Par Gabriel Lacoste, depuis le Québec.
Une opinion couramment admise parmi les défenseurs d’un État-Providence, c’est qu’une société organisée autour d’interactions spontanées entre individus sans supervision politique adéquate ne peut solutionner des problèmes comme la toxicomanie, la délinquance, l’abus ou la négligence envers les enfants, la violence conjugale et ainsi de suite. Le financement et la contrainte d’institution démocratique sous le leadership d’associations citoyennes seraient à cette fin nécessaire. Les alternatives reposant sur la charité ou d’autres initiatives privées inspirent la méfiance. Les individus aux prises avec ces difficultés, leurs proches ainsi que les communautés environnantes se désolidariseraient mus par un égoïsme fondamental. Ce doute se nourrit de la croyance fausse qu’une telle option est seulement rêvée. Or, il y a un cas illustrant comment une solidarité spontanée est non seulement possible, mais réelle et probablement plus efficace que leurs pendants étatiques : les Alcooliques Anonymes.
Les alcooliques anonymes, en bref
Le mouvement des alcooliques anonymes a pris naissance de l’initiative spontanée de deux individus aux prises avec des problèmes de consommation d’alcool. Aucune politique gouvernementale n’a planifié, subventionné et commandé la chose. Quiconque à Montréal ou en Amérique du Nord se cherche un endroit pour obtenir du support lorsqu’il veut cesser de boire peut se trouver aujourd’hui facilement un lieu de rencontre qui s’en inspire. Ces groupes s’articulent autour de meetings ayant lieu souvent dans de petites salles où un ancien consommateur offre un témoignage ou anime une discussion. Un rituel d’accolades, de poignées de main et de prières accompagne l’événement de manière à souder les liens de fraternité. De plus, des médailles et des gâteaux sont remis pour indiquer le nombre de temps d’abstinence de chacun. Les plus avancés dans leur démarche de sobriété parrainent les nouveaux arrivants en devenant des mentors pouvant être appelés à tout moment en cas de besoin. L’implication volontaire des membres au moyen de diverses tâches est valorisée et ceux-ci y voient une opportunité d’intégration dans le groupe. Le financement de ces activités peut reposer essentiellement sur des contributions volontaires insignifiantes. D’autres types d’associations allant des cocaïnomanes aux dépendants affectifs aux outremangeurs ont été mis sur pied sous ce modèle.
Ces organisations spontanées peuvent venir en aide aux gens de plus d’une manière. Elles les sortent de leur isolement et les mettent en situation de recevoir les conseils et rétroactions de leurs pairs. Ceux qui ont déserté le marché du travail peuvent bénéficier des réseaux de contact des plus vieux pour y retourner. Les sans-abris peuvent se regrouper ensemble pour obtenir un logement et en partager les frais. Le groupe constitue une source d’information sur les ressources formelles et informelles disponibles pour répondre à toutes sortes de besoins. De plus, les membres y apprennent à suivre un code de vie sain. Les meetings constituent même un réseau de rencontre pour célibataires endurcis.
Il est difficile de chiffrer l’efficacité de ces organisations, car il n’y a pas de documentations laborieuses visant à faire le décompte et le suivi de chacun des membres, comparativement aux organisations gouvernementales qui s’adressent aux mêmes populations. Cependant, en tant qu’intervenant travaillant dans un centre pour hommes en difficultés qui hébergent ceux qui y participent, je peux attester des perceptions qui les entourent. Nombreux sont ceux qui y voient une source d’aide supérieure à celle qui est offerte par l’État. Les groupes de discussions et rencontres individuelles, censées encadrer le toxicomane dans sa démarche de réintégration de la société, offerte par des diplômés accrédités dans des programmes sociaux inspirent en comparaison la méfiance.
