Alstom, productivité et sexe des anges

Un éclairage d’un spécialiste de la mécanique qui rappelle à l’occasion de l’affaire Alstom comment l’industrie mécanique française a sombré et comment l’État a précipité ce désastre.

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Alstom, productivité et sexe des anges

Publié le 8 mai 2014
- A +

Par Ernault Graffen.
Un article d’Emploi 2017.

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Ce qui se passe avec Alstom sur la scène médiatique est consternant. J’ai eu la chance dans mes jeunes années d’y travailler et dans un second temps d’être consulté pour établir les gammes d’usinage pour les premières turbines à gaz exécutées sur les premières machines à commandes numériques implantées à Belfort en attendant la fin de la construction de l’usine prévue de Bourogne (à deux pas de Belfort). J’ai pu constater les liens étroits avec General Electric depuis les dessins des licences où l’on commençait d’abord par convertir les cotes en métrique (non seulement des turbines à gaz mais aussi des turboalternateurs). J’ai aussi eu la chance de suivre des cours initiés aux États-Unis sur l’analyse de valeur, alors inconnue en France. La nature des relations entre Alstom et General Electric ne datant pas d’hier, ne méritent pas les élucubrations anti américaines de l’idiot gouvernemental de service. Ce rachat est certainement la meilleure des choses qui puisse arriver pour Belfort, contrairement au projet Siemens qui a toujours cherché à éliminer un concurrent (aujourd’hui en lui refilant un ICE à grande vitesse avec ses multiples carences) ainsi que l’avis de cet illuminé de Chevènement, fossoyeur de la machine-outil française lorsqu’il sévissait au gouvernement dans les années 1980, tout en laissant dépérir sa circonscription lorsqu’il en était le député-maire.

La France récolte l’économie qu’elle a semée depuis des décennies. Soudain chacun semble découvrir la faillite de sa société industrielle qui malheureusement ne date pas d’hier. Débats et discussions tournent autour de la compétitivité des entreprises françaises en oubliant l’essentiel : le niveau de leur productivité actuelle.

Certes les charges pesant sur les entreprises ont eu leur rôle en ce sens qu’elles les ont privées des capacités d’investissement durant des années suite aux délires « sociaux » du « toujours plus » des gouvernants successifs. Ce fait majeur généra un recul significatif de leur productivité, quelle que soit la branche d’activité à quelques exceptions près.

La conséquence directe en fut un vieillissement généralisé de leurs équipements de production. Ainsi, l’âge moyen d’une machine-outil française dans le secteur des fabrications mécaniques se monte à dix-huit ans alors que celui d’une allemande est à dix ans seulement.

Cela se traduit non seulement par une nette perte de productivité, mais aussi de qualité, due à une maintenance de plus en plus problématique. Exemple : les défauts de transmission de correcteurs de dimensions du logiciel de commande des machines qui produiront au final des pièces défectueuses et leur mise au rebut (à condition d’être détectées). Par ailleurs, il suffit d’évaluer les performances des systèmes informatiques quand les fabricants d’ordinateurs cessent de fournir leurs logiciels d’exploitation comme le fit lBM en supprimant celui de son fameux AS400 et par suite les services y afférant.

img contrepoints285 alstomLes modes de production progressent en permanence en influant sur les métiers et les savoirs. Il n’existe pratiquement plus de véritables spécialistes d’organisation du travail, capables de diagnostiquer les rationalisations nécessaires en fonction des évolutions technologiques et leurs incidences sur les réductions des coûts de production. Modes opératoires, transports, contrôles qualité et modes de stockage ont tous évolué avec une automatisation galopante favorisant la flexibilité, quelle que soit la quantité des lots de produits à fabriquer.

Ils transforment les flux de production en réduisant les temps d’attente et les encours. Les flux tendus en résultant diminuent en effet les frais de stockage et réduisent les temps morts. Il suffit simplement d’observer les usines françaises en difficulté et de les comparer à celles de leurs concurrents pour constater leurs retards lorsqu’on a la chance de pouvoir le faire. Ce n’est pas uniquement le niveau des charges qui fait le succès de l’industrie allemande, mais aussi la productivité technologique intrinsèque et les conditions de travail de ses industries, ainsi que les mécanismes d’aides sociales dédiés à bon escient à celles et ceux qui méritent d’être soutenus, comme l’institua le chancelier Schroeder en dépit des protestations de ses propres électeurs.

Les plans d’amélioration de la productivité peuvent se résumer à trois grandes familles : le revamping, la rénovation et la modernisation. Le revamping consiste en une simple optimisation des ressources et leur utilisation en mobilisant les personnels. La rénovation consiste en un renouvellement partiel ou total des équipements et des bâtiments avec une solide remise à niveau des personnels. La modernisation consiste à remettre en cause les processus de fabrication pour atteindre des capacités de production optimales.

