Par Stéphane Montabert, depuis Renens, Suisse.
Le 18 mai les citoyens suisses seront amenés à se prononcer sur l’initiative « Pour la protection des salaires équitables », également appelée initiative sur les salaires minimums. Soutenue par les partis politiques de gauche et les syndicats, cette initiative établit par voie constitutionnelle un salaire minimum de 22 francs de l’heure partout en Suisse, quel que soit le secteur économique et le niveau de qualification de l’employé.
Les maux relatifs à l’introduction d’un salaire minimum sont bien connus :
- obstacle à l’embauche, en particulier des jeunes, donc chômage ;
- nivellement des salaires par le bas ;
- délocalisations vers des pays à coût de main-d’œuvre moins élevé ;
- travail au noir ;
- hausse des prix ;
- immixtion de l’État dans la politique salariale des entreprises ;
- affaiblissement de la représentativité syndicale, puisque l’évolution du salaire minimum se décide désormais dans l’arène politique.
Tous ces effets pervers ne sont certes pas recherchés par les partisans d’un salaire minimum légal, mais sont relativement logiques et ont pu être observés à de nombreuses reprises partout où pareille mesure a été introduite. D’où la variante d’une plaisanterie connue :
— Bonjour chef ! Comment ça va ce matin ?
— Couci-couça… J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle…
— La bonne ?
— Suite à la votation, il y a maintenant un salaire minimum en Suisse, plus élevé que ce que tu touches actuellement…
— Super ! Et la mauvaise ?
— On n’a pas les moyens de te payer autant. Tu es licencié.
Quand on parle de salaire minimum, le fameux SMIC français vient tout de suite en tête. Ses effets pervers sur le chômage des plus faibles (jeunes, immigrés, femmes) n’est plus à démontrer.
Dans un marché du travail libre, un individu faiblement coté parce qu’il n’a pas de formation adéquate ou débute sur le marché du travail par exemple peut parvenir à trouver un emploi, fut-il mal payé. Un salaire modeste n’est pas dramatique en début de carrière s’il permet d’acquérir une expérience professionnelle permettant ensuite de décrocher de nouveaux postes mieux rémunérés. On peut discuter longtemps de ce qui constitue un salaire abusivement bas, mais peu de gens clameront qu’il est préférable d’être sans emploi.
En France, à cause du SMIC, les jeunes doivent lutter pendant des années de précarité et de chômage avant d’avoir enfin accès, peut-être, à un emploi à durée indéterminée. Le SMIC est une terrible barrière à l’embauche. Il apporte peut-être un salaire décent à quelques-uns, mais force surtout les autres, des dizaines de milliers de jeunes, à des années de vie professionnelle faites de stages bidon, de travail au noir et de chômage à la charge de la collectivité.
Naturellement, les effets délétères du salaire minimum dépendent de son niveau. De nombreux pays, comme le Royaume-Uni ou les États-Unis, disposent d’un salaire minimum assez faible, voire symbolique, qui n’a que peu d’effet sur la marche de l’économie. Il en est tout autrement du SMIC français, situé à 60 % du salaire médian local et constamment renégocié à la hausse sur des critères politiques.
À 4000 francs par mois, le projet de salaire minimum suisse est encore plus élevé. En valeur relative, celui-ci se place à 64 % du salaire médian helvétique, soit au-delà de son équivalent français. En valeur absolue, il sera le plus haut d’Europe.
Même en ramenant ces chiffres à parité égale de pouvoir d’achat (puisque tout est plus cher en Suisse, ce qui ne va pas s’arranger !), la comparaison internationale est édifiante.
Les initiants clament que leur projet est sans équivalent avec le SMIC. Ils ont raison : ce sera pire.
Mais jusqu’ici, vous n’avez sans doute rien appris de nouveau, et pour une fois correctement informé, le peuple suisse a l’air de se méfier. Toutefois, la campagne sur le salaire minimum esquive joyeusement une question essentielle : pourquoi, maintenant, une initiative sur le salaire minimum ?
À la source de la démarche politique se trouve une bête histoire de calendrier.
Selon le programme, en février le peuple suisse aurait refusé l’initiative raciste/populiste/xénophobe de l’UDC (rayez les mentions inutiles) sur la libre circulation, avec une avance plus ou moins confortable. Dans la foulée, le peuple aurait approuvé un peu plus tard l’extension des accords de libre circulation à la Croatie. Les autorités compétentes auraient malgré tout exprimé leur inquiétude et leur écoute des préoccupations du peuple suite à la forte minorité rejetant la libre circulation en février ainsi que le vote pour la Croatie. Serait alors survenue à point nommé une initiative toute faite pour résoudre le défi de la sous-enchère salariale préoccupant tant les citoyens : le salaire minimum ! Problème réglé !
