Par Johan Rivalland.
Voici un ouvrage qui n’a pas manqué de m’interpeller et susciter mon attention, face à l’actualité de la question et des débats qui tournent autour de celle-ci en ce moment un peu partout dans les médias économiques. Désireux d’enrichir mes connaissances et y voir plus clair dans ces débats, j’ai donc abordé cette lecture avec grand intérêt. Qui plus est, avec un tel nom (Cercle Turgot) et le profil prestigieux et même impressionnant des auteurs présentés en préambule, parmi lesquels d’ailleurs l’excellent Jean-Marc Daniel, je ne pouvais qu’être séduit. J’allais donc mieux connaître et y voir plus clair dans les grandes oppositions théoriques entre courants de pensée.
J’étais loin de m’attendre à y trouver ce qui m’est apparu comme un appel en faveur de politiques néo-keynésiennes de relance par l’inflation. Du moins pour la première partie de l’ouvrage.
Dans la préface, Jean-Louis Chambon compare inflation et déflation aux « deux têtes émergentes d’un même monstre », qui repousseraient régulièrement lorsqu’on en vient à bout, tel l’hydre de l’Herne. Il rappelle que la « grande déflation » des années 1930 ne fut vaincue que par l’arrivée de la guerre, tandis que l’hyperinflation occupe encore fortement l’esprit du peuple allemand (j’ai moi-même entendu évoquer un récent sondage auquel une majorité d’Allemands auraient répondu préférer avoir un cancer que subir l’inflation. C’est dire !).
Loin du « dogmatisme partisan » du débat politique et des « certitudes » sur le sujet, l’ouvrage a donc pour objectif, à partir de « regards croisés », « d’éclairer ce grand sujet ». De quoi mettre en appétit. Mais, de ces regards croisés, transparait une certaine convergence de fond dans le sens de ce que nous venons de suggérer.
Première partie : « Entre inflation et déflation, la grande hésitation »
1) « De la théorie à la pratique », par Jean-Bernard Mateu
Dès le début, le décor est planté. L’auteur infirme les théories monétaristes et cite l’exemple du Japon, prototype de ce qui peut mener vers la déflation prolongée. La conclusion de l’auteur, concernant les leçons à en tirer pour l’Union européenne, est que ce que l’on trouve sur le site de la BCE, présentant les vertus de la stabilité des prix, ne serait que théorie et, pire, prosélytisme.
Se référant aux remarques d’Olivier Blanchard, économiste en chef au FMI, selon lequel « la crise que nous vivons est très différente des précédentes et nécessite d’inventer de nouveaux outils d’analyse et de régulation », il défend l’idée qu’une « inflation raisonnée (de l’ordre de 5%) permettrait une relance bénéfique ». Il s’appuie également sur les affirmations de Paul Krugman, prix Nobel d’économie 2008, qui « dénonce aussi une peur injustifiée de l’inflation, celle-ci ne pouvant résulter que de sévères disruptions sociales ou politiques ».
Ainsi, selon Jean-Bernard Mateu, « Au contraire, le plus grand risque aujourd’hui c’est la déflation et non plus l’inflation ! Le monétarisme est battu en brèche (…) ». La politique monétaire expansive de Shinzo Abe au Japon (et d’inflation raisonnée), accompagnée d’une politique de relance budgétaire, serait ainsi le modèle à suivre, même si l’auteur affirme vouloir rester prudent quant aux conclusions à tirer sur l’efficacité de ces mesures, dont il est trop tôt pour évaluer pleinement les effets, ayant tout de même pour le moment d’ores et déjà brisé la spirale négative, selon ce qu’il observe.
Des analyses cependant contestables, il me semble, ainsi que le laissent apparaître d’autres analyses que j’aurais aimé trouver aussi dans cet ouvrage, à l’instar de celles menées par Jean-Yves Naudet, par exemple, ou par différents auteurs sur ce site, à l’image de celles de Guillaume Nicoulaud très récemment dans son article « La montagne de cash » .
2) « Peut-on tirer des leçons de l’histoire ? » par Jean-Jacques Pluchart
S’appuyant sur l’idée de Paul Krugman selon laquelle « en Europe, l’inflation n’est pas le problème, mais la solution », Jean-Jacques Pluchart entend reconsidérer ce qu’il appelle le « dogme officiel des Autorités européennes et de la plupart des gouvernements des pays membres », en commençant par retracer l’historique des « croyances et théories successives qui ont marqué l’histoire de l’inflation en Europe ».