De là découlent des plans d’amélioration qui doivent être compatibles avec les ressources financières des entreprises concernées. Ils s’appuient sur des actions technologiques, de projets et humaines. Les actions technologiques concernent les machines, les phases opératoires et l’ensemble des gammes de produits pour leur intégration dans un système de production existant ou à construire. Les actions projets ont pour objectifs d’améliorer des points précis comme les prix de revient, la qualité, la réduction des temps morts, la mise à niveau informatique ou tout autre point clé déficient dans le système existant. Les actions humaines prendront en compte les besoins en formation des personnels pour leur remise à niveau, que l’on peut estimer aujourd’hui à dix pour cent de la masse salariale.

Ce qui vient d’être décrit très sommairement s’inscrit dans une unité de temps donnée qui s’étale sur cinq années en général, dont une année de conception et de valorisation du plan pour y impliquer la majorité du personnel, vaincre l’habituelle résistance au changement, être absorbable par l’entreprise et restaurer sa compétitivité technologique. Il s’agira d’organiser de façon cohérente son automatisation, sa robotisation et sa gestion informatique avec des cahiers des charges précis en veillant à la pleine efficacité opérationnelle la plus courte possible des moyens investis au fil des ans pour obtenir des retours de capitaux rapides de l’ordre de trois à cinq ans. Un moyen moderne doit généralement être opérationnel à cent pour cent quinze jours après son implantation en production. Une gageure pour les industries mécaniques françaises dépendantes de machines-outils provenant pour la plus grande partie de l’étranger, l’absence de sociétés d’intégrateurs d’envergure d’une seule source spécialisée en automatisation et robotisation, du fait de la disparition de ces secteurs clés du paysage industriel français au fil des ans.

Ce qui précède démontre l’ampleur de la tâche qui attend nombre d’entreprises et ridiculise les fables des responsables politiques et économiques, débattant du sexe des anges avec les scories des idéologies mortes du XXème siècle. Faire du neuf avec du vieux reviendra toujours plus cher que faire directement du neuf, ce qui renforce tous ceux qui préconisent les notions de créations d’entreprises pérennes. Favoriser tous ceux qui sont décidés à entreprendre deviendra incontournable. Ce n’est plus qu’une question de temps tellement il y a à faire pour reconstituer un tissu industriel laissé à l’abandon depuis bien trop longtemps.


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  • Un article très technique mais ce qui le rend très intéressant d’ailleurs.
    Si je devais résumer en quelques mots simples, l’industrie pour être viable doit constamment évoluer et innover ses méthodes de production et non seulement ce qu’elle produit.
    Plus simple encore, il ne faut pas seulement savoir produire du nouveau, il faut savoir le produire d’une nouvelle façon.

    • Ou encore, le redressement productif ne se fait pas en aboyant sur les américains comme la grande éolienne Montebourg mais en investissant. Ce qui suppose de ne pas détourner par l’impot la part des bénéfices des entreprises qui devraient (aurait du être hélas en l’état des choses) être réinvestie.

      Individuellement, un libéral se fiche pas mal de savoir par qui Alstom est racheté et ses usines décrépies fermées à court ou moyen terme pour produire dans des unités plus modernes. Les dés sont jetés. C’est avec la masse des chomeurs à croissance exponentielle que les politiciens devront s’expliquer. La baisse de l’investissement consécutive à la pression fiscale du début du quinquinquénat portera ses fruits dans 3 ans pour les présidentielles. On nous expliquera que c’est la faute aux capitalistes, à l’Europe et à l’anti-France : devinez qui gagnera les élections.

      • Je paris que les socialistes repartiront pour un tour en 2017 😀
        Si cela se produit, je considérerai alors que les Francais sont une race inferieure parmi l’espece humaine, un peu comme l’Homme de Cro-Magnon par rapport à l’Homo Sapiens 😛
        Bon je rigole j’arrive pas à penser à des trucs pareils, disons que je penserai qu’il sera temps de prendre les armes et refaire fonctionner les guillotines contre la classe politique 😉

        •  » que les français sont une race inférieure parmi l’espèce humaine  »

          c’est bien ce qu’on pensaient les allemands aprés leur facile victoire en 40, quand il ont vu in situ à qui ils avaient à faire, je ne sait pas quel mot ils utilisaient dans leur langue de patate ( pardon de carteufel … ) chaude, mais ça devait ressembler à  » bougnoule « .
          normal pour un peuple qui met systématiquement les plus cons à sa tète.