Souvent, ces aidants salariés sont des jeunes n’ayant jamais éprouvé leurs difficultés. Il est courant d’y entendre des sarcasmes selon quoi ils n’ont aucune autorité pour leur dire quoi que ce soit, n’ayant pas l’expérience de la vie nécessaire. Leur bonne volonté est reconnue, mais leur autorité reste à construire. Inversement, les anciens consommateurs AA qui partagent et parrainent les nouveaux arrivants leur inspirent un respect naturel et leur servent de modèles comparables à celui de grands frères. Bien sûr, les choses ne sont pas parfaites. certains désapprouvent la dimension religieuse de l’organisation ou y voient une trappe les enfermant dans un cercle de gens à problèmes. Cependant, dans la balance, la contrepartie gouvernementale ne fait pas mieux, au contraire, car l’intervenant salarié, fondamentalement, ne sera jamais l’ami ou la copine de cette personne.
Le préjugé du missionnaire
Afin de mieux comprendre et évaluer la relation entre l’État et les populations censées être sous sa bienveillante assistance, il est intéressant de noter qu’entre la culture des aidants salariés munis de diplômes et œuvrant dans les programmes sociaux et la culture des AA, il y a un fossé comparable à celui d’un prêtre catholique parmi les indigènes.
Les intervenants sociaux ont des opinions et une ouverture d’esprit variées envers le mouvement AA. En règle générale, ils sont athées et perçoivent la spiritualité qui l’incarne avec un dédain poli. De plus, ils désapprouvent souvent la rigidité des règles et des jugements provenant de ce milieu, ainsi que leur manque de scientificité. À titre d’exemple, les Alcooliques Anonymes visent l’abstinence totale de toute substance. En comparaison, Dollard-Cormier, un service gouvernemental de la région de Montréal offert par le gouvernement du Québec, vise la réduction des méfaits et accepte de travailler auprès du toxicomane à un objectif plus modeste comme réduire ou contrôler la consommation. D’autre part, les AA ont une philosophie basée sur un programme en 12 étapes un peu confus demandant de reconnaître son impuissance, de remettre sa volonté entre les mains de Dieu, de faire amende honorable et de s’impliquer dans le mouvement. À l’inverse, la formation des intervenants s’appuie sur une approche cognitive qui utilise des questionnaires et des techniques d’écoute active scientifiquement validés visant à introduire de la flexibilité dans les jugements qui font agir les toxicomanes de façon nuisible par rapport à des enjeux précis.
Il ressort de ce bref portrait un phénomène équivalent à celui de l’aidant civilisé, le missionnaire, qui entre en relation avec des sauvages. Un rapport d’expertise condescendante peut amener sournoisement l’intervenant salarié à systématiquement surévaluer sa capacité d’apporter une contribution significative à la situation tout en sous-évaluant systématiquement la capacité du « patient » de le faire. Un rapport de pouvoir infantilisant et humiliant peut ainsi s’installer et les réactions agressives d’opposition venant de l’aidé sont erronément interprétées par l’intervenant comme une faille de la personnalité de l’aidé plutôt qu’une résultante de la situation. Ce biais a d’ailleurs été reconnu par les psychologues sous le titre de « l’erreur d’attribution fondamentale ».
Cela nous suggère que l’aide gouvernementale prend significativement la forme d’une relation d’expertise envers des clientèles infantilisées. Son action peut s’avérer ainsi être nuisible plutôt que bénéfique en encourageant sournoisement chez des populations vulnérables une fausse perception d’incompétence et de dépendance accompagnée d’une humiliation constante de soi. D’ailleurs, la personne qui demande cette aide joue souvent le jeu de l’intervenant de manière à obtenir autre chose. Elle veut avoir un logement et de la nourriture subventionnés ou bien paraître devant sa famille ou des juges le temps de se remettre, et accepte de se livrer aux exigences du programme social de manière à les obtenir, mais n’a pas forcément demandé directement d’être parrainée par un représentant diplômé de l’État. D’autre part, la flexibilité des intervenants salariés peut s’apparenter à un manque de rigueur et de discipline pour le toxicomane.
Le mouvement des Alcooliques Anonymes n’a pas la scientificité et la flexibilité mentale de l’aide gouvernementale, mais il ne contient aucun de ces problèmes. Au contraire, il s’agit d’une structure de solidarité qui mobilise le pouvoir des toxicomanes de se sauver eux-mêmes. Il est donc raisonnable de croire que l’efficacité de cette forme d’aide est largement supérieure, en plus d’être énormément plus économique. Ce dernier point n’est pas banal si nous considérons que les ressources de la société ainsi économisées serviront à offrir à ces mêmes personnes souvent chômeuses des opportunités d’emploi ailleurs dans « le système ».
