Crowdfunding, t’es mort ? Ouais man !

En traversant l’Atlantique, le crowdfunding est en train de devenir le financement participatif. Mais n’y a-t-il que le terme qui change ?

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Crowdfunding, t’es mort ? Ouais man !

Publié le 17 février 2014
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Par Michel Rona.

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Son entreprise, c’était d’aller une quatrième fois aux Jeux Olympiques. À 46 ans, Winston Watts a décidé de relancer les Rasta Rocketts. Il est sorti de sa retraite sportive, s’est entraîné comme un fou avec son équipier, a payé de sa poche les billets d’avion pour aller aux qualifications. Le dernier déplacement, à Saint-Moritz, était trop cher, alors ils ont attendu chez eux en se rongeant les ongles, pendant la valse hésitation qui allait décider s’ils seraient qualifiés. Le samedi, on leur a dit peut-être, puis peut-être pas, et le soir enfin, oui. Et là Winston s’est préparé à aller courir les sponsors et mendier de l’équipement auprès des autres équipes, vu qu’ils n’avaient pas le premier sou pour le voyage de Sotchi. Il avait oublié ce dont la foule des internautes se souvenait : Rasta Rockett n’est pas seulement une histoire de bronzés qui font du bob, c’est l’histoire d’amis qui se fixent un objectif élevé et même apparemment démesuré et qui défient dans la bonne humeur les obstacles qui se dressent sur la route qui y mène. Alors la foule a décidé de pousser le bob. Le lundi soir, il y avait déjà plus que la somme nécessaire rassemblée en dollars et en dogecoins, et le mardi matin Watts annonçait gentiment qu’ils allaient devoir cesser d’accepter les dons.

Watts et Dixon sont aux jeux. Le pouvoir de la multitude, associé à l’internet, change les donnes. Tandis que le monde s’en réjouit, les dirigeants français, eux, se demandent avec angoisse si la digue réglementaire qu’ils érigent depuis bientôt un an va tenir, et comment ils pourraient bien récupérer ces mouvements qui les dépassent. Telle est du moins la seconde impression qu’on retire à l’examen du dossier, une fois passée l’euphorie de voir Fleur Pellerin annoncer à sa descente de l’avion qui ramène notre Président de la Silicon Valley, sans même s’offrir quelques heures de récupération, que ce dernier veut « faire de la France le pays pionnier du financement participatif en Europe » (600M€ en Angleterre contre 40M€ en France en 2012…) ; les grandes phrases, ça ne coûte pas cher.

La clé pour décoder les annonces enthousiastes de l’économicienne numérique est un petit document de 13 pages édité par l’Autorité des Marchés Financiers et l’Autorité de Contrôle Prudentiel en mai 2013 et disponible sur le site web qu’elle partage avec son ministre. Parmi les menaces d’années de prison et de milliers d’euros d’amende pour ceux qui se livreraient à ces activités sans avoir la totalité des agréments, labels et autorisations préalables, se dégage la philosophie qui guide notre État-nounou — et qui avait à l’époque conduit le site Friendsclear à jeter l’éponge. Une philosophie qui tient en quelques principes fondateurs :

