Par Anne Coffinier.
Les professeurs du public comme du privé sont très attachés à la liberté pédagogique, i.e. la possibilité de choisir par eux-mêmes méthodes et contenus d’enseignement. Les parents d’élèves sont souvent moins allants pour avoir été parfois confrontés aux initiatives pédagogiques malheureuses de professeurs en mal d’originalité. Le fait d’imposer des programmes contraignants présente à leurs yeux le mérite d’empêcher par exemple certains professeurs de français de passer l’année sur une œuvre littéraire mineure, mal traduite ou déprimante, ou aux enseignants d’histoire de se limiter à la seconde guerre mondiale.
Les dirigeants de l’Éducation nationale ont une relation plus qu’ambiguë à la question. Si la liberté pédagogique est reconnue de longue date dans l’enseignement supérieur, il a fallu attendre François Fillon pour qu’elle soit consacrée par la loi pour l’enseignement primaire et secondaire. Hélas, sous quelle forme mutilée ! L’article 48 de la loi du 25 avril 2005 insère dans le Code de l’éducation l’article L.912-1-1 qui dispose ceci : « La liberté pédagogique de l’enseignant s’exerce dans le respect des programmes et instructions du ministre chargé de l’Éducation nationale et dans le cadre du projet d’école ou d’établissement avec le conseil et sous le contrôle des membres du corps d’inspection. Le conseil pédagogique prévu à l’article L.421-5 ne peut porter atteinte à cette liberté. » Faut-il que l’État fasse peu confiance à ses enseignants pour les contrôler à ce point !
Et le syndicat SUD éducation de noter fort justement qu’« en tant que cadre A de la fonction publique, chaque enseignant devrait être considéré comme concepteur et non comme simple exécutant, il ne devrait s’exercer aucune pression sur sa liberté pédagogique : organisation des contrôles ou examens blancs, progression, critères d’évaluation des élèves »… Le métier de professeur s’apparente par nature à une profession libérale car l’acte même d’enseigner requiert la liberté de penser et d’adapter ses méthodes, ses contenus et ses ambitions aux besoins réels des élèves.
À rebours, l’Éducation nationale prend les professeurs pour des agents d’exécution. C’est ainsi que le gouvernement précédent a pu instaurer sans tiquer, dans le cadre du concours de recrutement à la fonction de professeur des écoles, cette improbable épreuve : « Agir en fonctionnaire de l’État et de façon éthique et responsable » !
La seule fois où les caciques de l’Éducation nationale ont professé bruyamment leur attachement à la liberté pédagogique, avec une parfaite mauvaise foi, ce fut pour s’opposer à la circulaire du 3 janvier 2006 du ministre Robien interdisant la méthode de lecture globale. Bon nombre d’inspecteurs généraux entrèrent en fronde face à leur ministre au nom de la liberté pédagogique, celle-là même qu’ils avaient foulée aux pieds durant trente ans pour contraindre les instituteurs à utiliser la méthode à départ global et les mathématiques modernes.
Il n’en reste pas moins que la liberté pédagogique, comme toute liberté, a besoin d’être encadrée. Elle va de pair avec une obligation de prudence et de formation tout au long de la vie.
Mais sa contrepartie principale doit en être surtout la responsabilité : les professeurs doivent accepter de rendre publiquement des comptes sur le niveau et les progrès académiques de leurs élèves. C’est à l’évidence une révolution par rapport à la mentalité actuelle.
L’évaluation des résultats est un tabou puissant à l’Éducation nationale. Ainsi, à peine arrivé rue de Grenelle, le ministre Peillon supprima-t-il les évaluations nationales de CE1 et CM2 que son prédécesseur avait laborieusement introduites. Pourtant on ne voit pas ce que les bons professeurs auraient à craindre de l’évaluation de leurs élèves.
Et quant aux mauvais, est-il légitime que personne ne soit capable d’en délivrer les enfants, comme c’est le cas aujourd’hui ? Les professeurs eux-mêmes sont aujourd’hui soigneusement laissés dans l’ignorance de l’efficacité de leurs pratiques professionnelles comparée à celle de leurs collègues. Est-ce normal ?
