,5% à -10,4%. Au Royaume-Uni de -4,1% à -9,1%. Au Portugal de -3,7% à -7,4%. En Irlande, de -0,6% à -9,0%. En France de -3,5% à -6,6%. En Italie, de -3,3% à -3,8%.
Pourquoi une telle augmentation des déficits structurels ? En majeure partie parce que ces États ont tenté de relancer leur économie en augmentant leurs dépenses discrétionnaires (la recette keynésienne). Vous pouvez aussi noter que pour la plupart des pays problématiques, leur déficit structurel était déjà fortement dans le rouge avant même la récession, au sommet du boum de crédit ! Cela confirme donc que la récession n’explique pas les déficits.
Idée reçue n°4 : Les déficits et les niveaux élevés d’endettement des pays européens résultent du sauvetage des banques.
Entre 2007 et 2011, les sauvetages bancaires n’ont pas eu une grande incidence sur les déficits publics européens, sauf en Irlande. En fait, les garanties offertes par les États ont fait augmenter les ratios de dette des pays, mais n’ont pas vraiment affecté les dépenses. Seules les injections de capitaux dans les banques par les gouvernements ont fait gonflé les déficits. Au Royaume-Uni, ce budget était de 50 milliards de livres (2008). En Irlande, ce fut 12,5 milliards d’euros pour les trois plus grandes banques (2008). En Espagne, la formation de Bankia a coûté 4,5 milliard d’euros à l’État en 2010, puis son sauvetage a coûté 19 milliard d’euros en 2012. Au Portugal, le sauvetage de Millennium a coûté 3 milliards d’euros en 2010, et celui de Banif 1,1 milliard en 2013. Pour ce qui est de l’Italie, le sauvetage de Monte Dei Paschi a nécessité 3,9 milliard d’euros en 2013. En Lettonie, le coût relatif fut le plus élevé après l’Irlande, soit à 7,5 milliards d’euros (2009). Ces montants sont relativement limités en pourcentage du PIB et sont étalés sur plusieurs années.
Dans ses calculs de déficit, l’OCDE propose une mesure qui, en plus d’exclure l’impact des récessions, exclut les transactions de capital comme les sauvetages bancaires. Cette mesure se nomme la balance structurelle sous-jacente (ou « underlying »). Ce sont ces chiffres que j’ai présentés dans la section précédente. Ainsi, le déficit structurel de -9,0% pour l’Irlande en 2009 exclut le coût du sauvetage de ses banques. Vous êtes donc en mesure de constater qu’il est faux de prétendre que les déficits ont été causés par les sauvetages puisque même en les excluant, les déficits des pays concernés se chiffraient à plus de 8% en moyenne en 2009. Notez cependant que j’ai toujours été contre ces sauvetages bancaires…
Du point de vue de l’endettement, le support aux institutions financières a beaucoup impacté l’Irlande, dont environ 30% de la dette provient des sauvetages bancaires. Ceci dit, ce n’est pas le cas des autres pays, comme la Grèce, l’Italie, l’Espagne et le Portugal, qui auraient quand même un niveau d’endettement inquiétant, voire excessif, s’ils n’avaient pas soutenu leurs banques.
Idée reçue n°5 : Les déficits des pays européens ont été gonflés par les charges d’intérêt sur leur dette suite à ce que les taux d’intérêt aient été propulsés à la hausse par les marchés financiers.
Comme le service de la dette est un poste de dépense important, on pourrait penser qu’une hausse des taux d’intérêt pourrait contribuer au déficit. C’est effectivement le cas, mais est-ce là une cause fondamentale du problème ?
Dans leurs programmes d’aide, la Troïka impose des cibles de déficits basées sur une mesure spécifique, soit le déficit structurel sous-jacent primaire. Cette mesure « primaire » exclut les charges d’intérêt sur la dette des dépenses publiques.
Pour récapituler, le mot « structurel » signifie ajusté pour les cycles économique, le mot « sous-jacent » signifie ajusté pour les sauvetages bancaires, et le mot « primaire » signifie excluant les charges d’intérêt. Vous trouverez ces définitions dans le glossaire de l’OCDE.
En vertu de cette mesure, les déficits des principaux pays concernés par la crise ont culminé en 2009, mais la plupart étaient déjà négatifs en 2006. On notera cependant que l’Italie a toujours été en situation de surplus, même en 2009 (son problème était plutôt au niveau de l’endettement et des paiements de transfert). On constate donc que bien que les frais d’intérêt constituent un poste de dépense important pour les États, cela ne constitue certainement pas le nœud du problème de déficits chroniques.