L’objectif est de discuter de la résurgence du débat entre keynésiens et monétaristes à la suite de la crise de l’euro de 2011, « sur l’opportunité d’une relance économique favorable à l’emploi, mais porteuse de défaites budgétaires et de risque d’inflation » (on se croirait revenus à l’époque de l’heure de gloire de la courbe de Phillips, opposant inflation et chômage, jusqu’à ce qu’elle ait été remise en cause par la stagflation).
Le traumatisme de l’hyperinflation de 1923 serait ainsi à l’origine d’un syndrome psychotique collectif, au sens de Freud, s’inscrivant en contradiction avec les principes de l’individualisme méthodologique, et qui aurait perduré dans l’esprit des fondateurs de l’euro-système, fondateurs qui se seraient inspirés directement des théories de Milton Friedman. La désinflation compétitive aurait été préférée à la dévaluation compétitive, les « partisans du franc fort » des années 1990 étant qualifiés par l’auteur de « précurseurs de la pensée unique européenne ».
Par un raccourci assez incroyable, Jean-Jacques Pluchart évoque ensuite la crise issue des subprimes, qualifiant d’échec les politiques de rigueur budgétaire et de lutte contre l’inflation.
En conclusion, l’auteur entend montrer que l’inflation est un mécanisme suffisamment complexe et issu de multiples interactions pour qu’on ne puisse le réduire à une théorie ou un facteur. Intention louable et même très intéressante, mais qui m’a laissé sur ma faim et peiné à me convaincre au terme d’un court exposé de seulement 12 pages, avec essentiellement des rappels historiques des grandes phases de l’évolution de l’inflation et des politiques mises en œuvre, sans véritable démonstration supplémentaire.
Ainsi, aucune des théories en vigueur sur l’inflation, de Cantillon à Lucas, en passant par Fisher, l’École de Cambridge, Keynes ou Friedman ne permettrait de prévoir précisément les effets de l’inflation, l’approche sociologique d’Aglietta, de Marseille et Plessis étant jugée quant à elle, par l’auteur, comme une réelle avancée. Ce qui le conduit, par un raccourci que je ne m’explique pas, à conclure, un peu à la suite de Paul Krugman, que l’inflation n’est peut-être pas « la » solution à la crise de l’euro, mais peut toutefois en être « une des solutions ».
3) « Sans consommation, pas d’inflation ! » par Pierre Sabatier
Le texte de Pierre Sabatier est encore plus surprenant. Il semble instituer que l’inflation serait en soi une bonne chose, car reflèterait un niveau de consommation élevé, lié à une démographie favorable.
Ce serait cette dernière qui serait à l’origine de toutes les grandes explications à la fois sur la déflation japonaise depuis les années 1990, fruit du vieillissement de la population, en passe d’être suivi par celui des États-Unis, qui lui devraient leur forte croissance depuis les années 1970. Après un tassement à la fin des années 1980, le redressement qui a suivi serait ainsi dû à une envolée de + 80% de la classe des 40-55 ans, âge optimal en matière de consommation. Tandis qu’à partir de 2010, le vieillissement devrait amoindrir considérablement le potentiel de croissance. Même phénomène pour l’Europe, où les pressions déflationnistes devraient s’avérer persistantes selon les mêmes principes, après qu’une démographie plus progressive et moins intense ait entraîné une croissance plus modérée.
Curieuse analyse, isolant ainsi un facteur, la démographie, pour expliquer des grandes tendances, tandis que la consommation, selon une vision une fois de plus très keynésienne, serait au cœur des grands mouvements de croissance et l’inflation, dans ce contexte, une conséquence positive de ce qui précède (et la déflation, à l’inverse, la conséquence d’une baisse démographique).
Seule chose qui parait indéniable, en revanche, le constat de la faillite inéluctable des systèmes de retraite, qui vont accroître l’impact déflationniste. Sauf que, sans que l’on sache pourquoi, l’auteur y intègre les retraites par capitalisation, pour les pays où cela a été mis en œuvre. L’épargne nécessaire pour y faire face devrait, qui plus est, accentuer les pressions déflationnistes, selon l’auteur, conformément là encore à la vision keynésienne sur le rôle de l’épargne.
