Europe, pourquoi les marchés se trompent

Les rendements des bons du Trésor des pays fragilisés sont trop faibles. Ils vont grimper à nouveau des qu’il sera clair, pour les investisseurs, que ces pays ne sont pas sortis de leur crise économique

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Europe, pourquoi les marchés se trompent

Publié le 19 avril 2014
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Par Alex Korbel.

europeEn économie, il existe quelques principes qui sont presque gravés dans le marbre : si l’offre augmente, les prix baissent ;  si vous consommez plus, vous ne pouvez que moins épargner ; si vous voulez obtenir des rendements plus élevés sur vos investissements, vous devez être prêt à accepter un risque plus élevé.

En observant l’économie européenne, et plus précisément les rendements des bons du Trésor des États membres de la zone euro, il semble que la dernière de ces propositions ne soit guère pertinente. En effet, alors même que la dette publique des pays européens fragilisés devient un investissement plus risqué, les rendements sur investissements sont en baisse.

Angela, Matteo et Antónis

Ainsi, au cours des trois dernières années, les rendements des bons du Trésor à 10 ans ont culminé à 36% pour la Grèce, 15% pour le Portugal et environ 7% pour l’Espagne et l’Italie.

Aujourd’hui, ces rendements sont en baisse : environ 7,5% pour la Grèce, 5% pour le Portugal, environ 3,5% pour l’Espagne et l’Italie. À titre de comparaison, sur la même période de trois ans, les rendements allemands ont fluctué de 1,2% à 2,1%.

Cette évolution des rendements des bons du Trésor des pays européens fragilisés est surprenante pour deux raisons.

Tout d’abord, alors que les rendements ont fortement baissé, le niveau de la dette publique des pays en question a augmenté. En Italie, par exemple, le ratio de dette publique par rapport au PIB a augmenté de 120% en 2012 à plus de 130% aujourd’hui. Toutes choses égales par ailleurs, cette hausse du ratio de dette publique aurait dû rendre plus risqués les bons du Trésor italiens. Les investisseurs auraient donc dû exiger un meilleur rendement.

Mais il faut aussi souligner que cette baisse des rendements des bons du Trésor des pays fragilisés signifie aussi que les obligations italiennes ou espagnoles sont vues comme seulement un peu plus risquées que les investissements dans la dette de l’État allemand.

Cela a une certaine logique. Alors que la Banque centrale européenne (BCE) peut être capable de renflouer un « petit » État comme la Grèce, le niveau d’endettement en valeur de l’Espagne ou de l’Italie serait certainement trop important pour la BCE. Même si la BCE était techniquement et juridiquement capable de renflouer l’État italien, politiquement, ce serait une toute autre histoire.

Sans le soutien de la BCE, les rendements des bons du Trésor des pays fragilisés de la zone euro auraient augmenté et non baissé.

Au-delà du niveau de dette publique, des économies toujours structurellement fragiles

En février 2014, le Centrum für Europäische Politik (CEP) a publié son nouveau Default Index évaluant la probabilité d’un défaut souverain chez les États membres de la zone euro. Cet indice est particulièrement intéressant car il ne tient pas seulement compte du niveau de la dette publique, mais aussi de la santé générale de l’économie, de sa capacité à générer de la croissance économique et de sa dépendance envers les fonds étrangers.

À la lecture de cet index, force est de constater que les économies européennes fragilisées ne montrent aucun signe d’amélioration. Pire, la trajectoire de ces économies reste préoccupante, y compris lorsqu’elles ont réussi à réduire leurs importations de capitaux.

La Grèce est un cas d’espèce. Au lieu de réduire ses dépenses de consommation, la Grèce a diminué son capital. Cela réduit la capacité de la Grèce à générer de la croissance économique dans l’avenir. Par conséquent, même en réduisant sa dépendance envers ces importations de capitaux, la position générale de la Grèce se détériore davantage. Le rapport du CEP conclut donc que l’on ne peut pas envisager que la Grèce redevienne solvable à moyen terme.

Les situations italienne et portugaise sont moins mauvaises, mais toujours préoccupantes. Dans les deux pays, le capital s’est érodé à cause de l’investissement net négatif. Par exemple, le ratio de consommation italien s’élève à 101,6%, ce qui n’est ni sain ni durable.