Ce tableau montre la balance structurelle sous-jacente primaire pour les pays européens dont le déficit excédait 3,5% en 2009 (sauf pour l’Italie). La colonne de droite montre la variation de ce déficit entre 2009 et 2012, donc suite aux mesures d’austérité.
Idée reçue n°6 : Les dépenses n’ont pas diminué en Europe et/ou les seules dépenses qui sont coupées sont les programmes sociaux.
D’un côté, les « pro-austérités » nous présentent souvent les dépenses publiques en zone euro en se plaignant que celles-ci ne diminuent pas (je l’ai moi-même fait, mais ce graphique du Financial Post figurait dans un article de Martin Masse). En fait, les chiffres de l’OCDE nous permettent de calculer les dépenses discrétionnaires (i.e. excluant les paiements de transfert et les sauvetages bancaires), en dollars américains constants. Sur cette base, les dépenses discrétionnaires (« core spending ») ont baissé significativement dans les pays touchés par la crise (voir le tableau ci-bas). Entre 2009 et 2012, ces dépenses ont chuté de 34% en Grèce, de 17% en Irlande, de 10% en Italie, de 25% au Portugal, de 20% en Espagne et de seulement 7% au Royaume-Uni. La France quant à elle a augmenté ses dépenses. L’autre mythe colporté par les médias concerne les dépenses sociales. En fait, la majorité des coupures a concerné les dépenses discrétionnaires, et non les transferts sociaux.
Idée reçue n°7 : L’austérité est une bonne ou une mauvaise chose.
À cet égard, je pense que de qualifier l’austérité de bonne ou mauvaise sans définir de quoi il s’agit est une erreur. Il faut aussi faire bien attention aux données utilisées pour évaluer les résultats, dont notamment le PIB, car les dépenses publiques font partie du PIB. Par ailleurs, il y a plusieurs façon de réduire son déficit en pourcentage du PIB : 1) réduire les dépenses discrétionnaires, 2) réduire les transferts sociaux, 3) augmenter les taxes et impôts et 4) augmenter le PIB.
On nous présente donc des graphiques comme les deux suivants, dont l’un fustige l’austérité, en montrant que celle-ci résulte en une croissance du PIB négative, alors que l’autre en fait l’éloge en montrant que les baisses d’impôts ont un effet positif sur la croissance du PIB alors que les coupures de dépenses n’ont pas d’effet, voire même un effet positif.
L’austérité consiste à adopter des politiques visant la réduction du déficit budgétaire de l’État. Ainsi, il existe trois types d’austérité : (1) les hausses de prélèvements, (2) la réduction des transferts sociaux et (3) la réduction des dépenses discrétionnaires (ou structurelles). Selon moi (appelons cela mon « théorème de l’austérité »), la meilleure austérité est celle qui combine une baisse des prélèvements (c’est-à-dire l’inverse de (1)) avec la réduction des dépenses discrétionnaires (3), laquelle résultera en une diminution automatique subséquente des transferts sociaux (2). Cela est-il supporté par les faits ?
Au niveau des prélèvements, il est hasardeux d’observer les revenus totaux de l’État comme indicateur du niveau d’imposition. Ces revenus peuvent être causés par une hausse des taux d’imposition, mais aussi par un élargissement de la base imposable ou encore par une embellie économique et un effet Laffer. Le tableau suivant présente deux indicateurs qui traduisent grossièrement l’attitude des différents États concernant les prélèvements. La première colonne montre l’augmentation de la TVA entre 2007 et 2011, alors que la deuxième colonne montre la variation du taux marginal d’imposition maximal durant la même période. La troisième colonne n’est que la somme des deux premières. Évidemment, il existe une panoplie d’autres impôts et taxes, dont plusieurs ont été augmentés ces dernières années (taxe sur l’essence, sur l’alcool, le tabac, le transport en commun, l’électricité, les gains en capitaux, etc).
On constate que le Portugal et l’Espagne ont fortement haussé leurs prélèvements alors que l’Irlande n’y a presque pas touché. La République Tchèque et la Pologne ont même diminué les impôts.
En combinant les chiffres sur les dépenses discrétionnaires présentés plus haut à ceux sur l’imposition, on peut classer les pays en groupes :
- Ceux qui ont coupé les dépenses et augmenté les prélèvements : Grèce, Portugal, Espagne, Italie, Royaume-Uni (dans une moindre mesure).
