Le malaise de l’impôt

Face au malaise de l’impôt, il faut repenser la notion de ligne rouge et de principe d’action dans l’économie.

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Le malaise de l’impôt

Publié le 5 mars 2014
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Par Loïs Henry.

imgscan contrepoints 2013735 impôtsLes Français sont de plus en plus réticents à payer leurs impôts. Les politiques ont beaucoup parlé de « ras-le-bol fiscal » en mettant en avant l’idée que les Français « payaient trop d’impôts ». Mais en disant tout simplement que le gouvernement se trompe, qu’il a fixé des taux de prélèvements trop élevés, ne passe-t-on pas totalement à côté du malaise face à l’impôt ?

Pour un grand nombre de français, les impôts passent désormais non pour un acte citoyen mais pour un contrôle exercé par l’État. Le vrai problème lorsque l’on parle des impôts n’est donc pas le fait même du prélèvement ou un certain seuil à ne pas dépasser, c’est qu’il a perdu sa légitimité. Comme dans beaucoup d’autres domaines, il y a une vraie fracture entre le discours politico-médiatique et le discours populaire. Le premier met en avant ce fameux « ras-le-bol fiscal » quand le second ne comprend plus pourquoi il est imposé. Quelle peut-être une position libérale face à l’impôt afin de mieux comprendre son lien avec la population aujourd’hui ?

Pour mieux comprendre le problème, il faut peut-être partir de ce que l’on a appelé le libéralisme anglais avec un auteur dit « utilitariste » comme Bentham. Dans ses travaux les plus célèbres, Bentham fait une distinction entre trois éléments : sponte acta (« laisser faire » les individus et ne pas y toucher car ils agissent de la bonne manière instinctivement), agenda (ce qu’il faut faire car favorable à l’économie) et non-agenda (ce qu’il ne faut pas faire car défavorable à l’économie). Avec cette distinction, c’est en fait l’économie politique qui apparaît. Si on se plonge dans la critique qu’en fait Michel Foucault, l’économie politique est un contrôle interne à la « raison d’État », un moyen de contrôle interne des individus par le gouvernement. Autrement dit, l’économie politique permettrait de légitimer tout gouvernement sans risquer de le faire renverser en faisant des questions économiques des questions d’ajustement, ce simple débat sur l’apport que peut avoir telle ou telle mesure, celle-ci étant un échec ou une réussite (mais ne mettant jamais en doute la légitimité du gouvernement). Comme le montre l’exemple de Bentham, l’ère de l’économie politique (qui apparaît concrètement avec les physiocrates et leur « despotisme éclairé » au XVIIIe siècle) change radicalement la perception que l’on a des actes de l’État sur l’économie. L’économie politique change entièrement la nature du débat ; la question n’est plus de savoir qu’est-ce qui autorise un gouvernement à lever des impôts mais quelle est la conséquence de tel ou tel taux d’imposition ! On ne se demande plus si l’impôt est légitime en termes de droit : il paraît illégitime uniquement s’il est inutile ou a des effets négatifs sur l’économie. Dès lors, on critique un gouvernement non parce que le principe de son action est mauvais mais parce qu’il est ignorant. Pour mieux expliquer l’idée que j’avance, cela signifierait que les Français accepteraient d’être prélevés à des taux exorbitants si on pensait que cela pourrait avoir un effet positif sur l’économie. Mais ce n’est pas le cas.

Or, c’est là où les libéraux manquent le débat et où les médias ne relèvent pas la mascarade. En effet, critiquer l’économie politique, c’est accepter de porter une « critique » sur de grandes figures du libéralisme que sont Bentham et les physiocrates. Pourtant, il apparaît évident qu’à ce compte, tout le monde est libéral aujourd’hui et pratique « l’économie politique ». Or, est-ce libéral de ne jamais questionner la légitimité même d’un impôt et de se contenter de se demander si cela aura des effets positifs ou négatifs sur l’économie ?

