Par Francis Richard.
Savez-vous ce qu’est le pofigisme ? Non. Rassurez-vous, moi non plus je ne savais pas ce que c’était avant de lire Sylvain Tesson. Dans une de ses toutes dernières nouvelles, il explicite son néologisme, qui donne implicitement son titre au recueil : « Le pofigisme est une résignation joyeuse, désespérée face à ce qui advient. Les adeptes du pofigisme, écrasés par l’inéluctabilité des choses, ne comprennent pas qu’on s’agite dans l’existence. Pour eux, lutter à la manière des moucherons piégés dans une toile d’argiope est une erreur, pire, le signe de la vulgarité. Ils accueillent les oscillations du destin sans chercher à en entraver l’élan. Ils s’abandonnent à vivre. »
C’est justement cette expression « s’abandonner à vivre » qui m’a donné envie de le lire. Parce que c’est une attitude stoïcienne… De feuilleter les premières pages a achevé de me convaincre d’en faire l’acquisition et notamment ce petit passage sur des amants qui sont tellement contraires que c’est ce qui les attire l’un vers l’autre et les rend complémentaires : « Le pôle Sud et le pôle Nord ont un point commun : le pivot du monde les transperce. Chez Rémi et Caroline, il n’y avait pas d’axe, seulement l’attraction des antipodes. »
Car, depuis que j’ai lu Dans les forêts de Sibérie, c’est le ton de Syvain Tesson, son sens de la formule et la richesse de son vocabulaire qui me ravissent, comme me ravissent son don de conteur, sa façon de voyager, même immobile – « d’habitude, voyager c’est faire voir du pays à sa déception » –, et l’étendue de ses lectures.
Ses nouvelles mettent en scène des couples, adultères ou pas, aux prises avec leur destin (quand il emploie la première personne pour se faire narrateur, la femme s’appelle Marianne et plusieurs de ses héros se prénomment Jack…) ; des personnages de notre temps, mais souvent hors du commun, qui se meuvent dans des lieux exotiques.
Sylvain Tesson nous emmène au Sahara avec des alpinistes à la conquête d’une aiguille invaincue au milieu du massif du Hoggar ; au club 100 de Moscou, tout proche de la prison de la Loubianka, avec de jolies femmes russes ; sur le champ de bataille historique de Borodino avec des amoureux de la geste napoléonienne lors d’une reconstitution ; en Afghanistan avec un sniper venu de Seine Saint-Denis pour faire des cartons sur des soldats occidentaux ; sur la route vers l’eldorado européen avec des passagers clandestins du Niger ; dans un bar du Texas avec des chuteurs russes qui se retrouvent après leurs sauts confrontés à  des locaux.
La nouvelle sur l’insomnie, avec le petit vélo qui vous parcourt la tête indéfiniment et emprunte des chemins de traverse improbables pendant des heures, ne pourront qu’interpeller, comme on dit aujourd’hui, les connaisseurs de ces nuits sans repos…
Ces nouvelles se terminent toutes par une chute. Je sais, c’est d’un classicisme que bien des auteurs d’aujourd’hui considèrent avec dédain. Mais ils devraient se méfier. Car le lecteur aime ça et ne s’en rassasie pas…
C’est pour des petits bonheurs comme ceux-là qu’il faut s’abandonner à lire Sylvain Tesson…
– Sylvain Tesson, S’abandonner à vivre, Gallimard, janvier 2014, 224 pages.
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Sur le web.
Même si je suis d’accord sur certains points de vue, il me semble que la tirade suivante … :
« Le pofigisme est une résignation joyeuse, désespérée face à ce qui advient. Les adeptes du pofigisme, écrasés par l’inéluctabilité des choses, ne comprennent pas qu’on s’agite dans l’existence. Pour eux, lutter à la manière des moucherons piégés dans une toile d’argiope est une erreur, pire, le signe de la vulgarité. Ils accueillent les oscillations du destin sans chercher à en entraver l’élan. Ils s’abandonnent à vivre. »
… relève du parfait manuel du bétail qui a accepté son sort.
Ceci dit, s’agiter dans le vide n’est pas la solution, s’agiter dans le plein …….. peut être plus.
Plutôt d’accord avec JJP, sans vouloir juger le contenu, n’ayant pas lu le livre, je n’adhère pas trop avec la logique passive de ce raisonnement.