- Ceux qui ont coupé les dépenses sans augmenter l’imposition (voire même en la diminuant) : Irlande, République Tchèque.
- Ceux qui ont maintenu les dépenses et augmenté les prélèvements : France.
- Ceux qui ont maintenu les dépenses et diminué l’imposition : Pologne.
Maintenant, comment évaluer la performance économiques des pays sans utiliser le PIB ? Je propose d’utiliser deux mesures plus objectives : 1) la variation de l’emploi et 2) la variation de la production industrielle. Je comparerai ces chiffres entre le quatrième trimestre de 2009 et le troisième trimestre de 2013 (voir tableaux suivants). J’observerai aussi le niveau actuel de la production industrielle comparativement au pic de Q1-2008.
À cet égard, il n’est pas surprenant de constater que la Grèce a connu la pire conjoncture. L’Espagne et le Portugal ne sont pas loin derrière, suivies de l’Italie. Le groupe #1 est donc le pire. Les meilleures performances sont provenues de la République Tchèque et du Royaume-Uni, suivis de la Pologne.
Les matchs comparatifs :
Ceci dit, même si ces pays ont tous connu des difficultés, il y a quand même de grandes différences structurelles entre, par exemple, la Grèce et la France. Il serait donc intéressant de comparer des pays qui ont débuté avec une situation similaire, adopté des politiques différentes et ensuite obtenu des résultats différents.
Le premier match comparatif qui me vient à l’esprit est l’Irlande versus l’Espagne. Leur déficit structurel était similaire en 2009. Les deux pays ont connu une forte bulle de crédit suite à l’accession à l’Euro. Les deux pays ont réduit leur déficit d’environ 6% entre 2009 et 2012. Les deux pays ont diminué leurs dépenses discrétionnaires d’à peu près la même proportion. Cependant, l’Espagne a augmenté ses prélèvements significativement, alors que l’Irlande n’y a presque pas touché. De plus, l’Irlande bénéficie d’un environnement favorable au commerce, contrairement à l’Espagne plus interventionniste. On constate que la recette Irlandaise a mieux fonctionné, ce qui supporte mon théorème de l’austérité. Par exemple, la production industrielle irlandaise est présentement à 99% de son pic de Q1-2008, comparativement à 71% pour l’Espagne. Depuis 2009, l’emploi a reculé de -10% en Espagne, contre -2% en Irlande.
En second match comparatif, on pourrait observer la République Tchèque versus le Portugal. Encore une fois, leur déficit structurel similaire en 2009 et ils accomplirent une réduction similaire du déficit entre 2009 et 2012. Cependant, le Portugal a coupé davantage ses dépenses discrétionnaires, mais a augmenté significativement ses prélèvements, alors que les Tchèques ont réduit les dépenses dans une moindre mesure, mais ont réduit les impôts de façon marquée. La République Tchèque a bien mieux fait économiquement : était-ce parce que ses dépenses ont diminué de 14% versus 25% pour le Portugal, ou était-ce attribuable à la baisse des impôts ? Je pencherais pour la baisse d’impôts, mais je ne peux le prouver à ce moment. Une chose est sure cependant, cet exemple ne contredit pas mon théorème, et on pourrait même dire qu’il le supporte.
En troisième lieu, nous pourrions comparer la Pologne à la France. Même déficit en 2009, même réduction du déficit accomplie entre 2009 et 2012, les deux ont augmenté sensiblement les dépenses discrétionnaires entre 2009 et 2012, mais tandis que la France augmentait les impôts, la Pologne les réduisait significativement. Subséquemment, la production industrielle polonaise a augmenté de 21% comparativement à 2% pour la France, qui n’est qu’à 86% de son pic de Q1-2008 comparativement à 115% pour la Pologne ! Encore une fois, mon théorème de l’austérité tient la route.
Ainsi, ce que mes trois matchs comparatifs tendent à démontrer est que, toute chose étant égale par ailleurs, l’austérité par l’imposition est négative pour l’économie alors que les réductions d’impôts ont un effet positif. Par ailleurs, les pays qui n’augmentent pas ou réduisent les impôts arrivent à réduire leur déficit structurel quand même grâce à l’effet Laffer et l’impact plus positif sur l’économie.