Certains se demandent aujourd’hui s’il y a encore beaucoup de libéraux en France mais la réponse est simple : tous ces gens qui remettent en cause le sens même de l’impôt, et non pas tant leur taux de prélèvement, sont des nouveaux libéraux. Ils refusent tout net l’économie politique, libéralisme largement embrassé par la gauche. Ils refusent de se contenter de l’idée que les taux de prélèvement trop élevés s’expliquent par une ignorance du gouvernement, un manque de connaissance, un mauvais calcul. La raison de leur rejet de l’impôt, c’est qu’ils ne savent plus pourquoi ils le paient, ce à quoi il sert. Avant le XVIIIe siècle, l’impôt avait des bases juridiques assez solides, il était assez cohérent et renvoyait à quelque chose que chacun comprenait. La contestation pouvait alors venir en effet des taux trop élevés qui empêchaient de vivre décemment. Mais aujourd’hui, la donne a changé au moment où l’impôt a changé de nature.

Pour expliciter ce propos, je prendrais l’exemple du débat autour du Crédit Impôt Compétitivité Emploi (Cice) tel qu’il a pris forme chez les économistes. Il suffit de lire la manière avec laquelle il a été traité : la diminution des prélèvements obligatoires sur les entreprises est financée à près de 60% par la hausse de la TVA ; or celle-ci pourrait être presque neutre pour les consommateurs du fait de la baisse des prix hors taxe des produits nationaux liée à la baisse des prélèvements évoquée plus haut. Mais la question des produits exportés pose problème. De même, les produits étrangers devraient être plus chers, ce qui pourrait être favorable du fait du report des consommateurs sur un marché français moins cher. C’est long n’est-ce pas ? Ce type de discours est absolument caractéristique des discours liés à l’économie politique. La question de la hausse de la TVA n’est même pas posée en termes de légitimité, de droit ; elle est posée en termes de « favorable » ou de « défavorable » à l’économie. On est dans un discours de technocrate. Et c’est cela que rejette de plus en plus la population. Les libéraux doivent comprendre cela et se positionner en ce point. Il faut savoir abattre cette forme de libéralisme née de l’économie politique que chacun aujourd’hui adopte en politique pour la rénover et lui rendre quelques lettres de noblesse. Les mots ont un sens ; les impôts ne sont pas simplement une variable d’ajustement. On ne peut pas créer un nouvel impôt juste pour équilibrer les comptes, on ne peut pas décider de les monter pour financer telle ou telle mesure, les impôts ne sont pas « favorables » ou « défavorables » à l’économie, ils ont ou pas une légitimité.

Beaucoup vont me dire que les libéraux sont contre toute forme d’impôt. À cela je répondrai d’abord que c’est faux : peu de libéraux rejettent l’impôt (Bentham et les physiocrates en sont un parfait exemple). Mais, plutôt que de faire un sondage sur le positionnement de chacun, je crois que si les libéraux sont contre l’impôt, c’est souvent dans une perspective « favorable/défavorable » à l’économie en partant du principe que les choses se règlent seules (les analyses néo-classiques notamment).

Autrement dit, je crois que les libéraux ont beaucoup à gagner tant en matière de crédibilité, que politiquement ou encore même sur le plan de la cohérence en rejetant l’économie politique.

Dès lors, le gouvernement actuel n’est plus « incapable », « mal conseillé », « ignorant » (des experts en économie s’occupent de ces réformes et ils savent ce qu’ils font), il est tout simplement illégitime, son principe d’action est mauvais. Ainsi, la remise en question de l’impôt, ce n’est plus simplement une remise en question politique quant à la manière de « bien gouverner » le pays, c’est une remise en question de la légitimité de l’existence d’un gouvernement qui adopte des attitudes de contrôle sur les individus en réglant à l’envi ses comportements de consommation, d’épargne, etc. Contester l’impôt, ce n’est pas contester un trop fort taux d’imposition, c’est dire un non radical, c’est refuser cet acte d’aliénation sur l’individu. Les libéraux doivent repenser la notion de ligne rouge qu’un gouvernement ne doit jamais franchir avant d’être déclaré illégitime, ligne rouge qui n’est plus posée depuis le XVIIIe siècle !

Cela fait désormais trente ans que l’économie politique et le binôme favorable-défavorable régit la politique intérieure en France.Trente ans que cet avatar libéral est en place ; ainsi, les Français constatent des divergences dans les politiques menées en fonction de l’accroissement ou pas des impôts existant, de la création de nouveaux impôts. La réponse libérale aujourd’hui doit rompre avec cet héritage qui profite aux extrêmes. Les libéraux doivent cesser de parler du politique en technocrate pour mieux parler de leurs « principes d’action ». C’est sur ce plan là que la différence peut se faire ; les libéraux doivent adopter des « révoltes logiques » (Rimbaud). D’une manière, il s’agit de redorer le politique, de le réinventer. Politique déjà bien abimé depuis trente ans par la domination sans faille de l’économie politique.