Morale de cette histoire
Selon moi, il est possible de se servir de ce cas en particulier pour fonder une philosophie libérale de la justice et de la solidarité sociale. Celle-ci préconise le désinvestissement de l’État des programmes sociaux. Or, ses opposants assument automatiquement que le vide ainsi laissé ne serait pas rempli et que le sort des populations qui en bénéficient se détériorerait. La supposition qu’un ordre spontané puisse y remédier apparaît comme de la spéculation et de la rêverie utopiste. Pourtant, l’histoire des Alcooliques Anonymes constitue un contre-exemple aussi frappant que tangible et concret à cette objection. Au contraire, une telle solidarité est non seulement possible, mais actuelle et elle performe déjà mieux que l’État.
Les raisons du succès de ce mouvement sont intrinsèquement reliées à une philosophie libérale de la société qui part du principe que ce sont les individus insérés dans une situation qui sont les principaux experts à en trouver des solutions et que les autorités extérieures ne sont, en comparaison, pas habilitées à le faire, surtout dans un cadre coercitif.
Nous pourrions en conclure que des initiatives comme celle des AA sont souhaitables en concert avec l’action de l’État, mais nous avons plusieurs raisons d’en douter. Comme je l’ai suggéré, l’aide de l’État peut être toxique et nuisible, en plus d’accaparer des ressources qui seraient plus utiles aux chômeurs si elles étaient en circulation ailleurs. D’autre part, la culture qui entoure les programmes sociaux et qui est véhiculée par les salariés qui y œuvrent tend à inhiber des initiatives comparables à celle des AA. En effet, notre réflexe collectif est de se tourner vers une institution démocratique pour mettre en œuvre des solutions à nos problèmes au lieu d’adopter une approche entrepreneuriale et de solidariser nous-mêmes les acteurs concernés, à la manière des fondateurs d’Alcooliques Anonymes. Les héros dont nous entendons parler enfant dans nos salles de classe sont des politiciens, alors qu’ils gagneraient à être à plutôt des gens de cette trempe. L’État agit probablement comme une énorme plante malade monopolisant l’espace d’un jardin de manière à étouffer le développement des semences qui s’y trouvent. Nous pourrions alors imaginer que, sans l’État, la graine que représentent des organisations comme les AA serait alors dans un terreau plus fertile pour éclore et qu’il y pousserait des arbres capables de mieux sauver le monde.
Par ailleurs, du moment qu’on est salarié d’une association qui prétend régler les problèmes d’autrui, de fait, on est dépendant et on profite de cette misère. Tout comme le fait de recevoir des subventions publiques est malsain. Ou même le fait, à mon sens-même si ça semble extrémiste, d’utiliser les bénévoles/adhérents pour aller récupérer de l’argent par X ou Y biais.
Les associations ne peuvent fonctionner de manière saine que sur le modèle de l’auto-organisation, de la contribution individuelle et volontaire par des gens libres et indépendants.
FabriceM: « on est dépendant et on profite de cette misère. »
Principe d’hédonisme, on ne fait jamais rien pour rien, l’association « saine » désintéressée est un leurre, au salaire la personne substituera l’orgueil ou le narcissisme. « Je suis si bon ».
C’est mieux ? C’est faux en tout cas !
FabriceM: « Tout comme le fait de recevoir des subventions publiques est malsain. »
Rien à voir, la subvention c’est de l’argent-des-autres « généreusement offerts » par des gens qui n’en ont rien à battre. C’est la déconnexion entre le service rendu et son prix, et le fait que ça ne coute rien à la personne qui fait ce « cadeau » ni celle qui en profite qui est mortelle.
FabriceM: « d’utiliser les bénévoles/adhérents pour aller récupérer de l’argent par X ou Y biais. »
Au contraire, un peuple qui ne se rend plus compte qu’un service coute forcément à quelqu’un est foutu.
Ce mythe du « gratuit » et de l’argent maudit est mortel pour la France.
