École : les conditions d’un bon redoublement

À travers le cas du redoublement à l’école, examinons quelles sont les conditions de la réussite de l’élève.

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École : les conditions d’un bon redoublement

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 28 février 2014
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Par Stanislas Kowalski.

EDUCATION-RENTREE

Dans un précédent article, je soulignais l’incohérence de la pratique actuelle. Il est certain que le redoublement n’est généralement pas efficace, de nos jours, en France, parce qu’on s’y prend mal. Il est certain que les impressions des acteurs de l’éducation vont varier très fortement. Certains professeurs affirment n’avoir jamais vu de redoublement efficace. D’autres pourront en citer des dizaines. Il est probable que tout le monde ait raison. Ou plus exactement, tous ces témoignages méritent le respect. Mais il faut les prendre pour ce qu’ils sont, de simples témoignages concernant des cas particuliers, ou plutôt des contextes particuliers. La personnalité de l’élève n’est manifestement pas le seul facteur qui décide de la réussite. A voir le caractère très tranché des points de vue, il est très probable que l’organisation de l’école est déterminante. S’il peut y avoir beaucoup de succès quelque part et aucun ailleurs, c’est lié d’une manière ou d’une autre aux lieux et non pas aux personnes. Quelles peuvent donc être les conditions de réussite d’un redoublement ?

Tout d’abord faisons remarquer une évidence. Un redoublement sera réussi s’il permet à l’élève de reprendre pied. Le succès ne s’évalue pas au niveau du bac, mais par rapport à la situation précédente de l’enfant. Sa deuxième année de CP lui a-t-elle permis d’apprendre enfin à lire ? Si oui, son redoublement a été bon, et peu importe qu’il pousse ses études jusqu’au doctorat ou qu’il s’arrête au brevet. Il aura de toute façon tiré un profit de sa scolarité.

La première condition, c’est évidemment que la décision de redoublement soit juste et lisible. Il ne faut pas que l’élève la considère comme une brimade, mais comme une nécessité. Les petits paris sur sa motivation ou sur l’efficacité de son redoublement tendent malheureusement à donner un sentiment d’arbitraire. Il est bien plus sain de s’en tenir à des considérations objectives, plutôt que de faire de la mauvaise psychologie et d’essayer de rentrer dans la tête du gamin. C’est sa capacité à suivre les cours de l’année suivante qui doit nous guider.

D’ailleurs, les enfants adaptent leurs efforts à ce que l’on attend d’eux, tant que cela leur paraît raisonnable. Cela m’amène à la deuxième condition. Il faut être persuadé que c’est utile et que ça peut marcher. Cette condition n’est évidemment pas suffisante, mais elle est nécessaire. Les prophéties pessimistes ont beaucoup plus de chance d’être auto-réalisatrices. Il suffit de croire à l’échec pour qu’il arrive, alors que l’inverse n’est pas vrai. Il ne suffit pas qu’on ait de l’ambition à la place de l’enfant. Mais si on lui laisse entendre qu’il n’y a rien à espérer, il est certain qu’il ne progressera pas et qu’il s’installera dans la médiocrité.

Le redoublement doit être perçu comme une opportunité et non comme une sanction. Les problèmes de comportement et même de travail ne devraient pas entrer en ligne de compte. La perte d’une année entière constitue une sanction trop lourde, disproportionnée et probablement inefficace, si l’élève a le niveau nécessaire pour passer. Tout porte à croire qu’il va considérer la décision comme injuste et que ça l’incitera à tricher ou à faire semblant de travailler. De toute façon, il vaut mieux sanctionner les comportements déviants au fur et à mesure avant qu’ils se généralisent et n’installent une ambiance délétère dans la classe. Faire redoubler constituerait une double peine. D’une manière plus générale, il est déplorable que le travail scolaire soit attaché aux punitions. Quand j’étais à Djibouti, mes élèves me demandaient des multiplications supplémentaires. C’était un jeu. Mais comment les enfants pourraient-ils considérer les exercices scolaires comme un bien si on les utilise pour punir ? Il y a des alternatives pourtant, la mise au coin en primaire, les lignes dans le secondaire viennent facilement à l’esprit (mais je sais que je vais me faire mal voir des IPR). Malheureusement, il n’y a guère que dans le supérieur qu’on présente le redoublement comme une chance. On vous explique que vous n’avez droit qu’à un redoublement pour passer votre licence, ou que le redoublement est interdit à Nomale Sup.

imgscan contrepoints 814 écoleUn changement d’approche est plus que souhaitable. Il est évident que répéter ce qui a échoué ne sert pas à grand-chose. Il faudrait proposer systématiquement un changement de classe. C’est en apparence plus compliqué dans les zones rurales, mais on peut trouver des solutions internes, il suffirait par exemple que les instituteurs fassent tourner les classes entre eux. Ce serait un petit peu moins confortable pour les enseignants, puisque ça les obligerait à préparer plus de cours, mais ce serait sans doute profitable pour les élèves. Pour un meilleur brassage, d’ailleurs le plus simple serait que les instituteurs descendent dans la classe inférieure et reviennent au CM2 après le CP. En effet, s’ils montent avec leur classe, ce sont les bons élèves qui se retrouvent avec un seul son de cloche pendant cinq ans. J’en profite pour dire que, si on constate que tous les enseignants ont un taux élevé de redoublants sur le même niveau, il faut s’interroger sur les méthodes et envisager de bazarder certains manuels. En zone urbaine, des tas d’autres possibilités existent. On peut changer de classe dans un même établissement, ou changer d’établissement. En réalité, seuls les règlements pourraient s’y opposer (la carte scolaire par exemple, dont on pourrait dire beaucoup de mal). Toutefois ce changement d’enseignant n’est pas une nécessité absolue, parce que le changement peut venir de l’élève lui-même, s’il gagne en maturité ou se met simplement au travail.