L’index du CEP conclut donc que l’Italie, la Grèce et le Portugal souffrent toujours de la dégradation de leur solvabilité. Il est un peu plus optimiste concernant l’Espagne mais souligne que l’État espagnol a encore beaucoup de réformes structurelles à réaliser s’il veut réduire le fardeau de la dette publique et le chômage de masse.

Si l’on prend du recul, le paradoxe devient évident. Les membres fragilisés de la zone euro voient leur dette publique augmenter et n’ont toujours pas créé les conditions nécessaires pour une reprise durable. Dans le même temps, les marchés financiers jugent apparemment que leur risque de défaut souverain n’est pas aussi élevé  qu’on le croyait il y a quelques années.

Angela, financièrement à l’aise, emprunte à 2% ; Matteo, en situation préoccupante, emprunte à 4% ; Antónis, en situation alarmante, emprunte à seulement 8%.

Comment expliquer ce paradoxe ?

Ce ne serait pas la première occasion où les marchés évaluent mal le risque de défaut souverain des pays membres de la zone euro.

Juste après l’introduction de la monnaie unique, les rendements des bons du Trésor des pays de la zone euro ont convergé vers les niveaux allemands. Le simple fait que ces pays partageaient soudain la même devise a conduit les investisseurs à agir comme s’ils estimaient que leurs risques de défaut souverain étaient identiques. C’était une erreur, comme on a pu le constater depuis le début de la crise des dettes publiques de la zone euro.

Le même processus de convergence des rendements est de nouveau à l’œuvre. Aujourd’hui comme hier, il n’y a pas de bonnes raisons de partager cet optimisme.

Si, comme l’a dit George Soros, la crise de l’euro n’est pas terminée, elle est seulement en attente. Les rendements des bons du Trésor des pays fragilisés sont donc trop faibles.

Ils vont grimper à nouveau dès qu’il sera clair, pour les investisseurs, que ces pays ne sont pas sortis de leur crise économique, que la BCE n’est toujours pas capable de les sauver et que le noyau de la zone euro n’est pas assez fort pour les renflouer.

Voici, sous la forme d’un truisme, un autre principe économique : si quelque chose ne peut pas durer éternellement, il cesse un jour d’exister.


Publié initialement par 24hGold.

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  • Les taux actuels ne sont pas le résultat d’une évaluation par les marchés, mais du travail de canalisation et d’épandage des liquidités par la BCE. Le jour où la BCE ne pourra plus décemment continuer sans pénaliser ses mandants, ils rejoindront les vrais niveaux de l’évaluation par les marchés. Pour le moment, nous vivons dans un régime de taux administrés.

    • Et puis il faut aussi arrêter avec les pays en difficulté structurellement. Aujourd’hui, structurellement, j’ai plus confiance dans la Grèce, l’Espagne, le Portugal ou l’Italie, qu’en la France. Parce qu’ils ont énormément de chômage (enfin en Italie ça se discute par rapport à nous…), et souvent de gros déficits. Mais avec une politique économique interessante, la baisse drastique de leurs dépenses leur permettra de vite remonter.

      Alors que nous… Non seulement on a une politique fiscale intenable, mais en plus nos dépenses ne cessent d’augmenter. Et plus elles augmenteront plus nos efforts seront vains.
      Aujourd’hui, structurellement, l’Espagne est plus proche de sortir la tête de l’eau que la France, qui est sclérosée et ne connait plus aucune dynamique, ni bonne ni mauvaise, elle est juste figée. Et quand on se fige, on fini par couler inexorablement. On a plus aucune inertie, et faire redémarrer un pays qui ne bouge plus, c’est compliqué. Aujourd’hui, le trompe l’oeil, c’est la mansuétude crasse de l’UE qui ne joue pas son rôle et laisse nos dirigeants nous embourber sans jamais sourciller.

      Le fait est qu’aujourd’hui Matteo prend les mesures structurelles qui s’imposent pour redonner de l’avenir à son pays. Le fait est que Antonis aussi. Le fait est que François non. Je crois que monsieur Corben devrait d’avantage s’inquiéter des problèmes structurels français qui n’ont aucune commune mesure avec les problèmes grecs ou même italiens. Même si nos clowns font diversions.