On ne dira jamais assez les vertus de l’association libre. Comme tu dis, la société libre ce n’est pas l’égoïsme fondamental, la désolidarisation et l’isolement, c’est justement l’inverse, c’est l’association, mais libre, c’est a dire sur les sujets que l’on souhaite et avec les gens avec lesquels on a envie de s’associer.
La société étatisée, c’est l’association forcée de chacun avec tout le monde et sur tous les sujets.
La première formule donne lieu à une infinité d’associations tres diverses répondant de manière tres fine aux différents besoins des individus.
La deuxième coûte tres cher, ne permet pas la personnalisation, et cause plus de problèmes quelle n’en resoud.
Vive l’association libre!
Merci pour cet article sur une institution passionnante, qui a sauvé plusieurs de mes amis. Nul doute qu’elle est honnête, intelligente et efficace. Certes, elle tend à provoquer une « addiction aux IA » chez les gens qu’elle libère de leurs addictions, mais c’est une constante des obsessions : il semble presque impossible d’y échapper dans tomber dans d’autres obsessions – ce qui n’a rien de grave, du moment que les nouvelles sont intrinsèquement meilleures que les anciennes.
Cependant, pour compléter votre propos, j’ajouterai que la dimension religieuse est indissociable de la réussite des IA. La création et le développement de ce réseau tiennent beaucoup aux trois vertus centrales du christianisme : foi, espérance et charité.
Les IA qui échouent sont très souvent ceux qui tiennent absolument à rester athées, qui refusent la part de croyance de confiance en la croyance, nécessaires à l’intégration de la philosophie IA. L’espérance, qui permet de surmonter les épreuves considérables du sevrage. Et la charité, qui permet de vivre la libération à travers l’attention maximale portée à l’autre, bien au-delà de la simple générosité associative.
Bref, c’est pas pour les lecteurs d’Ayn Rand. 🙂
Erratum
« la part de croyance, de confiance en la croyance, nécessaire »
Pardon, dans mon message, il faut remplacer « AI » par « AA ».
Je me demandais ce que venaient faire les IA la dedans. (Hal 2000 inside?)
Pour l’addiction: les personnes alcooliques ont souvent un problème affectif, peut-être retrouvent-t-elles une sorte de « famille » ou en tous cas un groupe social avec qui nouer des relations.
Souffrir ensemble est beaucoup plus simple que de souffrir seul, aussi.
@ pascal et llmryn: vous avez tous les 2 raison, une nouvelle famille: un nouvel objet de dépendance et puis souffrir ensemble de manière ritualisée, partager son fardeau pour que celui-ci soit moins lourd à porter.
Mais ce genre de programme déplace le pb à un autre objet : l’alcool à un groupe d’individu. La dépendance physique est simple et rapide à éradiquer c’est la dépendance psychique qui pose pb. La référence ds l’article, aux thérapies cognitives, pourraient être approfondies. D’abord parce qu’il s’agit de thérapies cognitivo-comportementales et que celles-ci sont + ou -longues, le but étant que l’alcoolique comprenne/accepte sa dépendance pour ensuite l’abandonner. Ensuite parce qu’il s’agit de suivi individuel et en groupe.
L’allusion à Jung, arfhh, vous allez me faire faire des cauchemars sous forme de mandalas!
Un groupe, ça ne tue pas. Il y a donc progrès.
Si on tue le père ds un groupe… Sans rire, la véracité de votre affirmation reste à démontrer, dans un contexte de dépendance, j’entends.
À ma connaissance, mieux vaut appartenir aux AA qu’à l’alcool.
Et quelles sont vos connaissances en la matière?
Mathilde de St Amour: « un nouvel objet de dépendance »
Nous sommes des animaux sociaux. Donc la dépendance a un groupe (mon sectaire) comme élément négatif, moui. Que ce soit l’amicale des philatélistes ou celui des alcoolos l’important c’est que la personne y trouve son compte.
Je ne sais pas quel sont les stats mais il me semble qu’a part de rares cas de gens qui trouvent une raison de vivre dans le groupe et s’y impliquent comme animateur ou gestionnaire les autres n’aiment pas spécialement fréquenter le milieux de leur ancienne addiction sur le long terme.
Message personnel pour Pascal. J’avais adoré vos textes il y a 2 ans. Je ne les avais pas sauvegardés.