Malheureusement pour les brillants stratèges politiques, la population n’a pas suivi le script prévu. Tout est parti à vau-l’eau. Le peuple a approuvé l’initiative contre la libre circulation le 9 février. La votation sur la Croatie a disparu des écrans radars telle un serpent de mer. Reste l’initiative pour le salaire minimum qu’il faut bien expédier, la mort dans l’âme…
Vous aurez peut-être du mal à y croire, mais l’initiative pour le salaire minimum est vraiment la réponse de la gauche à la problématique de la libre circulation, de la concurrence étrangère et de la sous-enchère salariale. Ces gens croient sincèrement que si tout le monde touche le salaire minimum, il n’y aura plus besoin de faire venir des travailleurs de l’étranger et tout le monde sera content !
Malgré les conventions collectives, la sous-enchère salariale est aujourd’hui déjà un problème rampant sur les chantiers (y compris sur des chantiers publics, ce qui ne manque pas de sel), en dépit de toute la bureaucratie et des contrôles pour l’empêcher. Et nos indécrottables ingénieurs sociaux de la gauche et des syndicats pensent qu’en généralisant un salaire minimum plus élevé que le salaire moyen d’un cadre français la pression étrangère va s’amenuiser ? Ce n’est plus de l’incompétence, c’est de la rage !
Le salaire minimum suisse à 4000 francs mensuels brillera comme un étendard aux yeux de tous les malheureux chômeurs de l’Union européenne, et ils sont nombreux, les invitant à venir tenter leur chance en Suisse, ce si beau pays où le moindre manutentionnaire gagne davantage qu’un directeur dans leur pays. Bien sûr les places seront chères et il n’y en aura pas pour tout le monde, les candidats se contenteront souvent d’un pis-aller au noir ou en trichant sur un temps partiel…
Le jeune Suisse, lui, verra les portes se refermer les unes après les autres lorsqu’il cherchera du travail : trop cher, pas assez expérimenté. Pourquoi prendre le risque d’un employé junior suisse lorsque le salaire minimum attirera des experts incroyables depuis un bassin de cinq cent millions d’habitants où l’emploi est en crise ? On est en droit de se demander quelle mouche a piqué les syndicats pour oser lancer une initiative pareille – non pas que l’idée d’un salaire minimum soit impensable en soi, mais le niveau choisi est proprement délirant.
Bien sûr, les politiciens ont l’habitude de créer des problèmes et ensuite d’autres problèmes pour les résoudre. Ici, on imagine sans peine le deuxième temps avec ses escouades d’inspecteurs du travail et autres fonctionnaires recrutés pour surveiller toutes les entreprises à portée de tir pour s’assurer qu’elles appliquent bien le salaire minimum dans la lettre et dans l’esprit ; ou le plaisir des politiciens et leurs lobbies syndicaux à discuter des hausses du salaire minimum dans les travées du Parlement.
Mais tout de même, ces rêves semblent se dessiner sur les cendres d’une économie helvétique ruinée par l’idéologie en butte au réel. Les hauts salaires ne se décrètent pas par la force du verbe, fut-il constitutionnel. Ici, on ne discute même plus d’ouvrir la boîte de Pandore d’un salaire minimum trop élevé ; on a décidé de l’ouvrir coûte que coûte, attaquant le coffre à la dynamite s’il le faut.
Les lendemains qui chantent ne se construisent pas à l’aide d’un salaire minimum arbitraire sorti du chapeau par une coterie de syndicalistes avides de revanche sur le patronat. Espérons que le peuple suisse s’en rappelle le 18 mai.
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Sur le web.
Expérience belge à méditer. Le pays dispose d’un système de « titres-services » permettant à des particuliers ou des associations de faire appel à de la main d’oeuvre – souvent ménagère – au prix net de 8,5 euros/heure, l’Etat ajoutant le complément pour que la rémunération ateigne les 15 euros nets.
Retenez donc que l’employeur devait payer 8,5 euros, soit loin des 22 euros suisses.
Cette année, l’Etat a décidé de majorer le titre-service pour l’employeur, et de le faire passer à 10 euros. Résultat immédiat : une chute de l’offre de travail de plus de 20 %, et la faillite de centaines de petites agences indépendantes qui coordonnaient les prestations !!!
En fait, tout travail a une valeur économique, et si on va au-dessus, on trouve facilement à s’en passer.
Pourquoi des expériences aussi nettes ne produisent-elles aucun effet dans le cerveau gauchiste ?
« Pourquoi des expériences aussi nettes ne produisent-elles aucun effet dans le cerveau gauchiste ? »
Car un cerveau gauchiste de base ne veut pas se soumettre au réel … (d’ou leur permanente contradiction ideologique en nageant dans le capitalisme)
Remarque: les gauchistes qui nous gouvernent en revanche sont tres conscient des mecanismes economiques de base (cf allègements de charges sur le smic) mais laissent leur base rever …
Vous vous trompez, il y a un effet très net : en France, le SMIC est élevé et disons-le, délirant, et résultat la gauche est au pouvoir et peut faire impunément ce qui sert ses copains. La conclusion est évidente, quand on a des copains.