Idée reçue n°8 : Pour être un succès, la reprise économique d’un pays européen doit avoir ramené son PIB au-dessus de son sommet de 2007.
Pour la plupart des pays concernés, le sommet de 2007 représentait la cime d’une bulle de crédit insoutenable. Il est donc normal que des pays tels que l’Espagne, la Lettonie et l’Irlande, qui ont connu d’importants boums économiques en partie attribuables à l’expansion du crédit, aient connus le plus gros choc une fois la bulle éclatée. Par ailleurs, il est irréaliste d’espérer que ces pays retrouvent rapidement ce niveau insoutenable de PIB. En fait, cela ne serait pas souhaitable et n’est pas nécessaire à ce que ces économies retrouvent une conjoncture saine. D’autre part, il est normal que les pays qui n’ont pas connu une telle expansion de crédit avant 2007, comme la France, le Royaume-Uni et les Pays-Bas, n’ait pas autant souffert durant la récession et retrouvent plus facilement le niveau de PIB d’avant.
Conséquemment, quand Paul Krugman nous répète sans cesse que l’austérité irlandaise ou lettone est un échec parce que leur PIB n’est pas revenu au niveau de 2007, il fait fausse route. Ses propos ont d’ailleurs été ridiculisés par bon nombre d’économistes, incluant ceux du FMI (Blanchard, Griffiths & Gruss 2013).
Finalement, quand on observe la production industrielle, on constate que des pays tels que l’Irlande et la Lettonie sont en fait bien en avant de l’Espagne et du Portugal, contrairement à ce que montre le PIB.
L’exemple de la Lettonie est particulièrement intéressant. Ce petit pays est membre de l’Union Européenne depuis 2004 et a joint la zone euro en 2014. Auparavant, sa devise était arrimée à l’euro au taux de 1,42. Durant les années 2000, la Lettonie a connu un boum de crédit insoutenable, qui a mené à une bulle immobilière (scénario familier de par le monde). Ce boum fut financé par l’expansion de la masse monétaire par la banque centrale, qui maintenait des taux d’intérêt beaucoup trop bas, en ligne avec la BCE (pour maintenir artificiellement le « peg » de la devise). Le dégonflement de cette bulle a mené à une sévère récession, l’une des pires en Europe. Le PIB a chuté de 24% en 2 ans.
Suite à cette crise, le gouvernement a entamé les mesures d’austérité les plus sévères de l’Europe. Le gouvernement a renvoyé 30% des fonctionnaires et réduit les salaires des autres de 26%. Les ministres ont subi une baisse salariale de 35%. La TVA a été augmentée de 3%, mais le taux d’imposition maximal a été réduit de 1%.
Ce qui est intéressant est que plutôt que d’empirer la récession et de résulter en une baisse drastiques des salaires, c’est plutôt la productivité qui s’est mise à augmenter suite à ces mesures d’austérité. Cela a permis à la compétitivité de la main d’oeuvre de s’améliorer et à l’investissement de reprendre profitablement. La création d’emploi s’est alors mise à ré-accélérer. Fait à noter, la population a diminué de 7,7% depuis 2008, dont 5,7% a résulté d’une émigration (la tendance était présente avant la récession, mais s’est accentuée durant la crise). Cela a évidemment aidé le marché du travail. Ainsi, le taux de chômage est passé de 16% à 9,3%, l’un des plus bas dans la zone euro présentement, et la diminution la plus marquée par rapport à 2009 de tous les pays d’Europe. La production industrielle est en hausse de +30% depuis le début de la reprise. La Lettonie a présentement l’économie qui a le plus de momentum en Europe.
Ceci dit, il est encore tôt pour tirer des conclusions de cet exemple et extrapoler aux autres pays européens. Le flux d’émigration et la hausse incroyable de productivité sont des facteurs possiblement spécifiques à ce pays et peu probables de se reproduire ailleurs. Néanmoins, la Lettonie a cloué le bec à plusieurs détracteur de l’austérité par la baisse des dépenses, dont Paul Krugman qui, en 2008, comparait ce pays à l’Argentine, anticipant une catastrophe économique de la même envergure. Quelle bourde !
Conclusion
Les médias véhiculent une grande quantité de mythes quant à l’austérité européenne, appuyés par les propos d’économistes gauchistes comme Paul Krugman qui veulent utiliser la crise pour faire avancer leur agenda politique. Leurs principales erreurs consistent notamment à confondre hausses de prélèvements et coupures de dépenses et à les mettre dans le même panier, ainsi qu’à se concentrer sur l’évolution du PIB pour mesurer la performance économique (que je préfère nuancer avec la production industrielle et la création d’emplois).
