Par qui serons-nous opérés demain ? Telle est la question.
Par le Docteur Bernard Kron, membre de l’Académie Nationale de Chirurgie.
L’État veut économiser dix milliards d’euros sur la médecine et un milliard en développant la chirurgie ambulatoire à l’hôpital. Est-ce envisageable sans une profonde réforme de la chaine des soins et de la formation des internes de chirurgie ?
La réorganisation nécessaire de la chirurgie
Elle devra commencer par celle des filières car de nombreux postes sont occupés par des chirurgiens qui ne sont pas issus de notre cursus, ce qui cache la pénurie en marche dans les spécialités lourdes. Le développement d’Écoles de Chirurgie avec de véritables laboratoires associant des simulateurs informatisés et des accès au modèle animal permettrait d’aider à la formation des jeunes chirurgiens et d’organiser de véritables parcours depuis le tout début de l’internat. Une formation inter-régionale, la participation des seniors du privé et l’initiation des étudiants à la chirurgie dès les premières années des études médicales, devraient maintenir l’élitisme nécessaire dans ce métier à risques.
La création de « communautés hospitalières » et la réforme des CHU doit éviter le piège de l’hospitalo-centrisme. Les « Princes de la Républiques » auraient mieux fait de s’abstenir de cette réforme coûteuse et inefficace. Elle entraine un afflux toujours plus important de patients au détriment des cliniques privées qui voient leurs activités stagner (42% étaient en déficit en 2008 et la moitié a dû fermer). Pourtant les soins y sont moins coûteux et la chirurgie ambulatoire de plus en plus développée.
L’autorisation des compléments d’honoraires (DP) dans la transparence reste incontournable pour récompensée la qualité. Malheureusement le contrôle des cliniques par des chaines et les mutuelles fait peser des obligations qui vont à l’encontre de cette liberté. Les amendements votés récemment vont les limiter de façon drastique. Certaines sociétés dans le passé en prenant des mesures inadaptées « par le haut » sont responsables de coûteux échecs, voire de leur propre disparition. L’expérience des acteurs de terrain comme était celle des « peuples premiers » serait irremplaçable pour les éviter.
Cassandre avait annoncé la chute de Troie… ce qui a fini par arriver. Nos voisins ont créé un « European Board » alors que la France, dans son exception, a supprimé la spécialité de chirurgie générale, la considérant comme obsolète. La querelle entre les anciens et les modernes serait stérile, s’il n’en sortait pas un progrès comme en littérature. La spécialisation de la chirurgie est un progrès incontournable. Mais l’urgence nécessitera comme aux armées un enseignement spécifique. Nos hospitalo-universitaires devraient prendre conscience que des spécialités élargies sont irremplaçables. Ce savoir-faire risque de disparaître avec la retraite des derniers chirurgiens généralistes en activité.
Les études de chirurgie en France
Elles sont longues et contraignantes. Il faut réussir la première année, commune aux études de Santé (PACES). Ce succès est indispensable et conditionné par une sélection liée à un numerus clausus sévère. Son augmentation régulière se poursuit et se stabilisera autour de 8 000. Le cursus général dure 7 ans, souvent 8. Il faut ensuite réussir l’ECN pour faire un bon choix qui conditionnera la qualité de la formation. La durée de l’Internat est de 5 ans. La période de post internat dure un minimum de 2 ans. Au total 14 à 15 ans d’années d’études post-baccalauréat sont donc indispensables avant de pouvoir exercer la chirurgie, mais actuellement 2 à 4 ans de plus sont nécessaires dans les spécialités lourdes pour être en pleine responsabilité, seul et autonome.
Les Internes en chirurgie sont inquiets pour leur formation et leur avenir. Les principales causes d’anxiété des Internes concernent ce qu’ils estiment être une mauvaise définition de leur rôle dans les services souvent hyperspécialisés des CHU. La fonction de l’interne en chirurgie s’est dégradée, par rapport à ce qu’elle était il y a encore quelques années. La formation est plus tardive, de même que l’accès aux interventions chirurgicales lourdes.
La formation des chirurgiens
L’apprentissage du geste chirurgical comporte plusieurs niveaux de complexité depuis la réalisation de gestes de base (nœuds, suture), jusqu’à l’enchaînement de gestes complexes et la prise de décisions qui ne peuvent être collégiales devant une situation opératoire inattendue. La richesse de la multi-disciplinarité, du travail d’équipe, du possible recours à une aide senior sont des atouts formidables quand l’encadrement est à la hauteur au cours du post internat. Le souhait actuel va souvent vers la spécialisation voire l’hyper-spécialisation. Pour postuler à une carrière hospitalo-universitaire, une thèse de Sciences est nécessaire ainsi qu’une habilitation à diriger des Recherches. Cela diminue d’autant la formation au bloc opératoire.
Le post Internat va conditionner la qualité des chirurgiens formés. La durée est d’un minimum de 2 ans. Cette période est jugée trop courte. Le clinicat de 4 ans va être réservé aux chirurgiens qui s’orienteront vers une carrière hospitalière. Elle reste peu lisible concernant son attractivité.
Cette formation pose un grave problème car près de 60% des interventions sont pratiquées dans le privé (chiffre qui peut dépasser 85% dans certaines spécialités). Les DIU (Diplômes Universitaires) sont délivrés avec la participation des collèges, mais la formation des internes est laissée à la discrétion des chefs de service. La participation du privé à leur formation est à peine ébauchée et n’a pas encore trouvé de solution juridique.
Les techniques évoluent de plus en plus vite avec la robotique
La viscéro-synthèse et la cœlio-chirurgie se sont développés par le privé grâce à quelques ténors. Depuis, l’hôpital a bénéficié d’investissements lourds (PTL) et développe les nouvelles technologies. La chirurgie NOTES (Natural orifice technique endoscopique surgery), chirurgie qui commence à se pratiquer à travers les orifices naturels est en pointe à Strasbourg. La « French Touch » de la coelio chirurgie est une révolution qu’admirent les Anglo-saxons. Le robot affine le geste chirurgical, mais nécessite un investissement et une maintenance coûteuse. Mais qui demain sera capable de faire une chirurgie conventionnelle en cas de panne ?
Les spécialités élargies
Comme celle des militaires, l’expérience des Anglo-saxons est intéressante dans ce domaine. Une formation élargie comporte des modules obligatoires en chirurgie abdominale, vasculaire, urologique, thoracique et traumatologique. Les blessures au combat, comme les urgences civiles se rient des frontières artificielles. Aux États-Unis a été créée la spécialité « d’acute care surgery ». La chirurgie civile devrait s’inspirer de ces exemples alors qu’elle lui tourne le dos. Il ne sera pas possible avec la pénurie des vocations en chirurgie lourde, d’exiger que dix chirurgiens assurent la garde pour couvrir les urgences, sauf dans les centres polyvalents de certains CHU.
Par qui serons-nous opérés demain ? Telle est la question.
Un très bon article sur la chirurgie ambulatoire, cette spécialité est de plus en plus développée et elle va économiser les charges de l’état dans la médecine sans les prochaines années