4) Vers une déflation à la japonaise ? par Isabelle Job-Bazille
Comme beaucoup, l’auteur observe la décélération des prix en zone euro ces dernières années, laissant craindre le « spectre de la déflation », à la japonaise, si ce n’est une grande dépression comme celle des années 1930. Comme si on n’avait le choix qu’entre inflation et déflation et que la baisse de la première devait forcément déboucher sur la seconde. Là encore, la réduction des dettes, qualifiée d’orthodoxie, associée à un mouvement général de baisse des salaires (d’ailleurs pas avéré) mènerait à une asphyxie de la croissance. Sombre perspective.
Toutefois, l’auteur reconnait ici qu’il existe une bonne déflation. Celle liée aux grandes innovations ou innovations majeures, qui entraînent des progrès technologiques tels que baisses substantielles de coûts, donc de prix et hausse de l’activité coïncident avec une hausse de la consommation. Elles correspondent cependant à des périodes bien circonscrites. Et elle ajoute que la déflation devient un fléau lorsque le surendettement apparait comme le déclencheur. C’est à cette situation de surendettement qu’elle s’intéresse, mettant en lumière les mécanismes en chaîne susceptibles de se produire dans de telles circonstances, s’appuyant pour cela sur les analyses de Fisher, notamment, lors de la Grande Dépression.
C’est à cette aune qu’Isabelle Job-Bazille étudie les enchaînements majeurs de la crise de 2001, puis de celle de 2007. Des analyses intéressantes, montrant bien la nature des enchaînements ainsi que des excès et dangers des réactions simultanées des États dans l’austérité, après que la manne publique soit venue à la rescousse des marchés, aggravant sérieusement les problèmes d’endettement des États et mettant en danger l’intégrité du système financier européen.
De là à conclure que l’austérité serait forcément nuisible, au regard notamment des multiplicateurs budgétaires calculés par le FMI, dont on a dit qu’ils avaient été drastiquement revus à la hausse à cause d’une erreur antérieure, sans doute cela mériterait-il d’être tempéré, au vu des premiers résultats que l’on connait des pays comme l’Espagne ou surtout la Grande-Bretagne. On sait que les effets récessifs engendrés par de telles politiques sont, en effet, temporaires par nature et n’obèrent pas la croissance future, bien au contraire. Tout dépend, en réalité, de ce que l’on appelle austérité.
De manière opportune, le parallèle est fait avec l’expérience japonaise, l’insolvabilité bancaire associée à des plans massifs de relance budgétaire ayant débouché, par l’intermédiaire de la baisse des taux d’intérêt, à la mise sous perfusion des entreprises des secteurs protégés au détriment des emprunteurs sains des secteurs concurrentiels, aggravant encore la situation de l’économie et donc du système bancaire. Dans ce contexte, après l’éclatement de la bulle spéculative, la crise asiatique de 1997 a porté le coup de grâce, confortant les mécanismes décrits par Fisher.
Et, c’est là le plus intéressant, l’offre de liquidités à taux nul de la banque du Japon, bien qu’ayant éloigné la crise systémique, n’a pas eu les effets escomptés sur l’activité, en raison de l’élévation du risque global et des rétrocessions de liquidité vers la Banque centrale, ainsi que sous forme d’achats de titres publics, notamment, accentuant le phénomène de déflation.
La comparaison avec l’Europe est faite, mais l’auteur suggère d’accorder un rôle à la politique budgétaire, de manière à garantir des débouchés suffisants en matière de croissance et stimuler ainsi la demande globale. Point qui peut sembler le plus discutable.
5) « Perception des prix par les populations : l’incompréhension » par Mickaël Margot
L’auteur commence ici par mettre en cause la théorie des anticipations adaptatives et celles des anticipations rationnelles, ayant selon lui fait perdre de vue les mécanismes de l’illusion monétaire mis en lumière dans les années 1930 par John Meynard Keynes et Irving Fisher notamment. Les progrès de l’économie comportementale, de la méthodologie expérimentale et le passage à l’euro seraient alors à même de ressusciter ces théories.
Certaines expériences, fort intéressantes au demeurant, nous sont ainsi relatées, permettant d’aboutir à l’idée que les comportements économiques et financiers seraient influencés par l’illusion monétaire résultant de cette sous-évaluation ou sur-évaluation de l’inflation selon les cas (marchés financiers, marché de l’immobilier, marché de l’emploi). Les écarts entre inflation réelle et perçue y sont analysés (erreurs de perception, rôle des médias, biais de confirmation, heuristique de représentativité).