C’est le cercle vicieux socialiste: Plus il y a de chômeurs, plus les travailleurs demandent la protection de l’État.
Le dialectique des socialistes (matraquée par l’école et la presse à leur main) leur permet donc de bénéficier de la misère tout en la multipliant, par bêtise ou par machiavélisme.
C’est pourquoi il faut se féliciter de la montée du FN, qui est la réponse du marché politique à cette spirale qui autrement eût été sans fin.
Le FN ne serait pas devenu socialiste ? On m’aurait menti ?
Euh, ils ont peut-être le cerveau lent en Suisse les gauchistes. Euh euh euh 🙄
A part la « lenteur » suisse, qui peut s’avérer être une qualité, quel que soit le sujet d’une initiative socialiste, la gauche est surtout tenace, elle ne lâche jamais le morceau et revient à la charge dès que possible… il y a déjà eu des votations sur le salaire minimum en novembre 2011 : http://www.rts.ch/info/suisse/3611170-salaire-minimum-non-a-geneve-oui-a-neuchatel.html
monsieur montabert,
travailleur frontalier à neuchâtel, je suis toujours avec beaucoup d’intérêt vos interventions ici.
pardonnez le hors sujet, mais je vous fais part de mon étonnement au sujet de la position de l’udc ici à neuchâtel concernant la prochaine votation sur les éoliennes dans le canton.
connaissant le coût très élevé de cette source d’énergie, son intermittence rédhibitoire, ses conséquences sur la fiscalité du canton pour équilibrer les coûts… j’ai la surprise de voir que l’udc soutient ces éoliennes ?
Sans connaitre la situation à Neuchatel, je pense que les défauts des éoliennes en général ne sont pas forcément applicables à un projet en particulier :
-L’intermittence n’est pas un problème si ce n’est pas la source d’énergie principale
-Le cout peut varier fortement selon le site et les technologies utilisées
Autant il est stupide de promouvoir massivement l’éolien au niveau national, autant, cela peut être acceptable de tester des projets au niveau local.
« -L’intermittence n’est pas un problème si ce n’est pas la source d’énergie principale »
l’intermittence est un gros problème si c’est la source d’énergie principale, c’est un petit problème si c’est une source d’énergie marginale, c’est vrai. il en ressort que c’est un problème qui ne peut aller que croissant quand on a de plus en plus d’intermittence.
donc au début, on a quelque chose qui fonctionne bien, on le sait. mais il y a quelqu’un qui dit « essayons à petite dose quelque chose dont on sait qu’à haute dose ça ne marche pas, et regardons si ça marche ou pas ».
comme c’est vraiment à petite dose, ça marche encore… vient ensuite la deuxième étape « et si on augmente la dose de ce qui ne marche pas, est ce que ça marche encore ? »…
à la n ième étape, on constate avec surprise que ça ne marche plus, et c’est d’autant plus étrange qu’on avait pris l’habitude que ça marche tout le temps… comment fait on alors ?
« -Le cout peut varier fortement selon le site et les technologies utilisées »
oui, le coût varie entre 4 fois et 20 fois plus cher que ce qui marche bien. il est évident qu’il ne faut pas faire quelque chose qui coûte 20 fois plus cher pour le même résultat. mais doit on vraiment faire ce qui coûte 4 fois plus cher ?
Je préfère appeler cette initiative pour ce qu’elle est réellement: « Interdiction des petits salaires ».
Cela dit, excellent article d’anticipation pratique.
Quand on voit le nombre de gens d’Europe du sud, qui se logent chez la parenté, et qui tentent de trouver un boulot, même sans maîtriser le français ou avoir une qualification, on peut raisonnablement penser que l’on verra bien plus de plaques P ou E dans la région lémanique.
La bêtise du salaire minimal est insondable, on ne peut en éclairer que quelques aspects.
– Son uniformité tue l’économie des zones moins chères (campagnes)
– Il appauvrit les pauvres (y compris smicards) en renchérissant le travail (même les smicards en consomment)
– Il diminue la demande de travail donc accroît le chômage
– Il coûte cher en administration et en conformité
– Il interdit de s’adapter au contexte (choisir d’être payé moins pour la proximité ou toute autre raison)
….
C’est un concentré de stupidité pure, du dirigisme à front de taureau, un triomphe du préjugé sur l’expérience, de la pure fascination pour le pouvoir de soumettre autrui, pour imposer l’harmonie artificielle là où l’harmonie est naturelle (Bastiat).
Votre analyse est si parfaite que je la copie-colle …
Pour les droits d’auteur, nos avocats s’arrangeront 🙂