Ceci dit, les chiffres démontrent que les déficits et l’endettement excessifs n’ont pas été causés par la récession, par les sauvetage bancaires, ni par les hausses de taux d’intérêts, mais bien par des dépenses excessives. Les chiffres démontrent aussi que les pays qui n’ont pas augmenté les prélèvements et/ou qui les ont diminués ont connu une meilleure performance économique que ceux qui les ont augmentés, tout en accomplissant une diminution comparable de leur déficit.
Si les pays de la zone euro avaient eu le contrôle de leur monnaie par leur banque centrale, auraient-ils pu imprimer de la monnaie pour « monétiser » leur déficit et envoyer paitre la Troïka et les marchés financiers ? Oui, dans une certaine mesure, c’est ce qu’on a observé au Royaume-Uni et aux États-Unis, qui ont tout de même déployé des politiques d’austérité, mais on ne peut pas se sortir d’un problème de déficit chronique en imprimant de la monnaie, car sinon l’économie implose et l’hyperinflation s’amène, comme ce fut le cas dans bon nombre de pays par le passé, dont les pays sud-américains durant les années 1990.
Aussi douloureuses soient-elles, les mesures d’austérité sont nécessaires. Les États touchés auraient dû se garder une marge de manœuvre avant la récession, lorsque le boum de crédit insoutenable était en expansion. Au contraire, ces États ont dépensé sans compter, ce sont eux qui sont à blâmer.
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Sur le web.
Références :
- Lagacé, Dutrizac, Marissal, etc., antagoniste.net
- Quelques réflections économiques estivales…, Le Minarchiste
- Succès de l’austérité en Estonie, Dan Mitchell, Contrepoints
- Paul Krugman’s Blind Spot, foreignpolicy.com
- The Three Types of Austerity, Frank Hollenbeck, mises.org
- Technical Notes for ‘The Post Crisis Data Is In’, cyniconomics.com
- Bad News For Keynesians: Data Shows The Austerians Are Right, Tyler Durden, Zero Hedge
- What austerity?, Martin Masse, Financial Post
- Europe’s Fiscal Crisis Revealed: In-Depth Analysis of Spending, Austerity, and Growth, The Heritage Foundation
- By One Key Budget Indicator, the Structural Primary Balance, Even Greece Is Doing Better Than the United States. Why That Should Worry Us, Ed Dolan, EconoMonitor
- Austérité en Lettonie : la preuve par les faits, Alex Korbel, Contrepoints
- Boom, Bust, Recovery Forensics of the Latvia Crisis, Olivier Blanchard & al. (IMF), brookings.edu
- Latvian Lessons: Extreme economics, The Economist
Article très intéressant !
Oui. Il est surtout intéressant de voir démonté la légende urbaine qui justifie le déficit public par le sauvetage des banques.
Très intéressant article.
Cependant on remarque que les Lettons se sont bien fait enfler: 15% de productivité en plus pour 10% de salaire en moins. Où est passé le différentiel ?
Où est passé le différentiel ? Dans le capital que ces mêmes lettons possèdent ! L’époque où on pouvait espérer vivre avec un simple salaire (ou une retraite par répartition) est terminée. Même si la fin du salariat reste pour le moment de l’économie fiction, constituer et valoriser son épargne est devenu indispensable pour maintenir son niveau de vie. Cette tendance est inéluctable du fait des évolutions technologiques. Ceux qui la comprennent ne se font pas « enfler ». Les autres non plus, d’ailleurs : ne pas épargner, ne pas investir, sont des choix volontaires, libres et responsables.
Vous avez quelque chose qui appuie vos dires sur l’augmentation du capital que ces lettons possèdent ?
En tout cas je ne vois pas ce qui justifie qu’à efforts supérieurs, les salaires n’augmentent pas. Ça sent le jeu de dupes comme il s’est passé avec les 35h en France, à l’issue desquelles les salariés n’ont pas vu leurs salaires augmenter alors que la productivité crevait le plafond (même quantité de travail à effectuer en moins d’heures).
Vous avez quelque chose qui appuie vos dires sur l’augmentation du capital que ces lettons possèdent ?