Là encore, l’auteur en tire parti pour préconiser une réorientation de la politique de la Banque Centrale Européenne autour du couple inflation-chômage, s’appuyant sur les découvertes récentes de « l’économie du bonheur », militant en faveur de la lutte contre le chômage par le biais d’une élévation des objectifs d’inflation. On se croirait revenu à l’heure de gloire de la courbe de Phillips et des politiques néo-keynésiennes.
Seconde partie : Comment se forment les prix ?
1) « Les énergies nouvelles permettront-elles de désamorcer la bombe du prix des hydrocarbures ? » par Philippe Jurgensen
L’auteur commence par expliquer les causes de la pression continue à la hausse des prix du pétrole (l’évolution de ceux du gaz connaissant une orientation différente), pour présenter ensuite les perspectives qu’il juge prometteuses des énergies nouvelles, dont il montre toutefois pour chacune les limites. Il conclut alors à l’importance « que les politiques publiques soient résolument orientées en faveur de ces énergies nouvelles », à travers des programmes d’investissements publics et de taxation accrue des carburants, tout en continuant à miser sur le nucléaire dans des proportions suffisamment importantes pour la production électrique.
2) « Prix alimentaires : L’enrichissement pousse inéluctablement les prix vers le haut » par Jean-Luc Buchalet
Ici, l’auteur s’inquiète des difficultés de la production agricole à pouvoir suivre la croissance de la demande liée non seulement à l’accroissement de la population mondiale, mais aussi à l’enrichissement croissant de nombreux pays émergents, dont les populations aspirent naturellement à disposer d’un régime alimentaire équivalent à celui des pays riches.
Si la production agricole a augmenté de +200% depuis 1960, nous dit l’auteur, et qu’il existe encore un fort potentiel de hausse en la matière, il nous présente les difficultés pratiques que nous devrions toutefois rencontrer, pouvant mener, selon lui, à un retour de la stagflation, la réduction du pouvoir d’achat résultant d’ores et déjà de cette inflation primaire sur la croissance expliquant la déflation en cours dans les pays riches.
3) « La résistible hausse des prix agricoles : villes contre campagnes ? » par François Meunier
De la même manière, François Meunier s’intéresse à la tendance haussière à moyen terme des prix des denrées agricoles de base, même si le mouvement en a été freiné momentanément en raison du ralentissement économique mondial et de meilleures récoltes qu’en 2008 et 2011.
Il rappelle que le sujet est délicat, les révolutions ayant eu très souvent, et même récemment, pour élément déclencheur les questions alimentaires.
Mais si plusieurs facteurs peuvent en être à l’origine, l’auteur s’intéresse ici en particulier aux espaces fertiles dévorés par les villes lors de leur extension due à l’exode rural. Un phénomène particulièrement vif et mal maîtrisé dans les pays émergents à l’heure actuelle, mais pas uniquement, à l’image de grandes villes comme Le Caire, São Paulo, Mexico, et même Tokyo ou certaines villes les plus récentes de l’Ouest des États-Unis, sans oublier les plaines d’Île-de-France, envahies par les zones pavillonnaires. Or, il apparait presque impossible à des collectivités locales de prendre les bonnes décisions en la matière, ainsi qu’il explique, ce qui nécessiterait une prise de décision à un niveau plus central.
4) « Dette publique et tentation de l’inflation » par Jean-Marc Daniel
Se référant à l’histoire, Jean-Marc Daniel nous alerte au sujet du caractère extrêmement pernicieux de l’inflation, qui va bien au-delà de la seule mémoire de l’hyperinflation allemande et est toujours un mécanisme différé.
Or, nous dit Jean-Marc Daniel, « la crise de la dette a ramené sur le devant de la scène la bonne vieille doctrine de « l’euthanasie des rentiers » (…) (qui consiste) plutôt que d’assumer la banqueroute et d’annoncer une annulation pure et simple de sa dette, (à ce que) l’État la monétise, c’est-à -dire fait créer par le système bancaire suffisamment de monnaie pour que tout cela dégénère en inflation qui lamine les créances libellées en valeur nominale ».