    • Le titre est en effet malvenu : les marchés ne se trompent pas, ils sont temporairement faussés par des interventions exorbitantes. Et parce que, à la fin de l’histoire, les marchés ne se trompent pas, le retour au réel sera violent.

      La BCE, comme les autres BC d’ailleurs, ont mis en jeu leur crédibilité pour sauver les Etats obèses en fin de vie, dans un vigoureux saut de l’ange artistiquement coordonné au dessus du gouffre. S’impliquer dans la déviance des Adipeux Providentiels était la pire solution qu’on pouvait imaginer avant la crise. Mais maintenant que, malgré les avertissements, la pire des solutions a été choisie, maintenant que les engagements sont pris, ce sera très douloureux. On aurait pu sortir de la crise en douceur avec une banale déflation des actifs publics, on aura droit aux défauts en chaîne. Ceci dit, la BCE fait figure d’exception car elle n’a pas fait le pas de trop, malgré les récentes déclarations d’intention de Super Mario qui, sous la pression des Obèses (et de leurs représentants internationaux comme le FMI), résiste encore et gagne du temps.

  • commentaire que j’avais poste hier ailleurs:

    si les taux obligataires en Europe sont si bas, comme par exemple la Grece qui a recemment emprunte a 5% (!), l’espagne et l’italie qui ont des taux au plus bas depuis la crise, ce n’est pas parce que les marches dorment. C’est parce que la repression financiere en Europe dirige les investissements vers la dette publique. BCE, ratios de Bales, reglementations nationales des banques et assurances, tout est fait pour que les principaux acteurs financiers achetent des obligations d’Etat, en suppriment le rendement pour l’investisseur et donc le cout pour l’emprunteur.

    • et alors pas d’accord avec l’article, qui dit que les marches evaluent mal le risque. Les marches etant manipules, ils n’evaluent rien, ils ne font que refleter la repression financiere a l’oeuvre en Europe.

  • Je serais currieux de savoir qui achête des bons du trésor et dans quelles proportions (sans peut-être trop le savoir) ?

    Les banques, les fonds de pensions, les assureurs risques, les fonds euros des assurances vie, la CDC, les Chinois, les Japonais ? Quelqu’un a une idée ?

  • Chaque fois que les états interviennent sur les mécanisme du marché celui ci fonctionne moins bien. Ce qui apparaît comme une mauvaise évaluation des marché est en fait une réaction à l’intervention étatique. Quand ont sais en plus le niveau de connivence entre les états et les banques il n’est pas très difficile de comprendre pourquoi les « investisseurs » agissent ainsi. Ils savent que lorsque la situation se tendra de nouveau les états n’hésiteront pas à voler leur peuple (chyprage) pour compenser les pertes des banques. Les risques sont donc en définitives assez bas effectivement…

  • Bonsoir,

    Il est difficile de voir le bout du tunnel dans la zone euro. D’une part, le ratio dette publique / PIB ne cesse d’augmenter dans les pays du Sud y compris la France. D’autre part, si la BCE fait son QE il faudra se poser la question du type d’actif qu’elle va racheter. Personnellement, je pense qu’il y aura une guerre en interne entre les pays du Sud + France et les pays du Nord avec l’Allemagne, concernant le privilège de cette opération déjà anticipée par les marchés financiers.

    En attendant, je ne pense pas que la BCE va passer à l’action dès le moi de mai à cause des élections européennes.

    Cordialement,

    Sovanna SEK de GenY Finances.
    http://geny-finances.blogspot.com

  • L’inflation générée par les banques centrales décridibilisées va se rediriger vers les matières premières (surtout l’or) mais cela pas avant une dernière période d’euphorie qui permettra de liquider les actifs désormais pourris.

    Georges Soros a raison : la crise européénne est en attente, c’est à dire que les investisseurs avisés attendent le bon moment pour retirer leurs avoirs des marchés

  • J’ai entendu un Minustre, je pense que c’était Sapin, expliquer à la téloche que si on maintenait le déficit sous la limite magique de 3 %, l’endettement baissait.

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