  • Le crowdfunding à la française ne doit pas constituer un risque pour le monopole bancaire. Ainsi, il ne faut pas s’étonner d’une limitation à 1000 euros par investisseur et par projet dans les nouvelles dispositions, de manière à ne priver les banques que de la part sans intérêt et même coûteuse de leur clientèle.
  • Les plates-formes de crowdfunding doivent être les agents qui permettront à l’État de garder le contrôle du système. Tant qu’il s’agit d’activités et d’organismes sans but lucratif, on laissera faire, mais dès que cela rentrera dans le tissu économique réel, fini de rigoler. Un site qui se contenterait de jouer les marieurs et de faciliter les transferts, comme le fait Kiva Zip pour les États-Unis et le Kenya, ne serait pas acceptable en France. Comme l’a découvert Friendsclear, l’ACP juge impératif que le risque de défaut ne soit pas supporté en totalité par les prêteurs, et donc que la plate-forme reste aux commandes du prêt ou de l’investissement. De même, les financements, même recueillis en totalité, doivent pouvoir être refusés sans explication au bénéficiaire. Il n’y a peut-être pas de rapport avec le fait que toutes les plates-formes françaises qui sortent du domaine du don ou de l’économie solidaire pour entrer dans celui du financement des entreprises semblent aujourd’hui graviter autour de la Banque Publique d’Investissement, mais on a du mal à écarter toute suspicion.
  • Les individus ne doivent pas choisir par eux-mêmes, mais être guidés, conseillés, assistés. Cet aspect, très clair dans les conclusions de Friendsclear, ne transparaît qu’en filigrane dans le guide du financement participatif et les nouvelles mesures, mais il est bien là. Ce n’est pas par hasard que le nouveau statut, délivré et contrôlé par l’AMF aux plates-formes dédiées aux entreprises, s’intitule « Conseiller en Investissement Participatif ». Bien entendu, un label viendra le consacrer. Il représente une Marianne, cocarde à l’oreille, entourée de l’inscription « Plate-forme de financement participatif – régulée par les autorités françaises ». Ce label est visible ici (document pdf, en page 3) .

Un des principaux sites de crowdfunding aux États-Unis s’intitule Crowdtilt. Il propose même sur son site le code en Open Source pour inclure dans son propre site web une application de crowdfunding. Dans « tilt », il y a cette notion extraordinaire de faire basculer le destin par l’action collective. Mais les Français, eux, en sont restés aux flippers dans les cafés, où « tilt » signifiait que les lumières s’éteignaient, que le score revenait à zéro et qu’il fallait remettre une pièce dans la machine.


Sur le web.

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  • Je croyais que la cocarde était un fake 😮

    C’est désespérant. Ils prennent tout ce qui marche, enlèvent pourquoi ça marche (la célèbre french touch) et le sortent avec un bon gros logo gouvernemental. C’est merveilleux.

  • C’est vraiment naze de limiter ainsi le crowdfunding. L’effet Silicon Valley s’estompe bien vite, ou il a rien compris. La différence avec les USA doit être massive.

  • C’est sûr, si avec ça et en arrivant 5 ans après les premières plate-formes on ne devient pas pionnier dans le domaine, ça voudra dire que le sujet n’est pas assez réglementé pour mettre en confiance les françaises et les français. On aura raté un truc, mais d’ici là on aura d’autres occasions de rater des trains, numériques ou pas, pour cause de réglementationite aigüe.

  •  » tout ce qui bouge, on le taxe ; si ça bouge encore, on le réglemente ; quand ça ne bouge plus, on le subventionne »

  • Michel Rona, toutes les affirmations que vous donnez sont-elles encore valables avec le projet de loi présenté par Perrin vendredi dernier?
    J’ai pas encore eu le temps de le lire attentivement.

    • Il est toujours difficile de ne pas teinter d’opinions personnelles la lecture des déclarations d’intention de nos ministres. Je n’ai pas trouvé sur le site du ministère la synthèse des réponses à l’enquête qui a été menée à l’automne dernier auprès des acteurs du secteur, ni la manière dont le projet s’articule avec cette enquête. Ce qui m’ennuie dans les déclarations de ce vendredi, c’est ce qu’on n’y trouve pas et qu’on aurait aimé y trouver : priorité à la transparence vis-à-vis des utilisateurs (remplacée par des agréments des autorités), responsabilisation des investisseurs (création de conseillers pour aider la foule à savoir où mettre son argent), établissement de liens directs entre investisseurs et entreprises (renforcement du rôle des plates-formes comme passages obligés).
      La mesure phare des annonces semble être que chacun pourra prêter au plus 1000 euros par projet (avec un flou sur le montant en cas d’investissement et non de prêt, à noter qu’actuellement certaines plates-formes ont 1000 euros comme minimum !), et que les entreprises pourront lever jusqu’à 1 million (donc plus de 1000 prêteurs au moins !). Est-ce cela qui devrait être la mesure phare si l’on veut faire passer la France du statut de marginal à celui de pionnier ?