Est-il possible d’en avoir copie? wakrap@gmailcom
@ llmryn: mais je pense qu’au fond nous sommes d’accord, je trouve qu’en soit les AA sont une initiative qui fonctionne bien et puis elle ne me pose pas de pb. C’est comme si les alcooliques participaient à un groupe de prière. L’homme appartient à des groupes, si il en a conscience alors ce n’est pas « mauvais », par contre la dépendance à un objet ( groupe, personne, alcool, drogue…) est source de souffrance.
La dépendance physique est traitable par d’autres moyens que l’abstinence qui peut paraître violente, nous pouvons parler de désensibilisation, et l’idée de diaboliser l’alcool n’est pas une idée géniale, vous en conviendrez.
Je n’ai pas dit que la participation à un groupe n’est pas bon, mais elle ne doit pas être comprise comme le Moyen du soin, mais un accompagnement ( partage, lien social, réadaptation, feed-back positif, tout ça avec bcp d’empathie et d’authenticité!)
Je dis juste que dans l’article nous sentons l’attachement de l’auteur à ce système, peut être parce qu’il y retrouve des leviers libéraux et que cela lui permet de nous dire que des associations de personnes dans un but « bon » est fait dans la réalité, donc possible partout dans un monde meilleur, je suis d’accord.
Mathilde de St Amour: « je pense qu’au fond nous sommes d’accord »
Tout a fait, et vous avez un très joli pseudo en plus
Merci, il s’agit de mon prénom suivi d’un morceau de mon nom de famille. J’explique: dans ma campagne, il y a quelques années, vu le nombre d’enfant et la co-sanguinité, les hommes se retrouvaient avec le même nom et même prénom. Donc pour ne pas les confondre on accolait au nom de famille le lieu-dit d’habitation: de St Amour 🙂
AA c’est quand même un peu une bande de gentils « hygiénistes illuminés ». Je conseille vivement à toute personne qui a un problème avec l’alcool de n’aller chez eux que comme ultime recours.
De plus les AA ne sont pas totalement indépendant de l’Etat : aux USA par exemple il est très courant que soit imposé une obligation de « soin » en cas de conduite en état d’ivresse ou autre délit lié à l’alcool, et cela passe souvent par les AA. Et ce n’est là qu’une nombreuses des manières dont les AA sont sponsorisé par l’Etat : http://reason.com/archives/1991/11/01/aa-abuse (l’article date un peu mais reste fondamentalement valable). En réalité, sans ce rapprochement avec l’Etat américain, les AA seraient resté un mouvement assez marginal.
Pourquoi « hygiénistes illuminés » ?
Je dois d’abord souligner que les AA sont très décentralisé, et donc que ce que je vais dire est simplement une généralité. Ensuite notez bien que je ne suis pas anti-AA, je veux simplement faire contrepoint à l’article élogieux.
Pour l’hygiénisme il suffit de rappeler qu’ils défendent l’abstinence totale et définitive comme seule solution pour tous les alcooliques. L’idée qu’un ancien alcoolique (concept qui n’existe même pas pour les AA) ne pourra jamais reboire avec modération n’a aucune base scientifique sérieuse, même si ce discours est désormais repris par les médecins. Et ce n’est qu’un des moyens qu’utilisent les AA pour diaboliser l’alcool.
Pour le caractère illuminé, et bien il suffit de lire les « douze étapes », ou pire encore les « douze traditions ». Rien que les titres sont déjà surréalistes.
Arn0: « Pour le caractère illuminé, et bien il suffit de lire les « douze étapes », ou pire encore les « douze traditions ». Rien que les titres sont déjà surréalistes. »
La mystique et le rituel sont de puissants vecteurs de persuasion. Sans excuser cette pratique (qui ne me sied pas non plus) son origine est peut-être à chercher la dedans ?
« Hygiéniste illuminé » illustre bien comme expression l’attitude condescendante des experts à son endroit. Concernant la dépendance à l’État mentionné, la fréquentation des AA par ordonnance de cour est marginale, même si elle est réelle.
« Illuminé », ok, je vois bien la condescendance de l’athée militant. Mais « hygiéniste » ? Ils font des ablutions, les AA ?