Jean-Marc Daniel nous rappelle ainsi la célèbre métaphore du dentifrice, dont Karl Otto Pöhl, ancien directeur de la Bundesbank, est l’auteur, et à partir de laquelle il nous tient le raisonnement suivant : « L’inflation est comme le dentifrice, il est facile de la faire sortir du tube, très difficile de l’y remettre… Et quand on la remet dans le tube, c’est-à -dire quand on décide de s’en débarrasser une fois que les dettes ont été effacées, on est obligé de mener des politiques monétaires restrictives qui conduisent à de la croissance lente, du chômage, des politiques budgétaires de soutien de l’activité et donc in fine de nouveau… de la dette ! L’inflation comme la dévaluation sont des impasses et l’histoire est longue de ceux qu’elle a déçus et trompés ».
L’occasion de nous rappeler quelques épisodes douloureux, de Dioclétien aux assignats et l’hyperinflation allemande ou hongroise (1945), en passant par les origines de la naissance du franc, sous les conseils avisés d’Oresme, sans oublier par la suite la déception de Phillips (que nous évoquions plus haut) et plus récemment le Printemps arabe de 2011. Passionnant.
L’occasion aussi de rappeler que l’inflation touche beaucoup plus de monde que le chômage et entraîne donc des réactions bien plus vives.
En conclusion, on retiendra la belle phrase de l’auteur, sous le modèle de celle d’Helmut Schmidt, mais en sens contraire, à propos des profits, résumant bien ses propos et leçons de l’histoire : « L’inflation d’aujourd’hui est le chômage de demain ».
5) « Prix des actifs : Connectés ou déconnectés ? » par Pascal Blanqué
L’auteur s’intéresse aux forces déflationnistes, en particulier dans le contexte de la succession des crises asiatiques, de l’internet, puis des subprimes. L’abondance monétaire « alimente d’abord l’euphorie financière et renforce la dichotomie entre prix réels et prix des actifs financiers », ce qui a tendance à mener aux bulles financières, quasi nulles en temps d’inflation. L’inflation se déplace, en quelque sorte, sur les marchés financiers.
Or, selon Pascal Blanqué, « on n’invente pas deux fois la désinflation. Les sources de la baisse tendancielle des taux d’intérêt sont épuisées. La faiblesse des primes de risque, l’abondance de liquidités et la détérioration de la solvabilité de certains États occidentaux situent le risque à moyen terme plutôt à la hausse pour l’inflation et les taux d’intérêt (…) ».
Cependant, « l’explosion éventuelle de la bulle financière menace de détruire de la liquidité et de la richesse » et donc de déclencher une véritable déflation. L’auteur s’attache ainsi à montrer les limites de la crédibilité des banques centrales dans leur bataille contre l’inflation financière, par la difficulté d’anticiper les évolutions et chocs par la seule disposition de l’arme du taux d’intérêt. Pour le reste, cette intervention est suffisamment complexe et technique pour que je ne puisse vous la résumer de manière pertinente. Je renvoie donc à sa lecture.
En conclusion de cet ouvrage, il apparait que la question de l’inflation et de la déflation est plus complexe que jamais, ayant en partie changé de nature par rapport à avant, et n’engage pas de réponse unique. Pierre Sabatier retient néanmoins que l’inflation primaire (énergie et prix agricoles) ne semble plus faire de doute, tandis que les pressions déflationnistes « devraient l’emporter en ce qui concerne les prix des biens et services et les salaires », en raison du vieillissement de la population et des nécessités du désendettement. Quant à l’inflation financière généralisée, elle semble peu probable. Reste l’inflation monétaire. À ce propos, il retient que « les stratégies dans lesquelles se sont embarquées la plupart des banques centrales de par le monde laissent penser que l’impression massive de billets de banque pourrait déboucher sur un effondrement monétaire (l’augmentation du nombre de billets en circulation finissant par laminer la valeur de chaque billet) ». D’où la remise en question à laquelle il appelle, au sujet du seul objectif d’inflation de la BCE, face à la complexité des phénomènes évoqués.
Au total, un ouvrage au sujet pertinent et particulièrement complexe, propice au débat, ce que j’espère qu’il ne manquera pas de susciter ici. Une diversité de points de vue ou plus justement d’angles d’analyse, mais qui m’ont semblé pencher très nettement en faveur des solutions keynésiennes, même si avec une certaine subtilité et des apports intéressants dans l’ensemble.
— Collectif, Après la récession, inflation ou déflation ?, Eyrolles, janvier 2014, 160 pages.