Actuellement, les seuls contrôles pédagogiques portent sur les professeurs, plus précisément sur la conformité de leurs pratiques à une certaine doctrine pédagogique officielle ; ils sont diligentés par les inspecteurs de la Direction académique. Ces inspections sont dépourvues de légitimité puisqu’elles portent sur les moyens pédagogiques mis en œuvre et jamais sur les résultats qui en découlent. Tant qu’elles n’auront pas pour but de corréler la carrière du professeur aux progrès réalisés par ses élèves, elles seront essentiellement nuisibles et déresponsabilisantes, voire infantilisantes. Qu’il est étrange de voir tant de professeurs trembler à l’idée d’éventuelles inspections alors qu’elles interviennent en moyenne tous les 5 ans dans le public et tous les 7 ans dans le privé ! La perspective seule suffit mystérieusement à faire rentrer dans le rang des professeurs par ailleurs souvent assez libertaires dans leurs idées. Pourquoi ne pas les supprimer ? La Finlande, modèle éducatif admiré de tous, s’en passe très bien. Les professeurs échangent sur leurs bonnes pratiques et se forment entre pairs.
Le pacte de confiance entre État, famille et école, qui a volé en éclats ces dernières années, ne pourra être restauré que si l’on reconstruit résolument notre système scolaire sur la confiance et la transparence.
Il conviendra de faire confiance a priori aux parents pour choisir ce qu’il y a de mieux pour leurs enfants. En cas d’investissement insuffisant ou d’incapacité des parents, les professeurs pourront – comme ils l’ont toujours fait – exercer un rôle de conseil actif auprès d’eux pour les aider à trouver les solutions éducatives les plus adaptées aux aptitudes, ambitions et projets de leurs enfants. De même, les professeurs devront jouir de la confiance a priori de l’État et des parents pour choisir les meilleures méthodes et les meilleurs savoirs et œuvres à étudier. L’État veillera à ce que des tests nationaux soient organisés en début et fin d’année dans toutes les classes et leurs résultats dûment publiés par professeur et par école. C’est le meilleur moyen d’éclairer les professeurs sur l’efficacité réelle de leurs pratiques pédagogiques et de permettre l’identification des meilleurs professionnels auxquels la formation des jeunes enseignants et les directions d’établissement devront tout naturellement être confiées. Les professeurs devraient aussi à notre sens présenter publiquement la progression qu’ils comptent adopter, les manuels, les textes, les méthodes sur lesquels ils s’appuieront… Sur cette base, les familles choisiront les écoles en toute connaissance de cause, ce qui permettra accessoirement aux fils de professeurs de cesser d’être les grands privilégiés du système éducatif actuel ! Bref, cela induira au passage un indubitable progrès de la justice et de l’égalité des chances.
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Sur le web.
J’ai bien aimé l’expression « initiatives pédagogiques malheureuses », comme si on parlait d’un faux pas ponctuel ayant entrainé quelques redoublements ou des difficultés passagères. Les méthodes les plus couramment employées ne sont pas malheureuses, elles sont calamiteuses, désastreuses, catastrophiques! On traite ici d’analphabétisme à grande échelle et du sacrifice de générations entières! Etre passée par l’ENA vous interdit peut-être d’appeler un chat un chat.
« Les professeurs devraient jouir de la confiance a priori de l’État pour choisir les meilleures méthodes et les meilleurs savoirs à étudier. »
Pour parler de mon expérience personnelle d’élève (modèle 😉 ), j’ai eu l’immense chance d’avoir eu quelques excellents enseignants. D’autres ont été moins bons et certains carrément mauvais. Tous recevaient ponctuellement des inspecteurs pendant leurs cours, et bien des choses changeaient à cette occasion : les mauvais s’appliquaient, mais les bons « aseptisaient » l’ambiance de leur classe.
Leçon à en tirer : entre 4 murs et face aux élèves, on fait à peu près ce qu’on veut, dans le bon ou le mauvais sens. Les profs passionnés (et passionnants!) peuvent donner le gout d’apprendre quand d’autres vont faire détester une matière ou l’école à tous les gosses qui leur passeront entre les mains.