      J’ajouterai deux points, que j’ai omis dans l’article :
      – sur le site du ministère, pourquoi un document de 2 pages très légères à destination du public et un de 13 pages assez absconses à destination des porteurs de projet ? N’y a-t-il pas moyen d’exposer clairement et simplement dans le même document pour tous une vision du financement participatif ?
      – quand vous financez une entreprise, le plaisir vient de pouvoir mettre votre argent dans ce en quoi vous croyez, quel que soit le sort que l’avenir lui réservera en fin de compte. La plate-forme est l’outil qui permet à un particulier, isolé, de réaliser cette volonté en lui épargnant les aléas et les complications de la logistique et de la prospection. Vouloir faire de la plate-forme un bureau de conseiller bancaire spécialisé, c’est à mon avis n’avoir rien compris au crowdfunding.

      Enfin, pour répondre à Particeep, je suis d’accord sur les mots mais pas sur les ambitions : la volonté du gouvernement de légiférer n’est positive que si elle répond bien à un besoin, et lequel est-ce ? Celui de simplifier la vie des investisseurs et des entreprises ? Permettez-moi d’avoir des doutes. Quant à positionner la France sur ce secteur, ce devrait être une conséquence, non une motivation.

      • Je suis à 100% d’accord avec vous.
        Je suis en train de monter un projet de peer to peer lending, donc je vous laisse imaginer comme je ressens la législation française…

      • @Michel Rona,
        Pourquoi un document simple qui ne dit rien et un gros qui dit tout mais à mots couverts/complexes pour que personne soupçonne les endroits ou ils vont pouvoir placer leurs pompes à commissions occultes?

        La réponse est dans la question.

  • Le crowdfunding se développe et c’est une bonne nouvelle, la volonté du Gouvernement français de légiférer sur le sujet est positif. Cela permettra de positionner la France sur le secteur.

    • En quoi légiférer sur le sujet est il positif ?

      Si on voit que ça marche bien sans réglementation spécifique, qu’est ce qui permet de penser que cela marchera mieux avec des réglementations ?

    • John@Particeep: « la volonté du Gouvernement français de légiférer sur le sujet est positif. Cela permettra de positionner la France sur le secteur. »

      Des types se mettent à bâtir une maison en portant spontanément des briques, le gouvernement arrive, limite le nombre de briques à une par personne, les fait tous passer par un bureau ou il seront examinés et estampillés et c’est « l’action du gouvernement qui permet de construire la maison » ?

      Sérieusement ?

  • Nous avons le droit d’exister qu’à condition de justifier l’état et son action, et nullement par et pour nous-même.

    Nous existence se justifie autant que celle du bétail pour l’éleveur, ni plus ni moins.

    Nous n’avons aucun droit, voila la vraie signification de la déclaration des droits de l’homme.

  • « limitation à 1000 euros par investisseur et par projet » : ou comment dégrader artificiellement l’espérance de gain ! Dans tous les domaines qu’ils touchent, les socialistes luttent systématiquement contre la liberté.

    Par exemple, dans le secteur automobile, ils font en sorte qu’un véhicule ne puisse plus circuler plus vite d’un piéton.

    Dans le secteur financier, le même état d’esprit règne en maître. Les socialistes font en sorte qu’aucun investissement ne puisse rapporter plus qu’un bon d’Etat. Les banques y trouvent leur intérêt car elles seules sont autorisées à capter un rendement plus élevé (il faut bien récompenser les complices).