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  • Moi ce que j ajouterais, c est que les citoyen en on ras le bol de voir qu il payent pour des choses totalement inutile. Qui n a jamais fait le constat qu avant les municipales les travaux augmente dans chaque villes, mais ce sont souvent des travaux peu utile ou non urgent. les priorités de nos politicien n ont rien a voir avec les notre pauvres payeurs.

    • Le principal argument pour les dépenses inutiles est souvent l’incapacité de l’interlocuteur à en citer qui seraient plus utiles. Personne ne semble réaliser l’utilité des fonds qui ne seraient pas prélevés, ni comprendre qu’ils seraient investis et non thésaurisés dans de petits cochons-tirelires roses.

  • Les dépenses les plus surement inutiles sont celles de fonctionnement payées par l’emprunt: c’est aussi simple que cela. Un remède: plus un ministre emprunte et moins il est payé. Un ministre peu payé cesse définitivement de pouvoir exercer une fonction publique.

    • Oui, mais pas seulement. En réalité, toute dépense publique de fonctionnement ou d’investissement est inutile, dès lors qu’on déborde des fonctions régaliennes, autrement dit quand l’Etat intervient hors des secteurs économiques pour lesquels les marchés libres sont incapables de fournir un prix et une quantité de marché.

  • D’accord avec vous, encore faut-il que chacun investisse réellement, mais investir fait peur, non décidément mieux vaut les impôts et un livret A, au moins nous savons où va notre argent!

    • « un livret A, au moins nous savons où va notre argent! »

      Allez demander aux gens de Bercy où est passé le fric du livret A que l’Etat a joué en bourse .

  • Euh… Pourrait-on s’il vous plait changer la couleur de la ligne ?

  • Il faudrait qu’on appelle les contribuables par leur vrai nom comme aux US : taxpayers.

    Cela permettrait peut être au con-tribuables en question de ne pas oublier leur condition et d’être plus exigeant sur ce qu’ils financent.

    La novlangue socialiste est un succès total, ça on ne peut pas leur enlever.

  • Je suis clairement un Libertarien.

    La position libertarienne sur l’impôt est très claire : taux zéro %. Ce qui, évidemment, ne signifie en rien que les individus n’auraient plus droit à une couverture santé, une police, une retraite, que sais-je encore…

    Mais nous exigeons que ces services soient simplement ouverts à la concurrence entre assureurs, entreprises de services ou de protection, placements en vue de la retraite, etc.

  • Bonjour,
    Mes impôts sont presque traités. D’ici une trentaine de jours, je devrais avoir déjà un remboursement.
    Bonne soirée!

  • « Ils refusent de se contenter de l’idée que les taux de prélèvement trop élevés s’expliquent par une ignorance du gouvernement, un manque de connaissance, un mauvais calcul. La raison de leur rejet de l’impôt, c’est qu’ils ne savent plus pourquoi ils le paient, ce à quoi il sert. »

    Je vais plus loin: L’économie n’est pas déterministe.
    L’erreur socialiste n’en est donc pas une de calcul, qu’une meilleure connaissance puisse permettre de corriger. Elle est fondamentale.

    Nous ne demandons pas que les équations soient améliorées, mais qu’on admette qu’elles n’existent pas, que le postulat déterministe est un dogmatisme, que la prétention à planifier et réguler par l’État est non seulement erronée mais calamiteuse.

    Le marché prend acte de l’indéterminisme économique.
    Le progrès économique n’est possible que par le marché, par de modestes améliorations incrémentales toujours risquées.
    Il repose sur l’argent pour
    – assigner démocratiquement une valeur aux biens et services
    – agréger et diffuser cette information
    – diffuser le pouvoir à un niveau de connaissance contextuelle qui permette humainement d’entreprendre

    Comment l’État améliorerait-il la compétitivité des entreprises ?
    L’emploi ? L’innovation ? L’instruction ?
    L’État, c’est la contrainte.
    La seule utilisation pertinente de la contrainte consiste … à la supprimer.

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