Une petite explication sur ma phrase introductive s’impose…
L’orientation de l’ouvrage n’était pas celle à laquelle je m’attendais et j’étais véritablement surpris, dès le début de ma lecture, c’est le moins qu’on puisse dire, à la fois par les noms des membres et auteurs du cercle Turgot comme des idées développées.
Explication très simple et tout à fait logique : en me procurant le livre, je pensais à « Institut Turgot » et non « cercle Turgot ». Ce n’est pas la même chose ! D’où ma surprise… et la meilleure compréhension que j’ai maintenant du décalage surprenant qu’il y avait entre ce à quoi je m’attendais et ce que je commençais à découvrir.
Bonjour,
Le Japon connaissant une déflation à cause de la crise des années 90, certes, mais pourquoi rejetez-vous les explications de Pierre Sabatier sur le fait que quand on est pensionné, on dépense moins que quand on est plus jeune ?
Je ne les rejette pas et elles ne sont pas fausses, d’ailleurs. Simplement, je trouvais étonnant d’isoler un facteur, la démographie, et le présenter comme la cause essentielle des grandes tendances de fond en matière d’inflation et déflation.
L’explication est, certes, séduisante, mais quid d’un pays comme l’Allemagne, pour prendre un exemple, dont on sait que la population est elle aussi vieillissante et qui ne connait pourtant pas du tout la même évolution que le Japon ?
Dans l’optique néo-keynésienne, la consommation semble occuper une place majeure. Mais, dans le cas de l’Allemagne, on ne peut négliger l’importance des investissements et de la force compétitive qui entraîne ses exportations à des niveaux très élevés. On est alors loin, dans son cas, de la déflation.
La France, à l’inverse, qui n’a pas la même démographie, souffre de son surendettement (et en souffrira bien davantage encore lorsque les taux d’intérêt remonteront), à l’instar d’autres pays. Elle n’est pas dans la situation de l’Allemagne.
On peut également penser aux Etats-Unis, dont l’auteur indique que le retournement démographique a eu lieu depuis 2010, sans que l’on puisse dire, pour le moment, qu’il y ait déflation.
De même, si l’on considère maintenant, à l’inverse, une hausse de consommation due à la démographie, il me semble que ce phénomène étant progressif, et non soudain, les anticipations permettent à l’offre de s’adapter et donc d’éviter l’inflation, en ajustant l’offre. Il est aussi possible de jouer sur les coûts de revient, qui peuvent baisser avec le progrès technologique, les économies d’échelle ou l’effet d’expérience.
Ce que je reproche, en définitive, à cette analyse est, en isolant le facteur démographique et lui accordant une importance prépondérante, de sous-estimer les autres facteurs, tels que ceux que je viens de citer.
Et, dans le cas du Japon, sans doute amoindrir, de ce fait, la part des erreurs dans les choix économiques
Maintenant, il se peut que je sois dans l’erreur. Ce n’est pas moi l’économiste, je ne suis pas un grand spécialiste de ces questions (ni de quoi que ce soit, d’ailleurs). Aussi, n’hésitez pas à me dire si je suis dans l’erreur…
La question de savoir si les dépenses des retraités sont inférieures à celles des plus jeunes est de peu d’importance.
La consommation des uns ou des autres n’est pas la croissance. On ne pourra jamais consommer que ce qui a d’abord été produit. Et pour produire, il faut avant tout accumuler du capital. Quand on parle de croissance, il s’agit en dernière analyse de la croissance du capital.
Comment des personnalités intelligentes peuvent-elles se laisser égarer au point de confondre la destruction de richesses, la consommation, avec la création de richesses, la production ? Cette erreur fatale, à laquelle Sabatier ne semble pas échapper, explique l’impuissance des thèses keynésiennes à décrire la réalité.
A lieu d’opposer artificiellement les classes d’âge au sujet de leur consommation, une question plus fondamentale est l’origine des pensions. Si ces dernières proviennent du parasitisme des richesses caractéristique d’un régime de retraites par répartition, elles stérilisent l’économie. En revanche si les pensions sont le fruit d’investissements productifs comme seul le permet le régime de retraites par capitalisation, elles fertilisent l’économie. Là est le véritable enjeu de la prospérité des économies modernes vieillissantes, autrement plus important que les epsilonesques évolutions démographiques (en dehors des grandes ruptures, guerres ou catastrophes naturelles) naturellement régulées par les marchés libres, sans nécessiter une quelconque intervention de l’Etat.