Bien sûr, au même titre que les indigènes aux confins de la civilisation se livraient à toutes sortes de pratiques barbares.
Je ne savais pas que j’étais un expert de l’alcoolisme (!), ou un athée « militant ». (Et après c’est moins qui suis condescendant).
Je trouve cela très bien qu’un groupe religieux s’entraide, et je n’ai rien contre le fait d’utiliser la spiritualité pour lutter contre un problème, ni contre le fait de placer sa confiance en une « force supérieure » (même les athées le font en réalité, c’est très humain).
Le coté illuminé faisait plus référence aux codes et aux rites, un peu comme les livres de bonne femme sur « les sept étapes pour être heureuse » et autre idiotie du même genre. Je faisais aussi référence à l’idée de problème à vie, qui implique qu’on est jamais censé quitter les AA.
Il n’y a pas de religiosité sans rites, ni sans textes résumant la foi, ni sans objets la symbolisant. La religion détachée de toute forme de religiosité visible n’existe pas. Dix commandements, quatre évangiles, sept péchés capitaux, trois vertus théologales, etc. Ainsi va la croyance. Si le libéralisme se réfère à Thomas d’Aquin, il doit accepter le fait que Thomas d’Aquin priait à genoux, se confessait fiévreusement, avait peur de l’Enfer, et commettait tout un tas d’actions risibles aux yeux de l’athée, mais sans lesquelles la pensée de Thomas d’Aquin n’aurait jamais été ce qu’elle a été.
De plus, quand on voit l’idolâtrie dont Ayn Rand fait l’objet de nos jours, on se dit que le libéralisme athée serait bien inspiré de ne pas ricaner trop vite. 😀
Je ne suis pas vraiment fan d’Ayn Rand, pour dire les choses gentiment. Vous êtes vraiment mal tombé.
Pour le reste je n’ai rien contre les rites religieux, mais ici il ne s’agit pas de cela. Ce ne serait pas même un peu blasphématoire de singer la religion dans un but aussi profane que d’arrêter de boire ? Comme dirait un célèbre athée militant : « Tu n’évoqueras pas le nom du seigneur en vain ».
Je ne suis pas AA. Et je ne pourrais pas l’être, car je suis catholique : j’y verrais un genre d’hérésie. Mais je constate, pour en avoir parlé avec des amis AA, que la religiosité de cette association est essentielle à son efficacité.
(Félicitations, au fait. Ne pas être fan d’Ayn Rand, c’est être libre d’Ayn Rand. 😀 )
@Arn0.
Vous voulez dire : « tu n’invoqueras pas le nom du Seigneur en vin » ?
Ce que tu appelles idioties est une sorte d’ethnocentrisme. Penser que la psychè se ramène à un conflit libidinal contre son père pour assouvir des pulsions sur sa mère a les allures d’une idiotie et, pourtant, cela a été pris au sérieux par pas mal de diplômé. User de la notion de « rites » avec mépris exprime bien mon point. Qu’est-ce qu’un « rite » ? C’est l’équivalent du mot « nègre » appliqué à une coutume jugée « arriérée ». Bien sûr, les civilisés n’ont pas de « rites », eux, ils n’ont que des coutumes.
« Concernant la dépendance à l’État mentionné, la fréquentation des AA par ordonnance de cour est marginale, même si elle est réelle. »
Ce n’était qu’un exemple, lisez donc l’article.
Bon puisque je ne sais que vous ne ferrez pas l’effort de lire l’article, je me contente d’en cité un passage. Voila le genre de chose que font ces merveilleux AA « intrinsèquement relié à une philosophie libérale » :
« Marie R., for example, is a stable, married woman in her 50s. One evening she drove after drinking beyond the legal limit and was apprehended in a police spot check. Like most drunk drivers, Marie did not meet the criteria for alcoholism, which include routine loss of control. (Research by Kayle Fillmore and Dennis Kelso of the University of California has found that most people arrested for drunk driving are able to moderate their drinking.)