      • ou encore, toute société qui refuse d’avancer et se met au diapason des  » fixistes et des sanctuarisateur « ( EELV , FN , PS version réenchantement du rève ) va avoir de sérieux problème dans un future proche, comme les chinois au 19ième siècle par exemple, ou l’agriculture française bientot …

  • « Favoriser tous ceux qui sont décidés à entreprendre deviendra incontournable. » Certes, mais dites cela à un socialiste, il va penser à ce que l’état peut faire, quand vous pensez à ce que l’état doit cesser d’essayer de faire.
    Le monde entrepreneurial doit cesser immédiatement de réclamer continuellement des choses à l’état qui trouve là une justification. La seule chose qu’il doit réclamer est de le laisser tranquille, surtout qu’il ne s’occupe de rien!

  • Excellent article d’Ernault Graffen.
    C’est une synthèse rapide qui ne peut faire tout le tour, mais il est un problème à peine évoqué, c’est la croissance de la proportion d’intrants étrangers dans toute production industrielle française.
    De plus en plus d’usines françaises mutent en chaînes d’assemblage de composants primaires (voire de sous-ensembles complets) fabriqués ailleurs. Une indication qui ne trompe pas : les délais de production sur commande qui deviennent anormalement long et non pas pour des raisons de trop forte demande mais par la complexité des appros spécifiques (pas de stock) !!!
    Les fabricants de base sont en Allemagne occidentale, en Suisse et en Italie du Nord, bientôt en Tchéquie.

    Quand on pense qu’il y a 50 ans seulement, on entrait de l’acier ou de l’aluminium à un bout de la Rue du Landy (93) et on sortait un avion, une automobile ou une locomotive à l’autre bout. Nous avions l’un des premiers espaces mécaniques d’Europe, mais la folie des grandeurs à la tête de l’Etat !
    La connerie des politiques ça ne pardonne pas !

  • L’Etat s’enorgueillit de lancer, d’aider les Fab-Lab; ces petites « usines » de conception et de fabrication en 3D.
    Mais en réalité on passe encore pour des pignoufs : On va dépenser des millions, voir des milliards tant ce sera mal gérer; pour des trucs sans importance aucune. Alors que des entreprises de fabrication d’objet par imprimante 3D existent déjà et sans aides de l’état.
    La stupidité tient au seul fait que LES IMPRIMANTES 3D NE SONT PAS CONÇUES ET FABRIQUÉES EN FRANCE. La France ne c’est plus concevoir et fabriquer des machines outils… Elle préfère miser sur l’industrie de fabrication, alors que la Chine fait aussi bien et pour moins chère !!!
    On a raté le marché de la micro-informatique avec le plantage de BULL
    On a raté le marché de la téléphonie mobile parce-que les « experts » des années 80 disaient « SANS INTERÊTS »
    On a raté le marché d’internet avec le plantage et l’obligation du minitel
    On a raté le marché des supergénérateurs avec la fermeture de Super-Phénix
    On a raté le marché des Biotechnologies avec notre refus stupide des OGM
    On a raté le marché du Gaz de schistes (bien que Vallourec soit très content)
    On a raté le marché des Nanotechnologies avec le refus des écologistes…
    Alors pour le reste, pour l’avenir… je ne vois rien de bien !!!

  • Intéressant et article d’un point de vue historique car un peu daté dans l’approche. J’ai dirigé des entreprises de fabrication mécanique et heureusement tout n’est pas aussi consternant que le décrit l’auteur.
    Tout d’abord il ne faut pas regretter l’organisation scientifique du travail à la française car le Lean Manufacturing (modèle Toyota) est largement supérieur. En raisonnant en flux on améliore très sensiblement la productivité sans investir en capital et donc on améliore le ROI, et oui, l’ingénieur et le financier peuvent réussir ensemble. Avec le Lean, la qualité et l’amélioration continue est au coeur du processus industriel en impliquant les salariés et les cadres dans l’usine, ce qui déplait fortement aux syndicats car contraire à leur idéologie ringarde de lutte des classes.
    Je ne comprends pas non plus l’allusion faite aux problèmes de correcteurs dans les CN à l’heure des systèmes de prise de mesure sans contact, des dispositifs anti-collision et la généralisation de la vision.
    Reste la question du déclin évident de l’industrie en général, à mon avis l’explication réside dans la fiscalité délirante de notre pays sur le capital,car taxé à sa créations pendants sa possession et à sa transmission. Un exemple éloquent est l’encadrement fiscal de la durée d’amortissement des équipements défavorable au renouvellement rapide du matériel et qui n’existe pas dans les pays compétitifs.(je développerai si besoin).
    Enfin les meilleures entreprises ETI et PME en mécanique sont celles qui ont investi très tôt dés la fin des années 80 dans les pays low cost et qui ont déployé une stratégie internationale sur les zones à forte croissance économique.

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