    Observez les autres domaines, le constat est identique. Le socialisme, c’est le totalitarisme au quotidien.

  • Ainsi, il suffirait de faire le mariole quelques jours aux USA, de sortir quelques blagounettes, de picoler avec Oblabla… et zou le souffle du libéralisme toucherait la France, aussi sûrement qu’une tempête ?

    Je ne comprends pas très bien la nature de cette hallucination.

    Le débat n’est pas de savoir si les gauchistes et les neuneus vont s’empresser de polluer l’idée et le fonctionnement du « crowdfunding » dans leur délire d’en créer une version franco compatible.

    Ils polluent tout ce qu’ils touchent. C’est un fait.

    Non, le débat est plus profond : parler de « crowdfunding » est en soi totalement crétin… tant qu’on ne parle pas de code du travail, de fiscalité etc.

    Vous comprenez ?

    Le « crowdfunding » devrait être la cerise sur le gâteau… Mais chez nous… c’est simplement absurde tant le gâteau est pourri.

    Bref, il ne faut rien attendre de cette énième flatulence mentale.

    Concentrons sur l’essentiel : comment faire crever le Leviathan, comment l’asphyxier en lui coupant ses ressources/rapines.

    Mais de grâce… faire l’exégèse du goulash mental qui infuse dans le cerveau de Hollande ou de ses complices… franchement….

  • Comme chantait Brassens: Quand on est con, on est con.

    C’est vraiment la chanson emblématique de ce gouvernement.

  • Ou comment l’Etatisme va détruire un système naissant…. et sera encore à la traine du reste du monde dans les 10 prochaines années…

  • l’action gouvernementale est toute entiere concentree sur deux activites ces derniers temps:
    -capter le pognon coute que coute, litteralement
    -garder le controle coute que coute, litteralement aussi.
    Quelles sont les possibilites d’evolution pour une situation de meme? a t-on des precedents ?

    • Waow, en effet. Comme dit Fleur : « Vive la startup Republic, vive la French Tech, vive la France » !
      Si seulement ils pouvaient tous nous oublier et nous laisser faire…

  • Pour etre franc, je pense que le rôle de l’État minimal, c’est entre autre de limiter les escroqueries : si j’investis sur un fonds monétaire et je me rends compte que derrière il y a de l’actions qui se cassent la gueule, je suis content d’avoir une autorité qui veille au grain pour que ma propriété ne soit pas gérer dans des conditions que je n’ai pas souhaité.

    • L’autorité doit veiller à ce que vos intérêts soient gérés dans le sens où vous le souhaitez, et ça n’est pas du tout ça qu’apporte actuellement son agrément, mais le fait qu’ils seront gérés selon ses règles à elle. Une plate-forme qui laisserait passer une escroquerie sur son site serait morte le lendemain … à moins de montrer qu’elle a respecté toutes les règles de l’autorité, auquel cas ce serait pour la pomme du souscripteur.
      Vous devez veiller vous-même sur vos intérêts, et ne vous y trompez pas, les escrocs auront toujours tous les labels et certifications, faux au besoin, pour essayer de vous convaincre de leur déléguer la tâche.

  • Brillant, Michel ! Pour autant, le post-mortem de Nicolas Guillaume (écrit à la fermeture de FC) doit être replacé dans sa temporalité. C’est parce que FC a fermé et que certains individus (y.c chez les « régulateurs », au MEDEF, à gauche, à droite, au centre – le vieux, l’ancien- les écolos rouges, verts, les nationalistes, ailleurs sur le web,..) s’en sont émus après-coup que la loi a été plus facile à faire « avaler » au législateur et aux corps constitués. Quand aux banquiers, soit ils n’ont pas encore compris la nouvelle loi, soit ils en empêcheront le décret (le 2 juillet 2014 au plus tard), soit les régulateurs sont réellement indépendants. Soit quelque chose m’échappe. Ca doit être ça 🙂

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