Marie admitted that she deserved to be penalized. Nonetheless, she was shocked when she learned that she faced a one-year license suspension. Although irresponsible, her carelessness was not as serious as the recklessness of a DWI whose driving clearly endangers others. Such disproportionate sentences push all but the most stubborn DWIs to accept “treatment” instead; indeed, this may be their purpose. Like most offenders, Marie though treatment was preferable, even though she had to pay $500 for it.
Marie’s treatment consisted of weekly counseling sessions, plus weekly A.A. meetings, for more than four months. Contrary to their initial expectations, she found the experience “the most physically and emotionally draining ordeal of my life.” At A.A. meetings, Marie listened to ceaseless stories of suffering and degradation, stories replete with phrases like “descent into hell” and “I got down my knees and prayed to a higher power.” For Marie, A.A. was akin to a fundamentalist revival meeting.
In the counseling program provided by a private licensee to the state, Marie received the same A.A. indoctrination and met with counselors whose only qualification was membership in A.A. These true believers told all the DWIs that they had the permanent “disease” of alcoholism, the only cure for which was lifetime abstinence and A.A. membership – all this based on one drunk-driving arrest!
In keeping with the self-righteous, evangelistic spirit of the program, any objection to its requirements was treated as “denial.” The program’s dictates extended into Marie’s private life: She was told to abstain from all alcohol during “treatment,” a proscription enforced by the threat of urinalysis. As Marie found her entire life controlled by the program, she concluded that “the power these people attempt to wield is to compensate for the lack of power within themselves.”
Money was a regular topic at the sessions, and counselors constantly reminded group members to keep up their payments. But the state picked up the tab for those who claimed they could not afford the $500 fee. Meanwhile, members of the group who had serious emotional problems searched vainly for competent professional counseling. One night, a woman said she felt suicidal. The group counselor instructed her, “Pray to a higher power.” The woman dragged on through the meetings with no apparent improvement.
In lieu of real counseling, Marie and the others were forced to participate in a religious ritual. Marie became preoccupied by “the moral, ethical, and legal issue of coercing citizens into accepting dogma which they find offensive.” Having had only a vague idea of the A.A. program, she was astonished to discover that “God” and a “higher power” are mentioned in half of A.A.’s 12 steps. For Marie, the third step said it all: “Made a decision to turn our will and our lives over to the care of God.” Like many, Marie was not consoled that it was God “as we understood him.”
She wrote in her diary: “I keep reminding myself that this is America. I find it unconscionable that the criminal justice system has the power to coerce American citizens to accept ideas that are anathema to them. It is as if I were a citizen of a totalitarian regime being punished for political dissent. »
Je peux te fournir une argumentation par témoignages aussi horrifiante venant de l’État. Il ne s’agit pas de comparer les AA à la perfection, mais aux autres options et s’il y avait vraiment une culture propice à ce genre d’alternative, il y aurait des alternatives au AA. Tu dois aussi prendre en compte l’ensemble et non des anecdotes.
Mais je n’ai rien contre les AA en soi, et je n’ai pas besoin de témoignages horrifiant venant de l’Etat (pas besoin de me convaincre des méfaits de l’Etat !).
Ce qui me dérange c’est l’hagiographie, et bien plus encore ce besoin de faire référence au libéralisme à tort et à travers. Défendez les AA autant que vous voulez, mais ne vous sentez pas obligé d’enrôler les libéraux sous votre bannière.
Arn0: « Défendez les AA autant que vous voulez, mais ne vous sentez pas obligé d’enrôler les libéraux sous votre bannière. »
La défense des AA n’est pas le but de l’article et les libéraux ne sont pas enrôlés à ce titre.
Mauvaise lecture ?
« La défense des AA n’est pas le but de l’article et les libéraux ne sont pas enrôlés à ce titre.
Mauvaise lecture ? »
Effectivement : en fait c’est une dénonciation des AA niant tous liens entre ce genre d’activité et la philosophie libérale. Au temps pour moi.
Arn0: « Effectivement : en fait c’est une dénonciation des AA niant tous liens entre ce genre d’activité et la philosophie libérale. Au temps pour moi. »
Non plus. Essaie encore.
Je n’ai pas besoin de me fier à l’article pour évaluer le rôle de l’État, j’ai suivi dans ma vie plusieurs centaines de membres AA. La dépendance joue souvent en sens inverse, les AA devenant littéralement le point d’aboutissement que les institutions étatiques usent pour sous-traiter ce qu’elles ne sont pas en mesure de faire.