Il faut surtout que le redoublement arrive à temps. On aurait tort de le présenter comme une solution de dernier recours. Certes, il y a des choses à tenter au cours de l’année, pour essayer de l’éviter. Si on peut s’en sortir par du soutien scolaire ou du tutorat, c’est évidemment moins lourd pour l’élève et moins coûteux pour la société. Cependant, il faut avoir l’honnêteté et le courage de faire le bilan à la fin de chaque année scolaire. Il n’est pas raisonnable d’ajourner la décision, si on pense que l’élève n’arrivera pas à suivre dans la classe supérieure. Si un élève a raté son CP, il y a peu de chances qu’il apprenne à lire grâce à un passage automatique en CE1, parce qu’en réalité les instituteurs ont beaucoup trop de choses à faire dans cette classe pour pouvoir rectifier l’apprentissage de la lecture. Le redoublement en fin de cycle (CE1) est déjà inefficace, puisqu’on n’a jamais l’occasion de revoir le programme de CP. Il y aura nécessairement de grosses lacunes. Si plusieurs années de suite on s’est voilé la face, on se retrouve avec des situations inextricables et énormément de souffrance. On ne peut rien faire d’un illettré complet en sixième. On n’a plus qu’à le faire passer automatiquement. Ça ne sert à rien non plus, mais on espère qu’il traversera le collège sans se faire trop de mal et sans empêcher ses camarades d’apprendre. Il aurait fallu intervenir beaucoup plus tôt. « Avant d’être malade, soigne-toi. » Quand tu es mourant, c’est trop tard.

Il faudrait aussi résister aux passages à l’ancienneté. C’est un vœu pieux, puisque la loi nous y oblige, mais c’est un devoir de garder cela en tête pour des temps meilleurs. Aujourd’hui nous donnons l’impression que le travail est optionnel et qu’il suffit d’attendre que les cailles vous tombent toutes rôties dans la bouche. Au bout du compte, il est possible que l’élève faible apprenne moins que les autres. Il est possible qu’il n’atteigne jamais le bac. Mais si son collège est de meilleure qualité, ce n’est pas grave. Apprendre moins pour apprendre mieux, ça ne consiste pas à diluer les programmes dans une soupe infâme. Ça ne consiste pas non plus à ramener tout le monde au rythme du plus lent. Ça consiste à prendre tout le temps nécessaire pour enseigner à chacun des bases stables. Tant pis si tous les élèves ne vont pas au bout du cursus. Il vaut mieux donner à chacun ce qui lui convient que de donner à tout le monde une qualification illusoire.

J’ai peut-être oublié quelques critères importants. Je vous invite donc à compléter, si en voyez d’autres.

Il existe évidemment des alternatives au redoublement. On en verra quelques-unes dans un prochain billet. Mais une chose est certaine. Soit on supprime le redoublement, soit on le fait correctement. On ne peut pas continuer dans l’hypocrisie.

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  • Peu importe que le redoublement soit (soi-disant) inefficace : si un élève ne maîtrise pas suffisamment les bases qui lui permettront de suivre ses cours lors de l’année supérieure le passage automatique sera nécessairement pire que le redoublement.

    En revanche, « répéter ce qui a échoué  » peut fonctionner si l’élève en question a juste besoin de plus de temps que les autres pour assimiler.

    • Lors du redoublement il n’assimile rien : il reproduit ce qu’il a vu l’année d’avant. Il glande.
      Le redoublement devrait être grosso modo réservé lorsqu’on échoue à un diplôme. Il sera bien obligé de maitriser les bases à un moment donné.

      • Ils arrivent en fac en math sans maîtriser les bases. Arrivé à ce point, il faudrait qu’ils re-triplent la première année de fac, au minimum, pour qu’ils aient une chance comprendre les éléments du programme.

        Au lieu de ça, pour faire illusion, on révise les exigences à la baisse, et les bons s’emm… profondément. On fait des exercices-type qu’on bachote en TD pour que tout le monde puisse avoir l’examen (enfin, tout le monde c’est 20 à 30 % des inscrits, vu qu’un grand nombre a déjà baissé les bras).

        Comme un jour ou l’autre on ne peut plus avoir ses examens juste avec des questions de cours et des exercices-type, l’échec finit par arriver.

        On a inculqué à des masses d’élèves un vague souvenir fait d’égalités qu’ils ont appris par cœur et une phobie des équations, et aucune capacité à raisonner logiquement.

  • Le redoublement n’a plus de sens aujourd’hui, c’est vrai et pourtant il présente un intérêt simple : laisse plus de temps à l’enfant pour ses apprentissages.
    J’ai lu les commentaire sur votre précédents articles, une succession de « moi je », bon ok le TDAH, l’HP, les EIP, mais quid de l’autisme et des situations complexes « à la maison » qui s’invitent à l’école?
    Bref, tout est trop complexe, les élèves sont perdus et l’école l’est tout autant.
    Au passage, j’ai lu le début d’un livre intéressant, un blog qui l’est tout autant 😉

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