En tout cas je ne vois pas ce qui justifie qu’à efforts supérieurs, les salaires n’augmentent pas. Ça sent le jeu de dupes comme il s’est passé avec les 35h en France, à l’issue desquelles les salariés n’ont pas vu leurs salaires augmenter alors que la productivité crevait le plafond (même quantité de travail à effectuer en moins d’heures).
» Même si la fin du salariat reste pour le moment de l’économie fiction, constituer et valoriser son épargne est devenu indispensable pour maintenir son niveau de vie. Cette tendance est inéluctable du fait des évolutions technologiques. » ????????
ça alors !!! Ne serait pas plutôt un problème de répartition des richesses ?
Quand le sage montre la lune…
Oh mon dieu…
Je crains qu’il n’y ait vraiment pas d’espoir en France quand on lit les réflexions de « pierre ».
Soyons lucide : nous sommes encore sous l’Ancien Régime (la situation est même comparativement pire : il y avait moins de concurrence à l’époque), pourtant nous rêvons d’un « Grand Soir » libéral en 2017.
Il faut partir, laisser les bas du front et les obscurantistes entre eux…
Cavaignac, votre histoire d’épargne ça ne tient pas. Les salaires ont baissé, j’imagine mal que les patrons aient transformé la part perdue en épargne qui sortirait du coup du calcul des salaires. Cette part d’épargne étant d’autant plus proportionnée aux gains de productivité subséquents. Non ça n’est pas ça.
Il est bien évident qu’il s’agirait d’une épargne volontaire réalisée à partir du salaire dévalué, dont les taux d’intérêts (portant sur une fraction du salaire, évidemment) ne peuvent être mirobolants au point de représenter les 25 points d’écarts entre salaire et productivité.
Il s’agit encore là du coup de jarnac de travailler plus pour gagner moins. La question reste : à qui profite le crime, à qui profite la crise ?
Quand le sage montre la lune…
Oui je suis d accord de plus j aimerais une précision sur la baisse d impot : dans votre article j ai cru comprendre que la lettonie avait diminuer son « taux d’imposition maximal », cela veut il dire que la lettonie a diminuer son imposition sur les gens les plus aisés ou sur toute la population ? Je serais intéréssé de connaitre la relation entre la tranche d individus que l on impose et l impact sur l économie… en tout cas très bon article merci ! C est quand meme génial de pouvoir trouver d aussi bon journaux sur internet quand on voit les papelards qui nous entours quotidienement …
« Ceci dit, les chiffres démontrent que les déficits et l’endettement excessifs n’ont pas été causés par la récession, par les sauvetage bancaires, ni par les hausses de taux d’intérêts, mais bien par des dépenses excessives. »
Peut-on considérer qu’il s’agit en grande partie de dettes qui existaient déjà, mais implicitement ?
Selon moi, lorsque l’État garantit quelque chose sans évaluer ce que cela risque de coûter et encore moins comptabiliser cette somme (sans parler de constituer un fonds), il y a dette implicite.
Or ces garanties, souvent elles-mêmes implicites, prolifèrent et modifient logiquement les comportements.
Ce n’est que le jour où il est fait appel à ces garanties que ces dettes deviennent explicites, qu’on les évalue, et qu’elles viennent s’ajouter à la dette officielle, mais la crise n’est pas la cause de leur existence.
En fait, c’est même le contraire.
La remède est le réalisme, consistant à interdire à l’État de s’engager à quoi que ce soit sans en évaluer le coût potentiel et sans poser de limites, et à comptabiliser toute garantie étatique comme le ferait une assurance.
De toute façon, la hausse des prélèvements pour préserver les dépenses (comme en France …) revient à prendre les richesses à la partie de l’économie la plus efficace pour la donner à celle la moins efficace. Il ne peut pas en résulter de création de richesse à moyen terme. L’illusion vient du fait que le PIB ne contient que la richesse créée pour le secteur privé (car ayant fait l’objet d’une transaction) mais est égale à l’argent dépensée pour le secteur public. C’est ce calcul différent qui donne l’impression que la hausse des dépenses publiques au détriment du privé (une hausse des prélèvements revient à diminuer les dépenses privés) fait augmenter la richesse car le PIB augmente. En réalité, le PIB augmente à court terme mais diminuera par la suite car la richesse réelle diminuera. Avec une hausse des dépenses publiques, le PIB de l’année en cours n’ayant pas créés de valeur/capital pouvant être échangé l’année suivante, le PIB créé est perdu alors qu’il est pérenne dans le privé.