Les AA ont été fondés en s’inspirant largement de la philosophie de C.G. Jung.
De là, le rapport à la religiosité et le rituel mystique que Jung considérait être la meilleure manière naturelle à l’homme de résister à la dépendance… et à la dictature de la collectivité. Pas la seule.
D’origine protestante, lui-même se voyait sans doute plutôt agnostique, mais regrettait fort la disparition des rituels catholiques chez les religieux évangélistes.
Le rituel mystique serait plutôt à l’opposé de l’hygiène…
« Le rituel mystique serait plutôt à l’opposé de l’hygiène… »
D’abord par hygiéniste je ne fait pas référence aux microbes, mais à l’obsession de la vie « saine ». Cela se traduit chez les AA par l’idée que pour lutter contre l’alcoolisme il faut s’astreindre à l’abstinence totale et définitive.
Historiquement le mouvement « hygiéniste » aux USA (pour la « tempérance », contre le tabac, pour l’eugénisme…) est intimement lié à un certain mysticisme protestant. Rothbard appelait cela le « pietisme », et c’est par exemple à eux que l’on doit la prohibition. Les AA s’inscrivent clairement dans cette tradition, à la différence (très noble) qu’ils ne font pas de politique.
« l’idée que pour lutter contre l’alcoolisme il faut s’astreindre à l’abstinence totale et définitive »
Cette idée est confirmée par les médecins et les psychiatres spécialistes de l’alcoolisme et des drogues. Ça n’a rien à voir avec l’obsession de la vie « saine », mais avec la réactivation de tous les réflexes de l’addiction à la moindre reprise de la substance.
Sauf que c’est… largement faux. Contrairement à ce que laisse penser cet article les AA et les « experts » ont de nombreux point commun, et notamment la défense acharnée de cette notion de dépendance définitive qui n’a aucune base scientifique réelle dans la grande majorité des cas d’alcoolisme.
https://www.sciencenews.org/article/addiction-paradox
Au passage je tiens à préciser que pour moi la grande majorité de la psychiatrie est de la pseudo-science, et que la plupart des psychiatres sont au moins aussi illuminés que les AA (comme quoi ce n’est pas une question de religion).
Donc l’argument d’autorité « les psychiatres confirment que », il ne vaut rien pour moi. Pas plus en tout cas que l’avis des acupuncteurs.
Arn0, je suis d’accord avec toi sur le fait que les AA ne sont pas forcément libéraux, mais comme mentionné dans une réplique, ce n’était pas le but de l’article. Une société libérale n’implique pas que les individus ou associations d’individus le soient, mais qu’ils soient libre d’explorer leur solution et responsable d’en assumer les conséquences. Le point est que les AA constitue un exemple d’initiative spontané d’individus hors du cadre de contrôle centralisé de l’État et c’est ça qui est typique d’une société libérale. Je préférerais personnellement que des alternatives plus saines selon mes valeurs viennent entrer en compétition avec les AA, mais je m’oppose à ce que des experts gouvernementaux viennent réglementer l’aide aux alcooliques en disant que seul des gens ayant été certifié comme usant d’une méthode « scientifique » ont le droit de le faire, ce qui est le cas actuellement au Québec. Il y a eu quantité de thérapie privée d’initiative AA qui ont été fermé pour cette raison en invoquant les raisons que tu mentionnes et c’est ça qui ne m’apparaît pas très libéral.
« Au passage je tiens à préciser que pour moi la grande majorité de la psychiatrie est de la pseudo-science, et que la plupart des psychiatres sont au moins aussi illuminés que les AA (comme quoi ce n’est pas une question de religion). »
Mais rien n’a d’autorité pour toi. Donc, crée ton propre monde, et dirige-le.
Excellent article qui illustre très bien le piège fallacieux dans lequel tombent trop souvent les experts soutenus par l’autorité publique, un phénomène dénoncé en 1972 par Hayek dans son discours d’acceptation du Nobel d’économie, puis par Thomas Sowell dans « La vision des Oints du Seigneur ».