Les responsabilités sont très larges, mais arrêtons de dédouaner les profs pour leurs échecs.
Je suis globalement d’accord avec cette analyse, mise à part deux points :
1. Je ne crois pas que liberté pédagogique inclut liberté de choisir quels savoirs enseigner, en passant, je ne sais pas ce que sont « les meilleurs savoirs ». L’école (au sens large) étant une institution républicaine, il est cohérent que les savoirs à enseigner soient décidés collectivement, c’est d’ailleurs dans la nature même du savoir qui est une construction en partie sociale (pour être un savoir, il doit être reconnu comme tel). Bien entendu on peut estimer que l’école n’a pas à être une institution républicaine et laissée au libre-choix des parents (et non pas de l’élève qui pourrait donc être lésé par le choix de ses parents) aussi bien sur l’accès à l’école (pas d’obligation scolaire dans ce cas) que sur ce qui doit être enseigné. Mais là on remonte de plusieurs siècles en arrière.
2. En effet, les évaluations nationales de CE1 et CM2 ont été supprimées par V. Peillon sur le souhait de nombreux acteurs de l’éducation nationale à commencer par les enseignants. Cela va pourtant dans votre sens car comment peut-on prôner d’un côté la liberté pédagogique et le choix des savoirs à enseigner et en même temps défendre des évaluations standardisées, quelquefois mal construites qui conduisent à une uniformisation de l’enseignement pour obtenir de bons scores à ces évaluations ? Il y a là une incohérence, je trouve.
Certains pédagogues influents dans l’éducation nationale ont effectivement une conception très particulière de la liberté pédagogique.
Pierre Frackowiak (cautionné par Meirieu) explique très doctement que la liberté ne peut être invoquée pour résister au progrès:
http://www.meirieu.com/FORUM/frackowiak_liberte_pedagogique.pdf
Le texte date de 2008.
L’article 48 de la loi du 25 avril 2005 insère dans le Code de l’éducation l’article L.912-1-1 qui dispose ceci : « La liberté pédagogique de l’enseignant s’exerce dans le respect des programmes et instructions du ministre chargé de l’Éducation nationale et dans le cadre du projet d’école ou d’établissement avec le conseil et sous le contrôle des membres du corps d’inspection. Le conseil pédagogique prévu à l’article L.421-5 ne peut porter atteinte à cette liberté. »
C’est collector! On croirait Figaro ironisant sur la censure. Mais ici, l’humour est involontaire.
« Les professeurs devraient jouir de la confiance a priori de l’État pour choisir les meilleures méthodes et les meilleurs savoirs à étudier. »
Comment pourrait-il y avoir une « meilleure méthode » et « un meilleur savoir » qui s’applique à tous les enfants, dans tous les endroits et dans toutes les circonstances ? Non seulement il est nécessaire que le professeur s’adapte, mais on devrait botter l’arrière-train de ceux qui théorisent et mettent en place l’uniformisation de l’enseignement.
Il faut distinguer et définir qui décide de l’enseignement minimum donnerà un enfant…de fait il s’agit maintenant de l’état..à partir de là …on est dans le paté…
L’extrême majorité des parents acceptent l’idée que leurs enfants doivent savoir lire écrire et compter.. passé cela…on a une grande période de flou qui coïncide avec d’une part avec une espèce d’évaluation de l’enfant et de détermination des objectifs qui doivent déterminer ce qu’il doit suivre comme cursus pour y arriver…ce machin a un énorme biais qui ressemble à celui qui fait qu’un concepteur de test » d’intelligence » refusera de se voir « mesuré »comme un crétin.
Je crois au contraire que les objectifs des enseignants devraient être beaucoup plus modestes et encadrés mais mesurés à l’efficacité globale et individuelle.
des années d’enseignement de l’anglais….durant des années et …un pourcentage ridicule ne maîtrise la langue selon les prescriptions programmatiques… du moins de mon temps…